Poésies par thèmes : la Seine, le fleuve
CYCLE 3 et COLLÈGE - LYCÉE

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Printemps des Poètes 2014 en français 
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L’EAU COURANTE  -  LE FLEUVE  -  LA SEINE

textes pour LE COLLÈGE et le LYCÉE

pour le Collège, voir aussi  cette page :

La Seine, l’eau  -  textes pour l’école primaire

CHANSONS

  1. 1.À Paris - Francis Lemarque

  2. 2.La Seine - Flavien Monod

  3. 3.T’en souviens-tu la Seine - Anne Sylvestre

  4. 4.À la Seine -  Jean-Roger Caussimon

  5. 5.L’Île Saint-Louis -  Léo Ferré

  6. 6.Paris-blessure - Jacques Brel

  7. 7.J’ai le mal de Paris - Mouloudji

  8. 8.Poètes de la Seine - Bruno Grange

  9. 9.Complainte de la Seine - Maurice Magre



POÈMES SUR LA SEINE


  1. 10.La Seine a rencontré Paris - Jacques Prévert

  2. 11.Le premier frisson d'hiver - Alfred de Musset

  3. 12.La Seine - Louis Aragon

  4. 13.Paris 42 - Louis Aragon

  5. 14.Pour demain - Louis Aragon

  6. 15.Sur le Pont-Neuf j’ai rencontré - Louis Aragon

  7. 16.Le pont Mirabeau - Guillaume Apollinaire

  8. 17.Au pied des tours de Notre-Dame - Francis Carco

  9. 18.Paris - Jules Supervielle

  10. 19.La Seine était verte à ton bras ... - Michel Deguy

  11. 20.L’aube à l’envers - Paul Verlaine

  12. 21.Nocturne parisien (Toi Seine, tu n’as rien ...) - Paul Verlaine

  13. 22.Paris (La pente de la rêverie) - Victor Hugo

  14. 23.J’aime ma maison - Guy de Maupassant

  15. 24.Rouen - Guy de Maupassant

  16. 25.Devant nous la Seine - Guy de Maupassant

  17. 26.La Seine à Argenteuil - Guy de Maupassant

  18. 27.La Seine vue par un peintre - Camille Pissaro

  19. 28.Javert - Victor Hugo

  20. 29.C’est un petit village - Nicolas Boileau

  21. 30.La Seine de Paris - Jean Tardieu

  22. 31.Là-bas sur un coteau crayeux - André Druelle

  23. 32.Le rêve du poète - François Coppée

  24. 33.Valvins - Paul Valéry

On trouvera à cette adresse de nombreux tableaux d’artistes sur le thème de la Seine de Paris au Havre :

http://www.sportnat.com/lapouneur/rando/seine/fil/fil.htm

CHANSONS


1. À Paris (chanson)


À Paris

Quand un amour fleurit,

Ça fait pendant des s'main's

Deux coeurs qui se sourient,

Tout ça parce qu'ils s'aim'nt

À Paris.


Au printemps

Sur les toits, les girouett's

Tourn'nt et font les coquett's

Avec le premier vent

Qui passe indifférent,

Nonchalant,


Car le vent,

Quand il vient à Paris

N'a plus qu'un seul souci,

C'est d'aller musarder

Dans tous les beaux quartiers

De Paris


Le soleil

Qui est son vieux copain,

Est aussi de la fête

Et comm' deux collégiens

lls s'en vont en goguett'

Dans Paris.


Et la main dans la main,

Ils vont sans se frapper

Regardant en chemin,

Si Paris a changé.


Y'a toujours

Des taxis en maraud'

Qui vous chargent en fraude,

Avant le stationn'ment,

Où y'a encor' l'agent

Des taxis.


Au café

On voit n'importe qui,

Qui boit n'importe quoi,

Qui parle avec ses mains,

Et qu'est l'à depuis l' matin,

Au café


[À Paris]

Y'a la Seine,

À n'importe quelle heure

Elle a ses visiteurs

Qui la r'gard'nt dans les yeux,

Ce sont ses amoureux

À la Seine.


Et y'a ceux,

Ceux qui ont fait leur lit,

Près du lit de la Seine,

Et qui s' lav'nt à midi

Tous les jours de la s'main'

Dans la Seine.


Et les autres,

Ceux qui en ont assez,

Parc' qu'ils en ont vu d' trop

Et qui veul'nt oublier,

Alors ils s' jett'nt à l'eau,

Mais la Seine


EII' préfère

Voir les jolis bateaux

Se promener sur elle,

Et au fil de son eau,

Jouer aux caravell's,

Sur la Seine !


Les ennuis,

Y'en a pas qu'à Paris,

Y'en a dans l' monde entier,

Oui, mais dans l' monde entier,

Y'a pas partout Paris,

V'là l'ennui...


À Paris,

Au quatorze Juillet

A la lueur des lampions,

On danse sans arrêt,

Au son d' l'accordéon,

Dans les rues.


Depuis qu'à Paris, on a pris la Bastille,

Dans tous les faubourgs,

Et à chaque carr'four,

Il y a des gars, et il y a des fill's

Qui sur les pavés,

Sans arrêt, nuit et jour,

Font des tours,

Et des tours,

À Paris.

Francis Lemarque


paroles et musique de Francis Lemarque, interprétation : Yves Montand

_ _ _ _ _


2. La Seine (chanson)


La Seine est aventureuse

De Châtillon à Méry

Et son humeur voyageuse

Flâne à travers le pays

Elle se fait langoureuse

De Juvisy à Choisy

Pour aborder, l´âme heureuse

L´amoureux qu´elle a choisi !


Elle roucoule, coule, coule

Dès qu´elle entre dans Paris !

Elle s´enroule, roule, roule

Autour de ses quais fleuris!

Elle chante, chante, chante, chante

Chante le jour et la nuit

Car la Seine est une amante

Et son amant c´est Paris !


Elle traîne d´île en île

Caressant le vieux Paris

Elle ouvre ses bras dociles

Au sourire du roi Henri

Indifférente aux édiles

De la mairie de Paris

Elle court vers les idylles

Des amants des Tuileries!


Elle roucoule, coule, coule

Du Pont-Neuf jusqu´à Passy!

Elle est soûle, soûle, soûle

Au souvenir de Bercy!

Elle chante, chante, chante, chante

Chante le jour et la nuit

Si sa marche est zigzagante

C´est qu´elle est grise à Paris!


Mais la Seine est paresseuse

En passant près de Neuilly

Ah, comme elle est malheureuse

De quitter son bel ami !

Dans une étreinte amoureuse

Elle enlace encore Paris

Pour lui laisser, généreuse

Une boucle... à Saint-Denis !


Elle roucoule, coule, coule

Sa complainte dans la nuit

Elle roule, roule, roule

Vers la mer où tout finit

Elle chante, chante, chante, chante

Chante l´amour de Paris!

Car la Seine est une amante

Et Paris dort dans son lit !


Flavien Monod (chanson)


paroles de Flavien Monod et musique de Guy Lafarge,1948

interprétation : Jacqueline François (album : Mademoiselle De Paris)

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3. T'en souviens-tu, la Seine


T'en souviens-tu, la Seine,

t'en souviens-tu comm' ça me revient,

me revient la rengaine

de quand on avait rien,

de quand on avait pour tous bagages

tes deux quais pour m'y promener,

tes deux quais pour y mieux rêver ?

Tu étais, tu étais mes voyages

et la mer, tu étais mes voiliers,

tu étais pour moi les paysages ignorés.

Je te disais, la Seine

qu'on avait les yeux d' la mêm' couleur.

Quand j'avais de la peine,

quand j'égarais mon coeur,

quand je trouvais la ville trop noire,

tu dorais des plages pour moi,

tu mettais ton manteau de soie,

et pour moi, qui ne voulais plus croire,

et pour moi, pour pas que je me noie,

tu faisais d'un chagrin un' histoire, une joie.

Ils te diront, la Seine,

que je n'ai plus de coeur à promener

ou que, si je promène,

c'est loin de ton quartier.

Ils te diront que je te délaisse

et pourtant je n'ai pas changé.

Non, je ne t'ai pas oubliée,

mon amie de toutes les tendresses.

J'ai gardé dans mes yeux tes reflets,

j'ai gardé tes couleurs, tes caresses pour rêver.

T'en souviens-tu, la Seine,

t'en souviens-tu comm' ça me revient,

me revient la rengaine

de quand on était bien?

Et si j'ai vu d'autres paysages,

tes deux quais m'ont tant fait rêver.

Attends-moi: j'y retournerai,

tu seras mon premier grand voyage.

et le port où je viens relâcher,

fatiguée de tant d'autres rivages oubliés.

T'en souviens-tu, la Seine,

t'en souviens-tu ?


Anne Sylvestre
(Paroles, musique et interprétation)

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4. À la Seine (chanson)


Voyant tes remous, tes ressacs

Tout au long du quai rectiligne

Un moment je t'avais cru digne

De m'écouter vider mon sac


Tout comme on parle dans l'oreille

D'un chien compagnon de malheur

Quand on n'a pas assez d'oseille

Pour s'approprier la blondeur d'une fille

À la peau bien tendre

Qui fait bien semblant de comprendre

Et vous vend un peu de douceur


J'allais te confier mes alarmes

Mes fatigues et mes regrets

C'est bête à dire

J'étais prêt à te grossir

De quelques larmes

Contenues depuis trop de jours

Et d'amertumes bien salées


Mais ta flotte s'en est allée

Insensible suivant son cours

Roulant au pied de l'escalier

Tant de mètres cubes à l'heure

Tu t'en fous

Qu'on vive ou qu'on meure

T'es plus bête qu'un sablier


C'est normal

T'es un personnage

Ta place est faite au grand soleil

Les hommes et toi c'est tout pareil

Y'a pas de pitié qui surnage

T'es vaseuse dans ton tréfonds

Moi je m'en vais

Adieu la Seine

Y'a pas de pitié qui surnage

T'es vaseuse dans ton tréfonds

Moi je m'en vais

Adieu la Seine

Tu sais, avant que je revienne

De l'eau coulera sous tes ponts


Jean-Roger Caussimon


Paroles de Jean-Roger Caussimon, musique de Léo Ferré
Interprétation : Léo Ferré

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5. L´île Saint-Louis (chanson)


L´île Saint-Louis en ayant marre

D´être à côté de la Cité

Un jour a rompu ses amarres

Elle avait soif de liberté

Avec ses joies, avec ses peines

Qui s´en allaient au fil de l´eau

On la vit descendre la Seine

Ell´ se prenait pour un bateau.

Quand on est une île

On reste tranquille

Au cœur de la ville

C´est ce que l´on dit,

Mais un jour arrive

On quitte la rive

En douce on s´esquive

Pour voir du pays.


{Refrain:}

Pour les îles sages

Point de grands voyages

Point de grands voyages

Tra la la,

Les livres d´images

Tra la la,

Se font à Paris

Tra la la la la,

Se font à Paris.


De la Mer Noire à la Mer Rouge

Des îles blanches, aux îles d´or

Vers l´horizon où rien ne bouge

Point n´a trouvé l´île au trésor,

Mais tout au bout de son voyage

Dans un endroit peu fréquenté

On lui raconta le naufrage

L´île au trésor s´était noyée.

Quand on est une île

On vogue tranquille

Trop loin de la ville

Malgré c´que l´on dit,

Mais un jour arrive

Où l´âme en dérive,

On songe à la rive

Du bon vieux Paris


{Refrain}


L´Ile Saint-Louis a de la peine

Du pôle Sud au pôle Nord

L´océan ne vaut pas la Seine

Le large ne vaut pas le port

Si l´on a trop de vague à l´âme

Mourir un peu n´est pas partir

Quand on est île à Notre-Dame

On prend le temps de réfléchir.

Quand on est une île

On reste tranquille

Au cœur de la ville

Moi je vous le dit,

Pour les îles sages

Point de grands voyages

Les livres d´images

Se font à Paris


{Refrain}


Léo Ferré et Francis Claude

Paroles de Léo Ferré et Francis Claude, musique de Léo Ferré
Interprétation : Léo Ferré

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6. Paris-blessure


Le soleil qui se lève

Et caresse les toits

Et c’est Paris le jour

La Seine qui se promène

Et me guide du doigt

Et c’est Paris toujours

Et mon cœur qui s’arrête

Sur ton cœur qui sourit

Et c’est Paris bonjour

Et ta main dans ma main

Qui me dit déjà oui

Et c’est Paris l’amour

Le premier rendez-vous

A l’île Saint-Louis

C’est Paris qui commence

Et le premier baiser

Volé aux Tuileries

Et c’est Paris la chance

Et le premier baisé

Reçu sous un portail

Et c’est Paris romance

Et deux têtes qui se tournent

En regardant Versailles

Et c’est Paris la France


Des jours que l’on oublie

Qui oublient de nous voir

Et c’est Paris l’espoir

Des heures où nos regards

Ne sont qu’un seul regard

Et c’est Paris miroir

Rien que des nuits encore

Qui séparent nos chansons

Et c’est Paris bonsoir

Et ce jour-là enfin

Où tu ne dis plus non

Et c’est Paris ce soir

Une chambre un peu triste

Où s’arrête la ronde

Et c’est Paris nous deux

Un regard qui reçoit

La tendresse du monde

Et c’est Paris tes yeux

Ce serment que je pleure

Plutôt que ne le dis

C’est Paris si tu veux

Et savoir que demain

Sera comme aujourd’hui

C’est Paris merveilleux


Mais la fin du voyage

La fin de la chanson

C’est Paris tout gris

Dernier jour, dernière heure

Première larme aussi

Et c’est Paris la pluie

Ces jardins remontés

Qui n’ont plus leur parure

Et c’est Paris l’ennui

La gare où s’accomplit

La dernière déchirure

Et c’est Paris fini

Loin des yeux loin du cœur

Chassé du paradis

Et c’est Paris chagrin

Mais une lettre de toi

Une lettre qui dit oui

Et c’est Paris demain

Des villes et des villages

Les roues tremblent de chance

C’est Paris en chemin

Et toi qui m’attends là

Et tout qui recommence

Et c’est Paris je reviens


Jacques Brel

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7. J’ai le mal de Paris (chanson)


J’ai le mal de Paris

De ses rues de ses boulevards

De son air triste et gris

De ses jours, de ses soirs

Et l’odeur du métro

Me revient aussitôt

Que je quitte mon Paris

Pour des pays moins gris

J’ai le mal de la Seine

Qui écoute mes peines

Et je regrette tant

Les quais doux aux amants

J’aime me promener

Dans tous les beaux quartiers

Voir au Palais-Royal

Les filles à marier

Traîner à Montparnasse

De café en café

Et monter à Belleville

Tout en haut de la ville

Pour la voir en entier


J’ai le mal de Paris

Quand je suis loin d’ici

Me prend le vague à l’âme

J’ai le cœur qui s’ennuie

Et je rêve à cette dame

Dont les toits épanouis

Autour de Notre-Dame

Font des vagues infinies

J’ai le mal de la nuit

De la nuit de Paris

Quand les filles vont et viennent

A l’heure où moi je traîne

J’ai le mal des saisons

Qui poussent leur voiture

Dans les rues de Paris

Et changent sa parure

Le printemps va gaiement

Les arbres sont contents

Puis l’été se promène

Et c’est dimanche toute la semaine

Les feuilles tombent blêmes

J’ai le mal de Paris

Durant les jours d’hiver

C’est gris et c’est désert

Plein de mélancolie

Oui j’ai le mal d’amour

Et je l’aurai toujours

C’est drôle mais c’est ainsi

J’ai le mal de Paris


Marcel Mouloudji
album : Un Gamin De Paris, 1951  paroles de Mouloudji
musique de Pierre Arimi

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8. Poètes de la Seine (chanson)


Poètes de la Seine, auteurs de ses chansons

Qui font vibrer les coeurs et sourire la vie

Et si vous nous contiez la Seine à la façon

De tous ceux qui la servent pour la rendre jolie

Dites-vous que le fleuve n'aurait plus de bateaux

Et qu'il s'alanguirait sur de mornes rivages

Car la moitié du temps, il manquerait de l'eau

Si l'homme n'était pas bâtisseur de barrages

Poète de la Seine, il l'est à sa façon

L'éclusier qui la veille et partage son lit

L'écluse est comme un coeur qui bat à l'unisson

Et des quais et des ponts de Rouen, de Paris

Jusqu'au fond des égouts où se traite l'eau sale

On peut trouver un homme pour faire une chanson

On est tous un poète quand on fait son travail

Merci à l'égoutier dont j'ignore le nom

Comme le bâtisseur, ingénieur ou maçon

Qui donne à tous ses ponts un air de poésie

Poète de la Seine, il l'est à sa façon

Le jardinier des berges qui la prend pour amie

Toi l'amoureux des quais et des ponts de Paris

Qui les dégustes comme une page d'histoire

Un îlot de repos du corps et de l'esprit

Les témoins d'un amour auquel tu voudrais croire

Souviens-toi que la Seine est bien plus que cette eau

Qui coule sous nos yeux et paraît naturelle

La nature ne fait que des demi-cadeaux

Poètes de la Seine, vous faites la Seine belle


Bruno Grange

Paroles de Bruno Grange, musique de Georges Chelon,1991

Interprétation : Georges Chelon ("Chante la Seine")

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9. Complainte de la Seine (poème mis en musique)


Au fond de la Seine

Il y a de l'or,

Des bateaux rouillés,

Des bijoux, des armes.

Au fond de la Seine

Il y a des morts.

Au fond de la Seine

Il y a des larmes.


Au fond de la Seine

Il y a des fleurs,

De vase et de boue

Elles sont nourries.

Au fond de la Seine

Il y a des coeurs

Qui souffrirent trop

Pour vivre la vie.


Et puis les cailloux

Et des bêtes grises,

L'âme des égoûts

Soufflant des poisons,

Les anneaux jetés

Par des incomprises,

Des pieds qu'une hélice

A coupés du tronc.


Et les fruits maudits

Des ventres stériles,

Les blancs avortés

Que nul n'aima,

Les vomissements

De la grand ville,

Au fond de la Seine

Il y a cela.


Ô Seine clémente

Où vont les cadavres

Ô lit dont les draps

Sont faits de limon.

Fleuve des déchets

Sans fanal ni havre,

Chanteuse berçant

La morgue et les ponts.


Accueille le pauvre

Accueille la femme

Accueille l'ivrogne

Accueille le fou

Mêle leurs sanglots

Au bruit de tes larmes

Et porte leur coeur

Et porte leur coeur

Et porte leur coeur

Parmi les cailloux.


Au fond de la Seine

Il y a de l'or,

Des bateaux rouillés,

Des bijoux, des armes.

Au fond de la Seine

Il y a des morts.

Au fond de la Seine

Il y a des larmes.


Maurice Magre, 1934

Maurice Magre (1877-1941) est un écrivain, poète et dramaturge français (et surtout occitan).

Poème mis en musique par Kurt Weill

Interprétation : par Lotte Lenya (épouse de Kurt Weill), puis par Marianne Faithfull (à écouter ici : http://www.youtube.com/watch?v=_cxcWcFE0zA)

source : Wikipedia :


POÈMES SUR LA SEINE


10. LA SEINE A RENCONTRÉ PARIS

(début de ce très long poème)


Qui est là

toujours là dans la ville

et qui pourtant sans cesse arrive

et qui pourtant sans cesse s’en va

C’est un fleuve répond un enfant

un devineur de devinettes

Et puis l’œil brillant il ajoute

Et le fleuve s’appelle la Seine

quand la ville s’appelle Paris

et la Seine c’est comme une personne

Des fois elle court elle va très vite

elle presse le pas quand tombe le soir

Des fois au printemps elle s’arrête

et vous regarde comme un miroir

et elle pleure si vous pleurez

ou sourit pour vous consoler

et toujours elle éclate de rire

quand arrive le soleil d’été

[...]


Jacques Prévert (recueil : "Choses et autres")


courts extraits d’autres passages, plus loin, qu’on pourrait considérer comme une suite du précédent :


.La Seine

dit un manœuvre

un homme de peine de rêves de muscles et de sueur

La Seine c’est une usine

La Seine c’est le labeur

[...]


La Seine

c’est un fleuve comme un autre

dit d’une voix désabusée un monsieur correct et blasé

l’un des tout premiers passagers

du grand tout dernier bateau-mouche

touristique et pasteurisé

[...]


.. Et la Seine qui l’entend sourit

et puis s’éloigne en chantonnant

Un fleuve comme un autre comme un autre comme un autre

un cours d’eau comme un autre cours d’eau

d’eau des glaciers et des torrents

et des lacs souterrains et des neiges fondues

des nuages disparus

Un fleuve comme un autre

comme la Durance ou le Guadalquivir

ou l’Amazone ou la Moselle

le Rhin la Tamise ou le Nil

Un fleuve comme le fleuve Amour

comme le fleuve Amour

chante la Seine épanouie

et la nuit la Voix lactée l’accompagne de sa tendre

rumeur dorée

et aussi la voix ferrée de son doux fracas coutumier

[...]


Il était une fois la Seine

il était une fois la vie


Jacques Prévert

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11. Le premier frisson d'hiver

(titre proposé)


Que j'aime le premier frisson d'hiver ! le chaume,

Sous le pied du chasseur, refusant de ployer !

Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,

Au fond du vieux château s'éveille le foyer ;


C'est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l'an dernier,

J'y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,

Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume

(J'entends encore au vent les postillons crier),


Que j'aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine

Sous ses mille falots assise en souveraine !

J'allais revoir l'hiver. Et toi, ma vie, et toi !


Oh ! dans tes longs regards j'allais tremper mon âme

Je saluais tes murs. Car, qui m'eût dit, madame,

Que votre cœur sitôt avait changé pour moi ?


Alfred de Musset ("Premières poésies" - 1829-1835)

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12. La Seine


La Seine...Les pontons s'en vont vers la colline

Qui borne l'horizon d'un profit bleuissant.

Le fleuve tourne au pied du coteau frémissant

De l'Avril qui renait au sein de l'aubépine


Dans le rouge reflet du soleil qui descend,

Monte, noire, fumeuse et vivante, l'usine.

La fumée et le ciel se teintent de sanguine ;

Une maison se dresse et sourit au passant.


Comme de ce vallon monte la vie, et comme

L'oeuvre de la nature et le travail de l'homme

S'unissent, dans un ton de rouille vespéral !


On devine, parmi la paix et le silence,

La chanson des oiseaux qui sortira du val

Pour apporter l'amour à l'humaine souffrance.


Louis Aragon a écrit ce texte en 1915, à l'âge de 18 ans

_ _ _ _ _


13. Paris 42


Une chanson qui dit un mal inguérissable

Plus triste qu’à minuit la place d’Italie

Pareille au point du jour pour la mélancolie

Plus de rêves aux doigts que le marchand de sable

Annonçant le plaisir comme un marchand d’oublies


Une chanson vulgaire et douce où la voix baisse

Comme un amour d’un soir doutant du lendemain

Une chanson qui prend les femmes par la main

Une chanson qu’on dit sous le métro Barbès

Et qui change à l’Etoile et descend à Jasmin


C’est Paris ce théâtre d’ombre que je porte

Mon Paris qu’on ne peut tout à fait m’avoir pris

Pas plus qu’on ne peut prendre à des lèvres leur cri

Que n’aura-t-il fallu pour m’en mettre à la porte

Arrachez-moi le coeur vous y verrez Paris


C’est de ce Paris-là que j’ai fait mes poèmes

Mes mots ont la couleur étrange de ses toits

La gorge des pigeons y roucoule et chatoie

J’ai plus écrit de toi Paris que de moi-même

Et plus que de vieillir souffert d’être sans toi


Qui n’a pas vu le jour se lever sur la Seine

Ignore ce que c’est que ce déchirement

Quant prise sur le fait la nuit qui se dément

Se défend se défait les yeux rouges obscène

Et Notre-Dame sort des eaux comme un aimant


L’aorte du Pont Neuf frémit comme un orchestre

Où j’entends préluder le vin de mes vingt ans

Il souffle un vent ici qui vient des temps d’antan

Mourir dans les cheveux de la statue équestre

La ville comme un coeur s’y ouvre à deux battants


Le vent murmurera mes vers aux terrains vagues

Il frôlera les bancs où nul ne s’est assis

On l’entendra pleurer sur les quais de Passy

Et les ponts répétant la promesse des bagues

S’en iront fiancés aux rimes que voici


Paris s’éveille et moi pour retrouver ses mythes

Qui nous brûlaient le sang dans notre obscurité

Je mettrais dans mes mains mon visage irrité

Que renaisse le chant que les oiseaux imitent

Et qui répond Paris quant on dit liberté.


Louis Aragon («Il ne m'est Paris que d'Elsa», 1964 - réédition Seghers)
Ce texte a été mis en musique par Lino Léonardi et interprété par Monique Morelli, Jacques Marchais et d’autres chanteurs)

_ _ _ _ _


14. Pour Demain

(extrait)


[...]

La Seine au soleil d’avril danse

comme Cécile au premier bal

ou plutôt roule des pépites

vers les ponts de pierre ou les cribles

Charme sûr La ville est le val


Les quais gais comme en carnaval

vont au devant de la lumière

Elle visite les palais

surgit selon ses jeux ou lois

Moi je l’honore à ma manière


[...]


Louis Aragon ("Feu de joie", 1920)

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15. Sur le Pont Neuf j’ai rencontré…


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

D’où sort cette chanson lointaine

D’une péniche mal ancrée

Ou du métro Samaritaine


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Sans chien sans canne sans pancarte

Pitié pour les désespérés

Devant qui la foule s’écarte


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

L’ancienne image de moi-même

Qui n’avait d’yeux que pour pleurer

De bouche que pour le blasphème


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Cette pitoyable apparence

Ce mendiant accaparé

Du seul souci de sa souffrance


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Fumée aujourd’hui comme alors

Celui que je fus à l’orée

Celui que je fus à l’aurore


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Semblance d’avant que je naisse

Cet enfant toujours effaré

Le fantôme de ma jeunesse


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Vingt ans l’empire des mensonges

L’espace d’un miséréré

Ce gamin qui n’était que songes


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Ce jeune homme et ses bras déserts

Ses lèvres de vent dévorées

Disant les airs qui le grisèrent


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Baladin du ciel et du coeur

Son front pur et ses goûts outrés

Dans le cri noir des remorqueurs


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Le joueur qui joua son âme

Comme une colombe égarée

Entre les tours de Notre-Dame


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Ce spectre de moi qui commence

La ville à l’aval est dorée

A l’amont se meurt la romance


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Ce pauvre petit mon pareil

Il m’a sur la Seine montré

Au loin les taches de soleil


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Mon autre au loin ma mascarade

Et dans le jour décoloré

Il m’a dit tout bas Camarade


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Mon double ignorant et crédule

Et je suis longtemps demeuré

Dans ma propre ombre qui recule


Sur le Pont Neuf j’ai rencontré

Assis à l’usure des pierres

Le refrain que j’ai murmuré

Le reve qui fut ma lumière


Aveugle aveugle rencontré

Passant avec tes regards veufs

Ô mon passé désemparé

Sur le Pont Neuf


Louis Aragon ("Il ne m'est Paris que d'Elsa")

Le Pont-Neuf est  le plus ancien pont de Paris, il traverse la Seine à la pointe de l'île de la Cité.

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16. Le Pont Mirabeau


Sous le pont Mirabeau coule la Seine

            Et nos amours

       Faut-il qu'il m'en souvienne

La joie venait toujours après la peine


     Vienne la nuit sonne l'heure

     Les jours s'en vont je demeure


Les mains dans les mains restons face à face

            Tandis que sous

       Le pont de nos bras passe

Des éternels regards l'onde si lasse


     Vienne la nuit sonne l'heure

     Les jours s'en vont je demeure


L'amour s'en va comme cette eau courante

            L'amour s'en va

       Comme la vie est lente

Et comme l'Espérance est violente


     Vienne la nuit sonne l'heure

     Les jours s'en vont je demeure


Passent les jours et passent les semaines

            Ni temps passé

       Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coule la Seine


     Vienne la nuit sonne l'heure

     Les jours s'en vont je demeure


Guillaume Apollinaire (Alcools)

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17. Au pied des tours de Notre-Dame


Au pied des tours de Notre-Dame,

La Seine coule entre les quais.

Ah ! le gai, le muguet coquet !

Qui n'a pas son petit bouquet ?

Allons, fleurissez-vous, mesdames !

Mais c'était toi que j'évoquais

Sur le parvis de Notre-Dame ;

N'y reviendras-tu donc jamais ?

Voici le joli moi de mai...


Je me souviens du bel été,

Des bateaux-mouches sur le fleuve

Et de nos nuits de la Cité.

Hélas ! qu'il vente, grêle ou pleuve,

Ma peine est toujours toute neuve :

Elle chemine à mon côté...


De ma chambre du Quai aux Fleurs,

Je vois s'en aller, sous leurs bâches,

Les chalands aux vives couleurs

Tandis qu'un petit remorqueur

Halète, tire, peine et crache

En remontant, à contre-coeur,

L'eau saumâtre de ma douleur...


Francis Carco

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18. Paris


O Paris, ville ouverte

Ainsi qu'une blessure,

Que n'es-tu devenue

De la campagne verte.


Te voilà regardée

Par des yeux ennemis,

De nouvelles oreilles

Écoutent nos vieux bruits.


La Seine est surveillée

Comme du haut d'un puits

Et ses eaux jour et nuit

Coulent emprisonnées.


Tous les siècles français

Si bien pris dans la pierre

Vont-ils pas nous quitter

Dans leur grande colère ?


L'ombre est lourde de têtes

D'un pays étranger.

Voulant rester secrète

Au milieu du danger


S'éteint quelque merveille

Qui préfère mourir

Pour ne pas nous trahir

En demeurant pareille.


Jules Supervielle ("Poèmes de la France malheureuse")

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19. La Seine était verte à ton bras ...

La Seine était verte à ton bras

Plus loin que le pont Mirabeau sous

les collines comme une respiration

La banlieue nous prisait

J'aurais voulu j'aurais

tant besoin que tu penses du bien

Mais le courage maintenant d'

un cœur comme un prisonnier furieux comme un cœur

chassera du lyrique le remords de soi !

L'allongement du jour nous a privé de jours

Le jusant* de la nuit nous détoure les nuits

Ô mon amour paradoxal ! Nous nous privions de poésie

Mais le courage sera de priver le poème

du goût de rien sur le goût de tout.


Michel Deguy

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20. L'aube à l'envers


Le Point-du-Jour avec Paris au large,

Des chants, des tirs, les femmes qu'on " rêvait ",

La Seine claire et la foule qui fait

Sur ce poème un vague essai de charge.

On danse aussi, car tout est dans la marge

Que fait le fleuve à ce livre parfait,

Et si parfois l'on tuait ou buvait,

Le fleuve est sourd et le vin est litharge.

Le Point-du-Jour, mais c'est l'Ouest de Paris !

Un calembour a béni son histoire

D'affreux baisers et d'immondes paris.

En attendant que sonne l'heure noire

Où les bateaux-omnibus et les trains

Ne partent plus, tirez, tirs, fringuez, reins !


Paul Verlaine

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21. Nocturne parisien


À Edmond Lepelletier.


Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. –

Sur tes ponts qu’environne une vapeur malsaine

Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,

Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.

Mais tu n’en traînes pas, en tes ondes glacées,

Autant que ton aspect m’inspire de pensées !


Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font

Monter le voyageur vers un passé profond,

Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes,

Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.

Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers

Et reflète, les soirs, des boléros légers,

Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive

Où vient faire son kief l’odalisque lascive.

Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour

Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour.

Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,

Berce de rêves doux le sommeil des momies.

Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,

Charrie augustement ses îlots mordorés,

Et soudain, beau d’éclairs, de fracas et de fastes,

Splendidement s’écroule en Niagaras vastes.

L’Eurotas, où l’essaim des cygnes familiers

Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,

Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,

Rhythmique et caressant, chante ainsi qu’un poète.

Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants

Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents

En appareil royal, tandis qu’au loin la foule

Le long des temples va, hurlant, vivante houle,

Au claquement massif des cymbales de bois,

Et qu’accroupi, filant ses notes de hautbois,

Du saut de l’antilope agile attendant l’heure,

Le tigre jaune au dos rayé s’étire et pleure.


– Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,

Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout

D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne

Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne.

Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin

Les passants alourdis de sommeil ou de faim,

Et que le couchant met au ciel des taches rouges,

Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges

Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant

Notre-Dame, songer, cœur et cheveux au vent !

Les nuages, chassés par la brise nocturne,

Courent, cuivreux et roux, dans l’azur taciturne.

Sur la tête d’un roi du portail, le soleil,

Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.

L’Hirondelle s’enfuit à l’approche de l’ombre.

Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre.

Tout bruit s’apaise autour. À peine un vague son

Dit que la ville est là qui chante sa chanson,

Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes ;

Et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes.

– Puis, tout à coup, ainsi qu’un ténor effaré

Lançant dans l’air bruni son cri désespéré,

Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,

Éclate en quelque coin l’orgue de Barbarie :

Il brame un de ces airs, romances ou polkas,

Qu’enfants nous tapotions sur nos harmonicas

Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,

Vibrer l’âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.

C’est écorché, c’est faux, c’est horrible, c’est dur,

Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr ;

Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées ;

Sur une clef de sol impossible juchées,

Les notes ont un rhume et les do sont des la,

Mais qu’importe ! l’on pleure en entendant cela !

Mais l’esprit, transporté dans le pays des rêves,

Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ;

La pitié monte au cœur et les larmes aux yeux,

Et l’on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,

Et dans une harmonie étrange et fantastique

Qui tient de la musique et tient de la plastique,

L’âme, les inondant de lumière et de chant,

Mêle les sons de l’orgue aux rayons du couchant !


– Et puis l’orgue s’éloigne, et puis c’est le silence,

Et la nuit terne arrive et Vénus se balance

Sur une molle nue au fond des cieux obscurs :

On allume les becs de gaz le long des murs.

Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques

Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ;

Et le contemplateur sur le haut garde-fou

Par l’air et par les ans rouillé comme un vieux sou

Se penche, en proie aux vents néfastes de l’abîme.

Pensée, espoir serein, ambition sublime,

Tout, jusqu’au souvenir, tout s’envole, tout fuit,

Et l’on est seul avec Paris, l’Onde et la Nuit !


– Sinistre trinité ! De l’ombre dures portes !

Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes !

Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,

Si terribles, que l’Homme, ivre de la douleur

Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,

L’Homme, espèce d’Oreste à qui manque une Électre,

Sous la fatalité de votre regard creux

Ne peut rien et va droit au précipice affreux ;

Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses

De tuer et d’offrir au grand Ver des épouses

Qu’on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,

Et si l’on craindrait moins périr par les terreurs

Des Ténèbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde,

Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde !


– Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,

Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,

De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres

Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres !


Paul Verlaine («Choix de poésies», Les Cahiers rouges, Grasset)

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22. Paris (titre proposé)
(passage du poème «La pente de la rêverie»)

[...]

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,

Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière

De cet astre de mai dont le rayon charmant

Au bout de tout brin d'herbe allume un diamant !

Je me laissais aller à ces trois harmonies,

Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;

La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil

Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil

Faisait évaporer à la fois sur les grèves

L'eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

[...]


Victor Hugo

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23. J'aime ma maison ... (titre proposé)


"J'aime ma maison où j'ai grandi. De mes fenêtres, je vois la Seine qui coule, le long de mon jardin, derrière la route, presque chez moi, la grande et large Seine, qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux qui passent.


A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale, et pleins de cloches qui sonnent dans l'air bleu des belles matinées, jetant jusqu'à moi leur doux et lointain bourdonnement de fer, leur chant d'airain que la brise m'apporte, tantôt plus fort et tantôt plus affaibli, suivant qu'elle s'éveille ou s'assoupit.


Comme il faisait bon ce matin. Vers onze heures, un long convoi de navires, traînés par un remorqueur, gros comme une mouche, et qui râlait de peine en vomissant une fumée épaisse, défila devant ma grille.


Après deux goélettes anglaises, dont le pavillon rouge ondoyait sur le ciel, venait un superbe trois-mâts brésilien, tout blanc, admirablement propre et luisant. Je le saluai, je ne sais pourquoi, tant ce navire me fit plaisir à voir".


Guy de Maupassant («Le Horla»)

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24. Rouen (titre proposé)

Ils venaient de s'arrêter aux deux tiers de la montée, à un endroit renommé pour la vue, où l'on conduit tous les voyageurs. On dominait l'immense vallée, longue et large, que le fleuve clair parcourait d'un bout à l'autre, avec de grandes ondulations.

On le voyait venir de là-bas, taché par des îles nombreuses et décrivant une courbe avant de traverser Rouen. Puis la ville apparaissait sur la rive droite, un peu noyée dans la brume matinale, avec des éclats de soleil sur ses toits, et ses mille clochers légers, pointus ou trapus, frêles et travaillés comme des bijoux géants, ses tours carrées ou rondes coiffées de couronnes héraldiques, ses beffrois, ses clochetons, tout le peuple gothique des sommets d'églises que dominait la flèche aiguë de la cathédrale [...]


Guy de Maupassant («Bel-ami»)


source principale de ces deux extraits :
http://www.dboc.net/rouen/oc_rouen_citation.php

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25. Devant nous la Seine (titre proposé)


Devant nous la Seine se déroulait, ondulante, semée d'îles, bordée à droite de blanches falaises que couronnait une forêt, à gauche de prairies immenses qu'une autre forêt limitait, là-bas, tout là-bas.

De place en place, des grands navires à l'ancre le long des berges du large fleuve. Trois énormes vapeurs s'en allaient, à la queue leu leu, vers Le Havre ; et un chapelet de bâtiments, formé d'un trois-mâts, de deux goélettes et d'un brick, remontait vers Rouen, traîné par un petit remorqueur vomissant un nuage de fumée noire."


Guy de Maupassant (dans «Un normand», nouvelle publiée dans «Gil Blas» en 1882)
source principale de ce passage :
http://www.sportnat.com/lapouneur/rando/seine/fil/fil.htm

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26. La Seine à Argenteuil (titre proposé)


Comme c'était simple, et bon, et difficile de vivre ainsi, entre le bureau à Paris et la rivière à Argenteuil. Ma grande, ma seule, mon absorbante passion, pendant dix ans, ce fut la Seine. Ah l la belle, calme, variée et puante rivière pleine de mirage et d'immondices. Je l'ai tant aimée; je crois, parce qu'elle m'a donné, me semble-t-il, le sens de la vie. Ah l les promenades le long des berges fleuries, mes amies les grenouilles qui rêvaient, le ventre au frais, sur une feuille de nénuphar, et les lis d'eau coquets et frêles, au milieu des grandes herbes fines qui m'ouvraient soudain, derrière un saule, un feuillet d'album japonais quand le martin-pêcheur fuyait devant moi comme une flamme bleue ! Ai-je aimé tout cela, d'un amour instinctif des yeux qui se répandait dans tout mon corps en une joie naturelle et profonde.


Comme d'autres ont des souvenirs de nuits tendres, j'ai des souvenirs de levers de soleil dans les brumes matinales, flottantes, errantes vapeurs, blanches comme des mortes avant l'aurore, puis, au premier rayon glissant sur les prairies, illuminées de rose à ravir le coeur; et j'ai des souvenirs de lune argentant l'eau frémissante et courante, d'une lueur qui faisait fleurir tous les rêves.


Et tout cela, symbole de l'éternelle illusion, naissait pour moi sur de l'eau croupie qui charriait vers la mer toutes les ordures de Paris.


Guy de Maupassant (dans «Mouche»)

Mouche est une nouvelle de Guy de Maupassant, publiée en 1890 dans L'Écho de Paris(1890), puis dans le recueil "L'Inutile Beauté"sous le titre "Mouche, Souvenir d'un canotier".

L'action se situe à Argenteuil dans le Val-d'Oise.
passage tiré du texte ici :
http://www.per-bast.com/classement/litterature/181-mouche-guy-de-maupassant

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27. La Seine vue par un peintre

"Nous avons été par une journée superbe à Canteleu, un village aux environs de Déville, sur une haute colline, nous avons vu le paysage le plus splendide qu'un peintre puisse rêver, la vue de Rouen dans le lointain avec la seine se déroulant calme comme une glace, des coteaux ensoleillés, des premiers plans splendides, c'était féérique."


Camille Pissaro (dans une lettre à son fils, en octobre 1883)




Pissaro : Le pont Boieldieu à Rouen (1896) - source du texte et de l’image :
http://www.za-gay.org/forum/viewtopic/24625/exposition-une-ville-pour-l-impressionnisme-a-rouen/0/


28. Javert (titre proposé)


Il s'enfonça dans les rues silencieuses. Cependant, il suivait une direction. Il coupa par le plus court vers la Seine, gagna le quai des Ormes, longea le quai, dépassa la Grève, et s'arrêta, à quelque distance du poste de la place du Châtelet, à l'angle du pont Notre-Dame. La Seine fait là, entre le pont Notre-Dame et le Pont au Change d'une part, et d'autre part entre le quai de la Mégisserie et le quai aux Fleurs, une sorte de lac carré traversé par un rapide.


Victor Hugo ("Les Misérables")

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29. C’est un petit village ...

(titre proposé pour ce passage)


C’est un petit village, ou plutôt un hameau,

Bâti sur le penchant d’un long rang de collines,

D’où l’œil s’égare au loin dans les plaines voisines.

La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,

Voit du sein de ses eaux vingt îles s’élever,

Qui, partageant son cours en diverses manières,

D’une rivière seule y forment vingt rivières.

Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,

Et de noyers souvent du passant insultés.

Le village au-dessus forme un amphithéâtre :

L’habitant ne connaît ni la chaux ni le plâtre ;

Et dans le roc, qui cède et se coupe aisément,

Chacun sait de sa main creuser son logement.


Nicolas Boileau, Épitre VI («Épitres», 1677)

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30. La Seine de Paris


De ceux qui préférant à leurs regrets les fleuves

et à leurs souvenirs les profonds monuments

aiment l'eau qui descend au partage des villes,

la Seine de Paris me sait le plus fidèle

à ses quais adoucis de livres. Pas un souffle

qui ne vienne vaincu par les mains des remous

sans me trouver prêt à le prendre et à relire

dans ses cheveux le chant des montagnes, pas un

silence dans les nuits d'été où je ne glisse

comme une feuille entre l'air et le flot, pas une aile

blanche d'oiseau remontant de la mer

ne longe le soleil sans m'arracher d'un cri

strident à ma pesanteur monotone! Les piliers

sont lourds après le pas inutile et je plonge

par eux jusqu'à la terre et quand

je remonte et ruisselle et m'ébroue,

j'invoque un dieu qui regarde aux fenêtres

et brille de plaisir dans les vitres caché.

Protégé par ses feux je lutte de vitesse

en moi-même avec l'eau qui ne veut pas attendre

et du fardeau des bruits de pas et de voitures

et de marteaux sur des tringles et de voix

tant de rapidité me délivre ... Les quais

et les tours sont déjà loin lorsque soudain

je les retrouve, recouvrant comme les siècles,

avec autant d'amour et de terreur, vague après vague,

méandres de l'esprit la courbe de mon fleuve.


Jean Tardieu («Le Témoin invisible», 1943)

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31.  Là-bas, sur un coteau crayeux


Là-bas, sur un coteau crayeux, une charrue

Gravite, en grimaçant de l’âge et de l’essieu.

Les avoines d’hiver commencent à pointer;

Les canards migrateurs traversent la vallée;

Ils nicheront, ce soir, aux méandres du fleuve;

La marée affluera dans les roseaux des berges;

Honfleur, brulôt éteint, luira, crépusculaire;

Puis jaillira l’aurore...; âpre, la haute mer

Fera chanter le jour dans les agrès du bac;

Alors les ramasseurs de pommes par les cours

Élèveront des feux lents sur les côtes bleues;

Ils rosiront leurs doigts à la flamme; l’espace

Dilatera le ciel dont strient l’azur les boats.

Ah ! mon cœur tout changeant, tout retrait, pose-toi

Sur mes jours, comme ces mouettes sur le fleuve...

Je ne crains ni le soir, ni sa brume océane;

Je voudrais, au contraire, en la nuit me répandre,

Devenir cette baie où la Seine s’achève,

Couler, mon cœur, dormir sur le flux de mes rêves,

Comme vont ces oiseaux, en l’étendue amère,

Se laisser, jusqu’à l’aube glacée, bercer par

La palpitation profuse de la mer.


André Druelle («Florilège poétique» - L’Amitié par le Livre)

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32. Le rêve du poète


Ce serait sur les bords de la Seine. Je vois

Notre chalet, voilé par un bouquet de bois.

Un hamac au jardin, un bateau sur le fleuve.

Pas d'autre compagnon qu'un chien de Terre-Neuve

Qu'elle aimerait et dont je serais bien jaloux.

Des faïences à fleurs pendraient après des clous ;

Puis beaucoup de chapeaux de paille et des ombrelles.

Sous leurs papiers chinois les murs seraient si frêles

Que même, en travaillant à travers la cloison

Je l'entendrais toujours errer par la maison

Et traîner dans l'étroit escalier sa pantoufle.

Les miroirs de ma chambre auraient senti son souffle

Et souvent réfléchi son visage, charmés.

Elle aurait effleuré tout de ses doigts aimés.

Et ces bruits, ces reflets, ces parfums, venant d'elle,

Ne me permettraient pas d'être une heure infidèle.

Enfin, quand, poursuivant un vers capricieux,

Je serais là, pensif et la main sur les yeux,

Elle viendrait, sachant pourtant que c'est un crime,

Pour lire mon poème et me souffler ma rime,

Derrière moi, sans bruit, sur la pointe des pieds.

Moi, qui ne veux pas voir mes secrets épiés,

Je me retournerais avec un air farouche ;

Mais son gentil baiser me fermerait la bouche.

- Et dans les bois voisins, inondés de rayons,

Précédés du gros chien, nous nous promènerions,

Moi, vêtu de coutil, elle, en toilette blanche,

Et j'envelopperais sa taille, et sous sa manche

Ma main caresserait la rondeur de son bras.

On ferait des bouquets, et, quand nous serions las

On rejoindrait, toujours suivis du chien qui jappe,

La table mise, avec des roses sur la nappe,

Près du bosquet criblé par le soleil couchant ;

Et, tout en s'envoyant des baisers en mangeant,

Tout en s'interrompant pour se dire : Je t'aime !

On assaisonnerait des fraises à la crème,

Et l'on bavarderait comme des étourdis

Jusqu'à ce que la nuit descende...


- O Paradis !


François Coppée («Promenades et Intérieurs»)

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33. Valvins

sonnet


Si tu veux dénouer la forêt qui t'aère

Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es

Dans la fluide yole*, à jamais littéraire,

Traînant quelques soleils ardemment situés


Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse

Émue, ou pressentant l'après-midi chanté,

Selon que le grand bois trempe une longue tresse,

Et mélange ta voile au meilleur de l'été.


Mais toujours près de toi que le silence livre

Aux cris multipliés de tout le brut azur,

L'ombre de quelque page éparse d'aucun livre


Tremble, reflet de voile vagabonde sur

La poudreuse peau de la rivière verte

Parmi le long regard de la Seine entr'ouverte.


Paul Valéry ("Album de vers anciens", Paris, Les Cahiers des Amis des livres, 1920)
* Une yole est un genre de barque rapide, légère et étroite, en général à rames ou à aviron mais parfois à voile.
Valvins, en bord de Seine, est un village proche de Fontainebleau où Mallarmé avait une maison de campagne. Il y pratiquait la yole*.
Ce poème de Paul Valéry lui est adressé



 

L'aurore grelottante en robe rose et verte

S'avançait lentement sur la Seine déserte,

Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,

Empoignait ses outils, vieillard laborieux ...


Baudelaire (Le crépuscule du matin)

La Seine est surveillée

Comme du haut d'un puits

Et ses eaux jour et nuit

Coulent emprisonnées.


Jules Supervielle

... le fleuve arrondissait sa courbe au pied des collines vertes, et les îles, de forme oblongue, semblaient sur l'eau de grands poissons noirs arrêtés ... (la Seine à Rouen)

Gustave Flaubert («Madame Bovary»)

J’ai le mal de la Seine

Qui écoute mes peines ...

Mouloudji

Le ciel était blanc sur la Seine assise entre ses grues, comme entre ses jouets une enfant triste.

Françoise Sagan («Un certain sourire»)

L’eau est une flamme mouillée ...

Novalis

Si je meurs ici, qu'on m'emporte

Près de la Seine au ciel léger,

J'aurai peur de n'être pas morte

Si je dors sous des orangers...


Anna de Noailles ("Les vivants et les morts")

Qu'il fait bon regarder la Seine lente et noire

En silence rouler sous les vieux ponts sa moire,

Et les reflets tremblants des feux traîner sur l'eau

Comme les pleurs d'argent sur le drap d'un tombeau !

René-François Sully Prudhomme

La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil

Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil

Faisait évaporer à la fois sur les grèves

L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves.


Victor Hugo

quelques images et reflets sonores de l’eau qui court

La source en corbeille

Dédie à l’abeille

Son jeu de cristal.


Gilbert Sore

Le ruisseau traîne un psaume en l’orgue des roseaux.

Paul Fort

Il perd un jardin par semaine

Mon p'tit coin là-bas près d'la Seine

Jean Ferrat

Loire fameux, qui, ta petite source,
Enfles de maints gros fleuves et ruisseaux,
Et qui de loin coules tes claires eaux
En l'Océan d'une assez vive course ...

Joachim du Bellay

La rivière

change

de

déshabillé

avec

chaque

tournant


Malcolm de Chazal

(extrait de "Sens magique")

D’AUTRES EAUX COURANTES


  1. 34.Au bord de l’eau - René-François Sully-Prudhomme

  2. 35.Sur l’eau - René-François Sully-Prudhomme

  3. 36.Le bateau ivre - Arthur Rimbaud

  4. 37.Le Fleuve - Albert Samain

  5. 38.Le fleuve - Charles Cros

  6. 39.Le miroir - Michel Deguy

  7. 40.Mississipi - Blaise Cendrars

  8. 41.Le murmure du fleuve - Marcel Marchandeau

  9. 42.Si j’étais gabarre ou chaland - Jean de la Ville de Mirmont

  10. 43.La Sorgue - René Char

  11. 44.La rivière endormie - Claude Roy

  12. 45.Été : les truites - Maurice Fombeure

  13. 46.Que tu es simple et claire - Charles Van Lerberghe

  14. 47.Le ruisseau - Jacques Prévert

  15. 48.La Loire au plus près - Claudia Adrover

  16. 49.Printemps kurde - Nicolas Bouvier

  17. 50.Les rivières claires - Robert Desnos

  18. 51.Bièvre - Victor Hugo

  19. 52.Memento (ou La Bièvre) - Jean Moréas

  20. 53.Les bords de Marne - Anna de Noailles

  21. 54.Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant - Annie Salager

  22. 55.Tu cours superbe, ô Rhône, florissant - Maurice Scève

  23. 56.L'ombre des arbres dans la rivière embrumée - Paul Verlaine

  24. 57.Au fleuve  -  André Fontainas

  25. 58.Les ziaux -  Raymond Queneau


TEXTE  EN PROSE


  1. 59.L'Èvre - Julien Gracq


TEXTE  EN MARGE


  1. 60.Une pleine eau - Maurice Mac-Nab




Dans certains textes, les passages qui semblent les plus adaptés
pour le collège ont été mis en bleu

D’AUTRES EAUX COURANTES


34. Au bord de l'eau


S'asseoir tous deux au bord d'un flot qui passe ,

Le voir passer ;

Tous deux , s'il glisse un nuage en l'espace ,

Le voir glisser ;

A l'horizon , s'il fume un toit de chaume ,

Le voir fumer ;

Aux alentours , si quelque fleur embaume ,

S'en embaumer ;

Si quelque fruit , où les abeilles goûtent ,

Tente , y goûter ;

Si quelque oiseau , dans les bois qui l'écoutent ,

Chante , écouter...

Entendre au pied du saule où l'eau murmure

L'eau murmurer ;

Ne pas sentir , tant que ce rêve dure ,

Le temps durer ;

Mais n'apportant de passion profonde

Qu'à s'adorer ,

Sans nul souci des querelles du monde ,

Les ignorer ;

Et seuls , heureux devant tout ce qui lasse ,

Sans se lasser ,

Sentir l'amour , devant tout ce qui passe ,

Ne point passer !


René-François Sully-Prudhomme  («Poésies 1872-1878», éditions Alphonse Lemerre)

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35.  Sur l’eau

(sonnet)

Je n’entends que le bruit de la rive et de l’eau,

Le chagrin résigné d’une source qui pleure

Ou d’un rocher qui verse une larme par heure,

Et le vague frisson des feuilles de bouleau.

 

Je ne sens pas le fleuve entraîner le bateau,

Mais c’est le bord fleuri qui passe, et je demeure ;

Et dans le flot profond, que de mes yeux j’effleure,

Le ciel bleu renversé tremble comme un rideau.

 

On dirait que cette onde en sommeillant serpente,

Oscille, et ne sait plus le côté de la pente :

Une fleur qu’on y pose hésite à le choisir.

 

Et, comme cette fleur, tout ce que l’homme envie

Peut se venir poser sur le flot de ma vie,

Sans désormais m’apprendre où penche mon désir.


René-François Sully-Prudhomme  («Poésies 1872-1878», éditions Alphonse Lemerre)

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36. Le bateau ivre


Comme je descendais des Fleuves impassibles,

Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :

Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,

Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.


J’étais insoucieux de tous les équipages,

Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.

Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,

Les Fleuves m’ont laissé descendre où je voulais.


Dans les clapotements furieux des marées,

Moi, l’autre hiver, plus sourd que les cerveaux d’enfants,

Je courus ! Et les Péninsules démarrées

N’ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.


La tempête a béni mes éveils maritimes.

Plus léger qu’un bouchon j’ai dansé sur les flots

Qu’on appelle rouleurs éternels de victimes,

Dix nuits, sans regretter l’oeil niais des falots !


Plus douce qu’aux enfants la chair des pommes sûres,

L’eau verte pénétra ma coque de sapin

Et des taches de vins bleus et des vomissures

Me lava, dispersant gouvernail et grappin.


Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème

De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,

Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême

Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;


Où, teignant tout à coup les bleuités, délires

Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,

Plus fortes que l’alcool, plus vastes que nos lyres,

Fermentent les rousseurs amères de l’amour !


Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes

Et les ressacs et les courants : je sais le soir,

L’Aube exaltée ainsi qu’un peuple de colombes,

Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !


J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,

Illuminant de longs figements violets,

Pareils à des acteurs de drames très antiques

Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !


J’ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,

Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,

La circulation des sèves inouïes,

Et l’éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !


J’ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries

Hystériques, la houle à l’assaut des récifs,

Sans songer que les pieds lumineux des Maries

Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !


J’ai heurté, savez-vous, d’incroyables Florides

Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux

D’hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides

Sous l’horizon des mers, à de glauques troupeaux !


J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses

Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !

Des écroulements d’eaux au milieu des bonaces,

Et les lointains vers les gouffres cataractant !


Glaciers, soleils d’argent, flots nacreux, cieux de braises !

Échouages hideux au fond des golfes bruns

Où les serpents géants dévorés des punaises

Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !


J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades

Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants.

- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades

Et d’ineffables vents m’ont ailé par instants.


Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,

La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux

Montait vers moi ses fleurs d’ombre aux ventouses jaunes

Et je restais, ainsi qu’une femme à genoux …


Presque île, ballottant sur mes bords les querelles

Et les fientes d’oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.

Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles

Des noyés descendaient dormir, à reculons !


Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,

Jeté par l’ouragan dans l’éther sans oiseau,

Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses

N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau ;


Libre, fumant, monté de brumes violettes,

Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur

Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,

Des lichens de soleil et des morves d’azur ;


Qui courais, taché de lunules électriques,

Planche folle, escorté des hippocampes noirs,

Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques

Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;


Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues

Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,

Fileur éternel des immobilités bleues,

Je regrette l’Europe aux anciens parapets !


J’ai vu des archipels sidéraux ! et des îles

Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :

- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t’exiles,

Million d’oiseaux d’or, ô future Vigueur ?


Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.

Toute lune est atroce et tout soleil amer :

L’âcre amour m’a gonflé de torpeurs enivrantes.

Ô que ma quille éclate ! Ô que j’aille à la mer !


Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de mai.


Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,

Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,

Ni traverser l’orgueil des drapeaux et des flammes,

Ni nager sous les yeux horribles des pontons.


Arthur Rimbaud, 1871 (" Poésies")

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Deux textes-fleuves :

Comme une épopée tumultueuse et passionnée, la vie d’un fleuve, de la source à l’embouchure, de la «naissance» la «mort», vue, imaginée par deux poètes aux styles ici comparables.
On peut en proposer des passages aux grandes classes, une lecture ou une simple écoute ...


37. Le Fleuve


Conçu dans l’ombre aux flancs augustes de la Terre,

Le Fleuve prend sa vie aux sources du mystère.

Il est le fils des monts déserts et des glaciers ;

Et les vieux rocs pensifs, farouches nourriciers

Du limpide cristal distillé par la voûte,

Dans l’ombre, de longs jours l’abreuvent goutte à goutte,

L’écoutent gazouiller dans son lit de cailloux,

Si faible encore, avec un murmure très doux,

Et suivent, attendris, ses limpides manèges

Parmi la radieuse innocence des neiges.

Tel il grandit, gardé par l’antre paternel,

Pur de la pureté des glaces - près du ciel.


Mais déjà, frémissant de conquérir l’espace,

Il s’élance, et ruisseau turbulent et vorace,

Emporte en bouillonnant dans ses flots confondus

Des herbes, des rochers et des sapins tordus ;

Puis, torrent blanc d’écume, il déserte les cimes ;

Jaloux de l’avalanche, il se rue aux abîmes,

Et sur les rocs fumants, ivre et précipité,

S’écrase et tombe en des cascades de clarté !


Au fond des ravins noirs sa fureur s’est éteinte.

Il respire à présent, car la plaine est atteinte,

La plaine pacifique aux horizons d’épis.

Il promène, étalé, de longs jours assoupis

Parmi les terrains roux, les vergers, les pâtures,

Le décor symétrique et calme des cultures,

Et coule monotone et pareil aux boeufs lents

Attelés sur la route aux chars de foin tremblants.

Le rire de l’Été rayonne sur ses berges.

Des troupeaux çà et là boivent à ses flots vierges ;

Il rencontre, en passant, des villages, des bourgs ;

Maints châteaux dans ses eaux claires mirent leurs tours

Et, charmant, il s’attarde, il serpente, il chatoie,

Une frange de fleurs à sa robe de soie.


Pourtant il reste en lui des flammes du passé ;

Et, parfois, quand l’Hiver plus fort l’a terrassé,

Comme un taureau qu’on couche en pesant sur ses cornes,

Tout à coup, s’échappant, crevant les glaçons mornes,

Balayant l’horizon, brisant tout, tordant tout,

Faisant sauter les ponts de pierre d’un seul coup

- Car l’âme des fléaux géants est dans son âme -

Il arrive comme le vent, comme la flamme !

Et les peuples, béants d’horreur sur les coteaux,

Écoutent dans la nuit passer ses grandes eaux,

Jusqu’au jour où, lion fatigué de ravages,

Il retourne à pas lents dormir sur ses rivages,

Et reprend, souriant sous l’azur attiédi,

Le rêve nonchalant de ses après-midi.


Cependant il s’étend. Ses eaux autoritaires

Rançonnent durement les ruisseaux tributaires,

Et riche de ses flots par des flots augmentés,

Il marche comme un roi vainqueur vers les cités.

Chargé d’orgueil, au loin, sur les plaines fertiles,

Il regarde traîner son manteau semé d’îles,

Et, superbe, à plaisir prodiguant les détours,

S’avance vers la ville aux immenses faubourgs

Où, plein de majesté, comme les patriarches,

Il entre, glorieux, sous la splendeur des arches !


La Ville avec orgueil, du haut des grands quais blancs

Regarde s’avancer ses flots nobles et lents.

Les vieux palais bâtis par les races lointaines

Suspendent sur ses eaux leurs terrasses hautaines.

Les rêveurs éblouis vont voir, les soirs vermeils,

Sur ses flots somptueux descendre les soleils ;

Et la nuit jette au fond de ses ondes funèbres

Des secrets qu’il emporte à Dieu dans les ténèbres.

Un peuple de bateaux le sillonnent sans fin.

Il apporte le blé, le fer, le bois, le vin,

Et fait sur son chemin bénir ses eaux royales

Par les grands bras levés des saintes cathédrales !

Il est religieux, sacré, fécond, puissant,

Et coule au coeur des nations comme le sang.

L’horizon s’élargit, respectueux ; la Terre,

Orgueilleuse de lui, comme une bonne mère,

Le salue au passage avec ses bois, ses champs,

Ses vignes, ses moissons et ses jardins penchants.

L’âge l’a couronné de sagesse ; il respire

La brise parfumée aux fleurs de son empire,

Et revêtu de force et de sérénité

Marche tout plein déjà de sa divinité.


Triomphateur altier consacré par l’histoire,

Charriant sous maint pont sonore un flot de gloire,

Il va de plus en plus magnifique et profond.

Déjà de hauts vaisseaux apparaissent qui font

Palpiter sur ses eaux des gonflements de voiles.

Chaque nuit sa splendeur réfléchit plus d’étoiles.

Le vent lointain qui vient d’horizons ignorés

Soulève vers le soir ses cheveux azurés.


L’Océan ! L’Océan ! ... Déjà vers sa narine

Monte en souffle puissant la grande odeur marine.

Il tressaille, il s’émeut ; déjà de sourds reflux

Troublent obscurément ses flots irrésolus.

Il a compris ; là-bas l’attend l’ultime épreuve.

Au fils des monts altiers, roi des plaines, au Fleuve,

La mort dresse là-bas le lit universel,

Brodé d’écume blanche et parfumé de sel.


Alors multipliant ses ondes épandues,

Superbe, débordant au loin les étendues,

Il étreint l’horizon immense peu à peu

De l’attendrissement d’un magnifique adieu ;

Puis, enlacé déjà par l’Épouse fatale,

Dans un effort suprême, il grandit, il s’étale

Et, pareil à la mer, qu’inonde un couchant d’or,

Il entre dans l’orgueil sublime de sa mort.


Albert Samain, 1889

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38. Le fleuve

À Monsieur Ernest Legouvé

De ce très long texte on a découpé en bleu les passages parfois proposés en classe et  dont chacun pourrait, isolé ou avec un rappel à l’ensemble, constituer un poème à part entière


Ravi des souvenirs clairs de l'eau dont s'abreuve

La terre, j'ai conçu cette chanson du Fleuve.


Derrière l'horizon sans fin, plus loin, plus loin

Les montagnes, sur leurs sommets que nul témoin

N'a vus, condensent l'eau que le vent leur envoie.

D'où le glacier, sans cesse accru, mais qui se broie

Par la base et qui fond en rongeant le roc dur.

Plus bas, non loin des verts sapins, le rire pur

Des sources court parmi les mousses irisées

Et sur le sable fin pris aux roches usées.

Du ravin de là-bas sort un autre courant,

Et mille encore. Ainsi se grossit le torrent

Qui descend vers la plaine et commence le Fleuve.


Mais l'eau court trop brutale et d'une ardeur trop neuve

Pour féconder le sol. Sur ces bords déchirés,

Aubépines, lavande et thym, genêts dorés

Trouvent seuls un abri dans les fentes des pierres.

Voici que le torrent heurte en bas les barrières

De sable et de rochers par lui-même traînés.

C'est la plaine. Il s'y perd en chemins détournés

Qui calment sa fureur. Et quelques petits arbres

Suivent l'eau qui bruit sur les grès et les marbres.

Ces collines, derniers remous des monts géants,

Flots figés du granit coulant en océans,

Ces coteaux, maintenant verts, se jaspent de taches

Blanches et rousses qui marchent. Ce sont les vaches

Ou, plus près, le petit bétail. Le tintement

Des clochettes se mêle au murmure endormant

De l'eau.


Les peupliers pointus aiment les rives

Plates. Voici déjà que leurs files passives

Escortent çà et là le Fleuve calme et fort.


Les champs sont possédés par les puissants. Au bord

Ceux qui n'ont pas l'espoir des moissons vont en foule

Attendre l'imprévu qu'apporte l'eau qui coule :

Paillettes d'or, saphirs, diamants et rubis,

Que les roches, après tant d'orages subis,

Abandonnent du fond de leur masse minée,

Sous l'influx caressant de l'eau froide, obstinée.

Que de sable lavé, que de rêves promis,

Pour qu'un peu d'or, enfin, reste au fond du tamis !

Prends ton bâton, chercheur ! La ville n'est pas proche,

Et d'obliques regards ont pesé ta sacoche.


D'autres, durs au travail sèment en rond les plombs

Des grands filets ; l'argent frétillant des poissons

Gonfle la trame grise, apportant l'odeur fraîche

Et fade qui s'attache aux engins de la pêche.

Mais le gain est précaire, et plus d'un écumeur

Descend, cadavre enflé, dans le flot endormeur.


Le fleuve emporte tout, d'ailleurs. Car de sa hache

Le bûcheron, tondeur des montagnes, arrache

Les sapins des hauteurs, qu'il confie au courant ;

Et, plus bas, la scierie industrieuse prend

Ces arbres, et, le Fleuve étant complice encore,

Les dépèce, malgré leur révolte sonore.


Puis la plaine avec ses moissons, puis les hameaux

D'où viennent s'abreuver, au bord, les animaux :

Bœufs, chevaux ; tandis qu'en amont, les lavandières

Font claquer leurs battoirs sur le linge et les pierres.

Ou bien plongent leurs bras nacrés dans l'eau qui court,

Et, montrant leurs pieds nus, le jupon troussé court,

Chantent une chanson où le roi les épouse.

Chanson, pieds nus, bras blancs, font que ce gars en blouse

Distrait, laisse aller seul son cheval fatigué,

Fumant, poitrail dans l'eau, par les courbes du gué.


Ces feuillages, en plein courant, couvrent quelqu'île

Qu'on voudrait posséder, pour y rêver tranquille.


Puis des collines à carreaux irréguliers,

Des petits bois ; plus près de l'eau, les peupliers

Et les saules. Le Fleuve élargi, moins rapide,

S'emplit de nénuphars, de joncs. Dans l'or fluide

Du soir, les moucherons valsent.

Mais, rapprochés,

Maintenant les coteaux s'élèvent. Des rochers

Interrompent souvent les cultures en pente.

Tout le pays pierreux, où le Fleuve serpente

Nourrit, pauvre et moussu, la ronce et le bandit.

Le courant étranglé dans les ravins, bondit

Sur les roches, ou bien dort dans les trous qu'il creuse.


Mais l'eau n'interrompt pas sa course aventureuse

Malgré tant de travaux et de sommeils. Voici

La brèche ouverte sur l'horizon obscurci

Par la poussière d'eau. Le lit de pierre plate

Finit brusque, et le flot, pesante nappe, éclate

En un rugissement perpétuel. En bas,

Les rocs éparpillés comme après des combats

De titans, brisent l'eau sur leurs arêtes dures.

Au loin, tout est mouillé. L'audace des verdures

Plantureuses encadre et rompt souvent l'éclat

De la chute écumeuse.


Ici le pays plat

Étale encor ses prés, ses moissons. Des rivières,

Venant on ne sait d'où, capricieuses, fières

Courent les champs, croyant qu'elles vivront toujours

Dans la parure en fleur de leur jeune parcours.

Mais le Fleuve vainqueur les arrête au passage,

Et fait taire ce rire en son cours vaste et sage.


Aux rives les hameaux se succèdent pareils.


Puis, voici l'industrie aux discordants réveils.

Les rossignols, troublés par le bruit et la suie

Des usines, s'en vont vers les bois frais qu'essuie

La pluie et qu'au matin parfume le muguet.

Le soleil luit toujours ; mais l'homme fait le guet.

Voilà qu'il a bâti des quais et des écluses ;

Et les saules cendrés, méfiants de ces ruses,

Et les peupliers fiers ne vont pas jusque-là.

Ces coteaux profanés, d'où le loup s'en alla,

S'incrustent de maisons blanches et de fabriques

Qui dressent gravement leurs hauts tuyaux de briques.


Sur le Fleuve tranquille, égayant le tableau,

Les jeunes hommes, forts et beaux, qui domptent l'eau,

Oublieux, en ramant, de l'intrigue servile,

S'en vont, joyeux, avec des femmes.


C'est la ville,

La ville immense avec ses cris hospitaliers,

L'eau coule entre les quais corrects. Des escaliers

Mènent aux profondeurs glauques du suicide.

À la paroi moussue un gros anneau s'oxyde,

Pour celui qui se noie inaccessible espoir.


Ligne capricieuse et noire sur le soir

Verdâtre, les maisons, les palais en étages

Se constellent. Au port, les ventes, les courtages

Sont finis. Le jour baisse, et les chauves-souris

Voltigent lourdement, poussant des petits cris.

Ces vieux quais oubliés sur leurs pierres disjointes

Supportent des maisons grises aux toits en pointes.

Là, sèchent des chiffons que de leurs maigres bras

Les femmes pauvres ont rincés. En bas, des rats.

Le flot profond, serré par les piles massives

Du pont, court plus féroce, et les pierres passives

Se laissent émietter par l'eau, tranquillement.

On voit s'allumer moins d'astres au firmament

Que de lumières sur les quais et dans les rues

Pleines du bruit des voix, des bals gais, parcourues

Par les voitures.

Seul, le Fleuve ne rit pas

Sous les chalands ventrus et lourds. D'ailleurs, en bas,

L'égout vomit l'eau noire aux affreuses écumes,

Roulant des vieux souliers, des débris de légumes,

Des chiens, des chats pourris qu'emmène le courant,

Souillure sans effet dans le Fleuve si grand

Dont la lune, œil d'argent, paillette la surface.

Mais, qu'importe la vie humaine à l'eau qui passe,

Les ordures, la foule immense et les bals gais ?

L'eau ne s'attarde pas à ces choses.

Les gués

Sont rompus, maintenant, en aval de la ville.

L'homme a dragué le lit du Fleuve, plus docile

Depuis qu'il est si large et si profond.

La mer

Aux bateaux goudronnés laisse un parfum amer

Qui parle des pays lointains où le vent mène.

Le Fleuve, insoucieux de l'industrie humaine,

Continue à travers la campagne. La nuit

S'avance triomphante et constellée, au bruit

Des feuilles que l'air frais emperle de rosée.

Puis, au matin, encore une ville posée

Dans la plaine, bijou de perle sur velours

Vert, dont tous ces coteaux imitent les plis lourds ;

Des fermes aux grands toits, bas et moussus, tapies

Au bord des prés sans fin où voltigent les pies,

Richesses qu'à mi-voix ce paysan pensif

Évalue en fouettant son vieux mulet poussif.


Le Fleuve s'élargit toujours, tant, que les rives

Perdent vers l'horizon leurs lignes fugitives.

Les coteaux abaissés, le ciel agité, l'air

Murmurant et salé, proclament que la mer

Est là, terme implacable à la folle équipée

De l'eau, qui vers le ciel chaud s'était échappée.

La mer demande tout fantasque, et puis, parfois

Refuse les tributs du Fleuve, limon, bois,

Cadavres, rocs brisés, qu'aux montagnes lointaines,

Aux terres grasses, aux hameaux, aux vastes plaines,

Il a volé, voulant rassasier la mer.

Et tout s'entasse, obstacle au Fleuve. L'homme fier

Trouve ici les débris distincts de chaque année,

Aux temps obscurs où sa race n'était pas née.


Tout le pays est gai. De loin le chant des coqs

Fend la brume. Voici les bassins et les docks,

Les cris des cabestans, les barques amarrées

D'où mille portefaix enlèvent les denrées,

Ballots, tonneaux, métaux en barres, tas de blés.

Aux cabarets fumeux, les marins attablés

Se menacent, avec des jurons exotiques.

On trouve tous les fruits lointains dans les boutiques.


L'eau du Fleuve s'arrête, un peu troublée, avant

De se perdre, innommée, en l'infini mouvant.


C'est comme une bataille en ligne régulière :

Escadrons au galop, soulevant la poussière,

Les vagues de la mer arrivent à grands bruits,

Blanches d'écume, ayant des airs vainqueurs, et puis

S'en retournent, efforts que le Fleuve repousse

Avec ses petits flots audacieux d'eau douce.

La mer fuit, mais emporte et disperse à jamais,

Rang par rang, tous ces flots, fils des lointains sommets.


Muse hautaine. Muse aux yeux clairs, sois bénie !

Malgré tes longs dédains, ma chanson est finie ;

Car tu m'as consolé de tous les bruits railleurs ;

Tu m'as montré, parmi mes souvenirs meilleurs,

Des lueurs pour teinter l'eau qui court et gazouille,

L'eau fraîche où, vers le soir, l'hirondelle se mouille.

Et j'ai suivi ses flots jusqu'à la grande mer.


Qu'on se lise entre amis ce chant tranquille et fier,

Dans les moments de fièvre et dans les jours d'épreuve,

Qu'on endorme son cœur aux murmures du Fleuve.


Charles Cros

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39. Le miroir


Ville aveuglée à moins que ne la montre

À soi une rivière

Elle tire partage de l'eau

Et s'assied chez soi sur les berges

Un côté garde l'autre ils s'opposent et se voient

La rive se reflète en l'autre

Et chacune soi-même en le fleuve

Lui la dédouble et ainsi la redouble

Et permet qu'elle se connaisse


Michel Deguy («Poèmes de la Presqu’île», 1962 - Gallimard)

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40. Mississipi


À cet endroit le fleuve est presque aussi large qu'un lac

Il roule des eaux jaunâtres et boueuses

entre deux berges marécageuses

Plantes aquatiques que continuent les acréages des cotonniers

Ça et là apparaissent les villes et les villages tapis au fond de quelque petite baie avec leurs usines

avec leurs hautes cheminées noires

avec leurs longues estacades qui s'avancent

eurs longues estacades sur pilotis

qui s'avancent bien avant dans l'eau


Chaleur accablante

La cloche du bord sonne pour le lunch

Les passagers arborent des complets à carreaux

des cravates hurlantes des gilets rutilants

comme les cocktails incendiaires et les sauces corrosives


On aperçoit beaucoup de crocodiles

Les jeunes alertes et frétillants

Les gros le dos recouvert d'une mousse verdâtre

se laissent aller à la dérive


La végétation luxuriante

annonce l'approche de la zone tropicale

Bambous géants palmiers tulipiers lauriers cèdres

Le fleuve lui-même a doublé de largeur

Il est tout parsemé d'îlots flottants d'où

l'approche du bateau fait s'élever

des nuées d'oiseaux aquatiques

Steam-boats voiliers chalands embarcations de toutes sortes et

d'immenses trains de bois

Une vapeur jaune monte des eaux surchauffées du fleuve


C'est par centaines maintenant

que les crocos s'ébattent autour de nous

On entend le claquement sec de leurs mâchoires

et l'on distingue très bien leur petit œil féroce

Les passagers s'amusent à leur tirer dessus

avec des carabines de précision

Quand un tireur émérite réussit ce tour de force

de tuer ou de blesser une bête à mort

Ses congénères se précipitent sur elle la déchirent

Férocement

Avec des petits cris assez semblables

au vagissement d'un nouveau-né


Blaise Cendrars («Fleuve», 1947, éditions Denoël)

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41. Le murmure du fleuve


Oh ! les matins d’été près du fleuve, où l’on rêve

Dans l’herbe, ou comme nous, repose le soleil,

Quand l’onde passe, lente, et murmure sans trêve,

Emportant des reflets de feuilles et de ciel ...

Oh ! le miroir tremblant où se penchent les arbres,

Le désir de s’étendre en l’eau et d’y rester,

De s’assoupir afin de longuement songer.


Il semble qu’on serait alors tout à fait calme,

Qu’on ne penserait plus à rien et qu’on irait

— Ainsi que ces esquifs de bois ou de papier

Que jettent les petits enfants au bord du sable —

Qu’on irait on ne sait bien où ... très loin ... peut-être

Dans quelque ville heureuse où les gens seraient beaux,

Ou sous des arbres noirs, au creux des forêts vierges,

Écoutant murmurer à nos oreilles l’eau.


Car, c’est surtout le chant du fleuve qui nous trouble,

Le murmure éternel qui s’apaise et renaît,

Qui s’éloigne parfois avec le flot qui roule,

Mais qui ne cesse pas quand le flot disparaît ;

Le murmure qui vient, le murmure qui passe

Avec l’onde, et revient pour repartir encor,

Et doucement, ainsi qu’au doigt un anneau d’or,

Glisse sur notre esprit, le caresse et l’enlace ...


Marcel Marchandeau, alias Touny-Lerys («La Pâque des roses», 1909, Mercure de France)

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42. Si j’étais gabarre ou chaland


Si j’étais gabarre ou chaland

Au bout d’une corde qui grince,

              Beau fleuve lent,

Je descendrais vers tes provinces.

 

Si j’étais un noyé tranquille,

Je m’en irais entre deux eaux,

              Cherchant quelque île

Où m’endormir dans les roseaux.

 

Peuplier de la Caroline,

Je répandrais d’un geste doux

              Mon ombre fine

Sur les flots plats et sans remous.

 

Rayon de lune ou feuille morte,

Je voudrais, léger et dansant,

              Que tu m’emportes

Voir d’autres pays en passant.

 

Mais que suis-je, sinon poète,

(Autant dire un cœur plein d’ennuis),

              Ma cigarette

M’éclairant seule dans la nuit ?


Jean de la Ville de Mirmont (1886-1914)

Le poète a été tué au Chemin des Dames pendant  la Première guerre mondiale. Il n’avait que 28 ans ...

("L'horizon chimérique" - "Société littéraire de France, 1920 et Raymond Picquot éditeur, actuellement disponible chez Grasset)

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43. La Sorgue

Chanson pour Yvonne


Rivière trop tôt partie, d’une traite, sans compagnon,

Donne aux enfants de mon pays le visage de ta passion.

Rivière où l’éclair finit et où commence ma maison,

Qui roule aux marches d’oubli la rocaille de ma raison.

Rivière, en toi terre est frisson, soleil anxiété.

Que chaque pauvre dans sa nuit fasse son pain de ta moisson.

Rivière sou­vent punie, rivière à l’abandon.

Rivière des apprentis à la calleuse condition,

Il n’est vent qui ne fléchisse à la crête de tes sillons.

Rivière de l’âme vide, de la guenille et du soupçon,

Du vieux malheur qui se dévide, de l’ormeau, de la compassion.

Rivière des farfelus, des fiévreux, des équarrisseurs,

Du soleil lâchant sa charrue pour s’acoquiner au menteur.

Rivière des meilleurs que soi, rivière des brouillards éclos,

De la lampe qui désaltère l’angoisse autour de son chapeau.

Rivière des égards au songe, rivière qui rouille le fer,

Où les étoiles ont cette ombre qu’elles refusent à la mer.

Rivière des pouvoirs transmis et du cri embouquant les eaux,

De l’ouragan qui mord la vigne et annonce le vin nouveau.

Rivière au coeur jamais détruit dans ce monde fou de prison,

Garde-nous violent et ami des abeilles de l’horizon.


René Char ("Fureur et mystère", Éditions Gallimard, 1948)

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44. La rivière endormie


Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe

Un chuchotis de joncs de roseaux d’herbes lentes

Et ne sait jamais bien dans son dormant mélange

Où le bougeant de l’eau cède au calme des plantes


La rivière engourdie par l’odeur de la menthe

Dans les draps de son lit se retourne et se coule

Mêlant ses mortes eaux à sa chanson coulante

Elle est celle qu’elle est surprise d’être une autre


L’eau qui dort se réveille absente de son flot

Ecarte de ses bras les lianes qui la lient

Déjouant la verdure et l’incessant complot

Qu’ourdissent dans son flux les algues alanguies.


Claude Roy ("Poésies", Gallimard, 1970)

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45. Eté : les truites

à P.L. Berthaud


Il grêle avec un bruit de perles,

Perles du soleil, perles des lacs,

Truites étrusques et de l’Iran,

Au dos d’or, au ventre de laque,

Reines des vergers transparents,

Elles glissent sous les reflets des peupliers qui tremblent.

Les ballerines du silence.


"— Quand je vais promener en barque,

La tête lourde d’avoir pleuré,

Je vous nourrirai, mes carpes,

Je vous nourrirai."


Les oiseaux oscillent, se penchent

Et jouent sur leurs triangles d’or.

Mais les truites en robe fauve

Traversent les arbres des morts.

Tout le paysage est tombé dans l’eau :

Les truites nagent entre les arbres.


Les oiseaux glissent sur les vagues

Et les écluses chantent, chantent

Sur ce monde renversé.

Il grêle avec un bruit de perles …

Mais l’aurore, d’un sourire,

Rouvrira ces vergers chantants.


Maurice Fombeure ("À dos d’oiseau", Gallimard, 1942)

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46. Que tu es simple et claire ...


Que tu es simple et claire,

Eau vivante,

Qui, du sein de la terre,

Jaillis en ces bassins et chantes !

 

Ô fontaine divine et pure,

Les plantes aspirent

Ta liquide clarté ;

La biche et la colombe en toi se désaltèrent.

 

Et tu descends par des pentes douces

De fleurs et de mousses,

Vers l’océan originel,

Toi qui passes et vas, sans cesse, et jamais lasse

De la terre à la mer et de la mer au ciel.

 

Souvent, à l’heure où l’ombre te couvre,

Ô source, je me penche sur toi,

Et j’y laisse flotter mes cheveux et mes doigts,

Que tu entraînes et entr’ouvres,

Mais tu te caches, tu fuis en eux,

Et c’est moi-même que je trouve

En te cherchant, Nymphe aux yeux bleus.


Charles Van Lerberghe ("Chanson d'Ève", G Crès éditeur, 1904)

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47. Le ruisseau


Beaucoup d’eau a passé sous les ponts

et puis aussi énormément de sang

Mais aux pieds de l’amour

coule un grand ruisseau blanc

Et dans les jardins de la lune

où tous les jours c’est ta fête

ce ruisseau chante en dormant

Et cette lune c’est ma tête

où tourne un grand soleil bleu

Et ce soleil c’est tes yeux.


Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)

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48. La Loire au plus près (fragments)


La Loire est une aïeule

qui se souvient

de son éternité liquide


Elle est l'eau millénaire

où l'arbre couche son ombre


et tu bois ton rêve

à ses rives vertes

pour préserver l'imaginaire.


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L'eau immobile

nous raconte des fonds imaginaires

où les racines feuillues

atteignent au centre de la terre. Miroir magique

qui enfante des arbres bicéphales

douce folie du printemps

née d'un ciel voilé

percé de mille boutons du jeune soleil.


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Loire reflet

tu témoignes du ciel

dans la liberté

d'une onde froissée, brisée

par un vent nomade.


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Le ciel de Loire

est descendu vers nous

mais quel limon

a volé sa lumière

au désarroi de l'eau ?


Claudia Adrover ("La Loire au plus près" - éditions Donner à Voir, 1999)

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49. Printemps kurde (deuxième strophe)

  

[...]


Je me souviens

Le fleuve était en crue

Le ciel gorgé de pluie s'étirait comme une bête

sur d'interminables friches noires

L'outarde, la cigogne

et tout ce que j'ai aimé ensuite

y nichaient déjà en secret


[...]

 

Mahabad - Genève, 1981


Nicolas Bouvier ("Le Dehors et le dedans", Éditions Zoé, 1978 et 1998 - et en Points/Gallimard, 2007)


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50. Les rivières claires

(titre proposé, extrait du poème "Le Satyre")


[...]


Ce chemin me conduira aux rivières claires où l'on

se baigne entre deux rives de gazon.

Rivières ombragées par les arbres,

Effleurées par l'aile des oiseaux,

Eau pure, eau pure, vous me lavez.

Je m'abandonnerai à ton courant dans lequel naviguent

les feuilles encore vertes que le vent fit tomber.

Eau pure qui lave sans arrêt les images reflétées.

Eau pure qui frissonne sous le vent,

Je me baignerai et je laisserai le reflet de moi-même

en toi-même, eau pure !

Tu le laveras, ce reflet où je ne veux me reconnaître,

Ou bien emporte-le, loin,

Jusqu'aux océans qui le dissoudront comme du sel.


[...]


Robert Desnos ("Le Satyre" dans "Fortunes" - éditions Gallimard, 1969 - publication posthume)

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51 et 52. Deux textes sur la même rivière :

La rivière Bièvre est un affluent de la Seine. La vallée de la Bièvre, que Victor Hugo, Ronsard, et plus récemment jean Moréas ont mise en vers, est aujourd'hui pour les naturalistes et les amateurs de paysages, de flore et de faune, un lieu de balades (et de ballades, pour les poètes).

De Massy-Palaiseau à Antony, en passant par Verrières-le Buisson et Jouy-en-Josas, son parcours est semé de lavoirs et de moulins plus ou moins restaurés.


51. Bièvre (passages)


À Mademoiselle Louise B.


I


[...]


Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes.

Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ;

Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ;

Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive,

Et, comme une baigneuse indolente et naïve,

Laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux.


Là-bas, un gué bruyant dans des eaux poissonneuses

Qui montrent aux passants lés jambes des faneuses ;

Des carrés de blé d'or ; des étangs au flot clair ;

Dans l'ombre, un mur de craie et des toits noirs de suie ;

Les ocres des ravins, déchirés par la pluie ;

Et l'aqueduc au loin qui semble un pont de l'air.


Et, pour couronnement à ces collines vertes,

Les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes,

Le ciel, bleu pavillon par Dieu même construit,

Qui, le jour, emplissant de plis d'azur l'espace,

Semble un dais suspendu sur le soleil qui passe,

Et dont on ne peut voir les clous d'or que la nuit !


Oui, c'est un de ces lieux où notre coeur sent vivre

Quelque chose des cieux qui flotte et qui l'enivre ;

Un de ces lieux qu'enfant j'aimais et je rêvais,

Dont la beauté sereine, inépuisable, intime,

Verse à l'âme un oubli sérieux et sublime

De tout ce que la terre et l'homme ont de mauvais !


II


Si dès l'aube on suit les lisières

Du bois, abri des jeunes faons,

Par l'âpre chemin dont les pierres

Offensent les mains des enfants,

A l'heure où le soleil s'élève,

Où l'arbre sent monter la sève,

La vallée est comme un beau rêve.

La brume écarte son rideau.

Partout la nature s'éveille ;

La fleur s'ouvre, rose et vermeille ;

La brise y suspend une abeille,

La rosée une goutte d'eau !


Et dans ce charmant paysage

Où l'esprit flotte, où l'oeil s'enfuit,

Le buisson, l'oiseau de passage,

L'herbe qui tremble et qui reluit,

Le vieil arbre que l'âge ploie,

Le donjon qu'un moulin coudoie,

Le ruisseau de moire et de soie,

Le champ où dorment les aïeux,

Ce qu'on voit pleurer ou sourire,

Ce qui chante et ce qui soupire,

Ce qui parle et ce qui respire,

Tout fait un bruit harmonieux !


[...]


IV


Et l'on ne songe plus, tant notre âme saisie

Se perd dans la nature et dans la poésie,

Que tout près, par les bois et les ravins caché,

Derrière le ruban de ces collines bleues,

A quatre de ces pas que nous nommons des lieues,

Le géant Paris est couché !


On ne s'informe plus si la ville fatale,

Du monde en fusion ardente capitale,

Ouvre et ferme à tel jour ses cratères fumants ;

Et de quel air les rois, à l'instant où nous sommes,

Regardent bouillonner dans ce Vésuve d'hommes

La lave des événements !



8 juillet 1831


Victor Hugo ("Les Feuilles d'automne" - 1831)

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La même rivière dans sa vallée, mise en vers par Jean Moréas :


52. Memento *


La route monte entre des murs et tourne et longe l'enclos planté d'arbres rangés, qui n'ont encore de vert, sinon un peu de mousse.


Allée, platanes

De belle écorce,

Vieux bancs de pierre,

Je vous revois

Dans la lumière

De cette fin

D'hiver bénin.


Dans la vallée

Au creux charmant

La Bièvre coule

Et se déroule

Comme un ruban.


Jean Moréas ("Esquisses et souvenirs", Mercure de France, 1908) * Memento signifie ici Souviens-toi.
On pourrait titrer ce texte «La Bièvre».

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53. Les bords de la Marne


La Marne, lente et molle, en glissant accompagne

Un paysage ouvert, éventé, spacieux.

On voit dans l'herbe éclore, ainsi qu'un astre aux cieux,

Les villages légers et dormants de Champagne.


La Nature a repris son rêve négligent.

Attaché à la herse un blanc cheval travaille.

Les vignobles jaspés ont des teintes d'écaille

À travers quoi l'on voit rôder de vieilles gens.


Un automnal buisson porte encor quelques roses.

Une chèvre s'enlace au roncier qu'elle mord.

Les raisins sont cueillis, le coteau se repose,

Rien ne témoigne plus d'un surhumain effort

Qu'un tertre soulevé par la forme d'un corps.


Anna de Noailles ("Les Forces éternelles", 1920)

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Un poème proposé en 2011 pour le 13ème Printemps des poètes sur le thème "d'infinis paysages" dans la "poéthèque" du site du Printemps des Poètes à cette adresse : http://www.printempsdespoetes.com


54. Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant *


Tu cours superbe, ô Rhosne, flourissant

Les bords imaginaires du voyage

les rives vertes où l'on s'use en passant

aux tourbillons, aux rhombes des nuages.

Ton couteau nu entraîne nos images

de vie si promptes à rejoindre les puits

où demain les noiera d'une eau d'oubli

et là s'apaiseront les jours amers

quand jusqu'à l'os léchés nos mots blanchis

seront le temps qui pose sur la mer.


Annie Salager


* l’auteure a repris le premier vers du poème de Maurice Scève dans son écriture originale en ancien français.

Annie Salager ("Printemps des Poètes 2005" - "Hommage à Maurice Scève, sa Délie aux quatre cent quarante neuf dizains décasyllabiques, rimés en ABAB BC CDCD")

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ci-dessous un passage du poème de Maurice Scève en question, ici en français moderne


55. Tu cours superbe, ô Rhône, florissant


Tu cours superbe, ô Rhône, florissant

En sablon d'or et argentines eaux.

Maint fleuve gros te rend plus ravissant,

Ceint de cités, et bordé de châteaux,

Te pratiquant par sûrs et grands bateaux

Pour seul te rendre en notre Europe illustre.

Mais la vertu de ma Dame t'illustre

Plus qu'autre bien qui te fasse estimer.

Enfle-toi donc au parfait de son lustre,

Car fleuve heureux plus que toi n'entre en mer.


Maurice Scève, 1500-1560 ("Délie")

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56. L'ombre des arbres dans la rivière embrumée


L'ombre des arbres dans la rivière embrumée

Meurt comme de la fumée

Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles,

Se plaignent les tourterelles.


Combien, ô voyageur, ce paysage blême

Te mira blême toi-même,

Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées

Tes espérances noyées !


Paul Verlaine ("Romances sans paroles", 1874)

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  1. 57.Au fleuve


Je prendrai de ton eau dans le creux de mes mains,

Fleuve, pour te humer et pour mouiller mes tempes !

Que ne suis-je l'enfant qu'on voit dans les estampes

Graver son humble nom sur tes arceaux romains !


Maintes gloires par qui l'âme s'exalte, maints

Héros et maints penseurs, quels rêves sous les lampes.

Brûlent de cet éclat sacré dont tu les trempes,

Ces héros, ces penseurs, ces hommes surhumains,


Ces dieux ! La nuit stellaire enveloppe leur trône,

Voici l'aurore éclose aux flots, voici le Rhône

Impétueux, au pied des rocs et des cités


Qu'effleure de frissons le soleil comme une aile

S'allonger en détours d'ombres et de clartés

Vers le rayonnement de la mer éternelle.


André Fontainas (1865-1948)


  1. 58.Les ziaux


les eaux bruns, les eaux noirs, les eaux de merveille

les eaux de mer, d'océan, les eaux d'étincelles

nuitent le jour, jurent la nuit

chants de dimanche à samedi


les yeux vertes, les yeux bleues, les yeux de succelle

les yeux de passante au cours de la vie

les yeux noirs, yeux d'estanchelle

silencent les mots, ouatent le bruit


eau de ces yeux penché sur tout miroir

gouttes secrets au bord des veilles

tout miroir, tout veille en ces ziaux bleues ou vertes

les ziaux bruns, les ziaux noirs, les ziaux de merveille


Raymond Queneau ("Les Ziaux",Métamorphoses, Gallimard, 1943)


TEXTE EN PROSE


Passages du recueil "Les eaux étroites", où l'auteur met en prose poétique ses souvenirs des promenades qu'il faisait enfant sur les bords de l'Èvre, rivière du Maine-et-Loire qui zigzague dans "un canton retranché de la terre" :


59. L'Èvre (titre proposé)


La végétation épaisse de ses rives, l’étroitesse de son cours, la noirceur de son eau mangeuse d’ombres et ses coteaux surplombants donnent à cette rivière un caractère mystérieux, celui  d’un canton retranché de la terre dont la barque seule pouvait livrer la clef ...


La petite rivière semblait de bout en bout zigzaguer à travers un parc naturel ensauvagé, un recels protégé du loisir et du dimanche, où nulle part ne se montraient les stigmates du travail… l'Èvre n'a guère qu'une vingtaine de mètres de large, parfois moins ; le lit est profond, criblé entre les souches pourries de trous et d'anfractuosités où s'abritent les brochets géants. Sans doute la pollution a-t-elle dépeuplé aujourd'hui la rivière comme toutes les autres, mais dans mon enfance une partie de pèche sur l'Èvre signifiait qu'on courrait * sus au gros gibier : ces eaux couleur de réglisse passaient pour nourrir des bêtes centenaires"…


Les branches des arbres haut perchés sous lesquels on glisse, les branches du pin ami des rochers qui se penchent anguleuses au-dessus de l’eau dans les lavis chinois, accentuent le sentiment d’ivresse calme, et peuvent d’un moment à l’autre faire succéder au caprice d’un ruban d’eau cerné de précipices l’intimité protégée, la fuite attirante des voûtes d’arbres qui couvrent en berceau un canal courant droit jusqu’à l’horizon. On s’abandonne les yeux fermés à l’eau qui, inépuisablement, ouvre les chemins ...


... Ainsi, pendant de longues minutes, la barque progresse dans le silence glauque ; en même temps que le soleil, les falaises arrêtent jusqu’au moindre souffle d’air. Au milieu de l’excursion de l'Èvre, ces moments de silence, dans ma mémoire, viennent se poser, comme un long point d’orgue ; ce silence, un doigt sur les lèvres, debout et immobile, et matérialisé à demi au creux de ces étroits pleins de présences païennes, c’est vraiment le "génie du lieu" qui l’impose ...


La barque s'est amarrée de nouveau à la rive ; l'enclenchement familier du cadenas est comme le fermoir de la journée close, une journée en dehors des jours. Le présent et l'imparfait, inextricablement, se mêlent dans le défilé d'images de cette excursion que j'ai faite vingt fois, que rien ne m'interdirait encore aujourd'hui de refaire ...


L'interdit qui m'arrête au moment de m'embarquer de nouveau sur l'étroite rivière immobile ne procède pas de la crainte de désenchanter un souvenir. Bien plutôt à l'impuissance où l'on est, sinon de ranimer un rêve, du moins de retrouver dans l'état de veille à la fois sa lumière sans noyau et son rythme, qui ne cesse de changer, sans pour autant entretenir le moindre rapport avec la vitesse et la lenteur ...


Mais tout ce qui a la couleur du songe est, de nature, prophétique et tourné vers l'avenir, et les charmes qui autrefois m'ouvraient les routes n'auraient plus ni vertu, ni vigueur : aucune de ces images aujourd'hui ne m'assigneraient plus nulle part, et tous les rendez-vous que pourrait me donner encore l'Èvre, il n'est plus de temps maintenant pour moi pour les tenir ...


Julien Gracq ("Les eaux étroites", Éditions José Corti, 1976) - * deux "r" pour le futur : "qu'on allait courir"


TEXTE EN MARGE


Et pour terminer ce poème qui ne s’encombre pas des règles du langage de la poésie classique, par le chansonnier du début du siècle dernier, Mac-Nab   (1856-1889), auteur de la chanson «Le Grand Métingue du Métropolitain», popularisant les grèves de Vierzon, sa ville.


On y découvre une Seine peu ragoûtante ...


60. Une pleine eau


La s’maine, et surtout l’dimanche,

Ça devrait pas êt’ permis

De nager et d’fair’ la planche

Dans l’eau qui coule à Paris.


À Paris, la Seine est trouble

Et ça n’est pas drôl’ du tout

D’barboter dans du gras double ;

J’m’en vas m’baigner à Chatou.


À Chatou, près d’la rivière,

Je me transporte aussitôt,

Mais j’me dis : « L’eau n’est pas claire,

Allons nous baigner plus haut. »


Je marche et j’arrive en face

Du dépotoir de Saint-Ouen,

Alors je fais un’ grimace,

La Seine est jaun’ comme un coing.


Je r’mont’ le cours de la Seine

Toujours sur le bord de l’eau

En m’disant tout bas : « Pas d’veine,

Allons nous baigner plus haut ! »


Plus haut, près du pont d’Asnières,

J’m’apprête à faire un plongeon,

Mais le fleuv’, chos’ singulière,

Est plus noir que du charbon !


Je r’mont’ le cours de la Seine

Toujours sur le bord de l’eau,

En m’disant tout bas : « Pas d’veine,

Allons nous baigner plus haut ! »


Au détour de Courbevoie,

Je m’écrie : « C’est là, parbleu !

Que j’me baign’rais avec joie ;

Mais le liquide est tout bleu ! »


Je r’mont’ le cours de la Seine

Toujours sur le bord de l’eau,

En m’disant tout bas : « Pas d’veine,

Allons nous baigner plus haut ! »


Bientôt j’arrive à Suresnes

Près d’un site ravissant,

Mais soudain je vois la Seine

Qui devient couleur de sang !


Je r’mont’ le cours de la Seine

Toujours sur le bord de l’eau,

En m’disant tout bas : « Pas d’veine,

Allons nous baigner plus haut ! »


Plein d’une ardeur opiniâtre,

Je pousse jusqu’à Meudon ;

Mais là, le fleuve est blanchâtre

Et roul’ des flots d’amidon !


Je r’mont’ le cours de la Seine

Toujours sur le bord de l’eau,

En m’disant tout bas : « Pas d’veine,

Allons nous baigner plus haut ! »


Enfin, trouvant l’eau moins grasse,

Je m’décide à Billancourt ;

J’pique un’ tête dans la carcasse

D’un chien crevé d’puis quinz’ jours !


Depuis c’jour-là je m’méfie

Et chaq’ soir de huit à neuf

Je m’en vais sans cérémonie

Tirer ma coup’ sous l’Pont-Neuf !


Maurice Mac-Nab («Poèmes incongrus»)

... Et la Seine, comme une couleuvre coulée,

Parmi ton herbe Normandie, la Seine d'or,

La Seine bleue qui se glisse et remonte, osée,

Toute annelée, vers sa source, où elle s'endort.

Guy Lavaud

Je prendrai de ton eau dans le creux de mes mains,

Feuve, pour te humer et pour mouiller mes tempes !

André Fontainas

L'aurore grelottante en robe rose et verte

S'avançait lentement sur la Seine déserte,

Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,

Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

Charles Baudelaire

L’eau courante chantante
mille déjeuners de soleil
mille fêtes d’innocence

l’insouciance faite ciel ...

Claude Roy

textes  COLLÈGE - LYCÉE

L’oreille abandonnée aux mots nus du flot doux.

Paul Valéry

Dans son sommeil glissant l’eau se suscite un songe
un chuchotis de joncs, de roseaux, d’herbes lentes ...


Claude Roy

haïku

La Seine va son train, flegmatique,
sûre d’atteindre

un jour le gris pâle de la mer.

Jacques Pestri

Paris n'a de beauté qu'en son histoire,

Mais cette histoire est belle tellement !

La Seine est encaissée absurdement,

Mais son vert clair à lui seul vaut la gloire.


Verlaine