Madeleine Ley (1901-1981) est une romancière et poète belge.
La girafe
Je voudrais une girafe
Aussi haute que la maison
Avec deux petites cornes
Et des sabots bien cirés
Je voudrais une girafe
Pour entrer sans escalier
Par la lucarne du grenier.
Madeleine Ley ("60 poésies 60 comptines" - éditions Le Centurion)
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En rêve j'ai trouvé
En rêve j'ai trouvé
(Le joli, joli rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la clochette enchantée
qui dit la vérité.
En rêve j'ai trouvé
(Était-ce bien un rêve ?)
en rêve j'ai trouvé
les miettes semées par le Petit Poucet !
En rêve j'ai trouvé
(L'étrange, étrange rêve !)
en rêve j'ai trouvé
la citrouille si grosse
qui se change en carosse !
Dans mon plus joli rêve,
au pied d'un blanc perron,
j'ai trouvé, Cendrillon,
ta pantoufle de verre ...
(Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)
Des exemples de création poétique en CE1 à la manière de Madeleine Ley :
http://www.ac-nancy-metz.fr/petitspoetes/HTML/SALLESDEJEUX/JEURIME.html
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L’araignée
Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Toile d’araignée
Émerveillement
Lourde de rosée
Dans le matin blanc !
Ouvrage subtil
Qui frissonne et ploie
Ô maison de fil
Escalier de soie.
Araignée grise
Araignée d’argent
Ton échelle exquise
Tremble dans le vent.
Madeleine Ley ("Petites voix" - Éditions Stock, 1930)
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Grand-père
Dans la chambre du grand-père
il y avait un coquillage
qui soupirait et chantait
comme le vent et la mer.
Dans la chambre du grand-père
il y avait un petit coffre
en bois luisant jaune clair,
qu’il rapporta de ses voyages
Et que lui seul savait ouvrir.
Il y avait deux Japonais
en ivoire, sous un globe ;
et tout au fond d’un tiroir,
dans son écrin de velours vert,
bijou poli par les vagues,
la pipe en écume de mer !
Madeleine Ley
Claude Maillard est une auteure contemporaine de poésies et de romans.
Calvaire
avec mes cinq doigts
trempés dans le whisky
avec mon mouchoir que je déchire
avec mes cris hurlés à tue-tête
avec mes larmes
avec le briquet que je jette par la fenêtre
et le crayon rouge que je casse en deux
je te cloue
et tu oses encore vivre
Claude Maillard ("ventre amer" - éditions Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1972)
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Gabrielle Marquet, romancière et poète, est née en 1923.
Le sentier
Jamais le sentier
qu'inscrit au sol
l'homme qui marche
n'est droit.
D'instinct
sans qu'il en décide
il le trace ondulé
souple comme la pensée
les caresses.
Gabrielle Marquet
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Fantaisie
Lorsque livres et journaux
eurent dévoré des forêts,
on n'imprima plus.
Un poète un peu fou
proposa de planter
le contenu des bibliothèques.
Peut-être - va savoir
en ressurgirait-il quelques arbres ?
Cela marcha.
On attribua ces années-là
le Goncourt à un chêne,
le Fémina à un tilleul
et le Renaudot à un hêtre.
Gabrielle Marquet (source : http://supervielle.univers.free.fr)
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Les cailloux
Les cailloux ont tout vu
Tout su.
Ils ont cent millions d'années.
Il y en a qui possèdent au ventre
une goutte de cataclysme.
En les hochant on peut l'entendre
prisonnière et tranquillisée.
Et puis après ?
dit l'éphémère
follement vivante
et fragile et fleur
et vertige
pour une journée.
Gabrielle Marquet (source : http://kabelle-roy.over-blog.com)
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Jeanne Marvig (1882-1956*) est une romancière et poète française, née en haute-Garonne. * merci à la lectrice qui nous a permis de corriger la date de sa disparition.
Le petit lapin
Dans le pré qui vers l'eau dévale,
Un lapin sauvage détale.
Un saut bref, un rapide élan,
Et montrant son panache blanc,
Il fuit vers la forêt prochaine.
Une touffe de marjolaine
L'arrête un peu. Faisant le guet,
Il entr'ouvre un œil inquiet,
Et, seule, son oreille bouge !
Un bond brusque dans le foin rouge,
Et, n'entendant plus aucun bruit,
Le nez au vent, humant la nuit
Où déjà la lune se lève,
Assis sur son derrière, il rêve.
Jeanne Marvig (voir plus bas les références)
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Le ruisseau
Ce n'est qu'un tout petit ruisseau,
Un peu d'eau vive qui glougloute,
Une vasque fut son berceau,
On ne le voit pas, on l'écoute.
Il a des façons de gamin
Pour sautiller de pierre en pierre,
On y puise au creux de la main
En écartant un brin de lierre.
Il a des franges de roseaux
Sur ses bords fleuris de pervenches
Et des aulnes où les oiseaux
Font du trapèze sur les branches.
Si, dans son lit, le vent brutal
Penche un brin d'osier qui le borde,
Le petit ruisseau de cristal
S'amuse à sauter à la corde.
Puis sous les aulnes chevelus,
Caressant le cresson et l'ache,
Il s'enfonce...On ne l'entend plus...
Sans doute il joue à cache-cache.
Petit ruisseau, je voudrais bien,
Moi qui suis un rêve qui passe,
Que dans mon cœur ainsi qu'au tien
Se mirent le ciel et l'espace !
Jeanne Marvig ("Le jardin d'Isabélou", édité par l'auteure, 1947) et dans l'anthologie d'Armand Got * et de Charles Vildrac , "La Poèmeraie", Armand-Colin, 1963) - * aussi dans la précédente anthologie d'Armand Got : "La Poèmeraie", première partie, La Souris verte" (Librairie Gedalge, 1928)
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en attente :
Louise Michel
Chanson des prisons (La Commune)
Corrida de Muerte
Louise Michel (1830-1905), c'est d'abord La Commune de Paris (on trouvera ICI sur ce blog lieucommun (ancêtre de ce site), Le Temps des Cerises resitué dans le contexte de cette insurrection populaire).
Anarchiste, révolutionnaire, Louise Michel en est une des références. Déportée en Nouvelle-Calédonie, elle écrit des textes, des poésies. Dans celle qui suit, l'hirondelle matérialise son désir de liberté. liberté.
Hirondelle
Hirondelle qui vient de la nue orageuse
Hirondelle fidèle, où vas-tu ? dis-le-moi.
Quelle brise t’emporte, errante voyageuse ?
Écoute, je voudrais m’en aller avec toi,
Bien loin, bien loin d’ici, vers d’immenses rivages,
Vers de grands rochers nus, des grèves, des déserts,
Dans l’inconnu muet, ou bien vers d’autres âges,
Vers les astres errants qui roulent dans les airs.
Ah ! laisse-moi pleurer, pleurer, quand de tes ailes
Tu rases l’herbe verte et qu’aux profonds concerts
Des forêts et des vents tu réponds des tourelles,
Avec ta rauque voix, mon doux oiseau des mers.
Hirondelle aux yeux noirs, hirondelle, je t’aime !
Je ne sais quel écho par toi m’est apporté
Des rivages lointains ; pour vivre, loi suprême,
Il me faut, comme à toi, l’air et la liberté.
Louise Michel
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À ma grand-mère
À toi mes premiers vers et l’aube de ma lyre,
Comme à toi mon premier sourire ;
Grand’mère, reconnais les chants qu’à mon
berceau,
Disait au fond des bois, sous l’aile du zéphyre,
L’écho sonore du château.
Et l’aïeul qui mêlait à ta voix sa guitare,
Tandis qu’une errante fanfare
Se perdait dans les bois ; alors fiers chevaliers,
Ducs, comtes, hauts barons venaient, troupe
bizarre,
S’asseoir aux gothiques foyers.
Pour moi, rêveuse enfant, les notes résonnantes
Se dressaient, fortes et vibrantes ;
Les trilles paraissaient, le front chargé de fleurs,
Passer et repasser en écharpes brillantes,
Troupes d’innombrables danseurs.
Et la gamme courant ou légère ou profonde,
L’accord lointain et sourd qui gronde,
La note qui descend, la note qui s’élance,
L’arpège harmonieux, élargissant son onde,
La douceur du chant qui balance.
Quand ta voix s’élevait, douce, voilée et tendre,
Au loin il me semblait entendre
Des luths aériens vibrer sur les créneaux
Et parfois les soupirs de ceux qui, sur la cendre,
Priaient au fond des noirs arceaux.
Ou quelquefois encore, aux heures fantastiques,
J’ai vu les tourelles antiques
Élever avec toi des chœurs mystérieux ;
Le nécromant volait, armé des mots magiques,
Et l’étoile enflammait les cieux.
Alors le roi des sons descendait sur ta lyre
Et son aile venait bruire
Sur mon front ; j’évoquais le fantôme éclatant
Et je priais alors l’aïeul de me redire
De merveilleux récits d’antan.
J’aimais surtout, j’aimais une histoire bien sombre.
Ils étaient beaux, le soir, dans l’ombre,
Les rêves d’autrefois : démons, guerriers, brigands,
Spectres et bohémiens, aventures sans nombre
De mille fantômes errants.
Puis c’était la jeunesse agitée et brillante,
Ou bien, dans sa tombe sanglante,
Quelque armée endormie au sortir des combats.
Toujours tu t’écoutais, ou triste ou souriante,
Comme si tu ne savais pas.
Hélas ! pourquoi ces jours ont-ils passé si vite ?
Déjà tu restes seule et sur ton front serein
J’ai peur de voir une ombre et que tu ne me quittes.
Comme au jour où l’aïeul mourut, tenant ma main,
Je me sens frissonner ; mon âme se délite
Sous le vent glacé du destin.
Ces doux chants resteront dans mon âme, ô
grand’mère !
Les monuments croulés gardent le bruit des vents :
Ainsi je garderai la harpe du trouvère.
Dans l’ombre du manoir j’ai devancé les temps,
Je ne veux pas du siècle, et ma vie éphémère
Saura lire à travers les ans.
Écrit quelques années après :
J’étais triste déjà ; pourtant la froide pierre
Ne couvrait qu’un d’entre eux ; et voici, maintenant
Que tant de fois encore, aux murs du cimetière,
Le gouffre s’est rouvert affreux, noir, effrayant ;
Maintenant que ma vie en holocauste offerte
Ne connaît que le deuil, je sens fleurir parfois,
Comme sur les tombeaux croît l’herbe épaisse et
verte,
Des songes infinis qui flottent dans ma voix.
Qu’on ne s’étonne point si ces songes, dans
l’ombre,
Des brillants astres d’or ont parfois la lueur ;
Ils ont des fronts d’azur et des ailes sans nombre,
Car leur racine a pris tout le sang de mon cœur.
Oh ! oui, l’herbe est plus haute et les fleurs sont
plus belles
À l’ombre des cyprès ; on sent qu’en liberté
S’envolent les esprits, les parfums et les ailes,
Et l’on voit dans la nuit poindre l’éternité.
N’ouvrez donc point ce livre où vous verriez des
tombes
Sous les arbres en fleur, ô vous qui n’aimez pas
Que la mort au front pâle, aux nids blancs des
colombes
Par les beaux soirs d’été souvent porte ses pas.
Oh ! non, ne l’ouvrez point ! Chaque strophe, âme
sombre,
Vous laisserait aux mains, sous le ciel nébuleux,
La poussière d’une urne, et peut-être à son ombre
Dans un songe effrayant vous verriez les grands
cieux.
Mais pour moi je m’en vais sans crainte dans
l’espace,
Où ? je l’ignore encore, je cherche le chemin.
Si dans le grand désert nul voyageur ne passe,
Qu’importe ! j’irai seule à la voix du destin.
Louise Michel (mars 1861)
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Chant des Captifs
Ici l’hiver n’a pas de prise,
Ici les bois sont toujours verts ;
De l’Océan, la fraîche brise
Souffle sur les mornes déserts,
Et si profond est le silence
Que l’insecte qui se balance
Trouble seul le calme des airs.
Le soir, sur ces lointaines plages,
S’élève parfois un doux chant :
Ce sont de pauvres coquillages
Qui le murmurent en s’ouvrant.
Dans la forêt, les lauriers-roses,
Les fleurs nouvellement écloses
Frissonnent d’amour sous le vent.
Voyez, des vagues aux étoiles,
Poindre ces errantes blancheurs !
Des flottes sont à pleines voiles
Dans les immenses profondeurs.
Dans la nuit qu’éclairent les mondes,
Voyez sortir du sein des ondes
Ces phosphorescentes lueurs !
Viens en sauveur, léger navire,
Hisser le captif à ton bord !
Ici, dans les fers il expire :
Le bagne est pire que la mort.
En nos cœurs survit l’espérance,
Et si nous revoyons la France,
Ce sera pour combattre encor !
Voici la lutte universelle :
Dans l’air plane la Liberté !
À la bataille nous appelle
La clameur du déshérité !…
… L’aurore a chassé l’ombre épaisse,
Et le Monde nouveau se dresse
À l’horizon ensanglanté !
Louise Michel (1887) - Ce texte é été écrit durant les 11 ans de bagne passés en Nouvelle-Calédonie
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Nox
Les plus petites
Des humbles fleurs,
Les marguerites,
Cachent des pleurs.
Vent du soir, que fais-tu de l’humble marguerite ?
Mer, que fais-tu des flots ? Ciel, du nuage ardent ?
Oh ! le rêve est bien grand et l’âme est bien petite,
Noir destin, qu’en fais-tu de mon rêve géant ?
Lumière, que fais-tu de l’ombre taciturne ?
Et toi qui, de si loin, l’appelle près de toi ?
Ô flamme, que fais-tu du papillon nocturne ?
Songe mystérieux, que feras-tu de moi ?
Où va le rameau vert, où va la feuille sèche,
Âmes, souffles, parfums, où vous en allez-vous ?
Voici le loup hurlant, dans les murs, par la brèche,
Mais l’astre est rayonnant dans l’azur pur et doux.
Louise Michel (1865)
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Janine Mitaud est née en 1921.
Voici les mots ...
Voici les mots
L'âme et le sang
Rien n'arrache le nom
Ce rouge essentiel
Où brûle
par syllabes
la vie
Qu'il soit lu
Janine Mitaud ("Danger" - Rougerie, 1974)
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Écrit en 1946, au lendemain de la guerre, un beau texte, difficile, mais la musique des mots, déjà ...
L'avenir au bout de la plage ...
L'avenir au bout de la plage
C'est le feuillage de la mer
L'air agile et chargé de sel.
Dans l'amertume des vergers
Les fruits durs que guette le vent
La vigoureuse floraison
des feux de nuit dans les cités.
Et les croisés marqués de sang
Libres traqués chacun ses armes.
Nul n'est seul sous l'âpre soleil.
L'agonie ou l'amour en partage.
Il s'agit d'atteindre la mort
Par les plus fabuleuses routes.
Janine Mitaud ("Hâte de vivre" - Seghers, 1949)
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Jeanine Moulin (1912-1998) est une poète belge.
Dialogue
à Maurice Chapelan.
On mourra, de quoi ?
D'avoir vécu, pardi !
Et de quoi aura-t-on vécu?
D'attendre qu'on meure, que diable !
Alors, à quoi tout cela rimait-il ?
Mais à rien. Il n'y a que la poésie qui rime.
Et encore ...
Jeanine Moulin ("La pierre à feux" - Seghers, 1968)
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La poésie comme elle s'écrit
La poésie comme elle s'écrit,
se veut, se cherche, à corps et à cris,
se trouve dans des baraques à murs de pluie lunaire,
au Mexique, sous des cieux de cannelle
ou dans les poubelles,
sous les ors pollués des nuages troués
ou les ombelles en fleurs d'un verger.
La poésie, mendiante apeurée aux pieds de boue,
qui, mine de rien, éparpille les syllabes
à la porte de votre sommeil, sous la casserole qui trépigne
ou dans la lividité des nuits blanches
au poids de chagrin.
La poésie comme elle se voit, se tâte, se pense :
mot d'ordre ou de passe d'un poète.
Elle est cette clocharde aux gestes de pierre,
cette ténébreuse affaire
en haillons qui se teintent soudain d'arc-en-ciel.
Tendre la main, chiper des lambeaux de voie lactée,
c'est tout ce qu'elle peut faire
pour vous emmener à la veillée des siècles,
auprès du feu de bois de l'éternité,
dans le cercle des guetteurs de mots.
La poésie comme elle s'inscrit,
à coups de chance, comme elle se donne : à corps perdu,
comme elle s'affame et se nourrit
à tire-larigot : de tout, de rien,
telle qu'on la vole : à la tire,
telle qu'elle s'envole : à tire d'aile,
sans jamais cesser de revenir.
Jeanine Moulin ("Musée des objets perdus" - éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982)