- Printemps des Poètes 2010 - couleur femme - page textes H I J K L M -
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TEXTES ÉCRITS PAR DES FEMMES 

auteures H I J K L M

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colonne gauche

auteures H I J K

de Hébert à Khoury-Ghata


  1. Anne Hébert - La page blanche / La neige / Il y a certainement quelqu'un ... / Rencontre

  2. Jacqueline (et Claude) Held :  Acrobatie / Ballade pour un métro / Grillon de lune / Monsieur Pissenlit / Transformations

  3. Gérard d'Houville (pseudonyme masculin) - Épitaphe / Les plus tristes amours du monde / Lorsque vous m'étendrez au bûcher de santal ...

  4. Arlette Humbert-Laroche - On tue / Hier

  5. Andrée Hyvernaud - Galette des rois / Les mots

  6. Anne-Marie Kegels - Automne / La fenêtre

  7. Vénus Khoury-Ghata - À Yasmine / La forêt a peur / La surface d'un automne / Ma mère au tronc creux / La voix lactée ... / À quoi sert l'école ? / À quoi sert un nuage ?

Anne Hébert (1916-2000) est une poète francophone du Québec.

La page blanche

La page blanche
Devant moi
N’espère que toi
Sur la feuille nue

Lisse neigeuse à perte de vue
Belle page étale
Ne vient que la finesse de tes os
Subtile apparition

Grand squelette debout
En filigrane gravé
Au bout de mes doigts
Sur la transparence du jour. 

Anne Hébert

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La neige

La neige nous met en rêve
sur de vastes plaines,
sans traces ni couleur

Veille mon coeur,
la neige nous met en selle
sur des coursiers d'écume

Sonne l'enfance couronnée,
la neige nous sacre en haute-mer,
plein songe,
toutes voiles dehors

La neige nous met en magie,
blancheur étale,
plumes gonflées
où perce l'oeil rouge de cet oiseau.

Mon coeur,
trait de feu sous des palmes de gel
file le sang qui s'émerveille.

Anne Hébert

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Il y certainement quelqu'un ...

Il y a certainement quelqu'un
Qui m'a tuée
Puis s'en est allé
Sur la pointe des pieds
Sans rompre sa danse parfaite.

A oublier de me coucher
M'a laissée debout
Toute liée
Sur le chemin
Le coeur dans son coffre ancien
Les prunelles pareilles
A leur plus pure image d'eau

A oublié d'effacer la beauté du monde
Autour de moi
A oublié de fermer mes yeux avides
Et permis leur passion perdue. 

Anne Hébert

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Rencontre

L’homme qui marche dans la nuit
Brille à travers ses larmes
Comme un feu sourd dans le brouillard
Halo du prisme autour de ses épaules
L’ombre portée de son coeur à ses pieds.

Anne Hébert

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Jacqueline (et Claude) Held, enseignants et auteurs contemporains (ils sont tous deux nés en 1936), écrivent séparément ou ensemble des livres pour la jeunesse et les plus grands, recueils de poésies, albums, romans, théâtre.

Poèmes en forme d'énigme :

Acrobatie

Ma maison n’a pas de porte.
Ma maison n’a pas de fenêtre.
Ma maison n’a pas de plancher.
La porte, je veux bien m’en passer.
La fenêtre, je veux bien m’en passer.
Ce qui me manque le plus, peut-être,
Quand je marche, c’est le plancher.

Jacqueline et Claude Held

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Poème en forme de marabout-bout d'ficelle :

Ballade pour un métro (extrait, début et fin)

Ralentir :
Rat lent tire.
Tire le signal.
Signal d'alarme.
Larme à l'oeil.
Boeuf sur la langue.
Langue dans la bouche.
Bouche de métro.
Métro Alésia.
Alésia de bataille.
Bataille rangée.
Rangée d'oignons.
Oignons d'hiver.
Hiver pluvieux.
Vieux chiffons,
Ferraille à vendre,
Peaux de mouton.
Mouton-Duvernet
...

Ouf ouf
On descend à la prochaine.

Jacqueline et Claude Held

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Grillon de lune

Le grillon de la lune a mis ses patins d'argent est parti à quatre pattes dans l'aventure.
Il a acheté chez le marchand de lune une étoile de mer, une étoile de neige et un sifflet d'un sou.
Quand le grillon de lune siffle trois coups les cosmonautes grimpent sur leur éléphant blanc.
Quand le grillon de lune siffle deux coups les cosmonautes partent à la pêche à la lumière.
Quand le grillon de lune siffle un seul coup les parents ferment la télévision et les enfants s'endorment.

Jacqueline et Claude Held

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Poème en forme de comptine :

Le pissenlit

Monsieur Pissenlit l'élégant
Le lundi porte des gants.
Monsieur Pissenlit le bravache
Le mardi porte moustache.
Le mercredi porte conseil,
Le jeudi ne porte rien,
Le vendredi porte bonheur,
Le samedi porte une fleur,
Une fleur à sa boutonnière
Qu'il a cueillie en hélicoptère.

Jacqueline Held

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Transformations

L'enchanteur Merlin se changea en chien.
Le petit garçon ne dit rien.

L'enchanteur Merlin se changea en chat.
Le petit garçon bâilla.

L'enchanteur Merlin se changea en chinchilla.
Le petit garçon rebâilla.

L'enchanteur Merlin se changea en souris.
Le petit garçon s'endormit.

Moralité:
il n'y a plus d'enfant.

Jacqueline Held (recueil anthologique de Jean-Hugues Malineau : "Premiers poèmes pour toute ma vie" - éditions Milan, 2003)


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Arlette Humbert-Laroche (1915-1945), résistante et poète, est morte au camp de concentration de Bergen-Belsen. Dans ses textes,  la détresse et l'espoir.

On tue

On tue,
d'un bout de la terre à l'autre,
On tue,

On tue sur la mer,
La nuit on peut voir
Dans l'énorme et indifférente solitude de l'eau
Les cadavres
Qui ont encore leurs dernières larmes
À leurs faces de linge
Tournées vers le ciel noir.

On tue aux courbes fleuries des fleuves,
On tue aux flancs chauds des montagnes,
On tue dans les villes où le tocsin qui sonne
Crie la douleur des dômes saignants
Et des cathédrales éclatées.
Là, depuis des siècles, des siècles on a travaillé,
Mais la terre est soudain devenue
Une éponge monstrueuese
Buvant la longue patience des hommes.

Partout la peur, la nuit, la mort.

Pourtant, le soleil est là.
Je l'ai vu ce matin
Jeune, fort, exigeant.
Il ruisselait sur les toits
Il mordait au coeur des arbres,
Il empoignait la ville aux épaules
Et réclamait de la terre son réveil.

Il est là.
Il est au fond de toutes choses
Et, devant ce monde qui s'entrouvre, s'affaisse et se replie
Il y a la mystérieuse et latente énergie
Qui refuse les ténèbres
Et ne veut pas qu'on tue la vie.

Arlette Humbert-Laroche ("Poèmes" - éditions Réalité, 1946)  

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Hier

Il ne me reste d'hier
que des jonquilles.
De tout leur petit corps jaune
à collerette
elles me tendent
leur fraîcheur de forêt

Elles ont des tiges inégales
et font près de moi
comme une cascade
de soleil

Ceux
qui sont venus chez moi,
ont laissé de ce soleil-là
hier.

Arlette Humbert-Laroche ("Poèmes" - éditions Réalité, 1946) 


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Gérard d'Houville (pseudonyme masculin de Marie de Heredia) (1875-1963). Fille de José-Maria de Heredia et épouse d'Henri de Régnier, deux poètes célèbres, elle a préféré se faire connaître sous ce nom masculin ... 

Épitaphe

Je veux dormir au fond des bois, pour que le vent
Fasse parfois frémir le feuillage mouvant
Et l’agite dans l’air comme une chevelure
Au-dessus de ma tombe,et, selon l’heure obscure
Ou claire, l’ombre des feuilles avec le jour
Y tracera, légère et noire, et tour à tour,
En mots mystérieux, arabesque suprême,
Une épitaphe aussi changeante que moi-même.

Gérard d'Houville ("Les Poésies" - éditions Grasset, 1931)

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Les plus tristes amours du monde

Les plus tristes amours du monde,
Ô mon coeur, qui les a chantées ?
Sapho ? Didon ? Yseult la blonde ?
Ariane en son île ronde ?
Armide aux grâces enchantées ?
Les plus tristes amours du monde,
Ô mon coeur, qui les a chantées ?

Les plus tristes amours du monde,
Ô mon coeur, qui les a vécues ?
Grande Hélène, en désirs féconde ?
Héro tendant les bras vers l’onde ?
Cléopâtre deux fois vaincue ?
Les plus tristes amours du monde,
Ô mon coeur, qui les a vécues ?

Gérard d'Houville ("Les Poésies" - éditions Grasset, 1931)

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Lorsque vous m’étendrez au bûcher de santal

Lorsque vous m’étendrez au bûcher de santal,
Avant que je devienne une cendre légère
Éloignez de mes doigts l’obole de métal.

Je veux que ce qui fut ma grâce passagère
Charme encor d’un baiser le passeur infernal
Quand vous, de ces baisers, n’aurez que la poussière.

Puisque l’ennui de vivre et l’effroi, tour à tour,
De la mort, ont toujours tourmenté mes pensées
Et que triste et divin fut mon terrestre amour,

Que je rentre à jamais dans les choses passées
Et que de ma beauté l’on parle quelque jour
Quand je serai lointaine aux mémoires lassées.

Mon âme, fleur funèbre, ô nuit, t’embaumera ;
Papillon ténébreux que le sort fit diurne,
Son aile d’ombre errante en l’ombre se perdra.

Et moi qui fus si grande, une très petite urne
D’argile ou de cristal transparent contiendra
Ma chair voluptueuse et mon cœur taciturne.

Gérard d'Houville ("Les Poésies" - éditions Grasset, 1931)


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Andrée Hyvernaud  (1910-2005)

Un poème un peu en retard sur le calendrier. L'année prochaine ?

Galette des Rois

Qui a la fève et la couronne ?
Papier d'or ou papier d'argent ?
La galette était bonne
Et la fève dedans.

Petit roi d'amour aux yeux de velours
Choisis la reine de ta cour !
Gentil Roi, bois ! Mais n'oublie pas
Que le bonheur même des Rois
Ne dure souvent qu'un seul jour ...

Andrée Hyvernaud

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Les mots

Les mots ont leur façon à eux
de s'éprendre les uns des autres
on n'y peut pas souvent grand-chose
et cela vaut peut-être mieux

Andrée Hyvernaud



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Anne-Marie Kegels  (1912-1980) est une poète belge de langue française. 

Automne

Ne me dis pas que l'octobre
Me parle chaque soir
Du frisson de la neige.
Mais ouvre la fenêtre,
Surprends-le au verger,
Et vois comme il me donne
De tous ses ors crispés
Un plaisir qui me brûle.

Anne-Marie Kegels 

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La Fenêtre

Pour les autres, pour les passants,
tu es simplement la fenêtre.
Pour moi qui t'aime du dedans
tu es ma plus profonde fête.

Celle qui accroît le regard
et limite chaque nuage,
la gardienne du paysage
où je viens me perdre le soir.

J'ai le monde sous mes paupières
mon front à ta vitre appuyé
et tu es glissante lisière
sur le bord de l'illimité.

Reste ma sœur très patiente,
fais-moi l'aumône d'un oiseau,
redis-moi les paroles lentes
de cet horizon sans défaut.

Et posée entre ciel et terre
sois ce chemin aérien
près duquel doucement je viens
apaiser ma faim de lumière.

Anne-Marie Kegels


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Vénus Khoury-Ghata est une poète libanaise francophone contemporaine.

À Yasmine

Tu es mon point du jour
mon île colorée en bleu
ma clairière odorante

Tu es ma neige volée
mon pétale unique
mon faune apprivoisé

Tu es ma robe de caresses
mon foulard de tendresse
ma ceinture de baisers

Tes cils épis de blé
Tes gestes moulin à vent
et l'on pétrit le rire
Dans la cuve de ta bouche

Tu es mon pain dodu
mon nid

Vénus Khoury-Ghata ("Anthologie personnelle " - Actes Sud, 1999)

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La forêt a peur

Une forêt peureuse
panique à la vue du soir
Tout l'angoisse
les cris des chouettes
leur silence
Le regard froid de la Lune
et l'ombre de son sourcil sur le lac
Le bouleau claque des dents
en se cachant derrière le garde-champêtre
Le frêne s'emmitoufle dans son écorce
et retient sa respiration jusqu'au matin
Le pin essuie sa sueur
et appelle son père le pin parasol
La tête entre les jambes
le saule pleure à chaudes feuilles
et fait déborder le ruisseau
Le roseau qui ne le quitte pas des yeux
L'entend supplier le ver luisant
d'éclairer les ténèbres
Seul le chêne garde sa dignité
à genoux dans son tronc
il prie le dieu de la forêt
de hâter l'arrivée du jour

Vénus Khoury-Ghata ("La voix des arbres" - Le Cherche-midi, 1999)

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La surface d'un automne

La surface d'un automne
est inversement proportionnelle à la hauteur de sa tristesse
le nuage interrogé multiplie sans difficulté le basilic par le safran.

Répète après moi :
la distance entre deux pluies se mesure par arpents de silence
et le périmètre d'un mois est divisible par son rayon de lune.
Cela va de soi.

Vénus Khoury-Ghata ("Quelle est la nuit parmi les nuits" - Mercure de France, 2004)

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Ma mère au tronc creux

Ma mère au tronc creux
Aux mains qui se ramifient dans la terre
Ma mère rapiéçait le feu

Mon père chargé de porter le silence
Était devenu pilier

Et la guerre lâchait ses chevaux à nos portes
La mer dans nos lits hennissait

Il y a pleins d'océans vides à louer ...

Vénus Khoury-Ghata

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Source des textes de Vénus Khoury-Ghata reproduits ci-dessous : http://www.printempsdespoetes.com/

La voie lactée ...

La voie lactée mène à l'école
Les enfants l'empruntent soir et matin
Les tabliers au passage frôlent une étoile dormante
Qui crie dans son sommeil
Et jette des étincelles
La Grande Ourse rêve d'une couette
La Petite Ourse rêve d'un jardin
Et de trèfles à quatre feuilles
Le temps est à la somnolence et à la paresse
L'instituteur dort en marchant
Les élèves sont en papier

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À quoi sert l'école ?
À enfermer entre les mêmes murs livres et enfants

À chaque chose son temps et sa couleur
Dit le peintre
Et il ajoute une aile jaune à l'écureuil
Le cyprès qu'il peint en noir
Fait des grimaces derrière son dos
La vache est très contente
Elle aime le nuage rose dessiné sur son dos
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À quoi sert un nuage ?
À fondre en pluie dés qu'on l'essore de travers

Vénus Khoury-Ghata ("À quoi sert la neige" - Le cherche midi éditeur - Recueil sélectionné pour le prix poésie jeunesse 2010 Lire et Faire Lire)

colonne centrale


auteures K L

de Koltz à Laurencin


  1. Anise Koltz - J'avance sans filet / Le mot change / Dans ce monde / Couchée dans le désert /J'écris les yeux grands ouverts / Le mur du son (quelques poèmes) / L'ailleurs des mots (quelques poèmes dont À ma mère)

  2. Marie Krysinska - La gigue / Villanelle / Reprise / Devant le miroir / Le sabbat / Marion

  3. Louise Labé - Je vis, je meurs ... / Luisant Soleil, que tu es bienheureux

  4. Marie Laurencin - Le calmant / Le présent

  5. Madeleine le Floch : Vers exclusif /Oiseau vert / Ver de mer / Vert de Lune / Haricot vert / Vertige [+ CRÉATION]

textes «couleur femme» - poèmes de femmes - de H à M
On trouvera des comptines et haïkus sur le thème du féminin
dans les pages sur LE FÉMININ EN POÉSIE

L’affiche officielle >>
et le projet scolaire à Mantes-la-Ville (Yvelines)

colonne droite


auteures L M

de Ley à Moulin

  1. Madeleine Ley :  La girafe / En rêve j'ai trouvé [+ CRÉATION] / L'araignée / Grand-père

  2. Claude Maillard - Calvaire

  3. Gabrielle Marquet - Le sentier / Fantaisie / Les cailloux

  4. Lise Mathieu - Matin de printemps / L'idée du bonheur

  5. Jeanne Marvig - Le petit lapin / Le ruisseau

  6. Louise Michel - Hirondelle / À ma grand-mère / Chant des captifs / Nox

  7. Janine Mitaud - Voici les mots ... / L'avenir au bout de la plage

  8. Jeanine Moulin - Dialogue / La poésie comme elle s'écrit ...

Anise Koltz est une poète luxembourgeoise née en 1928. Elle a publié plusieurs recueils de poèmes, les premiers en allemand. Ses textes sont souvent très courts. Le thème central, en particulier dans le recueil "Le porteur d'ombre" en est souvent la poésie, l'écriture, le (la) poète et son rapport au monde.

J’avance sans filet

J’avance sans filet
d’une étoile à l’autre
glissant à travers les trous noirs
je saute de lunes en soleils

Je me balance aux bords
de la terre
déjà je ne lui appartiens plus

Parce que ce poème est un mensonge
il a le droit d’être beau

Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)

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Le mot change

Le mot change
une fois posé
sur le blanc de la page

La lumière ne l’atteint plus
coupées de leur environnement
les tempêtes tourbillonnent sans lui

Dans le recueil fermé
sa solitude
est sans nom

Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)

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Dans ce monde

Dans ce monde
démuni de sens
la langage est notre ultime refuge

C’est lui qui appelle notre présent
à exister

J’appâte le papier
pour qu’il se couche
sous mon écriture

Anise Koltz ("Le porteur d'ombre" - éditions Phi, 2001)

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Couchée dans le désert

Couchée dans le désert
je suis insomniaque
sous des milliards d'étoiles
Etant de la même matière
je commence à émettre de la lumière

Anise Koltz ("Béni soit le serpent" - éditions Phi, 2004)

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J'écris les yeux grand ouverts

J'écris les yeux grand ouverts
souvent je fais fausse route
je me perds dans mon poème
je m'enlise avec ses mots
dans le marécage de l'alphabet

Anise Koltz ("Béni soit le serpent" - éditions Phi, 2004)

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Le mur du son (c'est le titre du recueil dont voici quelques poèmes)


Dépassant le mur du son
je me libère de toute mesure
la voix perd la parole

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Mes poèmes
des fourmilières

parmi les paroles noires
et grouillantes

des reines fécondes
des milliers d'ouvrières sans ailes

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Je t'offre un poème
comme un verre d'eau

Il ne désaltère pas
Il te présente un lac
où tu couleras à pic

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Je n'invente pas le poème
il existe quelque part
dans l'univers
ou pend hors d'un rêve
tel un micro cassé

Anise Koltz ("Le mur du son" - éditions Phi, 1997) - Ce recueil a obtenu le prix Apollinaire en 1998.

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L'ailleurs  des mots (c'est le titre du recueil dont voici quelques poèmes)

Comment supporter
de vivre et de mourir
dans cette boucherie anonyme
où nos membres deviendront
des cierges pour l’éternité

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Les sables dévorent le désert

Je lègue ma carcasse aux rapaces
au vent qui léchera mes os
au soleil qui les croquera

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Pour moi
ma mère a marqué
de pierres blanches
son parcours dans l’au-delà

M’appellera-t-elle
comme jadis
pour me faire rentrer
sous son toit ?

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Des rapaces
je revendique
ailes
serres
becs pointus

Comme eux
je fonce sur ma proie
d’une violence
qui risque de me tuer

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À ma mère

Cachée dans tes entrailles
comme dans une tranchée
j’étais prête à me lancer
dans la bataille

La mort dévalait
derrière nous
tandis que je subissais
la fatigue de ton sang

Tu devenais de plus en plus lente

Mais moi je voulais durer
être éternelle

Anise Koltz ("L'ailleurs des mots" - Éditions Arfuyen, 2007)


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Marie Krysinska  (1864-1908).

"Elle devient la seule femme membre actif des cercles littéraires des Zutistes, des « Hirsutes » et des « Jemenfoutistes » qui se réunissaient au cabaret du Chat noir. Elle accompagne au piano les chansons et les poèmes qu'on y déclame. Dès la première année de parution de La Revue du Chat noir, elle y publie ses propres poèmes." (source Wikipédia)

"Marie Krysinska fut peut-être chronologiquement la première à faire publier des vers libres, aux alentours de 1882 et 1883" ... (source : "Naissance du vers libre" - Mémoire de Master I - Université Stendhal (Grenoble III)– Lettres et Arts, présenté par Sabine Garcia en juin 2009)

La gigue

Les Talons
Vont
D’un train d’enfer,
Sur le sable blond,
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer
Implacablement
Et rythmiquement,
Avec une méthode d’enfer,
Les Talons
Vont.

Cependant le corps,
Sans nul désarroi,
Se tient tout droit,
Comme appréhendé au collet
Par les
Recors
La danseuse exhibe ses bas noirs
Sur des jambes dures
Comme du bois.

Mais le visage reste coi
Et l’oeil vert,
Comme les bois,
Ne trahit nul émoi.

Puis d’un coup sec
Comme du bois,
Le danseur, la danseuse
Retombent droits
D’un parfait accord,
Les bras le long
Du corps.

Et dans une attitude aussi sereine
Que si l’on portait
La santé
De la Reine.

Mais de nouveau
Les Talons
Vont
D’un train d’enfer
Sur le plancher clair.

Marie Krysinska ("Rythmes pittoresques" - Alphonse Lemerre, 1890)

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Villanelle

                   À E. Mesplés

Vous êtes la grâce jeune des matins
Et le clair rire des flûtes pastorales
Roses fleuries !
Mais le charme des tristesses très chères est en vous
Et, notes de clavecins, s’évanouissent vos pétales
Roses fanées !
Vous êtes revêtues des robes d’aurore
Et, des tendres nuées d’Avril s’illuminent vos seins
Roses fleuries !
L’or mélancolique des couchants d’Automne
A mis sa beauté dans vos cœurs mourants
Roses fanées !
Vos parfums sont l’ivresse neuve des étreintes
L’allégresse de vivre et l’extatique encens
Roses fleuries !
Mais, dans les Urnes pieuses de vos défunts calices
Repose l’immortel arôme du Souvenir
Roses fanées !

Marie Krysinska ("Rythmes pittoresques" - Alphonse Lemerre, 1890)

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Reprise (sonnet renversé)

Restons ainsi, ne disons rien,
La main seulement liée à la main
D’une faible étreinte attendrie.
Entends ces vagues de mélancolie,
Les douleurs souffertes, se briser
Dans nos coeurs d’un baiser.
Je ne veux de toi ni serments, ni même
Que tu me dises si tu m’aimes ;
Ne me demande pas, non plus — ce serait mal —
Où mon coeur tenta d’apaiser son mal !
Goûtons cette minute éperdue,
Grisés, comme d’un vin vermeil,
De nos pleurs pareils à la neige fondue
Par le Soleil.

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)

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Devant le miroir

Cette grave entrevue
Est fertile en émois,
L’image, pourtant connue,
Surprend toujours ; — est-ce bien soi
Cette soudaine apparue ?
Et les petites mines d’aller
Pour calmer l’inquiétude qui vient
De n’être pas — il se peut — aussi bien
Que l’on voudrait ;
Mais, bientôt, une distribution de récompenses
Généreuses, commence.
Les cheveux ? ah ! les cheveux, parfait !
Surtout de profil ; on dirait
De telle peinture d’artiste admiré ;
Puis on retrouve à des détails menus,
Le souvenir du même visage des jours révolus
Des jours enfantins si vite — en somme — disparus.
Et l’on songe à cet autre miroir enchanté
Si impressionnant pour nos jeunes coeurs :
L’eau de l’étang que l’on croyait
Un morceau de ciel tombé
Où poussaient aussi des herbes et des fleurs.

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894

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Le sabbat

                       À Jean Lorain

Par la clairière,
Blême de lumière
De lune,
La folle ronde
Tournoie et gronde —
Comme la rafale
Chevauchant la pâle
Lagune.
C’est la gaieté — combien morose ! —
C’est la peur et la soif de l’oubli guérisseur,
De l’oubli destructeur
De toute chose,
Qui enlace : riant et criant,
Ces pauvres êtres en proie
À la pire joie ;
Et fait ces fulgurantes étreintes d’amour —
Sans Amour.
Mais, de cette ivresse, triste comme la Mort,
Où les vivants damnés veulent fuir la Vie
— Ses deuils, ses crève-coeur, ses crimes, ses remords —
D’autres êtres vont naître — et l’odieuse Vie
Germera triomphante en ces baisers de Mort.
Par la clairière,
Blême de lumière
De lune,
La folle ronde
Tournoie et gronde ...

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)

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Marion

                       À Steinlen

Marion cueille des fleurs dans les prés
Et les fleurs la voyant si belle
— C’est notre soeur — disent-elles ;
Ah ! Ah !
Marion va promener au bois
Et les oiseaux l’entendant chanter
Se taisent pour l’écouter ;
Ah ! Ah !
Marion rencontre un chevalier
Qui prend son coeur tout entier
Et puis s’en va.
Ah ! Ah !
Maintenant le joli bois est muet
Et se fanent les fleurs dans les prés
À voir Marion pleurer.
Ah ! Ah !

Marie Krysinska ("Nouveaux Rythmes pittoresques", Chansons - Alphonse Lemerre, 1894)


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Louise Labé (1524-1566) est sans doute la plus importante des poètes de son époque. 

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie

Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.

Louise Labé ("Sonnets")

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Luisant Soleil, que tu es bienheureux

Luisant Soleil, que tu es bienheureux
De voir toujours de t'Amie la face !
Et toi, sa soeur, qu'Endymion embrasse,
Tant te repais de miel amoureux !

Mars voit Vénus ; Mercure aventureux
De Ciel en Ciel, de lieu en lieu se glace ;
Et Jupiter remarque en mainte place
Ses premiers ans plus gais et chaleureux.

Voilà du Ciel la puissante harmonie,
Qui les esprits divins ensemble lie ;
Mais, s'ils avaient ce qu'ils aiment lointain,

Leur harmonie et ordre irrévocable
Se tournerait en erreur variable,
Et comme moi travailleraient en vain.

Louise Labé ("Sonnets")

 

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Marie Laurencin  (1883-1956) , peintre certes, mais également poète sous le pseudonyme de Louis Lalanne, et muse de Guillaume Apollinaire ... 

Le calmant

Plus qu'ennuyée
Triste.
Plus que triste
Malheureuse.
Plus que malheureuse
Souffrante.
Plus que souffrante
Abandonnée.
Plus qu'abandonnée
Seule au monde.
Plus que seule au monde
Exilée.
Plus qu'exilée
Morte.
Plus que morte
Oubliée.

Marie Laurencin ("Poèmes" - Bernouard éditeur, 1926)

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Le présent

Si tu veux je te donnerai
Mon matin, mon matin gai
Avec tous mes clairs cheveux
Que tu aimes ;
Mes yeux verts
Et dorés
Si tu veux,
Je te donnerai tout le bruit
Qui se fait
Quand le matin s'éveille
Au soleil
Et l'eau qui coule
Dans la fontaine
Tout auprès !
Et puis encor le soir qui viendra vite
Le soir de mon âme triste
À pleurer
Et mes mains toutes petites
Avec mon coeur qu'il faudra près du tien
Garder.

Marie Laurencin ("Poèmes" - Bernouard éditeur, 1926)


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Madeleine Le Floch est une auteure contemporaine, qui a publié en 1975 "Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver". Un recueil dans lequel elle joue avec les différents sens, les à-peu-près et les homonymies du vert, pour l'écriture de (quand même !) soixante-treize petits poèmes. En voici un échantillon :

Vers exclusif *

La mer
en s'en allant
écrivait sur le sable
un poème

que le vent
jaloux
effaçait.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

* Dans le recueil, ce texte porte le titre "Vert exclusif". Puisqu'il s'agit d'un poème que la mer écrit jalousement, est-ce une faute de frappe, ou faut-il titrer "Vers exclusifs" ?

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Oiseau vert

Il était une fois
un oiseau
que l'on avait
enfermé
dans une cage.

Du matin au soir
il criait :
que je suis malheureux !
Ah! que je suis donc
malheureux !

Comme il chante bien
disait la petite fille.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

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Ver de mer

Un poisson connaissait par cœur
les noms de tous les autres poissons.
Il connaissait les algues, les courants,
les sédiments, les coquillages.
C’était un érudit.
Il exigeait d’ailleurs qu’on l’appelât «maître » !
Il savait tout de la mer
Mais il ignorait tout de l’homme.
Et un jour il se laissa prendre au bout
d’un tout petit hameçon.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

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Vert de lune

Une idée fixe
un soir de carnaval
se déguisa en cerf-
volant
et se laissa
monter
jusqu'à la lune
où elle germa.

Quand vous irez sur
la lune
si vous rencontrez un cerf-
volant
ou une fleur
qui a l'air de venir
d'ailleurs
méfiez-vous!

C'est peut-être
une idée fixe
qui cherche
à redescendre.

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

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Deux poèmes sous  forme de calligrammes :

Haricot vert

L
e

ha
ri
cot
vert
était
très
comp
lexé
dep
uis
que
sa
li
gn
e
n’
ét
ai
t
pl
us
à
l
a
m
o
d
e

Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

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Vertige ("vert-tige", vous aviez deviné)


Madeleine Le Floch ("Petits contes verts pour le printemps et pour l'hiver" - Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1975)

 

Madeleine Ley (1901-1981) est une romancière et poète belge.

La girafe

Je voudrais une girafe
Aussi haute que la maison
Avec deux petites cornes
Et des sabots bien cirés
Je voudrais une girafe
Pour entrer sans escalier
Par la lucarne du grenier.

Madeleine Ley ("60 poésies 60 comptines" - éditions Le Centurion)

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En rêve j'ai trouvé

En rêve j'ai trouvé
(Le joli, joli rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la clochette enchantée
qui dit la vérité.

En rêve j'ai trouvé
(Était-ce bien un rêve ?)
en rêve j'ai trouvé
les miettes semées par le Petit Poucet !

En rêve j'ai trouvé
(L'étrange, étrange rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la citrouille si grosse
qui se change en carosse !

Dans mon plus joli rêve,
au pied d'un blanc perron,
j'ai trouvé, Cendrillon,
ta pantoufle de verre ...

(Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)


Des exemples de création poétique en CE1 à la manière de Madeleine Ley :
http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/HTML/SALLESDEJEUX/JEURIME.html

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L’araignée

Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Toile d’araignée
Émerveillement
Lourde de rosée
Dans le matin blanc !
Ouvrage subtil
Qui frissonne et ploie
Ô maison de fil
Escalier de soie.
Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.

Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)

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Grand-père

Dans la chambre du grand-père
il y avait un coquillage
qui soupirait et chantait
comme le vent et la mer.

Dans la chambre du grand-père
il y avait un petit coffre
en bois luisant jaune clair,
qu’il rapporta de ses voyages
Et que lui seul savait ouvrir.

Il y avait deux Japonais
en ivoire, sous un globe ;
et tout au fond d’un tiroir,
dans son écrin de velours vert,
bijou poli par les vagues,
la pipe en écume de mer !

Madeleine Ley

Claude Maillard est une auteure contemporaine de poésies et de romans.

Calvaire

avec mes cinq doigts
trempés dans le whisky
avec mon mouchoir que je déchire
avec mes cris hurlés à tue-tête
avec mes larmes
avec le briquet que je jette par la fenêtre
et le crayon rouge que je casse en deux
je te cloue
et tu oses encore vivre

Claude Maillard ("ventre amer" - éditions  Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1972)


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Gabrielle Marquet, romancière et poète, est née en 1923.

Le sentier

Jamais le sentier
qu'inscrit au sol
l'homme qui marche
n'est droit.

D'instinct
sans qu'il en décide
il le trace ondulé
souple comme la pensée
les caresses.

Gabrielle Marquet

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Fantaisie

Lorsque livres et journaux
eurent dévoré des forêts,
on n'imprima plus.

Un poète un peu fou
proposa de planter
le contenu des bibliothèques.

Peut-être - va savoir
en ressurgirait-il quelques arbres ?

Cela marcha.

On attribua ces années-là
le Goncourt à un chêne,
le Fémina à un tilleul
et le Renaudot à un hêtre.

Gabrielle Marquet (source : http://supervielle.univers.free.fr)

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Les cailloux

Les cailloux ont tout vu
Tout su.

Ils ont cent millions d'années.

Il y en a qui possèdent au ventre
une goutte de cataclysme.

En les hochant on peut l'entendre
prisonnière et tranquillisée.

Et puis après ?
dit l'éphémère
follement vivante
et fragile et fleur
et vertige
pour une journée.

Gabrielle Marquet (source : http://kabelle-roy.over-blog.com)


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Jeanne Marvig (1882-1956*) est une romancière et poète française, née en haute-Garonne. * merci à la lectrice qui nous a permis de corriger la date de sa disparition.

Le petit lapin

Dans le pré qui vers l'eau dévale,
Un lapin sauvage détale.
Un saut bref, un rapide élan,
Et montrant son panache blanc,
Il fuit vers la forêt prochaine.
Une touffe de marjolaine
L'arrête un peu. Faisant le guet,
Il entr'ouvre un œil inquiet,
Et, seule, son oreille bouge !
Un bond brusque dans le foin rouge,
Et, n'entendant plus aucun bruit,
Le nez au vent, humant la nuit
Où déjà la lune se lève,
Assis sur son derrière, il rêve.

Jeanne Marvig (voir plus bas les références)

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Le ruisseau

Ce n'est qu'un tout petit ruisseau,
Un peu d'eau vive qui glougloute,
Une vasque fut son berceau,
On ne le voit pas, on l'écoute.

Il a des façons de gamin
Pour sautiller de pierre en pierre,
On y puise au creux de la main
En écartant un brin de lierre.

Il a des franges de roseaux
Sur ses bords fleuris de pervenches
Et des aulnes où les oiseaux
Font du trapèze sur les branches.

Si, dans son lit, le vent brutal
Penche un brin d'osier qui le borde,
Le petit ruisseau de cristal
S'amuse à sauter à la corde.
   
Puis sous les aulnes chevelus,
Caressant le cresson et l'ache,
Il s'enfonce...On ne l'entend plus...
Sans doute il joue à cache-cache.
   
Petit ruisseau, je voudrais bien,
Moi qui suis un rêve qui passe,
Que dans mon cœur ainsi qu'au tien
Se mirent le ciel et l'espace !

Jeanne Marvig ("Le jardin d'Isabélou", édité par l'auteure, 1947) et dans l'anthologie d'Armand Got * et de Charles Vildrac , "La Poèmeraie", Armand-Colin, 1963) - * aussi dans la précédente anthologie d'Armand Got : "La Poèmeraie", première partie, La Souris verte" (Librairie Gedalge, 1928)

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en attente :

Louise Michel

Chanson des prisons (La Commune)
Corrida de Muerte


Louise Michel (1830-1905), c'est d'abord La Commune de Paris (on trouvera ICI sur ce blog lieucommun (ancêtre de ce site), Le Temps des Cerises resitué dans le contexte de cette insurrection populaire).
Anarchiste, révolutionnaire, Louise Michel en est une des références. Déportée en Nouvelle-Calédonie, elle écrit des textes, des poésies. Dans celle qui suit, l'hirondelle matérialise son désir de liberté. liberté.

Hirondelle

Hirondelle qui vient de la nue orageuse
Hirondelle fidèle, où vas-tu ? dis-le-moi.
Quelle brise t’emporte, errante voyageuse ?
Écoute, je voudrais m’en aller avec toi,

Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,
Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,
Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,
Vers les astres errants qui roulent dans les airs.

Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailes
Tu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concerts
Des forêts et des vents tu réponds des tourelles,
Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers.

Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime !
Je ne sais quel écho par toi m’est apporté
Des rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,
Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.

Louise Michel

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À ma grand-mère


À toi mes premiers vers et l’aube de ma lyre,

Comme à toi mon premier sourire ;

Grand’mère, reconnais les chants qu’à mon

berceau,

Disait au fond des bois, sous l’aile du zéphyre,

L’écho sonore du château.


Et l’aïeul qui mêlait à ta voix sa guitare,

Tandis qu’une errante fanfare

Se perdait dans les bois ; alors fiers chevaliers,

Ducs, comtes, hauts barons venaient, troupe

bizarre,

S’asseoir aux gothiques foyers.


Pour moi, rêveuse enfant, les notes résonnantes

Se dressaient, fortes et vibrantes ;

Les trilles paraissaient, le front chargé de fleurs,

Passer et repasser en écharpes brillantes,

Troupes d’innombrables danseurs.


Et la gamme courant ou légère ou profonde,

L’accord lointain et sourd qui gronde,

La note qui descend, la note qui s’élance,

L’arpège harmonieux, élargissant son onde,

La douceur du chant qui balance.


Quand ta voix s’élevait, douce, voilée et tendre,

Au loin il me semblait entendre

Des luths aériens vibrer sur les créneaux

Et parfois les soupirs de ceux qui, sur la cendre,

Priaient au fond des noirs arceaux.


Ou quelquefois encore, aux heures fantastiques,

J’ai vu les tourelles antiques

Élever avec toi des chœurs mystérieux ;

Le nécromant volait, armé des mots magiques,

Et l’étoile enflammait les cieux.


Alors le roi des sons descendait sur ta lyre

Et son aile venait bruire

Sur mon front ; j’évoquais le fantôme éclatant

Et je priais alors l’aïeul de me redire

De merveilleux récits d’antan.


J’aimais surtout, j’aimais une histoire bien sombre.

Ils étaient beaux, le soir, dans l’ombre,

Les rêves d’autrefois : démons, guerriers, brigands,

Spectres et bohémiens, aventures sans nombre

De mille fantômes errants.


Puis c’était la jeunesse agitée et brillante,

Ou bien, dans sa tombe sanglante,

Quelque armée endormie au sortir des combats.

Toujours tu t’écoutais, ou triste ou souriante,

Comme si tu ne savais pas.


Hélas ! pourquoi ces jours ont-ils passé si vite ?

Déjà tu restes seule et sur ton front serein

J’ai peur de voir une ombre et que tu ne me quittes.

Comme au jour où l’aïeul mourut, tenant ma main,

Je me sens frissonner ; mon âme se délite

Sous le vent glacé du destin.

Ces doux chants resteront dans mon âme, ô

grand’mère !

Les monuments croulés gardent le bruit des vents :

Ainsi je garderai la harpe du trouvère.

Dans l’ombre du manoir j’ai devancé les temps,

Je ne veux pas du siècle, et ma vie éphémère

Saura lire à travers les ans.


Écrit quelques années après :


J’étais triste déjà ; pourtant la froide pierre

Ne couvrait qu’un d’entre eux ; et voici, maintenant

Que tant de fois encore, aux murs du cimetière,

Le gouffre s’est rouvert affreux, noir, effrayant ;


Maintenant que ma vie en holocauste offerte

Ne connaît que le deuil, je sens fleurir parfois,

Comme sur les tombeaux croît l’herbe épaisse et

verte,

Des songes infinis qui flottent dans ma voix.


Qu’on ne s’étonne point si ces songes, dans

l’ombre,

Des brillants astres d’or ont parfois la lueur ;

Ils ont des fronts d’azur et des ailes sans nombre,

Car leur racine a pris tout le sang de mon cœur.


Oh ! oui, l’herbe est plus haute et les fleurs sont

plus belles

À l’ombre des cyprès ; on sent qu’en liberté

S’envolent les esprits, les parfums et les ailes,

Et l’on voit dans la nuit poindre l’éternité.


N’ouvrez donc point ce livre où vous verriez des

tombes

Sous les arbres en fleur, ô vous qui n’aimez pas

Que la mort au front pâle, aux nids blancs des

colombes

Par les beaux soirs d’été souvent porte ses pas.


Oh ! non, ne l’ouvrez point ! Chaque strophe, âme

sombre,

Vous laisserait aux mains, sous le ciel nébuleux,

La poussière d’une urne, et peut-être à son ombre

Dans un songe effrayant vous verriez les grands

cieux.


Mais pour moi je m’en vais sans crainte dans

l’espace,

Où ? je l’ignore encore, je cherche le chemin.

Si dans le grand désert nul voyageur ne passe,

Qu’importe ! j’irai seule à la voix du destin.


Louise Michel (mars 1861)

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Chant des Captifs

Ici l’hiver n’a pas de prise,

Ici les bois sont toujours verts ;

De l’Océan, la fraîche brise

Souffle sur les mornes déserts,

Et si profond est le silence

Que l’insecte qui se balance

Trouble seul le calme des airs.


Le soir, sur ces lointaines plages,

S’élève parfois un doux chant :

Ce sont de pauvres coquillages

Qui le murmurent en s’ouvrant.

Dans la forêt, les lauriers-roses,

Les fleurs nouvellement écloses

Frissonnent d’amour sous le vent.


Voyez, des vagues aux étoiles,

Poindre ces errantes blancheurs !

Des flottes sont à pleines voiles

Dans les immenses profondeurs.

Dans la nuit qu’éclairent les mondes,

Voyez sortir du sein des ondes

Ces phosphorescentes lueurs !


Viens en sauveur, léger navire,

Hisser le captif à ton bord !

Ici, dans les fers il expire :

Le bagne est pire que la mort.

En nos cœurs survit l’espérance,

Et si nous revoyons la France,

Ce sera pour combattre encor !


Voici la lutte universelle :

Dans l’air plane la Liberté !

À la bataille nous appelle

La clameur du déshérité !…

… L’aurore a chassé l’ombre épaisse,

Et le Monde nouveau se dresse

À l’horizon ensanglanté !

Louise Michel (1887) - Ce texte é été écrit durant les 11 ans de bagne passés en Nouvelle-Calédonie


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Nox


Les plus petites

Des humbles fleurs,

Les marguerites,

Cachent des pleurs.


Vent du soir, que fais-tu de l’humble marguerite ?

Mer, que fais-tu des flots ? Ciel, du nuage ardent ?

Oh ! le rêve est bien grand et l’âme est bien petite,

Noir destin, qu’en fais-tu de mon rêve géant ?


Lumière, que fais-tu de l’ombre taciturne ?

Et toi qui, de si loin, l’appelle près de toi ?

Ô flamme, que fais-tu du papillon nocturne ?

Songe mystérieux, que feras-tu de moi ?


Où va le rameau vert, où va la feuille sèche,

Âmes, souffles, parfums, où vous en allez-vous ?


Voici le loup hurlant, dans les murs, par la brèche,

Mais l’astre est rayonnant dans l’azur pur et doux.

Louise Michel (1865)


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Janine Mitaud est née en 1921.

Voici les mots ...

Voici les mots
L'âme et le sang
Rien n'arrache le nom

Ce rouge essentiel
Où brûle
par syllabes
la vie

Qu'il soit lu


Janine Mitaud ("Danger" - Rougerie, 1974)


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Écrit en 1946, au lendemain de la guerre, un beau texte, difficile, mais la musique des mots, déjà ...


L'avenir au bout de la plage ...


L'avenir au bout de la plage
C'est le feuillage de la mer
L'air agile et chargé de sel.
Dans l'amertume des vergers
Les fruits durs que guette le vent
La vigoureuse floraison
des feux de nuit dans les cités.
Et les croisés marqués de sang
Libres traqués chacun ses armes.
Nul n'est seul sous l'âpre soleil.
L'agonie ou l'amour en partage.
Il s'agit d'atteindre la mort
Par les plus fabuleuses routes.


Janine Mitaud ("Hâte de vivre" - Seghers, 1949)



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Jeanine Moulin (1912-1998) est une poète belge.


Dialogue

                                     à Maurice Chapelan.


On mourra, de quoi ?
D'avoir vécu, pardi !
Et de quoi aura-t-on vécu?
D'attendre qu'on meure, que diable !
Alors, à quoi tout cela rimait-il ?
Mais à rien. Il n'y a que la poésie qui rime.
Et encore ...


Jeanine Moulin ("La pierre à feux" - Seghers, 1968)


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La poésie comme elle s'écrit


La poésie comme elle s'écrit,
se veut, se cherche, à corps et à cris,
se trouve dans des baraques à murs de pluie lunaire,
au Mexique, sous des cieux de cannelle
ou dans les poubelles,
sous les ors pollués des nuages troués
ou les ombelles en fleurs d'un verger.
La poésie, mendiante apeurée aux pieds de boue,
qui, mine de rien, éparpille les syllabes
à la porte de votre sommeil, sous la casserole qui trépigne
ou dans la lividité des nuits blanches
au poids de chagrin.
La poésie comme elle se voit, se tâte, se pense :
mot d'ordre ou de passe d'un poète.
Elle est cette clocharde aux gestes de pierre,
cette ténébreuse affaire
en haillons qui se teintent soudain d'arc-en-ciel.
Tendre la main, chiper des lambeaux de voie lactée,
c'est tout ce qu'elle peut faire
pour vous emmener à la veillée des siècles,
auprès du feu de bois de l'éternité,
dans le cercle des guetteurs de mots.
La poésie comme elle s'inscrit,
à coups de chance, comme elle se donne : à corps perdu,
comme elle s'affame et se nourrit
à tire-larigot : de tout, de rien,
telle qu'on la vole : à la tire,
telle qu'elle s'envole : à tire d'aile,
sans jamais cesser de revenir.


Jeanine Moulin ("Musée des objets perdus" - éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982)