Printemps des Poètes 2015 - poèmes de déportés
auteurs identifiés ou anomymes
Printemps des Poètes 2015 - poèmes de déportés
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POÈMES DE DÉPORTÉS
des textes de Robert Desnos sont ici <<
Robert Desnos (1900-1945) a fait partie avec Benjamin Péret et André Breton du mouvement Dada et du surréalisme. Il rompra plus tard avec eux. Auteur de nombreux textes poétiques, ses poèmes pour les enfants sont très connus (" Chantefables et Chantefleurs" - Gründ éditeur, 1995).
Engagé dans la Résistance, il est incarcéré à Compiègne, puis déporté. Il meurt au camp de concentration de Térézin (Theresienstadt, en Tchécoslovaquie) à la toute fin de la guerre.
... "Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne
Comme un soir en dormant tu nous en fis récit
Accomplir jusqu’au bout ta propre prophétie
Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux
Qu’explique seulement l’avenir qu’ils reflètent
Sans cela d’où pourrait leur venir ô poète
Ce bleu qu’ils ont en eux et qui dément les cieux" ...
Louis Aragon ("Complainte de Robert le Diable" dans "Il ne m'est Paris que d'Elsa" - Seghers 1975).
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La voix
La colombe de la paix, peinte par Pablo Picasso
Une voix, une voix qui vient de si loin
Qu'elle ne fait plus teinter les oreilles,
Une voix, comme un tambour, voilée
Parvient pourtant, distinctement, jusqu'à nous.
Bien qu'elle semble sortir d'un tombeau
Elle ne parle que d'été et de printemps,
Elle emplit le corps de joie,
Elle allume aux lèvres le sourire.
Je l'écoute. Ce n'est qu'une voix humaine
Qui traverse les fracas de la vie et les batailles,
L'écroulement du tonnerre et le murmure des bavardages.
Et vous ? ne l'entendez-vous pas ?
Elle dit « La peine sera de peu de durée »
Elle dit « La belle saison est proche ».
Ne l'entendez-vous pas ?
poème écrit vraisemblablement en 1942 et placés dans le recueil "Contrée"
Robert Desnos (Contrée, 1942-1943 - éditions Gallimard, 1962)
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Ce coeur qui haïssait la guerre
Ce coeur qui haïssait la guerre
voilà qu'il bat pour le combat et la bataille !
Ce coeur qui ne battait qu'au rythme des marées, à celui des saisons,
à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu'il se gonfle et qu'il envoie dans les veines
un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Et qu'il mène un tel bruit dans la cervelle que les oreilles en sifflent
Et qu'il n'est pas possible que ce bruit ne se répande pas dans la ville et la campagne
Comme le son d'une cloche appelant à l'émeute et au combat.
Écoutez, je l'entends qui me revient renvoyé par les échos.
Mais non, c'est le bruit d'autres coeurs, de millions d'autres coeurs
battant comme le mien à travers la France.
Ils battent au même rythme pour la même besogne tous ces coeurs,
Leur bruit est celui de la mer à l'assaut des falaises
Et tout ce sang porte dans des millions de cervelles un même mot d'ordre :
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
Pourtant ce coeur haïssait la guerre et battait au rythme des saisons,
Mais un seul mot : Liberté a suffi à réveiller les vieilles colères
Et des millions de Francais se préparent dans l'ombre
à la besogne que l'aube proche leur imposera.
Car ces coeurs qui haïssaient la guerre battaient pour la liberté
au rythme même des saisons et des marées,
du jour et de la nuit.
Robert Desnos sous le pseudonyme de Pierre Andier ( L'honneur des Poètes, éditions de Minuit clandestines, 1943)
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Primo Levi (1919-1987)
Primo Levi, né le 31 juillet 1919 à Turin et mort le 11 avril 1987 à Turin, est un écrivain italien ainsi que l'un des plus célèbres survivants de la Shoah.
Juif italien de naissance, chimiste de formation (il est docteur en chimie), de profession et de vocation, il devint écrivain afin de montrer, transmettre et expliciter son expérience concentrationnaire dans le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz, où il fut emprisonné à Monowitz au cours de l'année 1944. Auteur désormais connu, il écrivit des histoires courtes, des poèmes et des romans.
lire la suite ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Primo_Levi
Si c'est un homme (Se questo è un uomo) est un récit-témoignage de Primo Levi, écrit entre décembre 1945 et janvier 1947.
Édité en Italie en 1947, il ne sera traduit et publié en français que 40 années plus tard à la mort par suicide de l'auteur. (photo, éditions Presses Pocket)
Si c'est un homme (titre du récit publié), le poème figure en exergue
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c'est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meut pour un oui pour un non.
Considérez si c'est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu'à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N'oubliez pas que cela fut,
Non, ne l'oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant ;
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s'écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
Primo Levi, 1947, poème en exergue du récit
"Si c'est un homme"
(traduction de Martine Schruoffeneger, Julliard, 1987)
texte original en italien :
Se questo è un uomo
Voi che vivete sicuri
Nelle vostre tiepide case,
Voi che trovate tornando a sera
Il cibo caldo e visi amici :
Considerate se questo è un uomo
Che lavora nel fango
Che non conosce pace
Che lotta per mezzo pane
Che muore per un si o per un no.
Considerate se questa è una donna,
Senza capelli e senza nome
Senza più forza di ricordare
Vuoti gli occhi e freddo il grembo
Come une rana d'inverno.
Meditate che questo è stato :
Vi comando queste parole.
Scolpitele nel vostro cuore
Stando in casa andando per via,
Coricandovi alzandovi ;
Ripetetele ai vostri figli.
O vi si sfaccia la casa,
La malattia vi impedisca,
I vostri nati torcano il viso da voi.
Primo Levi, initialement publié en italien en1947
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sur le site
http://www.devoir-de-francais.com/commentaire-disais-andre-verdet-18853-5559.html
on trouve cette précision :
"Le poème « Tu me disais » est un extrait de l'oeuvre d'André Verdet, Les jours, les nuits, et puis l'aurore.
L'aube - dessin de Violette Lecocq
"Les dessins faits par Violette Lecoq, née le 14 août 1912, à Ravensbrück camp où elle était déportée le 28 octobre 1943, immatriculée 24571, et d’où elle était libérée le 23 avril 1944 par la Croix Rouge suédoise, comme Charlotte Delbo, Germaine Tillion, ont été publiés en 1948 par les éditions « Les deux sirènes »"
texte et dessin ci-dessus empruntés ici ((parmi d'autres textes et dessins) :
http://www.resistances-morbihan.fr/poemes-ecrits-a-ravensbruck/
Sophie Rubistain-Virolleaud (née en 1922)
En décembre 1943, Sophie Rubinstain Virolleaud fait partie du groupe de l'Armée Juive (AJ) de Paris. Elle est arrêtée et déportée le 20 mai 1944 à Auschwitz-Birkenau, puis Bergen-Belsen.
Elle est libérée par les Alliés le 10 mai 1945 après la Marche de la mort.
éléments de biographie trouvés à cette adresse avec une orthographe différente du nom, mais il s'agit de la même personne :
http://www.ajpn.org/personne-Sophie-Virolleaud-2236.html
le texte ci-dessus est emprunté à l'ouvrage dont la couverture est reproduite ci-dessous :
"Paroles de déportés", textes choisis par Yves Ménager (aux éditions de l'Atelier, 2001 et nouvelle édition janvier 2015)
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Marianne Cohn et Charlotte Delbo
sont sur cette >> page du Printemps des Poètes <<
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Jorge Semprún (1923-2011)
Jorge Semprún Maura, né à Madrid (Espagne) et mort à Paris, est un écrivain, scénariste et homme politique espagnol dont l'essentiel de l'œuvre littéraire est rédigé en français. Il a été inhumé dans le drapeau républicain espagnol (d'après la source Wikipédia dont l'intégralité de la biographie est ici :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jorge_Semprún
Le rêve ancien (début du poème)
Quelles voix d'ambre ou négresses ou les cris durs des cuivres
ou la pluie sourde ou quelle détresse qui ne fût pour nous deux ?
Ensemble nous avions fait le rêve ancien de vivre ;
L'automne était tes yeux, la chambre haute et bleue
pleine de feuilles mortes. Quel horizon sans trêve ou quelle
monotonie dominicale hantaient nos pas, dans les banlieues
au point du jour, au point du rêve. L'ancien projet de vivre
inimitablement, sans espérance, hantait ce frêle tissu barbare :
notre existence. (...)
Jorge Semprún - dans "Anthologie des poèmes de Buchenwald" (Robert Laffont 1946 et éditions Tirésias, 1995)
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André Verdet (1913-2014)
André Verdet est un poète, peintre, sculpteur et céramiste français. Résistant actif, il fut déporté à Buchenwald. Il a recueilli pendant et après son internement des paroles et des textes de ses camarades déportés, qui n'ont pour un grand nombre, pas survécu à l'enfer concentrationnaire.
ci-dessus dessin d'André Verdet : visage sacrifié
Témoignage sur André Verdet de Yves P. Boulongne, résistant et poète, lui aussi déporté à Buchenwald :
✴"[André Verdet était] un de ces « détenus inlassables que l’ardeur de la lutte transcendait... Autour du bloc 48, Verdet allait, se prodiguait. Entre deux rendez-vous clandestins, dans la pénombre d’une baraque, sur l’inoffensif rebord des tinettes, il trouvait le moyen d’écrire, de se dépenser sans compter. De ses poches, des morceaux de papier tordus s’échappaient... Il avait toujours un travail en vue : des jumelles à saboter, un poème de Prévert à dire, un ami à réconforter.
✴Boulongne et Verdet prendront le risque de rassembler les poèmes de leurs camarades détenus, qui seront publiés avec les leurs dans L’Anthologie des poèmes de Buchenwald en 1946 chez Robert Laffont. Dans son introduction, Verdet met en exergue le sens que révèlent ces poèmes : « Malgré l’enfer sur la terre, des hommes ont pensé, non pensé littérairement, mais pensé humainement, pensé que quelque part, hors de cet enfer, le monde conservait encore une part immense de beauté et de bonté » ...
source de ce témoignage et de la dédicace de Desnos reproduite à droite :
et sur le site
http://www.devoir-de-francais.com/commentaire-disais-andre-verdet-18853-5559.html on trouve cette précision concernant le texte qui suit :
"Le poème « Tu me disais » est un extrait de l'oeuvre d'André Verdet, Les jours, les nuits, et puis l'aurore. Résistant de la guerre de 1945, André Verdet y traite le thème de la guerre, qui inspire tant de joies par ses victoires, mais surtout, tant de souffrances. Dans ce poème il laisse la parole à un résistant mourant, dont le seul souvenir heureux et magnifique est celui de l'amour l'unissant à sa femme. Le rythme lent lui attribue une atmosphère paisible et heureuse, que vient brusquement rompre le rythme bref annonçant la mort et l'évanouissement de ce qui n'était plus qu'un rêve, dans la dernière strophe."
Tu me disais
Tu me disais
Ma femme est belle comme l’aube
Qui monte sur la mer du côté de Capri
Tu me disais
Ma femme est douce comme l’eau
Qui poudre aux yeux mi-clos de la biche dormante
Tu me disais
Ma femme est fraîche comme l’herbe
Qu’on mâche sous l’étoile au premier rendez-vous
Tu me disais
Ma femme est simple comme celle
Qui perdant sa pantoufle y gagna son bonheur
Tu me disais aussi
Ma femme est plus étrange
Que la vierge qui fuit derrière sa blancheur
Et ne livre à l’époux qu’un fantôme adorable
Tu me disais encore
Je voudrais lui écrire
Qu’il n’est pas une aurore où je n’ai salué
Son image tremblant dans le creux de mes mains
Tu me disais encore
Je voudrais la chanter
Avec des mots volés dans le cœur des poètes
Qui sont morts en taisant la merveille entendue
Tu me disais enfin
Je voudrais revenir
Près d’elle
à l’improviste
une nuit où le songe
Peut-être insinuerait que je ne serais plus
Tu es mort
camarade
Atrocement
dans les supplices
Ta bouche souriant au fabuleux amour
André Verdet, écrit à Buchenwald, 15 mai 1944-17 mai 1945
dans "Anthologie des poèmes de Buchenwald" (Robert Laffont 1946 et éditions Tirésias, 1995)
et dans "Paroles de déportés", textes choisis par Yves Ménager (aux éditions de l'Atelier, 2001 et nouvelle édition janvier 2015)
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René Salme (1918-1992)
Camp de Buchenwald, 1945 - dessin de René Salme au crayon sur papier
René Salme était un écrivain, poète, professeur de dessin, peintre et illustrateur belge. Résistant, il est arrêté en 1942, interné à la prison de Saint-Gilles, puis déporté à Buchenwald.
ci-dessous, un ouvrage illustré par René Salme (le poème n'y figure pas)
KREMATORIUM
Dans le vent,
Des lambeaux de brume haletants,
Une cheminée haute, sombre et cubique,
Des flammes, rouges hurlements,
Des arbres criant, squelettiques,
Dans le vent
Dans le vent,
Ces essieux des charrettes grinçants,
Dessus des corps entremêlés et blêmes,
Aux brancards, aux roues, des hommes tirant,
Ployés, jurant, riant, misérable Mi-Carême,
Dans le vent.
René Salme
dans "Anthologie des poèmes de Buchenwald" (Robert Laffont 1946 et éditions Tirésias, 1995), textes recueillis par André Verdet
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Denyse Clairouin (1900-1945)
Résistante de la première heure, elle est arrêtée par la Gestapo le16 octobre 1943 par la Gestapo. Enfermée à Lyon pendant cinq mois à la prison du fort Montluc, elle est déportée le 15 mars 1944 à Ravensbrück, puis au moment de l'évacuation du camp, elle est transférée à Mauthausen, où elle meurt à peine arrivée d'un terrible voyage, le 11 mars 1945.
Elle était la traductrice des écrivains de langue anglaise Graham Greene (L'Homme et lui-même ; Orient-express), de Henry James (L’Autel des morts) ainsi que d'ouvrages de D H Lawrence et John Galsworthy.
Un prix "Denyse Clairouin" de la meilleure traduction est décerné chaque année.
dans ce poème, Denyse Clairouin tente de s'évader par l'écriture, vers un paysage sans doute familier :
Rimes
Tandis qu’un noir chagrin me mine
Je m’évade en cherchant des rimes
Des sapins j’aperçois la cime
Et revois un discours intime,
Le vieux pin tordu par le vent
Qui ombrageait comme un auvent
La pelouse au soleil couchant,
Le vieux mur qui s’en va penchant
Vers la falaise broussailleuse
Et la bise siffle railleuse
Dans les ronces et les ajoncs.
Denyse Clairouin - Ravensbrück, 1945
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le poème de l'auteure qu'on retient généralement comme le plus intense pour rendre compte si possible de ce temps d'extrême souffrance :
L'appel
Le ciel est noir, la terre est noire,
Dur est le gel, lourd est le cœur.
Tristes victimes expiatoires
Nourries de haine et de rancœurs
Nous attendons. L’aube blafarde
Sans cesse creuse nos rangs.
Nul sang ne ranime et ne farde
Ces visages de chiens errants.
Reverrons nous ces jours qu’en rêve
Nuit et jour nous imaginons ?
Visages aimés, heures brèves,
Un feu, un pain, une maison…
Se souvient on encore d’elles,
Celles qui paient argent comptant
Pour que la vie soit libre et belle
Et que la France ait un printemps ?
Et si nous revenons un jour
Comme un troupeau de spectres hâves,
Affamées de joie et d’amour,
Serons nous les tristes épaves
Qu’on enfouit sous un sable lourd ?
Denyse Clairouin - Ravensbrück, 1945
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l'espoir malgré tout :
Nous n’irons plus au camp (titre suggéré)
parfois titré par la suite : "Chant de celle qui n'est pas revenue"
Nous n’irons plus au camp, leurs lauriers sont flétris
En nos veines sourdra le sang frais qui ranime
Ces loques désolées que sont nos cœurs meurtris
Que la faim ronge encore et le chagrin décime.
Leurs lauriers sont flétris, nous n’irons plus au sable
Ni traîner le tuyau, ni charger les wagons ;
Cette lande exécrée que la nature accable
Ivres de joie, bientôt nous l’abandonnerons.
Nous n’irons plus au camp. Déjà l’on sent renaître
Ce que l’on croyait mort, nos cœurs et nos esprits
Ce désir de la vie qui redresse nos êtres
Et qu’on croyait parfois à jamais désappris.
Nous n’irons plus au camp. Pour nous la délivrance !
Pour eux, afin que nous puissions être vengées,
L’angoisse et le labeur qu’ils nous ont infligés !
Eux resteront au camp ! Nous rentrerons en France !
Denyse Clairouin - Ravensbrück, 1945
source de ce texte (CLIC pour le pdf du bulletin) :
Bulletin n°325populaire - Amicale de Mauthausen
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Arlette Humbert-Laroche (1915-1945)
Agent de liaison, Arlette Humbert-Laroche est arrêtée en janvier 1943, incarcérée à Fresnes puis jugée à Berlin et emprisonnée à la prison de Jauer en Silésie. Avec l'avancée des troupes soviétiques, elle est déportée à Ravensbrück, Mathausen et Bergen-Belsen où elle trouve la mort.
Dans ses textes, la détresse et l'espoir.
Dans ma cellule
Bientôt midi.
Ca sent la soupe monotone et moisie.
Ah! Que j'ai envie
De fruits craquants et rebondis,
D'herbes fraîches et de jus sucrés
Dans des vergers alourdis
De branches qui m'égratignent.
Que j'ai envie
De bourgeons éclatés
Dans mes doigts,
Que j'ai envie là, sur ma gorge
D'un baiser d'homme inassouvi,
Deux étaux à ma taille,
La terre sous mes épaules
Accueillante comme un lit,
Une sève de fleur, de plante, de vie
Coulant de moi
Avec un envahissement de marée;
Et soudain cette joie
Venue de je ne sais quelle éternité,
Cette joie
Qui tord les racines comme des muscles
Sous la terre violentée,
En moi cette joie à crier…
Midi! Ca sonne! Qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui?
Ah! Oui! Des pois
Des pois cassés et moisis.
Arlette Humbert-Laroche ("Poèmes" - éditions Réalité, 1946)
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On tue
On tue,
d'un bout de la terre à l'autre,
On tue,
On tue sur la mer,
La nuit on peut voir
Dans l'énorme et indifférente solitude de l'eau
Les cadavres
Qui ont encore leurs dernières larmes
À leurs faces de linge
Tournées vers le ciel noir.
On tue aux courbes fleuries des fleuves,
On tue aux flancs chauds des montagnes,
On tue dans les villes où le tocsin qui sonne
Crie la douleur des dômes saignants
Et des cathédrales éclatées.
Là, depuis des siècles, des siècles on a travaillé,
Mais la terre est soudain devenue
Une éponge monstrueuese
Buvant la longue patience des hommes.
Partout la peur, la nuit, la mort.
Pourtant, le soleil est là.
Je l'ai vu ce matin
Jeune, fort, exigeant.
Il ruisselait sur les toits
Il mordait au coeur des arbres,
Il empoignait la ville aux épaules
Et réclamait de la terre son réveil.
Il est là.
Il est au fond de toutes choses
Et, devant ce monde qui s'entrouvre, s'affaisse et se replie
Il y a la mystérieuse et latente énergie
Qui refuse les ténèbres
Et ne veut pas qu'on tue la vie.
Arlette Humbert-Laroche ("Poèmes" - éditions Réalité, 1946)
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Hier
Il ne me reste d'hier
que des jonquilles.
De tout leur petit corps jaune
à collerette
elles me tendent
leur fraîcheur de forêt
Elles ont des tiges inégales
et font près de moi
comme une cascade
de soleil
Ceux
qui sont venus chez moi,
ont laissé de ce soleil-là
hier.
Arlette Humbert-Laroche ("Poèmes" - éditions Réalité, 1946)
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Jean-Pierre Voidies (1913-2014)
Jean-Pierre Voidies (1926-1996) est un poète et un grand Résistant. Il avait été arrêté par la Gestapo, torturé puis déporté, avant d'entamer une carrière d'enseignant.
Il a écrit de très nombreux contes, des recueils de poésie, des romans, des nouvelles. En 1981, par une transformation réelle de personnalité et d'identité, il devient Ovida Delect, "écrivaine et poétesse, citoyenne de France et du Monde", aboutissement d'un désir indispensable.
(référence : le film document "Appelez-moi Madame", de Françoise Romand, 1986, dans lequel Jean-Pierre Voidies livre sa recherche identitaire - lien pour un extrait du film : http://www.ina.fr/art-et-culture/litterature/video/CPA87004352/appelez-moi-madame.fr.html)
Son recueil "Par la plume du ballon bleu", poèmes pour enfants, est paru en 1975 chez Le Pavillon, Roger Maria éditeur.
Dans l'ouvrage "Paroles de déportés", textes choisis par Yves Ménager (aux éditions de l'Atelier, 2001 et nouvelle édition janvier 2015), cette présentation, et le texte qui suit :
Ci-dessous le poème "LE FROID" avec d'abord un aperçu de la forme écrite de publication dans l'ouvrage cité
Le froid
Lui, le froid
Bleu
S'allonge
dans le ciao
Comme un mort
Il m'écrase
Le froid bleu
Déjà mort
Dans le ciel vide
Marche
Où je marche
Et s'arrête
Comme un mal
Fatigué
Comme un astre
En plein jour
Et mort
Dans les nuages
Longs
Il m'écrase
Je le sens
Sur moi
Dans ma chair
Il entre
Bleu
Et je suis
Rétréci
Rétréci
Sous ce froid
Mort
Et bleu
Qui tombe
au camp de Neuengamme, en janvier 1945
Jean-Pierre Voidies
dans "Paroles de déportés", textes choisis par Yves Ménager (aux éditions de l'Atelier, 2001 et nouvelle édition janvier 2015)
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poème anonyme cité dans l'ouvrage de Michel Borwicz
source des images-textes ci-dessous :
http://www.fmd.asso.fr/updir/20/premiere_partie.pdf
On trouvera sur le site de la FMW : http://www.fmd.asso.fr
un grand nombre de ressources, textes, images, témoignages, liens.
"Créée en 1990, la Fondation s’est fixée comme objectif de pérenniser la mémoire de l’Internement et de la Déportation au-delà de la génération des témoins et de faire connaître les valeurs qui en sont issues."
❖ Les textes publiés n'ayant pas fait l'objet d'une demande d' autorisation
(sauf exception), les ayants droit peuvent nous en demander le retrait.
Léon Leloir (1907-1945)
Léon Leloir est né à Mons, en Belgique. Père blanc. Journaliste et écrivain, fondateur de la revue missionnaire "Grands lacs" (1934). Aumônier militaire de maquis, il fut arrêté et déporté à Buchenwald, dont il décrivit la vie. (source : http://www.idref.fr/067043526 )
Editions du rendez-vous, Paris, 1945
Le 18 avril 1945, à sa descente d’avion sur l’aérodrome du Bourget, le Père Léon Leloir est interviewé par Sherri Mangan du Time List Fortune qui le questionne sur son opinion sur Buchenwald. A la surprise de tous il indique : « Si c’est une grâce d’être sauvé de Buchenwald, c’est une plus grande d’y être venu, à ce point qu’il valait la peine d’obtenir la grâce de l’entrée même sans celle de la sortie ».
la suite ici, avec des passages de poèmes :
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Yannis Ritsos (1909-1990)
Le quotidien et l'amertume du détenu, dans la poésie de Ritsos, y font entendre les silences de la pierre et parles les oublis de l'histoire.
Ce journal de déportation est traduit pour la première fois en France.
Jour pierreux, paroles pierreuses.
(…)
Les choses sont comme elles sont.
Ce n'est rien.
Le rien n'est pas tendre.
Il est pierreux.
source, site de l'éditeur :
http://ypsilonediteur.com/fiche.php?id=84
Passages du recueil :
J’ai gardé sous l’eau tiède de la nuit
la main du sommeil et la sensation de l’oubli
le contact de la couverture et du mur.
Si on soulève le drap
on ne me trouve pas.
Cherche, pour me trouver – ne comprends-tu pas ?
je suis plus en dedans.
Il y avait deux verres sur la table
un tabouret dans un coin
l’ombre d’une main qui aurait cueilli des fleurs
une ombre partagée entre le lit et le plafond
j’ai oublié je n’ai pas eu le temps de voir
rien que l’ombre d’une fenêtre qui ne s’est pas ouverte
sur le mur blanc
et la main qui n’a pas cueilli de fleurs
la main qui s’est coupée dès les premières secondes de lune
tombant au milieu du chemin dans l’eau boueuse
près de la roue brisée du fourgon postal
Une mandoline un ange en colère
un verre d’eau la cigarette
le son qui nous lie un instant hors de la solitude
pour nous séparer encore sans dire bonne nuit.
Et puis, les yeux qui percent deux trous dans le mur.
J’ai planté un arbre. Je le ferai grandir.
Quoiqu’il arrive, je ne reviens pas en arrière.
Yannis Ritsos ("Journal de déportation" ; édition bilingue grec-français - traduit du grec par Pascal Neveu, Ypsilon, 2009)
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Uri Orlev (né en 1931)
source de l'article de l'hebdomadaire "Le Poin" qui suit, sur le site du Point :
http://www.lepoint.fr/culture/poete-et-deporte-28-06-2012-1479954_3.php
Poète et déporté
Le Point - Publié le 28/06/2012
Arrêté à l'âge de 12 ans, Uri Orlev écrivit dans le camp de Bergen-Belsen quinze sidérants poèmes.
(passages de l'article cité)
" Uri Orlev s'appelait alors Jerzy Henrik Orlowski. Il avait 13 ans et était à Bergen-Belsen depuis un an lorsqu'il écrivit ces quinze poèmes. Quinze textes sidérants de maturité. Quinze variations bouleversantes sur l'espérance indestructible qu'un autre monde revienne, le souvenir vrillant, dérangeant, d'une maman assassinée, l'impossibilité de l'oubli un jour de fête des mères, la nécessité du silence, la peur que son coeur " glacé " ne ressente plus rien. La vie quotidienne aussi, dans les baraques, quand " tout le monde, hurle, crache / et personne ne compte plus pour personne " et que " la voisine qui dort en bas c'est Unguerova/ Une vieille vache qui pue ".
(...)
Bergen-Belsen, juillet 1943 : 2 500 Juifs sont entassés en attente d'un échange, qui ne vient pas. Trois convois plus tard, ils ne sont plus que 350 survivants, parmi lesquels Orlev, qui a écrit un premier poème à Varsovie. Sa tante négocie à la cantine du camp un carnet qu'il serre contre lui comme son bien le plus précieux. Pour ne pas le gâcher, il écrit les brouillons sur une planche de son châlit. Il ne les recopie que s'il est satisfait. "J'ai écrit les poèmes dans des élans de soudaine inspiration", explique-t-il. "Parfois, le soir, quand la lumière était coupée, je continuais à écrire en suivant les lignes avec mon doigt pour ne pas déborder sur celles déjà remplies." L'inspiration a son mystère, surtout à Bergen-Belsen. Orlev est devenu un grand écrivain pour enfants (traduit en France). Comme s'il voulait rattraper le temps perdu d'une enfance qui n'a pas eu lieu. Voici un de ses quinze poèmes. Il fut difficile de choisir."
(Sans titre)
Une sirène longue, au loin
Un sifflement long, au loin
Le train bouge, plein de cris
Le train bouge, stridence et craquements
Il avance, lentement d'abord, puis prend de la vitesse
Où vont ces gens entassés cruellement ?
Le train s'en va, il reviendra, et ira encore,
Sur la même voie
Mais ces voyageurs-là il les cherchera en vain
A la station de départ ils ne reviendront jamais
Leurs bourreaux les ont chargés de force dans le train
C'est leur dernier voyage. Femmes, hommes, enfants
Aucun d'entre eux ne se leurrait
Jamais le soleil, ou quoi que ce soit, il ne reverrait
Car comme des bestiaux vers la mort on les pousse,
Elle les attend.
Les condamnés à mort geignent en silence,
Puis à voix haute
Ils expirent dans l'obscurité triste du grand wagon.
Et au-delà des misérables planches en bois des
Véhicules
La liberté sans limite circule
Là où les gens normaux sont appelés les "Polonais"
Ici, les gens sont les mêmes, mais on les nomme
"Les Juifs"
Ceux-là vivent libres, à l'extérieur
Jouissant de chambres contenant tout le nécessaire
Et ceux-ci sont entassés
Encore vivants maintenant, cadavres sous peu
Dieu, où est la justice, où est la loi ?
Quand ceux-ci se meurent et ceux-là se promènent
En vie.
Et j'entends, tous les jours, toutes les nuits
Les sirènes, les respirations de la locomotive
Se déplaçant
Et tirant des wagons pleins de gens, elle galope
Mugit et siffle, dégageant de la fumée, se dépêchant
Et tout autour il y a de moins en moins de gens
Le vide et le silence les remplacent
Et à Treblinka les cadavres s'entassent.
Uri Orlev, "Poèmes écrits à Bergen-Belsen, Allemagne, 1943 en sa treizième année", traduits par Sabine Huynh (Éditions de l'Éclat).