Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique
poètes d'autres langues - traductions
Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique
poètes d'autres langues - traductions
URSS - RUSSIE
Vladimir Maïakovski (1893-1930)
langue originale : russe
"Il faut extorquer
la joie
aux jours futurs"
Vladimir Maïakovski , 1926
(Anthologie de la poésie russe, Gallimard)
en russe :
Надо вырвать радость у грядущих дней.
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(...)
Lorca Maïakovski Desnos Apollinaire
Leurs ombres longuement parfument nos matins
Le ciel roule toujours les feux imaginaires
De leurs astres éteints
Contre le chant majeur la balle que peut-elle
Sauf contre le chanteur que peuvent les fusils
La terre ne reprend que cette chair mortelle
Mais non la poésie.
(...)
"Les poètes", Louis Aragon (extrait)
(...)
Mon Dieu, mon Dieu, tout assumer
L'odeur du pain et de la rose
Le poids de ta main qui se pose
Comme un témoin du mal d'aimer
Le cri qui gonfle la poitrine
De Lorca à Maïakovski
Des poètes qu'on assassine
Ou qui se tuent pour quoi, pour qui ?
Jean Ferrat (chanson "Je ne chante pas pour passer le temps")
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"Un poète doit développer son propre rythme, abandonnant iambes et chorés, mesures canonisées, qui ne lui appartiennent pas en propre. Le rythme magnétise et électrise la poésie ; chaque poète doit trouver le sien, ou
les siens." Vladimir Maïakovski
✦Lire ici, sur Wikipédia, sa bio complète :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Vladimir_Maïakovski
Vladimir Vladimirovitch Maïakovski (en russe : Владимир Владимирович Маяковский, également orthographié Maïakovsky), est un poète, dramaturge et futuriste soviétique (...)
Selon la même source Wikipédia, il rédigea sa propre épitaphe deux jours avant de se donner la mort :
" N'accusez personne de ma mort et, s'il vous plaît, pas de commérages. Le défunt les détestait terriblement.
Maman, sœurs et camarades, pardonnez-moi : ce n'est pas un moyen (je ne le conseille pas aux autres) mais il n'y a pas d'issue pour moi.
Lilia, aime-moi.
Camarade gouvernement, ma famille c'est Lilia Brik, maman, ma sœur et Véronika Vitoldovna Polonskaïa.
Si tu leur procures une existence possible, merci."
Comme on dit
« l'incident est clos »
le canot de l'amour se brisa
contre la vie quotidienne
J'ai réglé mes comptes avec l'existence
Inutile d'énumérer
les douleurs
les malheurs
les offenses réciproques
Soyez heureux "
Vladimir Maïakovski
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Puisqu'on allume les étoiles (passage, titre suggéré)
(...)
Écoutez !
Puisqu'on allume les étoiles,
c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?
C'est que quelqu'un désire qu'elles soient ?
C'est que quelqu'un dit perles ces crachats ?
Et, forçant
la bourrasque à midi des poussières,
il fonce jusqu'à Dieu,
craint d'arriver trop tard,
pleure,
baise sa main noueuse,
implore -
il lui faut une étoile ! -
jure
qu'il ne peut supporter ce martyre sans étoiles.
Ensuite,
il promène son angoisse,
il fait semblant d'être calme.
Il dit à quelqu'un :
" Maintenant, tu vas mieux, n'est-ce pas ?
t'as plus peur ?
Dis ? "
Écoutez !
Puisqu'on allume
les étoiles,
c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ?
c'est qu'il est - indispensable,
que tous les soirs
au-dessus des toits
se mette à luire seule au moins une étoile ?
Vladimir Maïakovski , 1913 ("Vers et proses, EFR, 1957, traduction d'Elsa Triolet)
également dans "Anthologie de la poésie russe" (textes réunis par Elsa Triolet, Seghers).
et dans "Écoutez ! si on allume les étoiles", traduction Simone Pirez et Francis Combes (collection Vivre en poésie - Le temps des cerises, 2005)
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Les textes et commentaires qui suivent sont empruntés au travail considérable de l'artiste textile et écrivaine Caroline Regnaut * sur Maïakovski ici :
http://www.toiles-et-poemes.com/pdf/maiakovski-joie-resurrection.pdf
On y trouvera d'autres textes et une analyse en profondeur de la poésie de Vladimir Maïakovski, replacée dans l'intime du poète, et dans la Russie de son temps, tourmente culturelle, intellectuelle et politique.
*pour le travail artistique textile voir par exemple ceci, d'autant plus apprécié que l'auteur du site lieucommun a lui -même participé à l'exposition, textuellement ! :
http://www.aiguille-en-fete.com/Avec-des-cravates-pour-medium-Caroline-Regnaut-prend-ses-quartiers-a-l-Aiguille-en-Fete-2014_a3432.html
Après le suicide de son ami Sergueï Essenine en 1926, Maïakovski lui adressait post-mortem ce poème, réponse à celui écrit par Essenine avec son sang juste avant de se tuer :
le poème d'Essenine :
Au revoir, mon ami, au revoir,
Très cher, en moi tu es enraciné,
La séparation prédestinée
Nous promet rencontre plus tard.
Au revoir, mon ami, sans main serrée, sans mot.
Au revoir, mon ami, sans geste ni mot,
Garde l’œil sec : ni chagrin, ni souci –
Ni chagrin ni tristesse aux sourcils
Mourir n’est pas nouveau dans cette vie
En cette vie mourir n’est pas nouveau,
Mais vivre, assurément, n’est pas plus neuf
Mais vivre, finalement, n’est pas plus nouveau.
Sergueï Essenine
le poème de Maïakovski , dans l'une de ses traductions en français:
Il y a beaucoup à faire,
on n’y suffit pas.
Il faut pour commencer
refaire la vie
et ensuite seulement
on pourra la chanter.
Notre époque pour la plume
n’est pas très commode.
Mais dites-moi un peu,
bancroches de tous poils,
où
et quand,
quel grand a jamais choisi un chemin
bien frayé
et facile ?
La parole
est le général
de la force humaine. En avant, marche !
Que le temps derrière nous
éclate en obus. Que vers les jours passés
le vent
emporte seulement
les cheveux emmêlés. Notre planète
est mal équipée pour la gaieté.
Il faut extorquer
la joie
aux jours futurs.
Dans cette vie
mourir est assez facile,
faire la vie
est beaucoup plus difficile.
texte original en langue russe des trois derniers vers :
Надо вырвать радость у грядущих дней.
В этой жизни помереть не трудно.
Сделать жизнь значительно трудней
Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)
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Écoute
camarade postérité,
L'agitateur
le brailleur,
le chef.
Traversant les flots de la poésie
j'enjamberai les plaquettes lyriques
en parlant
comme un vivant
avec les vivants.
Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)
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J’ai
du globe terrestre
fait le tour
presque entier.
La vie
est belle,
et il fait bon vivre.
Mais dans notre vacarme,
c’est mieux encore. Une rue-serpent
sinue. Le long du serpent,
ardent et bouillonnant,
La rue
est à moi
il y a des maisons.
les maisons
sont à moi.
Vladimir Maïakovski (traduction de Claude Frioux)
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Ce poème de Vladimir Maïakovski, inachevé est considéré comme le dernier de l'auteur :
source :
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/maiakovski.html
I
Elle m’aime, elle ne m’aime pas
Je trie mes mains
Et j’ai cassé mes doigts.
Alors les premières têtes des marguerites
Secouées d’une chiquenaude
sont cueillies et sans doute
éparpillées en mai
que mes cheveux gris se révèlent
sous la coupe et la douche
que l’argent des années nous enserre éternellement !
honteuse sensation banale- sentiment que j’espère
que je jure
jamais elle ne reviendra vers moi.
II
C’est bientôt deux heures
Pas de doute tu dois déjà dormir
Dans la nuit
La voix lactée avec ses filigranes d’argent
Je ne suis pas pressé
Et rien en moi
Ne veille ni ne t’accable de télégrammes
III
La mer va pleurer
La mer va dormir
Comme ils disent.
L’incident s’est cassé la gueule.
Le bateau de l’amour de la vie
S’est brisé sur les rochers du quotidien trivial
Toi et moi sommes quittes ;
pas la peine de ressasser
Les injures de chacun
Les ennuis
Et les chagrins
IV
Tu vois,
En ce monde tous ces sommeils paisibles,
La nuit doit au ciel
Avec ses constellations d’argent
En une si belle heure que celle-ci
Quelqu’un alors s’élève et parle
Aux ères de l’histoire
Et à la création du monde.
V
Je connais le pouvoir des mots ; je connais le tocsin des mots
Ce n’est pas le genre que les boîtes applaudissent
De tels mots des cercueils peuvent jaillir de terre
Et iront s’étalant avec leurs quatre pieds en chêne ;
Parfois ils vous rejettent, pas de publication, pas d’édition.
Mais les mots sacro-saints qui vous étouffent continuent à galoper au dehors.
Vois comme le siècle nous cerne et tente de ramper
Pour lécher les mains calleuses de la poésie.
Je connais le pouvoir des mots. Comme broutilles qui tombent
Tels des pétales à côté de la piste de danse rehaussée.
Mais l’homme avec son âme, ses lèvres, ses os …
Vladimir Maïakovski (Au sommet de ma voix, 1928-1930)
la traduction est celle du site source indiqué plus haut.
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ITALIE
Cesare Pavese
langue originale : italien
Cesare Pavese (1908-1950), est un romancier et poète italien connu, auteur du roman "Le bel été", en 1940. Le fil ténu qui le liait à la vie était fait d'amour et de désamour : "La mort viendra et elle aura tes yeux" est son dernier recueil poétique, par lequel il exprime le choix de sa mort.
Cet ouvrage est paru en 1951, un an après sa disparition.
Rivolta (passage du poème - traduction en français mise en bleu)
Pare morto anche il mucchio di cenci
che il sole scalda forte, appoggiato al muretto.
Dormire per la strada dimostra fiducia nel mondo.
C'è una barba tra i cenci e vi corrono mosche che han da fare.
Come mosche i passanti si muovono in strada.
Il pezzente è una parte della strada.
La miseria ricopre di barba
i sogghigni come un'erba
e dà un'aria pacata.
Questo vecchio che poteva morire stravolto nel sangue
pare invece una cosa ed è vivo.
Così tranne il sangue
ogni cosa è una parte di strada.
Pure, in strada le stelle hanno visto del sangue.
Cesare Pavese, 1934
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Révolte
Le mort est crispé contre terre et ses yeux ne voient pas les étoiles :
ses cheveux sont collés au pavé. La nuit est plus froide.
Les vivants rentrent à la maison et en tremblent encore.
On ne peut pas les suivre ; ils se dispersent tous :
l’un monte un escalier, l’autre va à la cave.
Certains marchent jusqu’à l’aube et se jettent dans un pré,
en plein soleil. Demain en travaillant, il y en a
qui auront un rictus de désespoir. Puis ça aussi passera.
Quand ils dorment, ils sont pareils aux morts : s’il y a une femme,
les odeurs sont plus lourdes mais on dirait des morts.
Chaque corps se cramponne, crispé, à son lit
comme au rouge pavé : la longue peine
qui dure depuis l’aube vaut bien une brève agonie.
Sur chaque corps s’englue une obscurité sale.
Seul de tous, le mort est étendu aux étoiles.
Il a aussi l’air mort cet amas de haillons
appuyé au muret, que brûle le soleil.
C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.
Entre les haillons pointe une barbe que parcourent
des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,
comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.
La misère, comme une herbe, recouvre de barbe
les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là
qui aurait pu mourir crispé dans son sang
a l’air au contraire d’une chose et il vit.
Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.
Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.
Il a aussi l’air mort cet amas de haillons
appuyé au muret, que brûle le soleil.
C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue.
Entre les haillons pointe une barbe que parcourent
des mouches affairées ; les passants vont et viennent dans la rue,
comme des mouches ; le clochard est un fragment de rue.
La misère, comme une herbe, recouvre de barbe
les rictus et donne un air tranquille. Ce vieux-là
qui aurait pu mourir crispé dans son sang
a l’air au contraire d’une chose et il vit.
Ainsi, à part le sang, chaque chose est un fragment de rue.
Et pourtant, les étoiles ont vu du sang dans la rue.
Cesare Pavese, 1934 (Travailler fatigue)
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L’étoile du matin
La mer est encore sombre, les étoiles vacillent
quand l’homme seul se lève. Une tiédeur d’haleine
s’élève de la rive, où la mer a son lit,
et apaise le souffle. C’est l’heure maintenant
où rien ne peut arriver. La pipe elle-même pend
entre les dents, éteinte. L’eau murmure tranquille, nocturne.
L’homme seul a déjà allumé un grand feu de branchages
et regarde le sol qui rougeoie. Bientôt la mer sera
elle aussi comme le feu, flamboyante.
Il n’est chose plus amère que l’aube d’un jour
où rien n’arrivera. Il n’est chose plus amère
que l’inutilité. Lasse dans le ciel, pend
une étoile verdâtre que l’aube a surprise.
Elle voit la mer sombre et la tache du feu
et près d’elle, pour faire quelque chose, l’homme qui se réchauffe ;
elle voit, puis tombe de sommeil entre les monts obscurs
où est un lit de neige. L’heure qui passe lente
est sans pitié pour ceux qui n’attendent plus rien.
Est-ce la peine que le soleil surgisse de la mer
et que commence la longue journée ? Demain
reviendront l’aube tiède, la lumière diaphane,
et ce sera comme hier, jamais rien n’arrivera.
L’homme seul ne voudrait que dormir.
Quand la dernière étoile s’est éteinte dans le ciel,
lentement l’homme bourre sa pipe et l’allume.
Cesare Pavese, 1934 (Travailler fatigue)
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ITALIE
Pier Paolo Pasolini (1922-1975)
langue originale : italien
Pier Paolo Pasolini est plus connu comme réalisateur de cinéma que comme écrivain.
C’est pourtant un des plus importants poètes italiens. Sa vie amoureuse passionnée et tourmentée, marginale et forcément menacée, s'achève tragiquement : il est mort assassiné.
Où sont les armes ? Les jours passés
Ne reviendront plus, je le sais, le rouge avril
De la jeunesse est révolu pour toujours.
Seul un rêve, un rêve de joie peut ouvrir
Une saison de douleur armée.
Pasolini - extrait de «Victoire» (Poésie en forme de rose, 1964)
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Alla bandiera rossa (Au drapeau rouge)
Per chi conosce solo il tuo colore,
bandiera rossa,
tu devi realmente esistere, perché lui
esista:
chi era coperto di croste è coperto di
piaghe,
il bracciante diventa mendicante,
il napoletano calabrese, il calabrese
africano,
l'analfabeta una bufala o un cane.
Chi conosceva appena il tuo colore,
bandiera rossa,
sta per non conoscerti più, neanche coi
sensi:
tu che già vanti tante glorie borghesi e
operaie,
ridiventa straccio, e il più povero ti
sventoli.
Pier Paolo Pasolini ("Nuovi epigrammi", 1950 et «La religione del mio tempo», 1961)
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Au drapeau rouge
Pour celui qui ne connaît que ta couleur,
drapeau rouge,
tu dois réellement exister,
pour qu’il existe lui-même :
Celui-là qui était couvert de croûtes
est couvert de plaies
l'ouvrier agricole devient mendiant,
le Napolitain Calabrais,
le Calabrais Africain,
l'analphabète bufflonne ou chien.
Celui qui connaissait à peine ta couleur,
drapeau rouge,
est réduit à ne plus te connaître,
même devant l’évidence :
toi qui vantes aujourd’hui
tant de gloires bourgeoises et ouvrières,
redeviens chiffon,
et que le plus pauvre te brandisse.
Pasolini (dans «Nouvel épigramme» et «la religion de mon époque»)
traduction A.B. pour lieucommun
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Supplica a mia madre
E' difficile dire con parole di figlio
ciò a cui nel cuore ben poco assomiglio.
Tu sei la sola al mondo che sa, del mio cuore,
ciò che è stato sempre, prima d'ogni altro amore.
Per questo devo dirti ciò ch'è orrendo conoscere:
è dentro la tua grazia che nasce la mia angoscia.
Sei insostituibile. Per questo è dannata
alla solitudine la vita che mi hai data.
E non voglio esser solo. Ho un'infinita fame
d'amore, dell'amore di corpi senza anima.
Perché l'anima è in te, sei tu, ma tu
sei mia madre e il tuo amore è la mia schiavitù:
ho passato l'infanzia schiavo di questo senso
alto, irrimediabile, di un impegno immenso.
Era l'unico modo per sentire la vita,
l'unica tinta, l'unica forma: ora è finita.
Sopravviviamo: ed è la confusione
di una vita rinata fuori dalla ragione.
Ti supplico, ah, ti supplico: non voler morire.
Sono qui, solo, con te, in un futuro aprile …
Pasolini ("Poesie incivile", 1960 dans "La religione del mio tempo")
Supplique à ma mère
Il m'est difficile de dire avec les mots d'un fils
que du fond de mon coeur je ressemble bien peu à ça.
De mon propre coeur, tu es la seule au monde qui sache,
ce qui toujours, avant chaque autre amour, a été en lui.
Aussi pour cela dois-je te dire ce qu'il est horrible de connaître :
c'est au dedans de ta grâce même que naît mon angoisse.
Tu es irremplaçable. Pour cela la vie que tu m'as donnée
est vouée à la solitude.
Et je ne veux pas être seul. J'ai une faim infinie
d'amour, de cet amour des corps sans âme.
Parce que l'âme est en toi, toi tu es, mais toi
tu es ma mère et ton amour est ma servitude :
l'enfance je l'ai passée esclave de ce haut sens,
irrémédiable, d'un engagement immense.
C'était l'unique manière pour sentir la vie,
l'unique couleur, l'unique forme : maintenant c'est fini.
Nous survivons : et c'est la confusion
d'une vie ressuscitée hors de la raison.
Je t'en supplie, ah, je te supplie de ne pas vouloir mourir.
Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril ...
Pier Paolo Pasolini
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ALLEMAGNE
Bertolt Brecht (1898-1956)
langue originale : allemand
source biographique :
http://www.linternaute.com/biographie/bertolt-brecht/
Bertolt Brecht est un metteur en scène, dramaturge et poète allemand engagé.
Exilé aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il revient en Allemagne en 1948 pour fonder la troupe du Berliner Ensemble. Il est le théoricien d'un théâtre didactique ayant pour but la prise de conscience et l'action du spectateur. Il essaie pour cela de créer une distanciation entre spectateurs et personnages, afin d'empêcher l'identification. Brecht écrit et met en scène de nombreuses pièces, telles que la Vie de Galilée (1943) ou le Cercle de craie caucasien (1943-1945) pour cette nouvelle forme de théâtre qu'il définit dans le Petit Organon pour le théâtre en 1948. Sympathisant du marxisme, Brecht exprime dans ses oeuvres ses idées socialistes, ce qui lui vaudra le prix Staline international pour la paix en 1955.
★La pièce de théâtre dénonçant la montée du nazisme et d’Hitler, «La résistible ascension d'Arturo Ui» (Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui), a été rédigée en 1941 par Bertold Brecht aux Etats-Unis.
La pièce établit un parallèle entre la pègre new-yorkaise et la montée du nazisme en Allemagne.
La première représentation a eu lieu en 1958, deux ans après la mort de l’auteur.
La présentation de la pièce (le prologue) par le narrateur est restée dans l’Histoire comme un avertissement à demeurer vigilant et combatif :
Apprenez à voir
(titre suggéré pour cet extrait du prologue, traduction proposée)
Vous, apprenez à voir, au lieu de regarder bêtement.
Agissez au lieu de bavarder,
Voilà ce qui a failli dominer une fois le monde.
Les peuples ont fini par en avoir raison,
mais nul ne doit chanter victoire hors de saison :
Le ventre est encore fécond, d'où est sortie la bête immonde*.
* autre traduction rencontrée :
«que personne n’ait le triomphe trop facile,
le ventre est encore fécond d'où a surgi la chose immonde»
texte original :
Ihr aber lernet, wie man sieht statt stiert
und handelt; statt zu reden noch und noch.
So was hätt' einmal fast die Welt regiert!
Die Völker wurden seiner Herr, jedoch
daß keiner uns zu froh da triumphiert -
der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch.
(Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui)
Bertolt Brecht (extrait du prologue de la pièce de théâtre : «La résistible ascension d'Arturo Ui»)
Nos défaites ne prouvent rien
Quand ceux qui luttent contre l’injustice
Montrent leurs visages meurtris
Grande est l’impatience de ceux
qui vivent en sécurité.
De quoi vous plaignez-vous ? demandent-ils
Vous avez lutté contre l’injustice !
C’est elle qui a eu le dessus,
Alors taisez-vous
Qui lutte doit savoir perdre !
Qui cherche querelle s’expose au danger !
Qui professe la violence
N’a pas le droit d’accuser la violence !
Ah ! mes amis
Vous qui êtes à l’abri
Pourquoi cette hostilité ? Sommes-nous
Vos ennemis, nous qui sommes les ennemis de l’injustice ?
Quand ceux qui luttent contre l’injustice sont vaincus
L’injustice passera-t-elle pour justice ?
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
Bertolt Brecht (dans «Bertolt Brecht et Rudolf Rach, Manuel pour habitants des villes : poèmes", l'Arche, 2006)
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Et ce passage du poème Kriegszeiten (Temps de guerre), que nous indique amicalement Alain L du site Le Réveil ( http://www.lereveil.info/2015/03/mon-general.html )
Poème dont il existe de nombreuses et sensiblement différentes traductions :
Kriegszeiten
(...)
General, dein Tank ist ein starker Wagen
Er bricht einen Wald nieder und zermalmt hundert Menschen.
Aber er hat einen Fehler:
Er braucht einen Fahrer.
General, dein Bomberflugzeug ist stark.
Es fliegt schneller als ein Sturm und trägt mehr als ein Elefant.
Aber es hat einen Fehler:
Es braucht einen Monteur.
General, der Mensch ist sehr brauchbar.
Er kann fliegen und er kann töten.
Aber er hat einen Fehler:
Er kann denken.
(...)
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Temps de guerre
(passage)
Mon général, votre tank est si solide !
Il couche une forêt, il écrase cent hommes.
Mais il a un défaut :
il a besoin d’un mécanicien.
Mon général, votre bombardier
est si puissant !
il vole plus vite que l’orage
et transporte plus qu’un éléphant.
Mais il a un défaut :
il a besoin d’un pilote.
Mon général, l’homme est très utile !
Il sait voler, il sait tuer.
Mais il a un défaut :
il sait penser.
Bertolt Brecht (1938) - source de la traduction :
http://www.brunosouetre.net/archives/projet-42.html
autre traduction :
http://exercice.takatrouver.net/mon-general/francais/poesie/
dessins d'enfants avec le texte en français ici :
http://www.10bauches.com/Mon-General_a2042.html
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POLOGNE - ISRAËL
Uri Orlev (né en 1931)
langue originale : polonais
source biographique à consulter en texte intégral ici :
Uri Orlev (אורי אורלב, né le 4 février 1931) est un écrivain israélien d'origine polonaise. Il a reçu le prix Hans Christian Andersen en 1996 pour sa contribution à la littérature d'enfance et de jeunesse.
Né Jerzy Henryk Orlowski à Varsovie, il grandit dans le Ghetto de Varsovie jusqu'à ce que sa mère soit tuée par les nazis et qu'il soit envoyé au camp de Bergen-Belsen. Après la guerre, il part en Israël. Il commence à écrire pour la jeunesse en 1976, en langue hébraïque.
(...)
TEXTE et CONTEXTE D'UN DE SES POÈMES DANS LA PAGE POÈMES DE DÉPORTATION << (clic)
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PORTUGAL
Fernando Pessoa (née en 1962)
Fernando Pessoa (1888-1935) est le poète et écrivain portugais le plus connu et le plus traduit.
"De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers "... (Fernando Pessoa)
De mon village
Dans les villes la vie est plus petite
Qu'ici dans ma maison sur la crête de cette colline.
Dans les villes les grandes maisons ferment la vue à clé...
De mon village je vois tout ce qu'on peut voir de la terre et de l'univers ...
C'es pourquoi mon village est aussi grand qu'un autre pays quelconque.
Da minha aldeia
Nas cidades a vida é mais pequena
Que aqui na minha casa no cimo deste outeiro.
Na cidade as grandes casas fecham a vista à chave...
Da minha aldeia vejo quanto da terra se pode ver no Universo...
Por isso a minha aldeia é tao grande como outra terra qualquer...
Fernando Pessoa - publié sous le pseudonyme d'Alberto Caeiro ("Le gardien de troupeaux" - "O Guardador de rebanhos").
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Comme des nuages dans le ciel
Comme des nuages dans le ciel
je sens mes rêves passer.
Aucun d'eux ne m'appartient
Et je les ai pourtant rêvés.
Como nuvens pelo céu
Como nuvens pelo céu
Passam os sonhos por mim.
Nenhum dos sonhos é meu
Embora eu os sonhe assim.
Fernando Pessoa 1932
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Entre le sommeil et le songe
Entre le sommeil et le songe,
Entre moi et ce qui en moi
Est l'être que je me suppose,
Coule un fleuve sans fin.
Il est passé par d'autres rives,
Toujours autres et plus lointaines,
Au cours de ces nombreux voyages
Que connaissent les fleuves.
Il est arrivé là où j'habite à présent
Cette maison qu'à présent je suis.
Il passe,si je ne médite;
Si je m'éveille,il est passé.
L'être que je ressens et qui se meurt
Dans ce qui m'enchaîne à moi-même
Sommeille où le fleuve s'écoule
Ce fleuve qui n'a pas de fin.
Entre o sono eo sonho
Entre o sono eo sonho,
Entre mim e o que em mim
E o quem eu me suponho,
Corre um rio sem fim.
Passou por outras margens,
Diversas mais além,
Naquelas varias viagens
Que todo o rio tem.
Chegou onde hoje habito
A casa que hoje sou,
Passa,se eu me medito;
Se desperto,passou.
E quem me sinto e morre
No que me liga a mim
Dorme onde o rio corre
Esse rio sem fim.
Fernando Pessoa 1933 (Cancioneiro)
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BANGLADESH
Taslima Nasreen (née en 1962)
langue originale : bengali
Taslima Nasreen a acquis en Occident l'image d'une combattante pour l'émancipation des femmes et la lutte contre ce qu'elle appelle l'obscurantisme religieux de son pays d'origine, le Bangladesh.
(source Wikipédia, biographie et biblio complètes ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Taslima_Nasreen )
Sur le lien de taslima Nasreen avec Charlie-hebdo :
"Taslima Nasreen a écrit à ce jour trente-sept livres, traduits en trente langues, comprenant des poésies, des essais, des romans et son autobiographie en quatre volumes. Douze sont parus en édition française. Elle a obtenu le soutien de nombreux écrivains et intellectuels, et reçu plusieurs récompenses, parmi lesquelles le prix de littérature Ananda (Inde), le prix Kurt Tuckholsky du PEN Club (Suède), le prix Sakharov pour la liberté de pensée (Parlement européen), le prix des Droits de l’homme (Commission nationale consultative des droits de l’homme, France), le prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes (France), le prix de l’Unesco pour la promotion de la tolérance et de la non-violence, le titre de docteur honoris causa de l’Université de Gand en Belgique, et de l’American University à Paris. Elle milite actuellement pour la disparition du délit de blasphème dans le monde."
(Médiapart, article complet ici : http://blogs.mediapart.fr/edition/definir-le-terrorisme/article/150215/taslima-nasreen-les-dessinateurs-de-charlie-hebdo-et-moi )
Shulekha
Les cheveux de Shulekha ne dansent pas dans le vent.
Son corps est entièrement recouvert des pieds à la tête.
Sous le voile, le corps de Shulekha se développe,
Ses cheveux poussent librement,
Ses tétons s'épanouissent.
Cache-toi, Shulekha, cache vite cette honte,
Cache tes cheveux, tes yeux, ton menton,
Cache ton nez, tes lèvres et tes seins,
Cache tes orteils, cache toute cette indécence.
Tais-toi, surtout, ne fais pas de bruit,
Entre vite dans une cage,
Seule la cage peut sauver une femme.
Shulekha cache son corps,
Cache toutes les parties indignes de son corps.
Il émane d'elle une odeur de sang impur.
Honte, honte à toi, ne sors pas Shulekha,
Ne va pas dans la rue !
Tes seins pointent telles des tours, en te voyant,
Toi, ange du paradis venu sur cette terre,
Ils éprouvent de la haine et de la peur,
Ils sentent leurs organes s'exciter.
Honte, honte à toi !
Tu t'égares,
Du calme, entre dans les ténèbres,
Entre dans la cage verrouillée.
Seule la cage peut sauver une femme.
Shulekha n'a pas pu voir la beauté de la terre,
Ni la sentir, ni la goûter.
Elle n'a aucun droit aux droits d'un être humain.
Taslima Nasreen (texte traduit du bengali)
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ALGÉRIE (Kabylie)
langue : le kabyle (langue berbère)
Lounès Matoub (née en 1962)
Lounès Matoub (kabyle : Lwennas Meɛṭub), plus communément appelé Matoub Lounès, est un chanteur et poète kabyle , notamment connu pour son engagement dans la revendication identitaire berbère. Il est né à Taourirt Moussa, le 24 janvier 1956 et fut assassiné* le 25 juin 1998 sur la route de Ath Douala. Officiellement, cet assassinat est atribué au GIA (qui l'a revendiqué) mais sa famille et toute la Kabylie accuse le pouvoir algérien de l'avoir assassiné. (source : Wikipedia)
Le kabyle est une langue berbère parlée en Kabylie (région du centre-est de l'Algérie) et également au sein de l'importante diaspora kabyle, en Afrique du nord et dans d'autres pays (notamment la France). Le nombre de locuteurs est estimé à environ 3,5 millions en Kabylie et à environ 6 millions dans le monde, essentiellement à Alger et en France.(source : Wikipedia)
(*voir aussi Tahar Djaout, un autre poète kabyle victime lui aussi du terrorisme) ici :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/_print_poetes_2008___l_autre__monde_/index.html
Matoub Lounès se lit et surtout s'écoute, ici par exemple, avec Avrid ireglen (La route entravée) en concert au Zénith de Paris en 1995, chanson sous-titrée en français : http://fr.youtube.com
Un autre texte de chanson :
D idurar ay d lâamriw s / Les montagnes sont ma vie (extrait)
Xellsegh adrar s yidammen-iw : a d-yeqqim later-iw
Xas gullen ard a t-sefden
Wid yetganin di lmut-iw, yessamsen isem-iw
Kul tizi a yi-d-mlilen
Atas i ggigh si lheqq-iw armi i qqwlegh seg yilexxaxen
Wwtegh, dligh ghef nnif-iw ufigh wigad i t-yesxewden
Xas yegga lgehd ighallen-iw
Mazal ssut-iw ad yebbaâzeq... as-d-slen !
(...)
A lâamer-iw, a lâamer-iw... d idurar ay d lâamer-iw !
traduction :
Les montagnes sont ma vie
Du tribut de mon sang j'ai irrigué les monts
mon empreinte s'imprime à jamais,
quand ils ont en juré l'anéantissement ;
Qui s'impatiente de me voir mort,
et qui calomnie mon nom,
A chaque col devra m'affrontent,
J'ai laissé mon bien à l'abandon,
Je l'ai trouvé gisant dans l'immondice,
J'ai porté le regard sur mon honneur,
J'ai vu des bourreaux. Bien que la force ait fui mes membres,
Ma voix demeure, qui retentira,
Ils l'entendront !
(...)
Ma vie ! ma vie !
Les montagnes sont ma vie !
Lounès Matoub (1989)
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AFRIQUE - MALI
langue : le peul
Amadou Hampâté Bâ (1900-1991)
Amadou Hampâté Bâ (1900-1991) est un écrivain ("Amkoullel, l'enfant Peul"), poète et ethnologue Peul né au Mali et mort en Côte d'Ivoire. Les Peuls sont une ethnie d'Afrique Occidentale, nomades éleveurs de bétail.
Amadou Hampâthé Bâ est attaché à tradition orale des Peuls, moyen de transmission de la culture et de l'Histoire, par les contes initiatiques, légendes, poésies ...
"Je suis un diplômé de la grande université de la Parole enseignée à l’ombre des baobabs."
"En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle." (Amadou Hampâté Bâ)
Il a publié des poésies et des contes, et ses mémoires sont édités après sa disparition : Amkoullel l’enfant peul (mémoires I, 1991) et Oui mon commandant ! (mémoires II, 1994) ;`
Voici un court poème en français et dans son texte original en langue peul
Le texte complet en français est sur le Web.
Le passage ci-dessous est emprunté à l'ouvrage "Tour de Terre en poésie", de Jean-Marie Henry et Mireille Vautier (éditions Rue du Monde - 1998).
Lôtori (extrait)
Levez-vous ! les poules du villages ont crié ;
les ânes ont brait à s’en lasser ;
les oiseaux se sont éveillés ; les hyènes ont filé ;
le caméléon est entré dans la rosée et voici le calao qui cherche à s’envoler
Lôtori ! Lôtori, conduisez les troupeaux à la mare de Béla !
Amadou Hampâté Bâ
Lootori
Ummee ! cofe ngenndi woyii ;
dakiiji kiikii fa comii ;
pooli pinii pobbi dogii ;doonyo naatii saawandere ...
Amadou Hampâté Bâ ("L'éclat de la grande étoile "; Bain rituel" - Classiques africains - éditions Belin)
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AFRIQUE - SÉNÉGAL
David Diop (1900-1991)
langue originale : le français
voir
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Sur cette page quelques exemples de poèmes traduits, plus ou moins proches du thème de l'insurrection poétique de ce Printemps 2015.
➡en ESPAGNOL
Federico García Lorca (Espagne)
Pablo Neruda, Gabriela Mistral et Luis Mizón (Chili)
Fernando Retamar (Cuba)
➡en ESPAGNOL et en MAYA
Humberto Ak'abal (Guatemala)
➡en BLACKFOOT
Crowfoot (indiens des États-Unis d'Amérique)
➡en ANGLAIS
Kenneth White (Écosse)
➡Traduit du grec
Yannis Ritsos (Grèce)
➡en RUSSE
Vladimir Maïakovski
(Union Soviétique, URSS, aujourd'hui en partie Russie)
➡en ITALIEN
Cesare Pavese et Pier Paolo Pasolini (Italie)
➡en ALLEMAND
Bertold Brecht (Allemagne)
Alain Ilan Braun
➡en POLONAIS
Uri Orlev (Pologne et Israël)
➡en PORTUGAIS
Fernando Pessoa (Portugal)
➡en TURC
Nazim Hikmet (Turquie)
➡en BENGALI
Taslima Nasreen (Bangladesh)
➡en KABYLE
Lounès Matoub (Algérie, Kabylie)
➡en langue PEUL
Amadou Hampäté Bâ (Mali)
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D'autres textes en langues étrangères et leur traduction sur des thèmes approchants de précédentes éditions du Printemps, sont sur le site
planetelieucommun.fr
que vous visitez ou sur le blog
lieucommun.canalblog.fr :
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Plus largement, vous trouverez des textes dans les catégories des printemps des Poètes précédents :
★LES LIENS de 2007 à 2013 pointent VERS LE BLOG LIEUCOMMUN,
où ces textes restent en ligne en attendant d'être (ou pas) importés sur le site
★LE LIEN 2014 renvoie à une page du site actuel
๏>> Printemps des Poètes 2009 - "en rires"
(humour, textes rangés dans plusieurs catégories) <<
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ESPAGNE
Federico García Lorca (1898-1936)
langue originale : espagnol
Federico García Lorca est un poète et dramaturge espagnol.
Il a été l'ami de Luis Buñuel (cinéaste) et de Salvador Dalí.
Il est mort fusillé au début de la Guerre civile (1936-1939) par les troupes du Général Franco.
"Toutes les choses ont leur mystère, la poésie c'est le mystère de toutes les choses". (Federico García Lorca)
Romance de la lune lune
La lune vient à la forge
avec ses volants de nards.
l'enfant, les yeux grand ouverts,
la regarde, la regarde.
Dans la brise qui s'émeut
la lune bouge les bras,
dévoilant, lascive et pure,
ses seins blancs de dur métal.
Va-t-en lune, lune, lune.
Si les gitans arrivaient,
ils feraient avec ton cœur
bagues et colliers blancs.
Petit, laisse-moi danser.
Quand viendront les cavaliers,
ils te verront sur l'enclume
tu auras les yeux fermés.
Va-t'en lune, lune, lune.
j'entends déjà leurs chevaux.
Laisse-moi, petit, tu froisses
ma blancheur amidonnée.
Battant le tambour des plaines
approchait le cavalier.
Dans la forge silencieuse
gît l'enfant, les yeux fermés.
Par l'olivette venaient,
bronze et rêve, les gitans,
chevauchant la tête haute
et le regard somnolent.
Comme chante la zumaya*,
Ay, comme elle chante dans son arbre !
Dans le ciel marche la lune
tenant l'enfant par la main.
Autour de l'enclume pleurent
les gitans désespérés.
la brise veille, veille,
la brise fait la veillée.
Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928) (Traduction proposée par A. Bial pour lieucommun )
Romance de la luna luna
La luna vino a la fragua
con su polisón de nardos.
El niño la mira, mira.
El niño la está mirando.
En el aire conmovido
mueve la luna sus brazos
y enseña, lúbrica y pura,
sus senos de duro estaño.
Huye luna, luna, luna.
Si vinieran los gitanos,
harían con tu corazón
collares y anillos blancos.
Niño, déjame que baile.
Cuando vengan los gitanos,
te encontrarán sobre el yunque
con los ojillos cerrados.
Huye luna, luna, luna,
que ya siento sus caballos.
Niño, déjame, no pises
mi blancor almidonado.
El jinete se acercaba
tocando el tambor del llano.
Dentro de la fragua el niño,
tiene los ojos cerrados.
Por el olivar venían,
bronce y sueño, los gitanos.
Las cabezas levantadas
y los ojos entornados.
Cómo canta la zumaya,
¡ay, cómo canta en el árbol!
Por el cielo va la luna
con un niño de la mano.
Dentro de la fragua lloran,
dando gritos, los gitanos.
El aire la vela, vela.
El aire la está velando.
Federico García Lorca ("Romancero Gitano" - 1928)
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Poème de la solitude
¡AY!
Le cri abandonne au vent
l'ombre des cyprès.
(Laissez moi dans cette campagne,
en pleurs.)
Tout est détruit dans le monde.
Il ne reste que le silence.
(Laissez moi dans cette campagne,
en pleurs.)
L'horizon sans lumière
est dévoré par les incendies.
(Je vous ai dit de me laisser
dans cette campagne,
en pleurs.)
(traduction proposée par Antoine Bial pour ce site lieucommun)
Poema de la soleá (la soledad)
a Jorge Zalamea
¡AY!
El grito deja en el viento
una sombra de ciprés.
(Dejadme en este campo,
llorando).
Todo se ha roto en el mundo.
No queda más que el silencio.
(Dejadme en este campo,
llorando).
El horizonte sin luz
está mordido de hogueras.
(Ya os he dicho que me dejéis
en este campo,
llorando).
Federico García Lorca (Sonetos del amor oscuro, Poema de la soleá, en Poema del Cante Jondo, 1921)
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La guitare
Commence la plainte
de la guitare.
Les verres * du matin
se brisent.
Commence la plainte
de la guitare.
Il est vain
de la faire taire.
Il est impossible
de la faire taire.
Plainte monotone,
comme pleure l'eau,
comme pleure le vent
dans la neige.
Il est impossible
de la faire taire.
Elle pleure sur des choses
lointaines.
Sable du Sud brûlant
qui désire de blancs camélias.
Elle pleure la flèche sans but,
le soir sans lendemain,
et le premier oiseau mort
sur la branche.
O guitare !
Cœur transpercé
par cinq épées.
(traduction proposée par Antoine Bial pour ce site lieucommun
Le passage «se rompen las copas de la madrugada» est une métaphore peut-être sonore, puisqu’il s’agit de la plainte de la guitare, mais peut aussi se rapporter à l’aube qui suit une fête arrosée (?), où les verres simples ou verres à pied (las copas) de vin ou de champagne sont oubliés, brisés. Aussi peut-être, métaphore visuelle, image du jour qui se lève, et des premières lueurs du jour qui déchirent l’obscurité du ciel.
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poème dans l’ensemble Poema de la seguiriya gitana du Cante jondo dédié à Carlos Morla Vicuña
La guitarra.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Se rompen las copas
de la madrugada.
Empieza el llanto
de la guitarra.
Es inútil callarla.
Es imposible
callarla.
Llora monótona
como llora el agua,
como llora el viento
sobre la nevada
Es imposible
callarla,
Llora por cosas
lejanas.
Arena del Sur caliente
que pide camelias blancas.
Llora flecha sin blanco,
la tarde sin mañana,
y el primer pájaro muerto
sobre la rama
¡Oh guitarra!
Corazón malherido
por cinco espadas
Federico García Lorca (Poema de la seguiriya gitana, en Poema del Cante Jondo, 1921)
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Memento
Quand je mourrai,
enterrez-moi avec ma guitare
sous le sable.
Quand je mourrai,
parmi les orangers
et les menthes.
Quand je mourrai,
enterrez-moi, si vous voulez,
dans une girouette.
Quand je mourrai !
Memento
Cuando yo me muera
enterradme con mi guitarra
bajo la arena.
Cuando yo me muera,
entre los naranjos
y la hierbabuena.
Cuando yo me muera,
enterradme, si queréis,
en una veleta.
¡Cuando yo me muera !
Federico García Lorca (Viñetas flamencas en Poema del Cante Jondo, 1921)
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COLOMBIE
Myriam Montoya (née en 1963)
langue originale : espagnol
"La poésie n'a jamais changé et ne changera pas le monde, mais elle intervient, par la parole, dans le monde. La poésie ne se réduit pas à rendre plus supportable la réalité, elle est l'énergie qui traverse la réalité, qui la remue. Alors, pour quelques-uns, la poésie devient essentielle. " (Myriam Montoya) sur le site de l'éditeur
Sur le site du Printemps des poètes cette courte biographie :
Myriam Montoya est née en 1963 à Bello (Colombie). Elle vit à Paris depuis 1994, où elle a publié ses deux premiers livres de poésie, Fugues/Fugas (1997) et Déracinements/Desarraigos (1999) tous deux traduits par Claude Couffon. En 2004 paraît une anthologie de son œuvre poétique, Vengo de la noche/Je viens de la nuit (éditions Ecrits des Forges et Castor Astral) traduite par Claude Couffon et Stéphane Chaumet.
Ses poèmes ont également paru dans diverses revues et anthologies de différents pays.
Parallèlement elle a traduit une anthologie de poésie africaine d’expression française, des poètes francophones et français, ainsi que la poète iranienne Forough Farrokhzad. Elle a été invitée dans de nombreux pays à plusieurs festivals et lectures.
« Dans les mots de Myriam Montoya, il y a la lumière : pas une lumière éclatante, celle d’un regard. Le regard d’une femme, un regard trans-lucide, sur la femme exilée, sur un tiers abandonné du monde, sur ces noyades anonymes dans l’obscurité, lessables du silence, dans l’abandon, la réclusion, dans la peur, la marche sans fin… ». (Luz Duarte)."
Passage du long poème "Ciudad transfigurada" (La ville transfigurée) dans le recueil "Vengo de la noche" (Je viens de la nuit) :
"Ciudad transfigurada" (La ville transfigurée)
(...)
También a la guerra jugaron
Los chiquillos del barrio
Simulando con el dedo índice y pulgar
La pistola sacada de la cartuchera de sus bolsillos
Lanzas cuchillos y espadas invisibles
De muchas batallas los vi salir
Extenuados y victoriosos
Muchas muertes imaginarias
Presencié desde la ventana
Una bala rompe los cristales
Pasos acosados perturban la calle
Recuerdo que en la infancia
Tan sólo era un juego.
Abajo
Al lado del pavimento
Un hombre diluido en la noche
Sacrificio de una ciudad que crece
En el vítreo silencio
Es un escombro que recogen
Justo a la hora en que abro mi balcón.
(...)
Les gamins du quartier aussi
Jouaient à la guerre
Simulant avec l’index et le pouce
Le pistolet dégainé de leur poche
Des couteaux des épées des lances invisibles
De nombreuses batailles je les ai vus sortir
Exténués et victorieux
De ma fenêtre j’ai assisté
À de nombreuses morts imaginaires
Une balle perdue brise la vitre
Des pas traqués perturbent la rue
Je me souviens que dans l’enfance
Tout cela n’était qu’un jeu.
En bas
Près du caniveau
Un homme dilué dans la nuit
Sacrifice d'une ville qui pousse
Sur un silence vitré
N'est qu'un décombre qu'on ramasse
juste au moment où j'ouvre mon balcon.
Myriam Montoya ("Vengo de la noche, Antologia - Je viens de la nuit", Anthologie - bilingue, traduction de Stéphane Chaumet et Claude Couffon - Le Castor Astral, et Écrits des Forges, 2004)
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CHILI
Pablo Neruda (1904-1973)
langue originale : espagnol
Nous avions mis en ligne une biographie et des textes, l’année dernière pour le Printemps des Poètes 2013, ici :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/2009/11/13/26334157.html
"Je continue à croire à la possibilité de l'amour. Je suis certain que les hommes finiront par s'entendre,triomphant des douleurs, du sang, et du verre brisé". Pablo Neruda
dans «J’avoue que j’ai vécu», Gallimard 1975 (traduction de Claude Couffon)
«La poesía es una insurrección» / «La poésie est une insurrection»
passage du livre testament de Pablo Neruda, «Confieso que he vivido»
Pablo Neruda (à droite) avec Salvador Allende, président du Chili, assassiné en septembre 1973 lors du coup d’état du général Pinochet
source de l’image : http://www.letras.s5.com/neruda220803.htm
Yo he dado cuanto tenía. He lanzado mi poesía a la arena, y a menudo me he desangrado con ella, sufriendo las agonías y exaltando las glorias que me ha tocado presenciar y vivir. Por una cosa o por otra fui incomprendido, y esto no está mal del todo. [...]
Pablo Neruda («Confieso que he vivido» , Editorial Seix Barral, 1974)
Ce livre de Mémoires a été édité en espagnol après la mort de Neruda.
traduction de lieucommun :
.[..] Les devoirs du poète sont probablement restés les mêmes dans l’Histoire. L’honneur de la poésie est de descendre dans la rue, de s’engager dans l'un ou l'autre combat. Le poète n’a pas été surpris d’être qualifié d’insurgé. La poésie est une insurrection. Le poète ne s’est pas senti humilié quand on l’a traité de subversif. La vie déborde les structures et le cœur s'attache à de nouveaux codes. Les graines naissent de partout ; toutes les idées sont originales ; nous attendons chaque jour d’immenses changements ; nous vivons dans l’enthousiasme de la mutation de l’ordre humain : le printemps est insurrectionnel.
J’ai donné tout ce que j’avais. J’ai lancé ma poésie dans l’arène, et je me suis souvent vidé de mon sang avec elle, subissant les tourments et me réjouissant de la gloire qu’il m’a été donné de rencontrer et de vivre. Pour une raison ou pour une autre j’ai été incompris, et c'est mieux ainsi. [...]
Pablo Neruda
«Confieso que he vivido» - «J’avoue que j’ai vécu»
Gallimard 1975 pour la version française (traduction de l'incontournable et génial Claude Couffon)
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CHILI
Gabriela Mistral (1889-1957)
langue originale : espagnol
Gabriela Mistral (1889-1957), est une poétesse chilienne, contemporaine de Pablo Neruda, qu’elle a côtoyé en Europe.
Ses premiers poèmes, dont "Junto al Mar" (Au bord de la mer) sont publiés en 1904 dans un journal chilien local.
Son pseudonyme, Mistral est emprunté au poète provençal français Frédéric Mistral.
Elle reçoit en 1945 le Prix Nobel de Littérature.
Où ferons-nous la ronde ?
Où ferons-nous la ronde ?
La ferons-nous au bord de la mer ?
La mer dansera de toutes ses vagues,
tressant des fleurs d’oranger.
La ferons-nous au pied de la montagne ?
La montagne nous répondra :
Ce sera comme si les pierres du monde entier
Se mettaient à chanter.
Mieux, la ferons-nous dans la forêt ?
Des chants d’enfants et d’oiseaux
tresseront des baisers dans le vent.
Nous ferons une ronde infinie :
Nous irons la danser dans la forêt,
nous la ferons au pied de la montagne,
et sur toutes les plages du monde.
Gabriela Mistral ( "Désolation" - 1922)
(traduction proposée par Lieucommun)
texte original :
¿En dónde tejemos la ronda?
¿En dónde tejemos la ronda?
¿La haremos a orillas del mar?
El mar danzará con mil olas,
haciendo una trenza de azahar.
¿La haremos al pie de los montes?
El monte nos va a contestar.
¡Será cual si todas quisiesen,
las piedras del mundo, cantar !
¿La haremos, mejor, en el bosque ?
La voz y la voz va a trenzar,
y cantos de niños y de aves
se irán en el viento a besar.
¡Haremos la ronda infinita!
¡La iremos al bosque a trenzar,
la haremos al pie de los montes
y en todas las playas del mar !
Gabriela Mistral ("Desolación" - 1922)
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CHILI
Luis Mizón (né en 1942)
langue originale : espagnol
Luis Mizón est un poète et romancier chilien né à Valparaíso. Il vit à Paris depuis 1974.
Luis Mizón est venu à Paris à la suite du coup d'État militaire au Chili1. Il fut remarqué par Roger Caillois qui traduisit Terre prochaine en 1977 et L'Arbre en 1978. Depuis la mort de Caillois, Luis Mizón est régulièrement traduit par Claude Couffon. (source Wikipédia)
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Du recueil Poème du Sud et autres poèmes,
voici le début de la partie I PRISIONES (PRISONS)
du "Poème du Sud"
I PRISONS
1
Ma maison est une prison du Sud
un mur taché par ma voix.
Je suis né en regardant un arbre
Dans les tâches du mur
en inventant l’horizon
sur le mur lézardé.
J’ai grandi entouré d’amis malchanceux :
fiers mendiants du Sud.
Derrière le mur
je devine le vent
et son échiquier de sable
j’entends un métal crier
de naissance en naissance
2
Je dessine des grues des chantiers avec leurs bateaux
des paysages de poussière de grands eucalyptus
midi éclate
comme le cerveau d’un enfant
plein de vent et de feuilles mortes
d’avions égarés.
Je dessine des bateaux et des chevaux à l’encre rouge
échos et reflets d’un arbre de verre.
Près de la vague
je dessine le silence
insaisissable drame
où naufrage des cris d’enfants
3
Dis – moi semence rouge
plume noire :
avec quel toucher éveiller
le désir d’un grand corps qui respire en rêvant
dans un miroir
un grand miroir abandonné
où il y a un arbre
une pièce vide une fenêtre et la mer ?
Avec quelle main toucher son visage érodé
ses paroles d’argile craquelée ?
Avec quel souffle éveiller la cascade
dans l’intime coquille de la mémoire ?
4
Nous recueillions des cris et des échos
cloués au mur
comme des fantômes.
Des griottes amères, du raisin et des pommes
pour fabriquer un vin
à boire et à entendre
sur les terres arides du Sud.
5
Qui nous a fait vivre sur ce dépotoir
de la terre chaude
où le corps de l’homme
ressemble à un grand pantin abusé
parmi les ruines et les mouches ?
Que fait notre voix dans le recoin aux murmures
dans l’abandon de cette côte sans nom ?
6
Le désir crevasse l’ombre.
Une pierre parfois se change
en vol d’oiseaux.
L’œil de verre du contemplateur d’étoiles
reflète les pétales du pavot noir.
Notre voix se brise en inventant des fenêtres.
…….
texte original en espagnol de la première strophe :
PRISIONES
1
Mi casa es una prisión del Sur
un muro manchado por mi voz.
Nací mirando un árbol en las manchas del muro
inventando el horizonte en las grietas del muro
crecí rodeado de amigos sin suerte :
orgullosos mendigos del Sur.
Detrás del muro
adivino el viento
y su ajedrez de arena
y escucho un metal que grita
de nacimiento en nacimiento.
Luis Mizón (Poème du Sud et autres poèmes. Poema del Sur - édition bilingue, traduit de l’espagnol par Roger Caillois et Claude Couffon - Gallimard, NRF, 1982)
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CUBA
Roberto Fernandez Retamar (né en 1930)
langue originale : espagnol
Roberto Fernandez Retamar est né à Cuba.
Une poésie traduite en français est déjà sur le blog (catégorie PRINT POÈTES 2007 LETTERA AMOROSA).
Le texte qui suit semble un peu trop agressif pour la classe, avant en tous cas le Lycée.
En voici donc un très court passage (couleur) en français. Que ceux qui veulent aller plus loin prennent un dictionnaire ! ...
Heureux les normaux (titre proposé)
Heureux les normaux, ces êtres étranges.
...
Ceux qui n'ont pas été réduits en cendres par un amour dévorant
...
Ceux qui gagnent, qui sont aimés des pieds à la tête
...
Mais qu'ils laissent la place à ceux qui font le monde et les rêves,
Les illusions, les symphonies, les paroles qui nous démantibulent
Et nous construisent...
Qu'ils leur laissent leur place en enfer, et basta !
Roberto Fernandez Retamar (traduction lieucommun)
Texte original :
Felices los normales
A Antonia Eiriz
Felices los normales, esos seres extraños,
Los que no tuvieron una madre loca, un padre borracho, un hijo delincuente,
Una casa en ninguna parte, una enfermedad desconocida,
Los que no han sido calcinados por un amor devorante,
Los que vivieron los diecisiete rostros de la sonrisa y un poco más,
Los llenos de zapatos, los arcángeles con sombreros,
Los satisfechos, los gordos, los lindos,
Los rintintín y sus secuaces, los que cómo no, por aquí,
Los que ganan, los que son queridos hasta la empuñadura,
Los flautistas acompañados por ratones,
Los vendedores y sus compradores,
Los caballeros ligeramente sobrehumanos,
Los hombres vestidos de truenos y las mujeres de relámpagos,
Los delicados, los sensatos, los finos,
Los amables, los dulces, los comestibles y los bebestibles.
Felices las aves, el estiércol, las piedras.
Pero que den paso a los que hacen los mundos y los sueños,
Las ilusiones, las sinfonías, las palabras que nos desbaratan
Y nos construyen, los más locos que sus madres, los más borrachos
Que sus padres y más delincuentes que sus hijos
Y más devorados por amores calcinantes.
Que les dejen su sitio en el infierno, y basta.
Roberto Fernandez Retamar (Buena suerte viviendo)
d'autres poèmes ici :
http://www.artepoetica.net/roberto_retamar.pdf
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GUATEMALA
Humberto Ak'abal (né en 1952)
langues originales : maya et espagnol
Humberto Ak’abal est un poète Maya du Guatemala. Les Mayas représentent plus de la moitié de la population de ce pays, mais c'est un peuple qui lutte pour son existence et sa culture (300 000 indiens mayas ont été tués dans les années 80)
On trouvera d'autres poèmes de cet auteur sur le blog lieucommun <<ICI.
Mi otro yo
Mientras duermo
mi otro yo
sale* en busca de tu ausencia.
Humberto Ak' abal ("Kamoyoyik")
Traduction libre :
Mon autre moi
Pendant que je dors
mon autre moi
part* à la recherche de ton absence.
*sale = sort
Humberto Ak’abal
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Sans titre
La justice ne parle pas la langue des indiens,
la justice ne descend pas chez les pauvres,
la justice ne porte pas de caites,
la justice ne marche pas pieds nus
sur les chemins de terre...
Humberto Ak’abal
Les caites sont les sandales des indiens mayas
La justicia no habla en lengua de indios,
la justicia no desciende a los pobres,
la justicia no usa caites,
la justicia no camina descalza
por caminos de tierra ...
Humberto Ak’abal
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Les deux poèmes qui suivent sont parus dans le journal "La Jornada" (La Journée) sous le titre La memoria del árbol (La mémoire de l'arbre), présentés par Eduardo Galeano. Ak'abal les a écrits en maya quiché et traduits en espagnol.
Nous vous en proposons la traduction en français.
B'alam
K'o taq mul in b'alam,
kinxak'in pa taq siwan,
kinch'opin puwi' taq ri tanatik
kinb'inib'ej, kinq'axaj juyub'.
Kinwil ri unimal ri kaj,
ri uchowil, jela' che ri ja',
ri uk'ux ri ulew.
Kintzijon ruk' ri q'ij,
kinetz'an ruk' ri ik',
kinb'oq' ch'umil
kinnak' chuwij.
Kinsilob'aj ri nuje',
kinq'oyi' cho ri le'anik
kinkosik', kinwesaj ri waq'.
Humberto Ak’abal
en espagnol : Jaguar
Otras veces soy jaguar,
corro por barrancos,
salto sobre peñascos,
trepo montañas.
Miro más allá del cielo,
más allá del agua,
más allá de la tierra.
Platico con el sol,
juego con la luna,
arranco estrellas
y las pego a mi cuerpo.
Mientras muevo la cola,
me echo sobre el pasto
con la lengua de fuera
Humberto Ak’abal (dans le quotidien "La Jornada" du 17 février 1999)
Traduction en français proposée par Lieucommun :
Jaguar
Parfois, je suis jaguar,
je cours par les ravins,
je saute par-dessus les rochers,
j'escalade les montagnes.
Je regarde au-delà du ciel,
au-delà de l'eau,
au-delà de la terre.
Je parle avec le soleil,
je joue avec la lune,
J'arrache des étoiles
et je les fixe sur mon corps.
En remuant la queue,
je me précipite dans l'herbe,
la langue dehors.
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Un autre petit poème dans les deux langues d'écriture d'Humberto Ak'abal :
Rapapem
In inchikop :
ri nurapapem
kinb'an pa ri wanima'.
Vuelo
Soy pájaro :
mis vuelos son
dentro de mí.
Humberto Ak’abal
Traduction proposée par lieucommun :
Je vole
Je suis un oiseau :
je vole
à l'intérieur de moi-même.
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Autres textes en espagnol (avec traduction) :
Las luciérnagas
Las luciérnagas
son estrellas
que bajaron del cielo
y las estrellas
son luciérnagas
que no pudieron bajar.
Apagan y encienden sus ocotíos
para que les duren
toda la noche.
Humberto Ak’abal
Traduction proposée par lieucommun :
Les lucioles
Les lucioles
sont des étoiles
descendues du ciel
et les étoiles
sont des vers luisants
qui n'ont pas pu descendre.
Ils éteignent et allument leur petits braseros
pour avoir de la lumière
toute la nuit.
Humberto Ak’abal
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Allá
Allá
de donde yo soy
es el único lugar
donde uno
puede agarrarse de la noche
como de una baranda
para no caer
en la oscuridad.
Humberto Ak’abal
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Traduction proposée par lieucommun :
Là-bas
Là-bas
où moi je suis né,
c'est le seul lieu
où l'on peut s'appuyer sur la nuit
comme sur une balustrade
pour ne pas tomber
dans l'obscurité.
Humberto Ak’abal
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Árbol
Libro verde
árbol poeta
¡cuánta poesía en tus hojas!
Quienquiera
que se pose en tus ramas
se vuelve cantor.
Humberto Ak’abal
Traduction proposée par Lieucommun :
Arbre
Livre vert
arbre poète
que de poésie dans tes feuilles !
Quiconque
se pose sur tes branches
devient chanteur.
Humberto Ak’abal
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ÉTATS-UNIS - Indiens d'Amérique
Crowfoot (1830-1890)
langue originale : le blackfoot (pied-noir)
Crowfoot (est le principal chef de tribu Pieds-Noirs (Blackfeet). C'est à ce titre qu'il a négocié et signé le Traité qui assure la survie des Indiens au prix de la confiscation de la presque totalité de leur territoire.
Crowfoot signifie Pied-de-corbeau en français ou Isapo-Muxika (Issapóómahksika en langue pied-noir, signifiant « Grand pied des Corbeaux») -
La Confédération des Pieds-Noirs (appelés Blackfeet aux USA ou Blackfoot au Canada), comprend trois tribus nord-amérindiennes des Grandes Plaines de l'Alberta au Canada et du Montana aux États-Unis.
Dans leur propre langue, le pied-noir, ils se nomment Niitsítapi («le peuple originel»). (source Wikipédia)
Qu'est-ce que la vie ?
C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.
C'est le souffle d'un bison en hiver.
C'est la petite ombre qui court dans l'herbe
et se perd au coucher du soleil.
Crowfoot, chef Blackfeet, en 1880
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Chanson pour les arbres et les rivières
Noire sur le ciel,
Cette lointaine ligne là-bas s'étire devant nos yeux.
Nous voyons des arbres, une longue rangée d'arbres
Qui s'inclinent et balancent à la brise.
Claire d'éclats lumineux,
Cette lointaine ligne là-bas court devant nos yeux,
Court prestement, preste court la rivière
Qui parcourt le pays en sinuant.
Écoutez ! Écoutez plutôt !
Un son, ce son lointain là-bas,
Qui vient nous saluer, en chantant vient,
Douce chanson de la rivière
Qui doucement murmure sous les arbres.
Chanson de la tribu Pawnee
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ÉCOSSE
Kenneth White (né en 1952)
langues originale : anglais
voir la page sur le site ici :
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TURQUIE
Nazim Hikmet (1901-1963)
langue originale : turc
Nazim Hikmet est le poète turc le plus traduit. Emprisonné 17 ans pour ses prises de position politiques, il s'est exilé de Turquie. Le prix international de la paix lui a été décerné en 1955.
"Vivre comme un arbre, seul et libre,
Vivre en frères comme les arbres d'une forêt,
Ce rêve est le nôtre !"
traduction de
"Yasamak bir agaç gibi, tek ve hür,
Ve bir orman gibi kardesesine,
Bu hasret bizim !"
Le globe
Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Nazim Hikmet (traduction de Charles Dobzynski)
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La plus drôle des créatures
Comme le scorpion, mon frère
Tu es comme le scorpion
Dans une nuit d'épouvante.
Comme le moineau, mon frère,
Tu es comme le moineau
Dans ses menues inquiétudes.
Comme la moule, mon frère,
Tu es comme la moule
Enfermée et tranquille.
Tu es terrible, mon frère,
Comme la bouche d'un volcan éteint.
Et tu n'es pas un, hélas,
Tu n'es pas cinq,
Tu es des millions.
Tu es comme le mouton, mon frère,
Quand le bourreau habillé de ta peau
Quand le bourreau lève son bâton
Tu te hâtes de rentrer dans le troupeau
Et tu vas à l'abattoir en courant, presque fier.
Tu es la plus drôle des créatures, en somme,
Plus drôle que le poisson
Qui vit dans la mer sans savoir la mer.
Et s'il y a tant de misère sur terre
C'est grâce à toi mon frère,
Si nous sommes affamés, épuisés,
Si nous sommes écorchés jusqu'au sang,
Pressés comme la grappe pour donner notre vin,
Irai-je jusqu'à dire que c'est de ta faute, non,
Mais tu y es pour beaucoup, mon frère.
Nazim Hikmet ("C'est un dur métier que l'exil" - 1948 - traduction de Charles Dobzynski)
Ce texte est dit et chanté par Yves Montand.
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J'ai un arbre en moi (titre proposé)
J'ai un arbre en moi
Dont j'ai rapporté le plan du soleil
Poissons de feu ses feuilles se balancent
Ses fruits tels des oiseaux gazouillent
Les voyageurs depuis longtemps sont
Descendus de leur fusée
Sur l'étoile qui est en moi
Ils parlent ce langage entendu dans mes rêves
Ni ordres, ni vantardises, ni prières.
J'ai une route blanche en moi
Y passent les fourmis avec les grains de blé
Les camions pleins de cris de fête
Mais cette route est interdite aux corbillards.
Nazim Hikmet
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GRÈCE (traduit du grec)
Yannis Ritsos (1909-1990)
"Journal de déportation" (édition bilingue grec-français - traduit du grec par Pascal Neveu, Ypsilon, 2009)
Alors qu'il était déporté sur les îles de Limnos et Makronissos entre 1948 et 1950, Yannis Ritsos tenait un "journal" poétique. Chaque matin, malgré les terribles conditions de détention, il se réveillait avant tout le monde pour écrire ses poèmes sur des petits carnets ou des paquets de cigarettes.
Le quotidien et l'amertume du détenu, dans la poésie de Ritsos, y font entendre les silences de la pierre et parles les oublis de l'histoire.
Ce journal de déportation est traduit pour la première fois en France.
source, site de l'éditeur :
http://ypsilonediteur.com/fiche.php?id=84
passage du recueil :
24 novembre 1948
Jour pierreux, paroles pierreuses.
Des chenilles grimpent le long du mur.
Un escargot porte sa maison
sort sur le seuil
il peut y rester, il peut partir.
Les choses sont comme elles sont.
Ce n'est rien
Le rien n'est pas tendre.
Il est pierreux.
D'autres passages du recueil :
11 mai 1950
Les bâtiments et les pierres après la pluie
ont changé de couleur.
Deux vieillards s'assoient sur un banc. Ils ne parlent pas.
Tant de cris et il reste tant de silence.
Les journaux vieillissent en une heure.
Temps faible-temps fort, faible-fort
monotonie du changement - temps faible;
fort-faible, strophe-antistrophe
ni colère ni tristesse.
Le couvre-feu du soir;
aussi pesant pour celui qui a blessé
que pour celui qui est blessé.
Les hommes s'assoient sur les pierres
ils se coupent les ongles.
Les autres sont morts.
Nous les avons oubliés.
8 décembre
( ce passage est emprunté ici :
Yannis Ritsos - Terre à ciel ) << CLIC
Jour calme. Une table vide.
Je vois les choses comme elles sont.
J’ai les mains dans les poches.
A qui dire merci ?
J’ai gardé sous l’eau tiède de la nuit
la main du sommeil et la sensation de l’oubli
le contact de la couverture et du mur.
Si on soulève le drap
on ne me trouve pas.
Cherche, pour me trouver – ne comprends-tu pas ?
je suis plus en dedans.
Il y avait deux verres sur la table
un tabouret dans un coin
l’ombre d’une main qui aurait cueilli des fleurs
une ombre partagée entre le lit et le plafond
j’ai oublié je n’ai pas eu le temps de voir
rien que l’ombre d’une fenêtre qui ne s’est pas ouverte
sur le mur blanc
et la main qui n’a pas cueilli de fleurs
la main qui s’est coupée dès les premières secondes de lune
tombant au milieu du chemin dans l’eau boueuse
près de la roue brisée du fourgon postal
Une mandoline un ange en colère
un verre d’eau la cigarette
le son qui nous lie un instant hors de la solitude
pour nous séparer encore sans dire bonne nuit.
Et puis, les yeux qui percent deux trous dans le mur.
J’ai planté un arbre. Je le ferai grandir.
Quoiqu’il arrive, je ne reviens pas en arrière.
Yannis Ritsos ("Journal de déportation" ; édition bilingue grec-français - traduit du grec par Pascal Neveu, Ypsilon, 2009)
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