Michelle Daufresne, auteure contemporaine, a publié des poèmes et des histoires qu'elle a elle-même illustrés pour des recueils et des albums destinés aux enfants et à la jeunesse ("Irma Bec en L'air" chez Syros, "Images, images", aux éditions L'Art à la page). Elle a aussi créé les illustrations pour des textes d'autres poètes ("Le rire des cascades", d' Alain Boudet aux éditions Motus). Et bien d'autres.
Petites ombres
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles
un cabas,
un chien, un chat.
Personne ne les voit
on ne remarque pas
ces ombres
sombres.
Elles ont été
dans le passé
des charmantes,
des importantes,
des méchantes,
des vibrantes.
Elles ont été, cela les hante,
des amantes.
Dans les glaces des magasins,
glaces sans tain
elles croisent des reflets éteints
de fantômes anciens.
Pourquoi rentrer
retrouver
un passé
envolé ?
Qui les attend ?
Qui les entend ?
Les petites ombres se promènent
serrant contre elles
un chien, un chat
un cabas.
Elles déambulent
funambules.
Michelle Daufresne ("Envol" - éditions Lo Païs d'Enfance, 1999)
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Lise Deharme (1907-1981), est une romancière et poète française, proche des Surréalistes.
L'horloger
La petite bête
Qui est dans la montre
Je l’entends gratter
Je l’entends taper
Je l’entends sonner
Que dit-elle ? Tic-tac
Tic-tac-tic
La petite bête
Est morte ce soir
Monsieur l’horloger
Veux-tu la retrouver
Veux-tu la ramener
Ma petite bête.
Ne veut plus chanter
La petite bête
Monsieur l’horloger
Me l’a retrouvée
Elle était coincée
Par un grain de blé
Que dit-elle ? Tic-tac
Tic-tac-tic
Lise Deharme ("Le coeur de Pic" - photographies de Claude Cahun - éditions Corti, 1937 et Éditions MeMo, 2004)
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La poule noire
La poule noire
dans le potager
a crié
comme une enragée.
Les fermiers
sont allés la voir ;
elle a dit qu'il allait pleuvoir.
On ne l'a pas crue lanturlu,
et mon beau chapeau est perdu !
Lise Deharme ("Cahiers de curieuse personne" - éditions des Cahiers libres, 1933)
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La plume
Une plume est tombée
par terre.
Va la ramasser.
- Pour quoi faire ?
Il va pousser un plumier.
Lise Deharme ("Le coeur de Pic" - photographies de Claude Cahun - éditions Corti, 1937 et Éditions MeMo, 2004)
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Curieuse
Tes cheveux sont des araignées noires et griffues
ton front un désert de sable blond
ton nez une vague de son
tes dents ont faim
ta bouche est fine
ton menton
une colline aiguë
mais tes yeux sont deux cratères
de lave et de gouffres ouverts
semés d'étincelles et de feu
Tes yeux sont deux mondes perdus.
Lise Deharme ("Le coeur de Pic" - photographies de Claude Cahun - éditions Corti, 1937 et Éditions MeMo, 2004)
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La cage vide
J'ai raté
le livre de ma vie
une nuit
qu'on avait oublié
de mettre un crayon taillé
a côté de mon lit.
Lise Deharme ("Cahiers de curieuse personne" - éditions des Cahiers libres, 1933)
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Le cochon blond
Le cochon blond
aime le jambon
Il l’aime
jusqu’à l’indigestion
mais ce n’est pas bon
pour lui-même.
Lise Deharme ("Cahiers de curieuse personne" - éditions des Cahiers libres, 1933)
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Les pâquerettes
Les pâquerettes
trop simplettes
sont des petites dames
sans âme.
Elles font des rondes le jeudi
et sont mangées par les brebis
le vendredi.
Lise Deharme ("Cahiers de curieuse personne" - éditions des Cahiers libres, 1933)
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Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) a écrit de nombreux poèmes, romans, contes et nouvelles. Elle était aussi dessinatrice, sculptrice et historienne.
Notre recueil référence est "Poèmes mignons pour les enfants". C'est de cet ouvrage que sont tirés les poèmes ci-dessous.
Mauvaise rencontre
Antoine Lenoir dans le noir
Monte l'escalier sans y voir.
Henri Leborgne qui le lorgne
Soudain d'un coup de poing l'éborgne.
" Oh ! oh ! " dit Lenoir
" Hi ! hi ! " dit Leborgne.
- Répondez Lenoir
Fait-il toujours noir,
Ou vos marches s'allument-elles
Au clair de trente-six chandelles ? "
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Petites souris
C’est la petite souris grise,
Dans sa cachette elle est assise.
Quand elle n’est pas dans son trou,
C’est qu’elle galope partout.
C’est la petite souris blanche
Qui ronge le pain sur la planche.
Aussitôt qu’elle entend du bruit,
Dans sa maison elle s’enfuit.
C’est la petite souris brune
Qui se promène au clair de lune,
Si le chat miaule en dormant,
Elle se sauve prestement.
C’est la petite souris rouge,
Elle a peur aussitôt qu’on bouge !
Mais, lorsque personne n’est là,
Elle mange tout ce qu’on a.
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Problème
On coupe deux pommes en quatre,
Combien cela fait-il de quarts ?
Hélas ! Au lieu de me débattre,
J'aimerais mieux manger les parts !
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Le chat noir
J'ai dans ma cave un chat noir.
Ses yeux sont de couleur claire.
Mais s'il les ferme, bonsoir !
Pour le trouver, rien á faire !
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Les poissons rouges
- Les poissons rouges du bocal
Ont de l'eau par-dessus la tête.
Cela ne leur fait donc pas mal ?
- Bien sûr que non, petite bête !
Vois s'ils sont vifs et déliés !
C'est dans l'air qu'ils seraient noyés.
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Les vaches
Quand je traverse le terrain,
Les vaches des fermes modèles,
Pourquoi donc me regardent-elles ?
Pourtant je ne suis pas un train !
Lucie Delarue-Mardrus (ouvrage cité)
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Le cochon
- Pourquoi marche-t-il, le cochon,
Si fier à travers la prairie ?
- C'est qu'à lui tout seul, des pieds au front,
Il est une charcuterie.
Lucie Delarue-Mardrus ("Poèmes mignons pour les enfants" - Gedalge, 1929)
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Ballade des échecs
Sur l'échiquier, luisant miroir,
Quand brillent, rangés en bataille,
Deux peuples, l'un du plus beau noir,
L'autre, du plus beau jaune paille,
Quand, redressant leur haute taille,
La Reine et le Roi, couple fat,
Se rengorgent comme à Versailles,
Qui va donner l'échec et mat ?
Chacun fera tout son devoir,
Comme il pourra, vaille que vaille,
Le Roi tremble en son étouffoir,
Fous, chevaux, tours et valetaille,
Tout le monde bientôt s'égaille ;
L'action s'engage : à Deu vat !
L'un se défend et l'autre l'assaille.
Qui va donner l'échec et mat ?
Les pions vont à l'abattoir,
Le cheval rue et le fou raille,
Tandis que, lente à s'émouvoir,
La tour, ronde comme futaille,
Attend pour lancer sa mitraille,
L'occasion d'un exeat.
- Échec au Roi ! - Bien. Qu'il s'en aille !
Qui va donner l'échec et mat ?
Lucie Delarue-Mardrus - source du texte : site officiel, http://www.printempsdespoetes.com/
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Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) publie à l'âge de 23 ans son premier recueil : Élégies, Marie et Romances. Sensible, romantique, lyrique, sa poésie humaniste et sociale invente de nouvelles formes dont se sont inspirés sans doute des poètes comme Verlaine et Rimbaud.
"Les séparés", témoignage d'une souffrance réelle, un texte que Julien Clerc a mis en musique :
N'écris pas
N'écris pas, je suis triste, et je voudrais m'éteindre
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau
N'écris pas !
N'écris pas, n'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes
Ne demande qu'à Dieu ... qu'à toi, si je t'aimais !
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais
N'écris pas !
N'écris pas, je te crains ; j'ai peur de ma mémoire;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire
Une chère écriture est un portrait vivant
N'écris pas !
N'écris pas ces mots doux que je n'ose plus lire :
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;
Et que je les voix brûler à travers ton sourire ;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur
N'écris pas ! ...
Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")
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Ma fille
T'es ma fille ! T'es ma poule !
T'es le petit coeur qui roule
Tout à l'entour de mon coeur !
T'es le p'tit Jésus d'ta mère !
Tiens ! gnia pas d'souffrance amère
Que ma fill' n'en soit l'vainqueur.
Gnia pas à dir', faut qu'tu manges.
Quoiqu' tu vienn's d'avec les anges,
Faut manger pour bien grandir.
Mon enfant, j't'aim' tant qu'ça m'lasse;
C'est comme un' cord' qui m'enlace,
Qu' çà finit par m'étourdir.
Qué qu'ça m'fait si m' manqu' queuqu'chose,
Quand j'vois ton p'tit nez tout rose,
Tes dents blanch's comm' des jasmins ;
J'prends tes yeux pour mes étoiles,
Et quand j'te sors de tes toiles
J'tiens l'bon Dieu dans mes deux mains.
T'es ma fille ! T'es ma poule !
T'es le petit coeur qui roule
Tout à l'entour de mon coeur !
T'es le p'tit Jésus d'ta mère !
Tiens ! gnia pas d'souffrance amère
Que ma fill' n'en soit l'vainqueur !
Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies en patois")
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À mes enfants
Quand le soleil y passe, ouvrez votre fenêtre ;
Lui seul sait essuyer l’humide et sombre hiver.
Si le bonheur absent vient pour vous reconnaître,
Que votre cœur charmé, tout grand lui soit ouvert !
Gardez-vous de bouder, enfants, contre vous-mêmes.
Sachez : l’or est moins pur qu’un tendre et doux conseil.
Enfants : ne pas sourire à l’ami qui vous aime,
C’est tourner le dos au soleil.
Marceline Desbordes-Valmore
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Au revoir
Sous tes longs cheveux d'or, quand tu cours sur la grève
Au vent,
Si quelque prompt ramier touche ton front qui rêve
Souvent,
De cette aile d'oiseau ne prends pas, ô ma fille !
D'effroi :
Pour baiser son enfant** c'est une âme qui brille :
C'est moi !
Parmi d'autres enfants qui te font toute heureuse,
Le soir,
Quand tu vas au jardin, lasse d'être rieuse,
T'asseoir;
Si tu t'inquiétais comment je passe l'heure,
Sans toi,
Penche un peu ton oreille à cet oiseau qui pleure :
C'est moi !
Marceline Desbordes-Valmore
* "t'inqui-étais"
** Variante possible : "pour aimer son enfant "... Le sens du verbe baiser a évolué ... On peut, peut-être, garder la version originale et l'expliquer ?
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Un nouveau-né (passage)
...
Toi, cher petit dormeur, notre monde te plaît :
Ton âme est toute blanche et n'a bu que du lait !
Depuis si peu d'instants descendu sur la terre,
Tes yeux nagent encor dans un divin mystère ;
Tu revois la maison d'où tu viens, ton beau ciel,
Et ton baiser qui s'ouvre en a gardé du miel !
Marceline Desbordes-Valmore
Une lettre de femme
Les femmes, je le sais, ne doivent pas écrire ;
J'écris pourtant,
Afin que dans mon coeur au loin tu puisses lire
Comme en partant.
Je ne tracerai rien qui ne soit dans toi-même
Beaucoup plus beau ;
Mais le mot cent fois dit, venant de ce qu'on aime,
Semble nouveau.
Qu'il te porte au bonheur ! Moi, je reste à l'attendre,
Bien que, là-bas,
Je sens que je m'en vais, pour voir et pour entendre
Errer tes pas.
Ne te détourne point s'il passe une hirondelle
Par le chemin,
Car je crois que c'est moi qui passerai, fidèle,
Toucher ta main.
Tu t'en vas, tout s'en va ! Tout se met en voyage,
Lumière et fleurs,
Le bel été te suit, me laissant à l'orage,
Lourde de pleurs.
Mais si l'on ne vit plus que d'espoir et d'alarmes,
Cessant de voir,
Partageons pour le mieux : moi, je retiens les larmes,
Garde l'espoir.
Non, je ne voudrais pas, tant je te suis unie,
Te voir souffrir :
Souhaiter la douleur à sa moitié bénie,
C'est se haïr.
Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")
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Les roses de Saadi
J'ai voulu, ce matin, te rapporter des roses;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les nœuds trop serrées n'ont pu les contenir.
Les nœuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir;
La vague en a paru rouge et comme enflammée :
Ce soir, ma robe encore en est toute embaumée…
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")
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Qu'en avez-vous fait ?
Vous aviez mon cœur
Moi, j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur,
Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !
La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur,
Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,
Vous me laissez là
Dans ma vie amère,
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'Amour ?
Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde
Vous appellerez,
Et vous songerez !…
Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte,
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant,
Et l'on vous dira :
"Personne !… elle est morte."
On vous le dira,
Mais, qui vous plaindra ?
Marceline Desbordes-Valmore ("Poésies inédites")
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Jours d'été
Pour regarder de près ces aurores nouvelles,
Mes six ans curieux battaient toutes leurs ailes ;
Marchant sur l'alphabet rangé sur mes genoux,
La mouche en bourdonnant me disait : "Venez-vous ? ..."
et mon nom qui teintait dans l'air ardent de joie,
les pigeons sans liens sous leur robe de soie,
Mollement envolés de maison en maison,
Dont le fluide essor entraînait ma raison,
Les arbres, hors des murs, poussant leurs têtes vertes,
jusqu'au fond des jardins les demeures ouvertes,
le rire de l'été sonnant de toutes parts,
Et le congé, sans livre ! errant aux vieux remparts :
Tout combattait ma soeur à l'aiguille attachée ;
tout passait en chantant sous ma tête penchée ;
Tout m'enlevait, boudeuse, et riante à la fois ;
Et l'alphabet toujours s'endormait dans ma voix.
Marceline Desbordes-Valmore ("Bouquets et prières")