Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique
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Printemps des Poètes 2015 
TRADUCTIONS
 

URSS  -  RUSSIE

Vladimir Maïakovski (1893-1930)

langue originale :  russe

"Il faut extorquer

la joie

aux jours futurs"

Vladimir Maïakovski , 1926
(Anthologie de la poésie russe, Gallimard)

en russe :

Надо вырвать радость у грядущих дней.


- - - - - - - - -

(...)

Lorca Maïakovski Desnos Apollinaire

Leurs ombres longuement parfument nos matins

Le ciel roule toujours les feux imaginaires

De leurs astres éteints


Contre le chant majeur la balle que peut-elle

Sauf contre le chanteur que peuvent les fusils

La terre ne reprend que cette chair mortelle

Mais non la poésie.

(...)


"Les poètes", Louis Aragon (extrait)


(...)

Mon Dieu, mon Dieu, tout assumer

L'odeur du pain et de la rose

Le poids de ta main qui se pose

Comme un témoin du mal d'aimer

Le cri qui gonfle la poitrine

De Lorca à Maïakovski

Des poètes qu'on assassine

Ou qui se tuent pour quoi, pour qui ?


Jean Ferrat (chanson "Je ne chante pas pour passer le temps")


- - - - - - - - -


"Un poète doit développer son propre rythme, abandonnant iambes et chorés, mesures canonisées, qui ne lui appartiennent pas en propre. Le rythme magnétise et électrise la poésie ; chaque poète doit trouver le sien, ou

les siens." Vladimir Maïakovski


  1. Lire ici, sur Wikipédia, sa bio complète :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Maïakovski
Vladimir Vladimirovitch Maïakovski (en russe : Владимир Владимирович Маяковский, également orthographié Maïakovsky), est un poète, dramaturge et futuriste soviétique (...)

Selon la même source Wikipédia, il rédigea sa propre épitaphe deux jours avant de se donner la mort :

" N'accusez personne de ma mort et, s'il vous plaît, pas de commérages. Le défunt les détestait terriblement.

Maman, sœurs et camarades, pardonnez-moi : ce n'est pas un moyen (je ne le conseille pas aux autres) mais il n'y a pas d'issue pour moi.

Lilia, aime-moi.

Camarade gouvernement, ma famille c'est Lilia Brik, maman, ma sœur et Véronika Vitoldovna Polonskaïa.

Si tu leur procures une existence possible, merci."

             Comme on dit

                                « l'incident est clos »

                        le canot de l'amour se brisa

                        contre la vie quotidienne

              J'ai réglé mes comptes avec l'existence

                         Inutile d'énumérer

                    les douleurs

                        les malheurs

                            les offenses réciproques

Soyez heureux "

                                              Vladimir Maïakovski


  1. -- - - - - - - -



Puisqu'on allume les étoiles (passage, titre suggéré)

(...)


Écoutez !

Puisqu'on allume les étoiles,

c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?

C'est que quelqu'un désire qu'elles soient ?

C'est que quelqu'un dit perles ces crachats ?

Et, forçant

la bourrasque à midi des poussières,

il fonce jusqu'à Dieu,

craint d'arriver trop tard,

pleure,

baise sa main noueuse,

implore -

il lui faut une étoile ! -

jure

qu'il ne peut supporter ce martyre sans étoiles.


Ensuite,

il promène son angoisse,

il fait semblant d'être calme.

Il dit à quelqu'un :

" Maintenant, tu vas mieux, n'est-ce pas ?

t'as plus peur ?

Dis ? "


Écoutez !

Puisqu'on allume

les étoiles,

c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?

c'est qu'il est - indispensable,

que tous les soirs

au-dessus des toits

se mette à luire seule au moins une étoile ?


Vladimir Maïakovski , 1913 ("Vers et proses, EFR, 1957, traduction d'Elsa Triolet)

également dans "Anthologie de la poésie russe" (textes réunis par Elsa Triolet, Seghers).

et dans "Écoutez ! si on allume les étoiles", traduction Simone Pirez et Francis Combes (collection Vivre en poésie - Le temps des cerises, 2005)


- - - - - - - - -


Les textes et commentaires qui suivent sont empruntés au travail considérable de l'artiste textile et écrivaine Caroline Regnaut * sur Maïakovski ici :

http://www.toiles-et-poemes.com/pdf/maiakovski-joie-resurrection.pdf

On y trouvera d'autres textes et une analyse en profondeur de la poésie de Vladimir Maïakovski, replacée dans l'intime du poète, et dans la Russie de son temps, tourmente culturelle, intellectuelle et politique.

  1. *pour le travail artistique textile voir par exemple ceci, d'autant plus apprécié que l'auteur du site lieucommun a lui -même participé à l'exposition, textuellement ! :

http://www.aiguille-en-fete.com/Avec-des-cravates-pour-medium-Caroline-Regnaut-prend-ses-quartiers-a-l-Aiguille-en-Fete-2014_a3432.html


Après le suicide de son ami Sergueï Essenine en 1926, Maïakovski lui adressait post-mortem ce poème, réponse à celui écrit par Essenine avec son sang juste avant de se tuer :


le poème d'Essenine :


Au revoir, mon ami, au revoir,

Très cher, en moi tu es enraciné,

La séparation prédestinée

Nous promet rencontre plus tard.

Au revoir, mon ami, sans main serrée, sans mot.

Au revoir, mon ami, sans geste ni mot,

Garde l’œil sec : ni chagrin, ni souci –

Ni chagrin ni tristesse aux sourcils

Mourir n’est pas nouveau dans cette vie

En cette vie mourir n’est pas nouveau,

Mais vivre, assurément, n’est pas plus neuf

Mais vivre, finalement, n’est pas plus nouveau.


Sergueï Essenine



le poème de Maïakovski , dans l'une de ses traductions en français:


Il y a beaucoup à faire,

on n’y suffit pas.

Il faut pour commencer

refaire la vie

et ensuite seulement

on pourra la chanter.

Notre époque pour la plume

n’est pas très commode.

Mais dites-moi un peu,

bancroches de tous poils,

où

et quand,

quel grand a jamais choisi un chemin

bien frayé

et facile ?

La parole

est le général

de la force humaine. En avant, marche !

Que le temps derrière nous

éclate en obus. Que vers les jours passés

le vent

emporte seulement

les cheveux emmêlés. Notre planète

est mal équipée pour la gaieté.

Il faut extorquer

la joie

aux jours futurs.

Dans cette vie

mourir est assez facile,

faire la vie

est beaucoup plus difficile.


texte original en langue russe des trois derniers vers :


Надо вырвать радость у грядущих дней.

В этой жизни помереть не трудно.

Сделать жизнь значительно трудней


Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)


  1. -- - - - - - - - -


Écoute

          camarade postérité,

L'agitateur

       le brailleur,

                le chef.

Traversant les flots de la poésie

j'enjamberai les plaquettes lyriques

en parlant

      comme un vivant

                    avec les vivants.


Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)


  1. -- - - - - - - - -




J’ai

du globe terrestre

fait le tour

presque entier.

La vie

est belle,

et il fait bon vivre.

Mais dans notre vacarme,

c’est mieux encore. Une rue-serpent

sinue. Le long du serpent,

ardent et bouillonnant,

La rue

est à moi

il y a des maisons.

les maisons

sont à moi.


Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)


  1. -- - - - - - - - -


Ce poème de Vladimir Maïakovski, inachevé est considéré comme le dernier de l'auteur :

source :
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/maiakovski.html


I


Elle m’aime, elle ne m’aime pas

Je trie mes mains

Et j’ai cassé mes doigts.

Alors les premières têtes des marguerites

Secouées d’une chiquenaude

sont cueillies et sans doute

éparpillées en mai

que mes cheveux gris se révèlent

sous la coupe et la douche

que l’argent des années nous enserre éternellement !

honteuse sensation banale- sentiment que j’espère

que je jure

jamais elle ne reviendra vers moi.


II


C’est bientôt deux heures

Pas de doute tu dois déjà dormir

Dans la nuit

La voix lactée avec ses filigranes d’argent

Je ne suis pas pressé

Et rien en moi

Ne veille ni ne t’accable de télégrammes


III


La mer va pleurer

La mer va dormir

Comme ils disent.

L’incident s’est cassé la gueule.

Le bateau de l’amour de la vie

S’est brisé sur les rochers du quotidien trivial

Toi et moi sommes quittes ;

pas la peine de ressasser

Les injures de chacun

Les ennuis

Et les chagrins


IV


Tu vois,

En ce monde tous ces sommeils paisibles,

La nuit doit au ciel

Avec ses constellations d’argent

En une si belle heure que celle-ci

Quelqu’un alors s’élève et parle

Aux ères de l’histoire

Et à la création du monde.


V


Je connais le pouvoir des mots ; je connais le tocsin des mots

Ce n’est pas le genre que les boîtes applaudissent

De tels mots des cercueils peuvent jaillir de terre

Et iront s’étalant avec leurs quatre pieds en chêne ;

Parfois ils vous rejettent, pas de publication, pas d’édition.

Mais les mots sacro-saints qui vous étouffent continuent à galoper au dehors.

Vois comme le siècle nous cerne et tente de ramper

Pour lécher les mains calleuses de la poésie.

Je connais le pouvoir des mots. Comme broutilles qui tombent

Tels des pétales à côté de la piste de danse rehaussée.

Mais l’homme avec son âme, ses lèvres, ses os …


Vladimir Maïakovski (Au sommet de ma voix, 1928-1930)

la traduction est celle du site source indiqué plus haut.


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

ITALIE
Cesare Pavese

langue originale :  italien


Cesare Pavese (1908-1950), est un romancier et poète italien connu, auteur du roman "Le bel été", en 1940. Le fil ténu qui le liait à la vie était fait d'amour et de désamour : "La mort viendra et elle aura tes yeux" est son dernier recueil poétique, par lequel il exprime le choix de sa mort.
Cet ouvrage est paru en 1951, un an après sa disparition.


Rivolta (passage du poème - traduction en français mise en bleu)

Pare morto anche il mucchio di cenci

che il sole scalda forte, appoggiato al muretto.

Dormire per la strada dimostra fiducia nel mondo.

C'è una barba tra i cenci e vi corrono mosche che han da fare.

Come mosche i passanti si muovono in strada.

Il pezzente è una parte della strada.

La miseria ricopre di barba

i sogghigni come un'erba

e dà un'aria pacata.

Questo vecchio che poteva morire stravolto nel sangue

pare invece una cosa ed è vivo.

Così tranne il sangue

ogni cosa è una parte di strada.

Pure, in strada le stelle hanno visto del sangue.


Cesare Pavese, 1934


  1. - - - - -


Révolte


Le mort est crispé contre terre et ses yeux ne voient pas les étoiles :

ses cheveux sont collés au pavé. La nuit est plus froide.

Les vivants rentrent à la maison et en tremblent encore.

On ne peut pas les suivre ; ils se dispersent tous :

l’un monte un escalier, l’autre va à la cave.

Certains marchent jusqu’à l’aube et se jettent dans un pré,

en plein soleil. Demain en travaillant, il y en a

qui auront un rictus de désespoir. Puis ça aussi passera.

Quand ils dorment, ils sont pareils aux morts : s’il y a une femme,

les odeurs sont plus lourdes mais on dirait des morts.

Chaque corps se cramponne, crispé, à son lit

comme au rouge pavé : la longue peine

qui dure depuis l’aube vaut bien une brève agonie.

Sur chaque corps s’englue une obscurité sale.

Seul de tous, le mort est étendu aux étoiles.

Il a aussi l’air mort cet amas de haillons

appuyé au muret, que brûle le soleil.

C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.

Entre les haillons pointe une barbe que parcourent

des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,

comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.

La misère, comme une herbe, recouvre de barbe

les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là

qui aurait pu mourir crispé dans son sang

a l’air au contraire d’une chose et il vit.

Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.

Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.
Il a aussi l’air mort cet amas de haillons

appuyé au muret, que brûle le soleil.

C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.

Entre les haillons pointe une barbe que parcourent

des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,

comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.

La misère, comme une herbe, recouvre de barbe

les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là

qui aurait pu mourir crispé dans son sang

a l’air au contraire d’une chose et il vit.

Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.

Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.


Cesare Pavese, 1934 (Travailler fatigue)


  1. - - - - - - - - - -


L’étoile du matin


La mer est encore sombre, les étoiles vacillent

quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine

s’élève de la rive, où la mer a son lit,

et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant

où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend

entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne.

L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages

et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera

elle aussi comme le feu, flamboyante.


Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour

où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère

que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend

une étoile verdâtre que l’aube a surprise.

Elle voit la mer sombre et la tache du feu

et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;

elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs

où est un lit de neige. L’heure qui passe lente

est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien.


Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer

et que commence la longue journée ? Demain

reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane,

et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera.

L’homme seul ne voudrait que dormir.

Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel,

lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume.


Cesare Pavese, 1934 (Travailler fatigue)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

ITALIE

Pier Paolo Pasolini (1922-1975)

langue originale :  italien

Pier Paolo Pasolini est plus connu comme réalisateur de cinéma que comme écrivain.
C’est pourtant un des plus importants poètes italiens. Sa vie amoureuse passionnée et tourmentée, marginale et forcément menacée, s'achève tragiquement : il est mort assassiné.


Où sont les armes ? Les jours passés

Ne reviendront plus, je le sais, le rouge avril

De la jeunesse est révolu pour toujours.

Seul un rêve, un rêve de joie peut ouvrir

Une saison de douleur armée.


Pasolini - extrait de «Victoire» (Poésie en forme de rose, 1964)


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Alla bandiera rossa (Au drapeau rouge)


Per chi conosce solo il tuo colore,

bandiera rossa,

tu devi realmente esistere, perché lui

esista:

chi era coperto di croste è coperto di

piaghe,

il bracciante diventa mendicante,

il napoletano calabrese, il calabrese

africano,

l'analfabeta una bufala o un cane.

Chi conosceva appena il tuo colore,

bandiera rossa,

sta per non conoscerti più, neanche coi

sensi:

tu che già vanti tante glorie borghesi e

operaie,

ridiventa straccio, e il più povero ti

sventoli.


Pier Paolo Pasolini ("Nuovi epigrammi", 1950 et «La religione del mio tempo», 1961)


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Au drapeau rouge


Pour celui qui ne connaît que ta couleur,
drapeau rouge,
tu dois réellement exister,
pour qu’il existe lui-même :

Celui-là qui était couvert de croûtes

est couvert de plaies
l'ouvrier agricole devient mendiant,
le Napolitain Calabrais,

le Calabrais Africain,

l'analphabète bufflonne ou chien.

Celui qui connaissait à peine ta couleur,

drapeau rouge,

est réduit à ne plus te connaître,

même devant l’évidence :
toi qui vantes aujourd’hui
tant de gloires bourgeoises et ouvrières,

redeviens chiffon,
et que le plus pauvre te brandisse.


Pasolini (dans «Nouvel épigramme» et «la religion de mon époque»)
traduction A.B. pour lieucommun


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Supplica a mia madre


E' difficile dire con parole di figlio

ciò a cui nel cuore ben poco assomiglio.


Tu sei la sola al mondo che sa, del mio cuore,

ciò che è stato sempre, prima d'ogni altro amore.


Per questo devo dirti ciò ch'è orrendo conoscere:

è dentro la tua grazia che nasce la mia angoscia.


Sei insostituibile. Per questo è dannata

alla solitudine la vita che mi hai data.


E non voglio esser solo. Ho un'infinita fame

d'amore, dell'amore di corpi senza anima.


Perché l'anima è in te, sei tu, ma tu

sei mia madre e il tuo amore è la mia schiavitù:


ho passato l'infanzia schiavo di questo senso

alto, irrimediabile, di un impegno immenso.


Era l'unico modo per sentire la vita,

l'unica tinta, l'unica forma: ora è finita.


Sopravviviamo: ed è la confusione

di una vita rinata fuori dalla ragione.


Ti supplico, ah, ti supplico: non voler morire.

Sono qui, solo, con te, in un futuro aprile …


Pasolini ("Poesie incivile", 1960 dans "La religione del mio tempo")



Supplique à ma mère


Il m'est difficile de dire avec les mots d'un fils

que du fond de mon coeur je ressemble bien peu à ça.


De mon propre coeur, tu es la seule au monde qui sache,

ce qui toujours, avant chaque autre amour, a été en lui.


Aussi pour cela dois-je te dire ce qu'il est horrible de connaître :

c'est au dedans de ta grâce même que naît mon angoisse.


Tu es irremplaçable. Pour cela la vie que tu m'as donnée

est vouée à la solitude.


Et je ne veux pas être seul. J'ai une faim infinie

d'amour, de cet amour des corps sans âme.


Parce que l'âme est en toi, toi tu es, mais toi

tu es ma mère et ton amour est ma servitude :


l'enfance je l'ai passée esclave de ce haut sens,

irrémédiable, d'un engagement immense.


C'était l'unique manière pour sentir la vie,

l'unique couleur, l'unique forme : maintenant c'est fini.


Nous survivons : et c'est la confusion

d'une vie ressuscitée hors de la raison.


Je t'en supplie, ah, je te supplie de ne pas vouloir mourir.

Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril ...


Pier Paolo Pasolini


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ALLEMAGNE


Bertolt Brecht (1898-1956)

langue originale :  allemand

  1. source biographique :
    http://www.linternaute.com/biographie/bertolt-brecht/

Bertolt Brecht est un metteur en scène, dramaturge et poète allemand engagé.
Exilé aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il revient en Allemagne en 1948 pour fonder la troupe du
Berliner Ensemble. Il est le théoricien d'un théâtre didactique ayant pour but la prise de conscience et l'action du spectateur. Il essaie pour cela de créer une distanciation entre spectateurs et personnages, afin d'empêcher l'identification. Brecht écrit et met en scène de nombreuses pièces, telles que la Vie de Galilée (1943) ou le Cercle de craie caucasien (1943-1945) pour cette nouvelle forme de théâtre qu'il définit dans le Petit Organon pour le théâtre en 1948. Sympathisant du marxisme, Brecht exprime dans ses oeuvres ses idées socialistes, ce qui lui vaudra le prix Staline international pour la paix en 1955.


  1. La pièce de théâtre dénonçant la montée du nazisme et d’Hitler, «La résistible ascension d'Arturo Ui» (Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui), a été rédigée en 1941 par Bertold Brecht aux Etats-Unis.
    La pièce établit un parallèle entre la pègre new-yorkaise et la montée du nazisme en Allemagne.
    La première représentation a eu lieu en 1958, deux ans après la mort de l’auteur.
    La présentation de la pièce (le  prologue) par le narrateur est restée dans l’Histoire comme un avertissement à demeurer vigilant et combatif :


  1. Apprenez à voir
    (titre suggéré pour cet extrait du prologue, traduction proposée)


  2. Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder bêtement.
    Agissez au lieu de bavarder,

  3. Voilà ce qui a failli dominer une fois le monde.

  4. Les peuples ont fini par en avoir raison,

  5. mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :

  6. Le ventre est encore fécond, d'où est sortie la bête immonde*.



  7. * autre traduction rencontrée :
    «que personne n’ait le triomphe trop facile,
    le ventre est encore fécond d'où a surgi la chose immonde»


  8. texte original :

    Ihr aber lernet, wie man sieht statt stiert

  9. und handelt; statt zu reden noch und noch.

  10. So was hätt' einmal fast die Welt regiert!

  11. Die Völker wurden seiner Herr, jedoch

  12. daß keiner uns zu froh da triumphiert -

  13. der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch.


  14. (Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui)



  15. Bertolt Brecht (extrait du prologue de la pièce de théâtre : «La résistible ascension d'Arturo Ui»)


  16. Nos défaites ne prouvent rien


  17. Quand ceux qui luttent contre l’injustice

  18. Montrent leurs visages meurtris

  19. Grande est l’impatience de ceux

  20. qui vivent en sécurité.


  21. De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils

  22. Vous avez lutté contre l’injustice !

  23. C’est elle qui a eu le dessus,

  24. Alors taisez-vous


  25. Qui lutte doit savoir perdre !

  26. Qui cherche querelle s’expose au danger !

  27. Qui professe la violence

  28. N’a pas le droit d’accuser la violence !


  29. Ah ! mes amis

  30. Vous qui êtes à l’abri

  31. Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous

  32. Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?

  33. Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus

  34. L’injustice passera-t-elle pour justice ?


  35. Nos défaites, voyez-vous,

  36. Ne prouvent rien, sinon

  37. Que nous sommes trop peu nombreux

  38. À lutter contre l’infamie,

  39. Et nous attendons de ceux qui regardent

  40. Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.


Bertolt Brecht (dans «Bertolt Brecht et Rudolf Rach, Manuel pour habitants des villes : poèmes", l'Arche, 2006)


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Et ce passage du poème Kriegszeiten (Temps de guerre), que nous indique amicalement Alain L du site Le Réveil ( http://www.lereveil.info/2015/03/mon-general.html )
Poème dont il existe de nombreuses et sensiblement différentes traductions :


Kriegszeiten

(...)


General, dein Tank ist ein starker Wagen

Er bricht einen Wald nieder und zermalmt hundert Menschen.

Aber er hat einen Fehler:

Er braucht einen Fahrer.


General, dein Bomberflugzeug ist stark.

Es fliegt schneller als ein Sturm und trägt mehr als ein Elefant.

Aber es hat einen Fehler:

Es braucht einen Monteur.


General, der Mensch ist sehr brauchbar.

Er kann fliegen und er kann töten.

Aber er hat einen Fehler:

Er kann denken.


(...)


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Temps de guerre

(passage)


Mon général, votre tank est si solide !

Il couche une forêt, il écrase cent hommes.

Mais il a un défaut :

il a besoin d’un mécanicien.


Mon général, votre bombardier

est si puissant !

il vole plus vite que l’orage

et transporte plus qu’un éléphant.

Mais il a un défaut :

il a besoin d’un pilote.


Mon général, l’homme est très utile !

Il sait voler, il sait tuer.

Mais il a un défaut :

il sait penser.


Bertolt Brecht (1938) - source de la traduction :
http://www.brunosouetre.net/archives/projet-42.html

autre traduction :

http://exercice.takatrouver.net/mon-general/francais/poesie/

dessins d'enfants avec le texte en français ici :
http://www.10bauches.com/Mon-General_a2042.html


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


POLOGNE - ISRAËL
Uri Orlev (né en 1931)

langue originale :  polonais

  1. source biographique à consulter en texte intégral ici :


  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Uri_Orlev

Uri Orlev (אורי אורלב, né le 4 février 1931) est un écrivain israélien d'origine polonaise. Il a reçu le prix Hans Christian Andersen en 1996 pour sa contribution à la littérature d'enfance et de jeunesse.

Né Jerzy Henryk Orlowski à Varsovie, il grandit dans le Ghetto de Varsovie jusqu'à ce que sa mère soit tuée par les nazis et qu'il soit envoyé au camp de Bergen-Belsen. Après la guerre, il part en Israël. Il commence à écrire pour la jeunesse en 1976, en langue hébraïque.

(...)

TEXTE et CONTEXTE D'UN DE SES  POÈMES DANS LA PAGE POÈMES DE DÉPORTATION << (clic)


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


  1. PORTUGAL
    Fernando Pessoa (née en 1962)


  2. Fernando Pessoa (1888-1935) est le poète et écrivain portugais le plus connu et le plus traduit.


  3. "De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers "... (Fernando Pessoa)


  4. De mon village


  5. Dans les villes la vie est plus petite

  6. Qu'ici dans ma maison sur la crête de cette colline.

  7. Dans les villes les grandes maisons ferment la vue à clé...

  8. De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...

  9. C'es pourquoi mon village est aussi grand qu'un autre pays quelconque.


  10. Da minha aldeia


  11. Nas cidades a vida é mais pequena

  12. Que aqui na minha casa no cimo deste outeiro.

  13. Na cidade as grandes casas fecham a vista à chave...

  14. Da minha aldeia vejo quanto da terra se pode ver no Universo...

  15. Por isso a minha  aldeia é tao grande como outra terra qualquer...


  16. Fernando Pessoa - publié sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro ("Le gardien de troupeaux" - "O Guardador de rebanhos").


  17. - - - - - - - - - -


  18. Comme des nuages dans le ciel


  19. Comme des nuages dans le ciel

  20. je  sens mes rêves passer.

  21. Aucun d'eux ne m'appartient

  22. Et je les ai pourtant rêvés.


  23. Como nuvens pelo céu


  24. Como nuvens pelo céu

  25. Passam os sonhos por mim.

  26. Nenhum dos sonhos é meu

  27. Embora eu os sonhe assim.


  28. Fernando Pessoa 1932


  29. - - - - - - - - - -


  30. Entre le sommeil et le songe


  31. Entre le sommeil et le songe,

  32. Entre moi et ce qui en moi

  33. Est l'être que je me suppose,

  34. Coule un fleuve sans fin.

  35. Il est passé par d'autres rives,

  36. Toujours autres et plus lointaines,

  37. Au cours de ces nombreux voyages

  38. Que connaissent les fleuves.

  39. Il est arrivé là où j'habite à présent

  40. Cette maison qu'à présent je suis.

  41. Il passe,si je ne médite;

  42. Si je m'éveille,il est passé.

  43. L'être que je ressens et qui se meurt

  44. Dans ce qui m'enchaîne à moi-même

  45. Sommeille où le fleuve s'écoule

  46. Ce fleuve qui n'a pas de fin.


  47. Entre o sono eo sonho


  48. Entre o sono eo sonho,

  49. Entre mim e o que em mim

  50. E o quem eu me suponho,

  51. Corre um rio sem fim.

  52. Passou por outras margens,

  53. Diversas mais além,

  54. Naquelas varias viagens

  55. Que todo o rio tem.

  56. Chegou onde hoje habito

  57. A casa que hoje sou,

  58. Passa,se eu me medito;

  59. Se desperto,passou.

  60. E quem me sinto e morre

  61. No que me liga a mim

  62. Dorme onde o rio corre

  63. Esse rio sem fim.


  64. Fernando Pessoa 1933 (Cancioneiro)


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  66. BANGLADESH
    Taslima Nasreen (née en 1962)

  67. langue originale :  bengali




  68. Taslima Nasreen, ou Taslima Nasrin, né en 1962 à Mymensingh, est une femme de lettres féministe d'origine bangladaise.
  69. Taslima Nasreen a acquis en Occident l'image d'une combattante pour l'émancipation des femmes et la lutte contre ce qu'elle appelle l'obscurantisme religieux de son pays d'origine, le Bangladesh.

  70. (source Wikipédia, biographie et biblio complètes ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Taslima_Nasreen )


  71. Sur le lien de taslima Nasreen avec Charlie-hebdo :

  72. "Taslima Nasreen a écrit à ce jour trente-sept livres, traduits en trente langues, comprenant des poésies, des essais, des romans et son autobiographie en quatre volumes. Douze sont parus en édition française. Elle a obtenu le soutien de nombreux écrivains et intellectuels, et reçu plusieurs récompenses, parmi lesquelles le prix de littérature Ananda (Inde), le prix Kurt Tuckholsky du PEN Club (Suède), le prix Sakharov pour la liberté de pensée (Parlement européen), le prix des Droits de l’homme (Commission nationale consultative des droits de l’homme, France), le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes (France), le prix de l’Unesco pour la promotion de la tolérance et de la non-violence, le titre de docteur honoris causa de l’Université de Gand en Belgique, et de l’American University à Paris. Elle milite actuellement pour la disparition du délit de blasphème dans le monde."

    (
    Médiapart, article complet ici : http://blogs.mediapart.fr/edition/definir-le-terrorisme/article/150215/taslima-nasreen-les-dessinateurs-de-charlie-hebdo-et-moi )



  73. Shulekha

    Les cheveux de Shulekha ne dansent pas dans le vent.
    Son corps est entièrement recouvert des pieds à la tête.
    Sous le voile, le corps de Shulekha se développe,
    Ses cheveux poussent librement,
    Ses tétons s'épanouissent.

    Cache-toi, Shulekha, cache vite cette honte,
    Cache tes cheveux, tes yeux, ton menton,
    Cache ton nez, tes lèvres et tes seins,
    Cache tes orteils, cache toute cette indécence.
    Tais-toi, surtout, ne fais pas de bruit,
    Entre vite dans une cage,
    Seule la cage peut sauver une femme.

    Shulekha cache son corps,
    Cache toutes les parties indignes de son corps.
    Il émane d'elle une odeur de sang impur.
    Honte, honte à toi, ne sors pas Shulekha,
    Ne va pas dans la rue !
    Tes seins pointent telles des tours, en te voyant,
    Toi, ange du paradis venu sur cette terre,
    Ils éprouvent de la haine et de la peur,
    Ils sentent leurs organes s'exciter.
    Honte, honte à toi !
    Tu t'égares,
    Du calme, entre dans les ténèbres,
    Entre dans la cage verrouillée.
    Seule la cage peut sauver une femme.

    Shulekha n'a pas pu voir la beauté de la terre,
    Ni la sentir, ni la goûter.
    Elle n'a aucun droit aux droits d'un être humain.


  74. Taslima Nasreen (texte traduit du bengali)


  75. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


ALGÉRIE (Kabylie)

langue : le kabyle (langue berbère)
Lounès Matoub (née en 1962)


Lounès Matoub (kabyle : Lwennas Meɛṭub), plus communément appelé Matoub Lounès, est un chanteur et poète kabyle , notamment connu pour son engagement dans la revendication identitaire berbère. Il est né à Taourirt Moussa, le 24 janvier 1956 et fut assassiné* le 25 juin 1998 sur la route de Ath Douala. Officiellement, cet assassinat est atribué au GIA (qui l'a revendiqué) mais sa famille et toute la Kabylie accuse le pouvoir algérien de l'avoir assassiné. (source : Wikipedia)


Le kabyle est une langue berbère parlée en Kabylie (région du centre-est de l'Algérie) et également au sein de l'importante diaspora kabyle, en Afrique du nord et dans d'autres pays (notamment la France). Le nombre de locuteurs est estimé à environ 3,5 millions en Kabylie et à environ 6 millions dans le monde, essentiellement à Alger et en France.(source : Wikipedia)


(*voir aussi Tahar Djaout, un autre poète kabyle victime lui aussi du terrorisme) ici :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_poetes_2008___l_autre__monde_/index.html


Matoub Lounès se lit et surtout s'écoute, ici par exemple, avec Avrid ireglen (La route entravée) en concert au Zénith de Paris en 1995, chanson sous-titrée en français : http://fr.youtube.com


Un autre texte de chanson :


D idurar ay d lâamriw s / Les montagnes sont ma vie (extrait)


Xellsegh adrar s yidammen-iw : a d-yeqqim later-iw

Xas gullen ard a t-sefden

Wid yetganin di lmut-iw, yessamsen isem-iw

Kul tizi a yi-d-mlilen

Atas i ggigh si lheqq-iw armi i qqwlegh seg yilexxaxen

Wwtegh, dligh ghef nnif-iw ufigh wigad i t-yesxewden

Xas yegga lgehd ighallen-iw

Mazal ssut-iw ad yebbaâzeq... as-d-slen !

(...)

A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw !


traduction :


Les montagnes sont ma vie


Du tribut de mon sang j'ai irrigué les monts

mon empreinte s'imprime à jamais,

quand ils ont en juré l'anéantissement ;

Qui s'impatiente de me voir mort,

et qui calomnie mon nom,

A chaque col devra m'affrontent,

J'ai laissé mon bien à l'abandon,

Je l'ai trouvé gisant dans l'immondice,

J'ai porté le regard sur mon honneur,

J'ai vu des bourreaux. Bien que la force ait fui mes membres,

Ma voix demeure, qui retentira,

Ils l'entendront !

(...)


Ma vie ! ma vie !

Les montagnes sont ma vie !


Lounès Matoub (1989)


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


AFRIQUE - MALI

langue : le peul
Amadou Hampâté Bâ (1900-1991)


Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) est un écrivain ("Amkoullel, l'enfant Peul"), poète et ethnologue Peul né au Mali et mort en Côte d'Ivoire. Les Peuls sont une ethnie d'Afrique Occidentale, nomades  éleveurs de bétail.

Amadou Hampâthé Bâ est attaché à tradition orale des Peuls, moyen de transmission de la culture et de l'Histoire, par les contes initiatiques, légendes, poésies ...


"Je suis un diplômé de la grande université de la Parole enseignée à l’ombre des baobabs."

"En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle." (Amadou Hampâté Bâ)


Il a publié des poésies et des contes, et ses mémoires sont édités après sa disparition : Amkoullel l’enfant peul (mémoires I, 1991) et Oui mon commandant ! (mémoires II, 1994) ;`


Voici un court poème en français et dans son texte original en langue peul
Le texte complet en français est sur le Web.
Le passage ci-dessous est emprunté à l'ouvrage
"Tour de Terre en poésie", de Jean-Marie Henry et Mireille Vautier (éditions Rue du Monde - 1998).





Lôtori (extrait)


Levez-vous ! les poules du villages ont crié ;

les ânes ont brait à s’en lasser ;

les oiseaux se sont éveillés ; les hyènes ont filé ;

le caméléon est entré dans la rosée et voici le calao qui cherche à s’envoler

Lôtori ! Lôtori, conduisez les troupeaux à la mare de Béla !


Amadou Hampâté Bâ


Lootori


Ummee ! cofe ngenndi woyii ;

dakiiji kiikii fa comii ;

pooli pinii pobbi dogii ;doonyo naatii saawandere ...


Amadou Hampâté Bâ ("L'éclat de la grande étoile "; Bain rituel" - Classiques africains - éditions Belin)


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AFRIQUE - SÉNÉGAL
David Diop (1900-1991)

langue originale : le français
voir

Printemps des Poètes 2015
CLIC vers la page COLLÈGE et LYCÉE  <<PP15_-_COLLEGE-LYCEE_A_a_D.html

  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 
  1. Sur cette page quelques exemples de poèmes traduits, plus ou moins proches du thème de l'insurrection poétique de ce Printemps 2015.


  1. en ESPAGNOL
    Federico García Lorca (Espagne)
    Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Luis Mizón (Chili)

        Fernando Retamar (Cuba)


  1. en ESPAGNOL et en MAYA

        Humberto Ak'abal (Guatemala)


  1. en BLACKFOOT

        Crowfoot  (indiens des États-Unis d'Amérique)


  1. en ANGLAIS

        Kenneth White (Écosse)


  1. Traduit du grec

        Yannis Ritsos (Grèce)


  1. en RUSSE

        Vladimir Maïakovski

        (Union Soviétique, URSS, aujourd'hui en partie Russie)


  1. en ITALIEN
    Cesare Pavese et Pier Paolo Pasolini (Italie)


  1. en ALLEMAND
    Bertold Brecht (Allemagne)

        Alain Ilan Braun


  1. en POLONAIS
    Uri Orlev (Pologne et Israël)


  1. en PORTUGAIS
    Fernando Pessoa (Portugal)


  1. en TURC
    Nazim Hikmet (Turquie)


  1. en BENGALI
    Taslima Nasreen (Bangladesh)


  1. en KABYLE

        Lounès Matoub (Algérie, Kabylie)


  1. en langue PEUL

        Amadou Hampäté Bâ (Mali)


  1. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _


D'autres textes en langues étrangères et leur traduction sur des thèmes approchants de précédentes éditions du Printemps, sont sur le site

planetelieucommun.fr

que vous visitez ou sur le blog

lieucommun.canalblog.fr :


  1. PRINT POÈTES 2013 VOIX DU POÈME traductions

  2. PRINT POÈTES 2012 L'ENFANCE traductions

  3. PRINT POÈTES 2011 D'INFINIS PAYSAGES traductions

  4. PRINT POÈTES 2011 poètes d'Outre-Mer

  5. PRINT POÈTES 2008 ÉLOGE DE L'AUTRE traductions


  1. _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _


  2. Plus largement, vous trouverez des textes dans les catégories des printemps des Poètes précédents :


  3. LES LIENS de  2007 à 2013 pointent VERS LE BLOG LIEUCOMMUN,
    où ces textes restent en ligne en attendant d'être (ou pas) importés sur le site


  1. LE LIEN 2014 renvoie à une page du site actuel



  2. >> Printemps des Poètes 2008 - "éloge de l'autre" <<


  1. >> Printemps des Poètes 2009 - "en rires"
    (humour,
    textes rangés dans plusieurs catégories) <<


  1. >> Printemps des Poètes 2010 - "couleur femme" <<


  1. >> Printemps des Poètes 2011 - "d'infinis paysages" <<


  1. >> Printemps des Poètes 2012 - "enfances" <<


  1. >> Printemps des Poètes 2013 - "les voix du poème" <<


  1. >> Printemps des Poètes 2014 - "au cœur des arts" <<


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ESPAGNE


Federico García Lorca (1898-1936)

langue originale :  espagnol


Federico García Lorca est un poète et dramaturge espagnol.

Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí.

Il est mort fusillé au début de la Guerre civile (1936-1939) par les troupes du Général Franco.


"Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses". (Federico García Lorca)



Romance de la lune lune


La lune vient à la forge

avec ses volants de nards.

l'enfant, les yeux grand ouverts,

la regarde, la regarde.


Dans la brise qui s'émeut

la lune bouge les bras,

dévoilant, lascive et pure,

ses seins blancs de dur métal.


Va-t-en lune, lune, lune.

Si les gitans arrivaient,

ils feraient avec ton cœur

bagues et colliers blancs.


Petit, laisse-moi danser.

Quand viendront les cavaliers,

ils te verront sur l'enclume

tu auras les yeux fermés.


Va-t'en lune, lune, lune.

j'entends déjà leurs chevaux.


Laisse-moi, petit, tu froisses

ma blancheur amidonnée.


Battant le tambour des plaines

approchait le cavalier.

Dans la forge silencieuse

gît l'enfant, les yeux fermés.


Par l'olivette venaient,

bronze et rêve, les gitans,

chevauchant la tête haute

et le regard somnolent.


Comme chante la zumaya*,

Ay, comme elle chante dans son arbre !

Dans le ciel marche la lune

tenant l'enfant par la main.


Autour de l'enclume pleurent

les gitans désespérés.

la brise veille, veille,

la brise fait la veillée.


Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928) (Traduction proposée par A. Bial pour lieucommun )



Romance de la luna luna


La luna vino a la fragua

con su polisón de nardos.

El niño la mira, mira.

El niño la está mirando.


En el aire conmovido

mueve la luna sus brazos

y enseña, lúbrica y pura,

sus senos de duro estaño.


Huye luna, luna, luna.

Si vinieran los gitanos,

harían con tu corazón

collares y anillos blancos.


Niño, déjame que baile.

Cuando vengan los gitanos,

te encontrarán sobre el yunque

con los ojillos cerrados.


Huye luna, luna, luna,

que ya siento sus caballos.


Niño, déjame, no pises

mi blancor almidonado.


El jinete se acercaba

tocando el tambor del llano.

Dentro de la fragua el niño,

tiene los ojos cerrados.


Por el olivar venían,

bronce y sueño, los gitanos.

Las cabezas levantadas

y los ojos entornados.


Cómo canta la zumaya,

¡ay, cómo canta en el árbol!

Por el cielo va la luna

con un niño de la mano.


Dentro de la fragua lloran,

dando gritos, los gitanos.

El aire la vela, vela.

El aire la está velando.


Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)


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Poème de la solitude

¡AY!


Le cri abandonne au vent

l'ombre des cyprès.


(Laissez moi dans cette campagne,

en pleurs.)


Tout est détruit dans le monde.

Il ne reste que le silence.


(Laissez moi dans cette campagne,

en pleurs.)


L'horizon sans lumière

est dévoré par les incendies.


(Je vous ai dit de me laisser

dans cette campagne,

en pleurs.)


(traduction proposée par Antoine Bial pour ce site lieucommun)



Poema de la soleá (la soledad)

a Jorge Zalamea


  ¡AY!


El grito deja en el viento

una sombra de ciprés.


(Dejadme en este campo,

llorando).


Todo se ha roto en el mundo.

No queda más que el silencio.


(Dejadme en este campo,

llorando).


El horizonte sin luz

está mordido de hogueras.

(Ya os he dicho que me dejéis

en este campo,

llorando).



Federico García Lorca (Sonetos del amor oscuro, Poema de la soleá, en Poema del Cante Jondo, 1921)


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La guitare


Commence la plainte

de la guitare.

Les verres * du matin
se brisent.

Commence la plainte
de la guitare.

Il est vain
de la faire taire.

Il est impossible
de la faire taire.

Plainte monotone,

comme pleure l'eau,

comme pleure le vent

dans la neige.

Il est impossible
de la faire taire.

Elle pleure sur des choses

lointaines.

Sable du Sud brûlant

qui désire de blancs camélias.

Elle pleure la flèche sans but,

le soir sans lendemain,

et le premier oiseau mort

sur la branche.

O guitare !

Cœur transpercé

par cinq épées.


(traduction proposée par Antoine Bial pour ce site lieucommun


Le passage «se rompen las copas de la madrugada» est une métaphore peut-être sonore, puisqu’il s’agit de la plainte de la guitare, mais peut aussi se rapporter à l’aube qui suit une fête arrosée (?), où les verres simples ou verres à pied (las copas) de vin ou de champagne sont oubliés, brisés. Aussi peut-être, métaphore visuelle, image du jour qui se lève, et des premières lueurs du jour qui déchirent l’obscurité du ciel.


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poème dans l’ensemble Poema de la seguiriya gitana du Cante jondo dédié à Carlos Morla Vicuña


La guitarra.


Empieza el llanto

de la guitarra.

Se rompen las copas

de la madrugada.

Empieza el llanto

de la guitarra.

Es inútil callarla.

Es imposible

callarla.

Llora monótona

como llora el agua,

como llora el viento

sobre la nevada

Es imposible

callarla,

Llora por cosas

lejanas.

Arena del Sur caliente

que pide camelias blancas.

Llora flecha sin blanco,

la tarde sin mañana,

y el primer pájaro muerto

sobre la rama

¡Oh guitarra!

Corazón malherido

por cinco espadas


Federico García Lorca (Poema de la seguiriya gitana, en Poema del Cante Jondo, 1921)


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Memento

Quand je mourrai,

enterrez-moi avec ma guitare

sous le sable.


Quand je mourrai,

parmi les orangers

et les menthes.


Quand je mourrai,

enterrez-moi, si vous voulez,

dans une girouette.


Quand je mourrai !


Memento


Cuando yo me muera

enterradme con mi guitarra

bajo la arena.


Cuando yo me muera,

entre los naranjos

y la hierbabuena.


Cuando yo me muera,

enterradme, si queréis,

en una veleta.


¡Cuando yo me muera !


Federico García Lorca (Viñetas flamencas en Poema del Cante Jondo, 1921)

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COLOMBIE
Myriam Montoya (née en 1963)

langue originale :  espagnol



"La poésie n'a jamais changé et ne changera pas le monde, mais elle intervient, par la parole, dans le monde. La poésie ne se réduit pas à rendre plus supportable la réalité, elle est l'énergie qui traverse la réalité, qui la remue. Alors, pour quelques-uns, la poésie devient essentielle. " (Myriam Montoya) sur le site de l'éditeur



Sur le site du Printemps des poètes cette courte biographie :


Myriam Montoya est née en 1963 à Bello (Colombie). Elle vit à Paris depuis 1994, où elle a publié ses deux premiers livres de poésie, Fugues/Fugas (1997) et Déracinements/Desarraigos (1999) tous deux traduits par Claude Couffon. En 2004 paraît une anthologie de son œuvre poétique, Vengo de la noche/Je viens de la nuit (éditions Ecrits des Forges et Castor Astral) traduite par Claude Couffon et Stéphane Chaumet.

Ses poèmes ont également paru dans diverses revues et anthologies de différents pays.

Parallèlement elle a traduit une anthologie de poésie africaine d’expression française, des poètes francophones et français, ainsi que la poète iranienne Forough Farrokhzad. Elle a été invitée dans de nombreux pays à plusieurs festivals et lectures.

« Dans les mots de Myriam Montoya, il y a la lumière : pas une lumière éclatante, celle d’un regard. Le regard d’une femme, un regard trans-lucide, sur la femme exilée, sur un tiers abandonné du monde, sur ces noyades anonymes dans l’obscurité, lessables du silence, dans l’abandon, la réclusion, dans la peur, la marche sans fin… ». (Luz Duarte)."




Passage du long poème "Ciudad transfigurada" (La ville transfigurée) dans le recueil "Vengo de la noche" (Je viens de la nuit) :


"Ciudad transfigurada" (La ville transfigurée)


(...)


También a la guerra jugaron

Los chiquillos del barrio

Simulando con el dedo índice y pulgar

La pistola sacada de la cartuchera de sus bolsillos

Lanzas cuchillos y espadas invisibles

De muchas batallas los vi salir

Extenuados y victoriosos

Muchas muertes imaginarias

Presencié desde la ventana


Una bala rompe los cristales

Pasos acosados perturban la calle

Recuerdo que en la infancia

Tan sólo era un juego.


Abajo

Al lado del pavimento

Un hombre diluido en la noche

Sacrificio de una ciudad que crece

En el vítreo silencio

Es un escombro que recogen

Justo a la hora en que abro mi balcón.



(...)


Les gamins du quartier aussi

Jouaient à la guerre

Simulant avec l’index et le pouce

Le pistolet dégainé de leur poche

Des couteaux des épées des lances invisibles

De nombreuses batailles je les ai vus sortir

Exténués et victorieux

De ma fenêtre j’ai assisté

À de nombreuses morts imaginaires


Une balle perdue brise la vitre

Des pas traqués perturbent la rue

Je me souviens que dans l’enfance

Tout cela n’était qu’un jeu.


En bas

Près du caniveau

Un homme dilué dans la nuit

Sacrifice d'une ville qui pousse

Sur un silence vitré

N'est qu'un décombre qu'on ramasse

juste au moment où j'ouvre mon balcon.



Myriam Montoya ("Vengo de la noche, Antologia - Je viens de la nuit", Anthologie - bilingue, traduction de Stéphane Chaumet et Claude Couffon  - Le Castor Astral, et Écrits des Forges, 2004)


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CHILI
Pablo Neruda (1904-1973)

langue originale :  espagnol
Nous avions mis en ligne une biographie et des textes, l’année dernière pour le Printemps des Poètes 2013, ici :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/2009/11/13/26334157.html



"Je continue à croire à la possibilité de l'amour. Je suis certain que les hommes finiront par s'entendre,triomphant des douleurs, du sang, et du verre brisé". Pablo Neruda

dans «J’avoue que j’ai vécu», Gallimard 1975 (traduction de Claude Couffon)




«La poesía es una insurrección» / «La poésie est une insurrection»

passage du livre testament de Pablo Neruda, «Confieso que he vivido»




Pablo Neruda (à droite) avec Salvador Allende, président du Chili, assassiné en septembre 1973 lors du coup d’état du général Pinochet
source de l’image : http://www.letras.s5.com/neruda220803.htm




[...] Tal vez los deberes del poeta fueron siempre los mismos en la historia. El honor de la poesía fue salir a la calle, fue tomar parte en éste y en el otro combate. No se asustó el poeta cuando le dijeron insurgente.
La poesía es una insurrección. No se ofendió el poeta porque lo llamaron subversivo. La vida sobrepasa las estructuras y hay nuevos códigos para el alma. De todas partes salta la semilla; todas las ideas son exóticas; esperamos cada día cambios inmensos; vivimos con entusiasmo la mutación del orden humano: la primavera es insurreccional.


Yo he dado cuanto tenía. He lanzado mi poesía a la arena, y a menudo me he desangrado con ella, sufriendo las agonías y exaltando las glorias que me ha tocado presenciar y vivir. Por una cosa o por otra fui incomprendido, y esto no está mal del todo. [...]


Pablo Neruda («Confieso que he vivido» , Editorial Seix Barral, 1974)
Ce livre de Mémoires a été édité en espagnol après la mort de Neruda.


traduction de lieucommun :

.[..] Les devoirs du poète sont probablement restés les mêmes dans l’Histoire. L’honneur de la poésie est de descendre dans la rue, de s’engager dans l'un ou l'autre combat. Le poète n’a pas été surpris d’être qualifié d’insurgé.
La poésie est une insurrection.  Le poète ne s’est pas senti humilié quand on l’a traité de subversif. La vie déborde les structures et le cœur s'attache à de nouveaux codes. Les graines naissent de partout ; toutes les idées sont originales ; nous attendons chaque jour d’immenses changements ; nous vivons dans l’enthousiasme de la mutation de l’ordre humain : le printemps est insurrectionnel.


J’ai donné tout ce que j’avais. J’ai lancé ma poésie dans l’arène, et je me suis souvent vidé de mon sang avec elle, subissant les tourments et me réjouissant de la gloire qu’il m’a été donné de rencontrer et de vivre. Pour une raison ou pour une autre j’ai été incompris, et c'est mieux ainsi. [...]

Pablo Neruda

«Confieso que he vivido» - «J’avoue que j’ai vécu»
Gallimard 1975 pour la version française (traduction de l'incontournable et génial Claude Couffon)


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CHILI
Gabriela Mistral (1889-1957)

langue originale :  espagnol


Gabriela Mistral (1889-1957), est une poétesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.

Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.

Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.

Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.



Où ferons-nous la ronde ?


Où ferons-nous la ronde ?

La ferons-nous au bord de la mer ?

La mer dansera de toutes ses vagues,

tressant des fleurs d’oranger.

La ferons-nous au pied de la montagne ?

La montagne nous répondra :

Ce sera comme si les pierres du monde entier

Se mettaient à chanter.

Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?

Des chants d’enfants et d’oiseaux

tresseront des baisers dans le vent.

Nous ferons une ronde infinie :

Nous irons la danser dans la forêt,

nous la ferons au pied de la montagne,

et sur toutes les plages du monde.


Gabriela Mistral ( "Désolation"  - 1922)
(traduction proposée par  Lieucommun) 


texte original :


¿En dónde tejemos la ronda?

¿En dónde tejemos la ronda?
¿La haremos a orillas del mar?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿La haremos al pie de los montes?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !


Gabriela Mistral ("Desolación"  - 1922)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

CHILI
Luis Mizón (né en 1942)

langue originale :  espagnol


Luis Mizón est un poète et romancier chilien né à Valparaíso. Il vit à Paris depuis 1974.

Luis Mizón est venu à Paris à la suite du coup d'État militaire au Chili1. Il fut remarqué par Roger Caillois qui traduisit Terre prochaine en 1977 et L'Arbre en 1978. Depuis la mort de Caillois, Luis Mizón est régulièrement traduit par Claude Couffon. (source Wikipédia)


  1. - - - - - -


Du recueil Poème du Sud et autres poèmes,

voici le début de la partie I PRISIONES (PRISONS)

du "Poème du Sud"


I PRISONS


1


Ma maison est une prison du Sud

un mur taché par ma voix.

Je suis né en regardant un arbre

Dans les tâches du mur

en inventant l’horizon

sur le mur lézardé.

J’ai grandi entouré d’amis malchanceux :

fiers mendiants du Sud.

Derrière le mur

je devine le vent

et son échiquier de sable

j’entends un métal crier

de naissance en naissance

 

2


Je dessine des grues des chantiers avec leurs bateaux

des paysages de poussière de grands eucalyptus

midi éclate

comme le cerveau d’un enfant

plein de vent et de feuilles mortes

d’avions égarés.

Je dessine des bateaux et des chevaux à l’encre rouge

échos et reflets d’un arbre de verre.

Près de la vague

je dessine le silence

insaisissable drame

où naufrage des cris d’enfants

 

3


Dis – moi semence rouge

plume noire :

avec quel toucher éveiller

le désir d’un grand corps qui respire en rêvant

dans un miroir

un grand miroir abandonné

où il y a un arbre

une pièce vide une fenêtre et la mer ?

Avec quelle main toucher son visage érodé

ses paroles d’argile craquelée ?

Avec quel souffle éveiller la cascade

dans l’intime coquille de la mémoire ?

 

4


Nous recueillions des cris et des échos

cloués au mur

comme des fantômes.

Des griottes amères, du raisin et des pommes

pour fabriquer un vin

à boire et à entendre

sur les terres arides du Sud.

 

5


Qui nous a fait vivre sur ce dépotoir

de la terre chaude

où le corps de l’homme

ressemble à un grand pantin abusé

parmi les ruines et les mouches ?

Que fait notre voix dans le recoin aux murmures

dans l’abandon de cette côte sans nom ?

 

6


Le désir crevasse l’ombre.

Une pierre parfois se change

en vol d’oiseaux.

L’œil de verre du contemplateur d’étoiles

reflète les pétales du pavot noir.

 

Notre voix se brise en inventant des fenêtres.


…….


texte original en espagnol de la première strophe :


PRISIONES


1



Mi casa es una prisión del Sur

un muro manchado por mi voz.

Nací mirando un árbol en las manchas del muro

inventando el horizonte en las grietas del muro

crecí rodeado de amigos sin suerte :

orgullosos mendigos del Sur.
Detrás del muro

adivino el viento

y su ajedrez de arena

y escucho un metal que grita

de nacimiento en nacimiento.

 

Luis Mizón (Poème du Sud et autres poèmes. Poema del Sur  -  édition bilingue, traduit de l’espagnol par Roger Caillois et Claude Couffon  -  Gallimard, NRF, 1982)


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

CUBA
Roberto Fernandez Retamar (né en 1930)

langue originale :  espagnol


Roberto Fernandez Retamar est né à Cuba.

Une poésie traduite en français est déjà sur le blog (catégorie PRINT POÈTES 2007 LETTERA AMOROSA).

Le texte qui suit semble un peu trop agressif pour la classe, avant en tous cas le Lycée.

En voici donc un très court passage (couleur) en français. Que ceux qui veulent aller plus loin prennent un dictionnaire ! ...


Heureux les normaux (titre proposé)

Heureux les normaux, ces êtres étranges.

...

Ceux qui n'ont pas été réduits en cendres par un amour dévorant

...

Ceux qui gagnent, qui sont aimés des pieds à la tête

...


Mais qu'ils laissent la place à ceux qui font le monde et les rêves,

Les illusions, les symphonies, les paroles qui nous démantibulent

Et nous construisent...

Qu'ils leur laissent leur place en enfer, et basta !


Roberto Fernandez Retamar   (traduction lieucommun)


Texte original :


Felices los normales


A Antonia Eiriz


Felices los normales, esos seres extraños,

Los que no tuvieron una madre loca, un padre borracho, un hijo delincuente,

Una casa en ninguna parte, una enfermedad desconocida,

Los que no han sido calcinados por un amor devorante,

Los que vivieron los diecisiete rostros de la sonrisa y un poco más,

Los llenos de zapatos, los arcángeles con sombreros,

Los satisfechos, los gordos, los lindos,

Los rintintín y sus secuaces, los que cómo no, por aquí,

Los que ganan, los que son queridos hasta la empuñadura,

Los flautistas acompañados por ratones,

Los vendedores y sus compradores,

Los caballeros ligeramente sobrehumanos,

Los hombres vestidos de truenos y las mujeres de relámpagos,

Los delicados, los sensatos, los finos,

Los amables, los dulces, los comestibles y los bebestibles.

Felices las aves, el estiércol, las piedras.


Pero que den paso a los que hacen los mundos y los sueños,

Las ilusiones, las sinfonías, las palabras que nos desbaratan

Y nos construyen, los más locos que sus madres, los más borrachos

Que sus padres y más delincuentes que sus hijos

Y más devorados por amores calcinantes.

Que les dejen su sitio en el infierno, y basta.


Roberto Fernandez Retamar (Buena suerte viviendo)


d'autres poèmes ici :
http://www.artepoetica.net/roberto_retamar.pdf


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

GUATEMALA
Humberto Ak'abal (né en 1952)

langues originales :  maya et espagnol


Humberto Ak’abal est un poète Maya du Guatemala. Les Mayas représentent plus de la moitié de la population de ce pays, mais c'est un peuple qui lutte pour son existence et sa culture (300 000 indiens mayas ont été tués dans les années 80)
On trouvera
d'autres poèmes de cet auteur sur le blog lieucommun <<ICI.


Mi otro yo


Mientras duermo

mi otro yo

sale* en busca de tu ausencia.


Humberto Ak' abal ("Kamoyoyik")


Traduction libre :


Mon autre moi


Pendant que je dors

mon autre moi

part* à la recherche de ton absence.


*sale = sort

Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - -

Sans titre


La justice ne parle pas la langue des indiens,

la justice ne descend pas chez les pauvres,

la justice ne porte pas de caites,

la justice ne marche pas pieds nus

sur les chemins de terre...


Humberto Ak’abal

Les caites sont les sandales des indiens mayas


La justicia no habla en lengua de indios,

la justicia no desciende a los pobres,

la justicia no usa caites,

la justicia no camina descalza

por caminos de tierra ...


Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - -


Les deux poèmes qui suivent sont parus dans le journal "La Jornada" (La Journée) sous le titre La memoria del árbol (La mémoire de l'arbre), présentés par Eduardo Galeano. Ak'abal les a écrits en maya quiché et traduits en espagnol.
Nous vous en proposons la traduction en français.


B'alam


K'o taq mul in b'alam,

kinxak'in pa taq siwan,

kinch'opin puwi' taq ri tanatik

kinb'inib'ej, kinq'axaj juyub'.


Kinwil ri unimal ri kaj,

ri uchowil, jela' che ri ja',

ri uk'ux ri ulew.


Kintzijon ruk' ri q'ij,

kinetz'an ruk' ri ik',

kinb'oq' ch'umil

kinnak' chuwij.


Kinsilob'aj ri nuje',

kinq'oyi' cho ri le'anik

kinkosik', kinwesaj ri waq'.


Humberto Ak’abal


en espagnol : Jaguar


Otras veces soy jaguar,

corro por barrancos,

salto sobre peñascos,

trepo montañas.


Miro más allá del cielo,

más allá del agua,

más allá de la tierra.


Platico con el sol,

juego con la luna,

arranco estrellas

y las pego a mi cuerpo.


Mientras muevo la cola,

me echo sobre el pasto

con la lengua de fuera


Humberto Ak’abal (dans le quotidien "La Jornada" du 17 février 1999)


Traduction en français proposée par Lieucommun :


Jaguar


Parfois, je suis jaguar,

je cours par les ravins,

je saute par-dessus les rochers,

j'escalade les montagnes.


Je regarde au-delà du ciel,

au-delà de l'eau,

au-delà de la terre.


Je parle avec le soleil,

je joue avec la lune,

J'arrache des étoiles

et je les fixe sur mon corps.


En remuant la queue,

je me précipite dans l'herbe,

la langue dehors.


  1. - - - - - - - - - -


Un autre petit poème dans les deux langues d'écriture d'Humberto Ak'abal :


Rapapem


In inchikop :

ri nurapapem

kinb'an pa ri wanima'.


Vuelo


Soy pájaro :

mis vuelos son

dentro de mí.


Humberto Ak’abal


Traduction proposée par lieucommun :


Je vole


Je suis un oiseau :

je vole

à l'intérieur de moi-même.


  1. - - - - - - - - - -


Autres textes en espagnol (avec traduction) :


Las luciérnagas


Las luciérnagas

son estrellas

que bajaron del cielo


y las estrellas

son luciérnagas

que no pudieron bajar.


Apagan y encienden sus ocotíos

para que les duren

toda la noche.


Humberto Ak’abal


Traduction proposée par lieucommun :


Les lucioles


Les lucioles

sont des étoiles

descendues du ciel


et les étoiles

sont des vers luisants

qui n'ont pas pu descendre.


Ils éteignent et allument leur petits braseros

pour avoir de la lumière

toute la nuit.


Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - -


Allá


Allá

de donde yo soy


es el único lugar

donde uno

puede agarrarse de la noche

como de una baranda


para no caer

en la oscuridad.


Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - -


Traduction proposée par lieucommun :


Là-bas


Là-bas

où moi je suis né,


c'est le seul lieu

où l'on peut s'appuyer sur la nuit

comme sur une balustrade


pour ne pas tomber

dans l'obscurité.


Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - -


Árbol


Libro verde

árbol poeta

¡cuánta poesía en tus hojas!

Quienquiera

que se pose en tus ramas

se vuelve cantor.


Humberto Ak’abal


Traduction proposée par Lieucommun :


Arbre


Livre vert

arbre poète

que de poésie dans tes feuilles !

Quiconque

se pose sur tes branches

devient chanteur.


Humberto Ak’abal


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

ÉTATS-UNIS - Indiens d'Amérique
Crowfoot (1830-1890)

langue originale :  le blackfoot (pied-noir)


Crowfoot (est le principal chef de tribu Pieds-Noirs (Blackfeet). C'est à ce titre qu'il a négocié et signé le Traité qui assure la survie des Indiens au prix de la confiscation de la presque totalité de leur territoire.


Crowfoot signifie Pied-de-corbeau en français ou Isapo-Muxika (Issapóómahksika en langue pied-noir, signifiant « Grand pied des Corbeaux») -

La Confédération des Pieds-Noirs (appelés Blackfeet aux USA ou Blackfoot au Canada), comprend trois tribus nord-amérindiennes des Grandes Plaines de l'Alberta au Canada et du Montana aux États-Unis.
Dans leur propre langue, le pied-noir, ils se nomment Niitsítapi («le peuple originel»).
(source Wikipédia)


Qu'est-ce que la vie ?


C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.

C'est le souffle d'un bison en hiver.

C'est la petite ombre qui court dans l'herbe

et se perd au coucher du soleil.


Crowfoot, chef Blackfeet, en 1880


  1. - - - - - - - - - -


Chanson pour les arbres et les rivières


Noire sur le ciel,

Cette lointaine ligne là-bas s'étire devant nos yeux.

Nous voyons des arbres, une longue rangée d'arbres

Qui s'inclinent et balancent à la brise.

Claire d'éclats lumineux,

Cette lointaine ligne là-bas court devant nos yeux,

Court prestement, preste court la rivière

Qui parcourt le pays en sinuant.


Écoutez ! Écoutez plutôt !


Un son, ce son lointain là-bas,

Qui vient nous saluer, en chantant vient,

Douce chanson de la rivière

Qui doucement murmure sous les arbres.


Chanson de la tribu Pawnee



  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

ÉCOSSE
Kenneth White (né en 1952)

langues originale :  anglais


voir la page sur le site ici :

  1. Kenneth WHITE


  2. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

TURQUIE


Nazim Hikmet (1901-1963)

langue originale :  turc


Nazim Hikmet est le poète turc le plus traduit. Emprisonné  17 ans pour ses prises de position politiques, il s'est exilé de Turquie. Le prix international de la paix lui a été décerné en 1955.


"Vivre comme un arbre, seul et libre,

Vivre en frères comme les arbres d'une forêt,

Ce rêve est le nôtre !"


traduction de

"Yasamak bir agaç gibi, tek ve hür,
Ve bir orman gibi kardesesine,
Bu hasret bizim !"


Le globe


Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.

Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore

Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.

Offrons le globe aux enfants,

Donnons-leur comme une pomme énorme

Comme une boule de pain toute chaude,

Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.

Offrons le globe aux enfants,

Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,

Les enfants prendront de nos mains le globe

Ils y planteront des arbres immortels.


Nazim Hikmet (traduction de Charles Dobzynski)


  1. -- - - - - - - - -


La plus drôle des créatures


Comme le scorpion, mon frère

Tu es comme le scorpion

Dans une nuit d'épouvante.

Comme le moineau, mon frère,

Tu es comme le moineau

Dans ses menues inquiétudes.

Comme la moule, mon frère,

Tu es comme la moule

Enfermée et tranquille.

Tu es terrible, mon frère,

Comme la bouche d'un volcan éteint.

Et tu n'es pas un, hélas,

Tu n'es pas cinq,

Tu es des millions.

Tu es comme le mouton, mon frère,

Quand le bourreau habillé de ta peau

Quand le bourreau lève son bâton

Tu te hâtes de rentrer dans le troupeau

Et tu vas à l'abattoir en courant, presque fier.

Tu es la plus drôle des créatures, en somme,

Plus drôle que le poisson

Qui vit dans la mer sans savoir la mer.

Et s'il y a tant de misère sur terre

C'est grâce à toi mon frère,

Si nous sommes affamés, épuisés,

Si nous sommes écorchés jusqu'au sang,

Pressés comme la grappe pour donner notre vin,

Irai-je jusqu'à dire que c'est de ta faute, non,

Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.


Nazim Hikmet ("C'est un dur métier que l'exil" - 1948 - traduction de Charles Dobzynski)

Ce texte est dit et chanté par Yves Montand.


  1. -- - - - - - - - -


J'ai un arbre en moi (titre proposé)


J'ai un arbre en moi

Dont j'ai rapporté le plan du soleil

Poissons de feu ses feuilles se balancent

Ses fruits tels des oiseaux gazouillent

Les voyageurs depuis longtemps sont

Descendus de leur fusée

Sur l'étoile qui est en moi

Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves

Ni ordres, ni vantardises, ni prières.

J'ai une route blanche en moi

Y passent les fourmis avec les grains de blé

Les camions pleins de cris de fête

Mais cette route est interdite aux corbillards.


Nazim Hikmet


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

GRÈCE (traduit du grec)

Yannis Ritsos (1909-1990)




"Journal de déportation"  (édition bilingue grec-français -  traduit du grec par Pascal Neveu, Ypsilon, 2009)


Alors qu'il était déporté sur les îles de Limnos et Makronissos entre 1948 et 1950, Yannis Ritsos tenait un "journal" poétique. Chaque matin, malgré les terribles conditions de détention, il se réveillait avant tout le monde pour écrire ses poèmes sur des petits carnets ou des paquets de cigarettes.

Le quotidien et l'amertume du détenu, dans la poésie de Ritsos, y font entendre les silences de la pierre et parles les oublis de l'histoire.

Ce journal de déportation est traduit pour la première fois en France.

source, site de l'éditeur :

http://ypsilonediteur.com/fiche.php?id=84


passage du recueil :


24 novembre 1948

Jour pierreux, paroles pierreuses.

Des chenilles grimpent le long du mur.

Un escargot porte sa maison

sort sur le seuil

il peut y rester, il peut partir.

Les choses sont comme elles sont.

Ce n'est rien

Le rien n'est pas tendre.

Il est pierreux.


D'autres passages du recueil :


11 mai 1950


Les bâtiments et les pierres après la pluie

ont changé de couleur.

Deux vieillards s'assoient sur un banc. Ils ne parlent pas.

Tant de cris et il reste tant de silence.

Les journaux vieillissent en une heure.


Temps faible-temps fort, faible-fort

monotonie du changement - temps faible;

fort-faible, strophe-antistrophe

ni colère ni tristesse.


Le couvre-feu du soir;

aussi pesant pour celui qui a blessé

que pour celui qui est blessé.


Les hommes s'assoient sur les pierres

ils se coupent les ongles.

Les autres sont morts.

Nous les avons oubliés.


8 décembre

( ce passage est emprunté ici :

Yannis Ritsos - Terre à ciel ) << CLIC


Jour calme. Une table vide.

Je vois les choses comme elles sont.

J’ai les mains dans les poches.

A qui dire merci ?


J’ai gardé sous l’eau tiède de la nuit

la main du sommeil et la sensation de l’oubli

le contact de la couverture et du mur.

Si on soulève le drap

on ne me trouve pas.

Cherche, pour me trouver – ne comprends-tu pas ?

je suis plus en dedans.


Il y avait deux verres sur la table

un tabouret dans un coin

l’ombre d’une main qui aurait cueilli des fleurs

une ombre partagée entre le lit et le plafond

j’ai oublié je n’ai pas eu le temps de voir

rien que l’ombre d’une fenêtre qui ne s’est pas ouverte

sur le mur blanc

et la main qui n’a pas cueilli de fleurs

la main qui s’est coupée dès les premières secondes de lune

tombant au milieu du chemin dans l’eau boueuse

près de la roue brisée du fourgon postal


Une mandoline un ange en colère

un verre d’eau la cigarette

le son qui nous lie un instant hors de la solitude

pour nous séparer encore sans dire bonne nuit.


Et puis, les yeux qui percent deux trous dans le mur.


J’ai planté un arbre. Je le ferai grandir.

Quoiqu’il arrive, je ne reviens pas en arrière.


Yannis Ritsos ("Journal de déportation" ;  édition bilingue grec-français -  traduit du grec par Pascal Neveu, Ypsilon, 2009)


  1. - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 
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À vous de voir ...

Fait de langue, la poésie est aussi, et peut-être d'abord, « une manière d'être, d'habiter, de s'habiter » comme le disait Georges Perros. 
Parole levée, vent debout ou chant intérieur, elle manifeste dans la cité une objection radicale et obstinée à tout ce qui diminue l'homme, elle oppose aux vains prestiges du paraître, de l'avoir et du pouvoir, le voeu d'une vie intense et insoumise. Elle est une insurrection de la conscience contre tout ce qui enjoint, simplifie, limite et décourage. Même rebelle, son principe, disait Julien Gracq, est le « sentiment du oui ». Elle invite à prendre feu. 

Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes
"La poesía es una insurrección"
La poésie est une insurrection"
Pablo Neruda
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