Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts»  - textes en français 1/4
COLLÈGE et LYCÉE  -  page 1/4

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Printemps des Poètes 2014  - textes originaux en français -  COLLÈGE et LYCÉE - page 1

5. Maurice Bourg

est un poète contemporain, à l'origine de la SAPE (Société des Amis de la Poésie de l'Essonne).

Recueils choisis : "Saisons qui portez tout" (éd Saint-Germain-des-Prés, 1975) ; Nuit s'écarte (Éditions des 4, 1981) ; D'aubes qui fondent en mémoire (éd Saint-Germain-des-Prés, 1985) ; Vers le pays de haute brûlure (La Bartavelle, 1991)


Embrasement


Et je voyage sur le vent d'automne !


Les syllabes haussent leur lit de feuilles mortes. À grande allure, elles lancent un mot qui se jette au poème. Son passage le colore, ce mot attire le mot, la couleur, la palette.


Je peux, désormais, peindre la Forêt, dans le genre des marines. Avec le ciel d'une profondeur immense. Et des mâts, par centaines. Et de grandes voiles rousses comme autant de reflets d'un incendie caché.


Maurice Bourg ("Saisons qui portez tout" - éd Saint-Germain-des-Prés - 1975)

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6. André Breton


(1896-1966) définit ainsi le mouvement surréaliste : "Automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ". (Manifeste du surréalisme de 1924).

Même s'il n'est pas directement le créateur du cadavre exquis, Breton est l'un des inspirateurs et des pratiquants de cette forme de création surréaliste "classique", très représentative de l'esprit du mouvement et qu'il définit plus bas.

André Breton est l'inventeur d'une autre forme de création littéraire surréaliste : l'écriture automatique.

"Écrivez vite sans sujet préconçu, assez vite pour ne pas retenir et ne pas être tenté de vous relire. La première phrase viendra toute seule, tant il est vrai qu'à chaque seconde il est une phrase étrangère à notre pensée consciente qui ne demande qu'à s'extérioriser." (A. Breton - Manifeste du Surréalisme - 1924).

Il est l'auteur de l’Anthologie de l’Humour noir (écrit en 1940, édité en 1945, 1950 et 1966, avec des modifications de contenu, et réédité au Livre de Poche). D'autres oeuvres : Nadja (1928), Les Vases communicants (1932), L'Amour fou (1937).




André Breton - photographie solarisée de Man Ray




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Deux poèmes-objets d’André Breton




collage d'objets sur bois avec poème sur carte, 1935.


le texte du poème :


À l’intersection de lignes de force invisibles

Trouver

Le point de chant vers quoi les arbres se font la courte échelle

L’épine de silence

Qui veut que le seigneur des navires livre au vent son panache de chiens bleus

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poème-objet, décembre 1941
sculpture de buste en bois, photo encadrée, gants de boxe jouets, lampe à huile, et papier collé sur planche à dessin


Ces terrains vagues

où j’erre

vaincu par l’ombre

et la lune

accrochée

à la

maison

de

mon coeur


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7. René Char

(1907-1988)
Poète français marqué par le surréalisme, René Char fut aussi un héros de la Résistance et un humaniste.

C'est sous son parrainage qu'avait été placé le Printemps des Poètes 2007, pour (aussi) le centenaire de sa naissance.

En effet, le thème de cette édition 2007, "Lettera amorosa" est le titre d'un long poème de René Char, un "chant d'amour", paru dans le recueil "La Parole en Archipel".


Ce document pdf du CNDP met en lumière les collaborations «plastiques» de René Char :

http://www.cndp.fr/presence-litterature/fileadmin/fichiers/Litterature_et_arts_visuels/Char.pdf


LETTERA AMOROSA


« Amants qui n’êtes qu’à vous-mêmes, aux rues, aux bois et à la poésie ; couple aux prises avec tout le risque, dans l’absence, dans le retour, mais aussi dans le temps brutal ; dans ce poème il n’est question que de vous. »


Deux versions de "Lettera amorosa" , illustrées par Jean Arp (1952), puis par Georges Braque (1963 ci-dessous) ont été publiées.




une des 27 lithographies de Jean Arp pour «Lettera amorosa,» (Edwin Engelberts, 1963)




         

deux des 27 lithographies de Georges Braque, celle du haut constituant la couverture de l’ouvrage «Lettera amorosa», René Char (illustrations de Georges Braque, Gallimard, 1963, et coll. Poésie Gallimard, 2007)


Au début des années 60, Braque a travaillé aux illustrations de plusieurs ouvrages :

«Si je mourais là-bas» (Apollinaire) ; «L'ordre des oiseaux» (Saint-John Perse) et «Lettera amorosa» (René Char)


Lettera amorosa (passages courts)


«Je ne puis être et ne veux vivre que dans l’espace et dans la liberté de mon amour. Nous ne sommes pas ensemble le produit d’une capitulation, ni le motif d’une servitude plus déprimante encore. Aussi menons-nous l’un contre l’autre une guérilla sans reproche».


(...)




"Je ris merveilleusement avec toi. Voilà la chance unique".


(...)


Lettera amorosa (extrait plus long, en continu)


« (...) Je voudrais me glisser dans une forêt où les plantes se refermeraient et s’étreindraient derrière nous, forêt nombre de fois centenaire, mais elle reste à semer. C’est un chagrin d’avoir, dans sa courte vie, passé à côté du feu avec des mains de pêcheur d’éponges. « Deux étincelles, tes aïeules », raille l’alto du temps, sans compassion.

L’automne ! Le parc compte ses arbres bien distincts. Celui-ci est roux traditionnellement ; cet autre, fermant le chemin, est une bouillie d’épines. Le rouge-gorge est arrivé, le gentil luthier des campagnes. Les gouttes de son chant s’égrainent sur le carreau de la fenêtre. Dans l’herbe de la pelouse grelottent de magiques assassinats d’insectes. Ecoute, mais n’entends pas.

Mon éloge tournoie sur les boucles de ton front, comme un épervier à bec droit.

Parfois j’imagine qu’il serait bon de se noyer à la surface d’un étang où nulle barque ne s’aventurerait. Ensuite, ressusciter dans le courant d’un vrai torrent où tes couleurs bouillonneraient.

L’air que je sens toujours prêt à manquer à la plupart des êtres, s’il te traverse, a une profusion et des loisirs étincelants.

Il faut que craque ce qui enserre cette ville où tu te trouves retenue. Vent, vent, vent autour des troncs et sur les chaumes.

J’ai levé les yeux sur la fenêtre de ta chambre. As-tu tout emporté ? Ce n’est qu’un flocon qui fond sur ma paupière. Laide saison, où l’on croit regretter, où l’on projette, alors qu’on s’aveulit. (...)


J'ai replacé les passages cités dans l'ordre original, d'après l'édition Poésie/Gallimard.


René Char (Oeuvres complètes / René Char. - Gallimard, 1988 - recueil "La parole en archipel").

source officielle du texte de René Char: Bibliothèque départementale du Loiret / Conseil Général du Loiret.

René Char, Lettera amorosa, illustrations de Georges Braque et de Jean Arp, Gallimard, 1953, et coll. Poésie Gallimard, 2007


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Allégeance


Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima ?


Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.


Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.


Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?


René Char, («Fureur et Mystère», Gallimard, 1962)




I
l y a deux iris jaunes ...


Il y a deux iris jaunes dans l’eau verte de la Sorgue. Si le courant les emportait, c’est qu’ils seraient décapités…

Merci d’être, sans jamais te casser, iris, ma fleur de gravité. Tu élèves aux bords des eaux des affections miraculeuses, tu ne pèses pas sur les mourants que tu veilles, tu éteins des plaies sur lesquelles le temps n’a pas d’action, tu ne conduis pas à une maison consternante, tu permets que toutes les fenêtres reflétées ne fassent qu’un seul visage de passion, tu accompagnes le retour du jour sur les vertes avenues libres.


René Char («Lettera amorosa», illustrations de Georges Braque, Gallimard, 1963, et coll. Poésie Gallimard, 2007)


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LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON




livre en feuilles détachées sous emboîtage carton :
«Le Monde de l'Art n'est pas le monde du pardon»
Poèmes de René Char repris de recueils précédents

reproductions d’oeuvres d’artistes divers contemporains avec lesquels René Char a collaboré et d’artistes anciens qu’il a choisis
avec en supplément 6 estampes originales de Miró, Wifredo Lam  Zao Wou Ki (lithographies) ; Vieira da Silva, Arpad Szenes et Charbonnier (gravures)
(Maeght Editeur, 1974).


Cet ouvrage a été composé en souvenir de l’exposition de 1971 consacrée par la Fondation Maeght aux «Alliés substantiels» de René Char


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un des textes dans cet ouvrage :

FRONT DE LA ROSE


       Malgré la fenêtre ouverte dans la chambre au long congé, l'arôme de la rose reste lié au souffle qui fut là. Nous sommes une fois encore sans expérience

antérieure, nouveaux venus, épris. La rose ! Le champ de ses allées éventerait même la hardiesse de la mort. Nulle grille qui s'oppose. Le désir resurgit, mal de nos fronts évaporés.


        Celui qui marche sur la terre des pluies n'a rien à redouter de l'épine, dans les lieux finis ou hostiles. Mais s'il s'arrête et se recueille, malheur à lui ! Blessé au vif, il vole en cendres, archer repris par la beauté.


René Char («Le Monde de l'Art n'est pas le monde du pardon»)


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lithographie de Joan Miró pour l’ouvrage


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lithographie de Wilfredo Lam pour l’ouvrage


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lithographie de Zao Wou Ki pour l’ouvrage

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Joan Miró illustre la couverture du numéro 125-126 (avril 1961) de la revue d’art «Derrière Le Miroir» (éditions Maeght) avec cette peinture. Les 28 pages comprennent d’autres peintures de Miró et le texte «Dansez montagnes » de René Char


Dansez, montagnes


Je songe à Miró à travers les lourds séismes de l'esprit qui laissent mille fentes après leur passage sans qu'un seul morceau d'univers se détache formellement.

Épave grondante, figure sculptée, table placide ne roulent plus au loin, ne sont que crevasses et promesses fixées.

J'évoque Miró, habitant de la ferme au-dessus, peignant, gravant et s'affairant, à ras de la paroi rocheuse féerique. Peintre guilleret et dépouillé d'habitudes. Sur la roue aiguisante du bonheur il est le semeur d'indemnités et d'étincelles? Et durs les plis du deuil il a des beautés pour ranimer Osiris.

Depuis longtemps déjà, à ce forain subtil, la mécanique céleste a montré ses frondaisons, son labyrinthe et ses manèges. Et ce 12 avril 1961 Miró est avantagé .

Mieux faire qu'un météore n'est pas faire grand-chose quand on ne brûle pas. Miró flambe, court, nous donne et flambe.


(texte original dans « Alliés substantiels» dans «Recherche de la base et du sommet*», 1954 puis «Dansez, montagnes», 1961)

  1. *réédité en Poésie/Gallimard, 1971


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autre texte poétique de René Char en hommage à Joan Miró, et qu’a illustré Wilfredo Lam


                   


Éloge rupestre de Miró


Jusqu'au relais d'Altamira,

Fuyant les jeux icariens ;

Lecteur de preste relief,

Mémorablement sûr de peu ;

Nous l'aimons tel qu'il nous advint

Sur son petit êne d'Orphée.

Belle insomnie de l'amitié

Tu en éclaires le dessin.


René Char, octobre 1972 (revue "Liberté", Volume 15, numéro 3-4 (87-88), 1973) et Lithographie originale de Wilfredo Lam pour ce poème (dans l'ouvrage "L'émerveillé merveilleux", Au Vent d'Arles, Paris, 1973).


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8. Malcolm de Chazal

(1902-1981), écrivain, philosophe, essayiste, poète surréaliste et peintre, a vécu sur l'Île Maurice où il est né.

Son ouvrage lttéraire Sens-plastique", 1947, est salué dès sa sortie par André Breton, Georges Bataille, Francis Ponge, Léopold Sédar Senghor et surtout Jean Paulhan.
André Breton va jusqu'à déclarer qu'il n'a rien vu "d'aussi fort depuis Lautréamont" et ajoute que la publication du livre est "le plus grand évènement de nos jours".
Il faut dire que le livre a de quoi surprendre, il est composé de 2150 aphorismes, pensées, prémonitions, évidences poétiques : " le bonheur nous améliore la vue, le malheur nous améliore l'ouïe". "l'haleine pressée par l'émotion a le toucher d'une main".

«Sa peinture représente la flore et la faune de l'Ile Maurice sous forme de larges aplats jaunes, roses et bleus lumineux, colorés à la gouache sur papier, renforcés encore par l’emploi régulier d’un fond noir. Chazal peint des motifs figuratifs stylisés et avouait ne pas pratiquer le dessin qui " emprisonne la couleur.

Malcom de Chazal était amoureux de son île et ses peintures hautes en couleurs représentent parfaitement ce petit paradis de l'Océan Indien. D'ailleurs il le disait lui même : "l’île Maurice semble avoir été sculptée et peinte par un géant de bon goût…"
sources : http://www.michelfillion.com/oeuvres.php?artiste=CHAZAL et : http://www.capsoleil-maurice.com/fr/les-peintres/malcom-de-chazal.html




Malcolm de Chazal, gouache sur papier


« Pourquoi écrire ? Eh bien, parce qu’il faut que l’arbre donne ses fruits, que le soleil luise, que la colombe s’accouple à la colombe, que l’eau se donne à la mer, et que la terre donne ses richesses aux racines de l’arbre»


Malcolm de Chazal (journal  quotidien «Le Mauricien» du 14 octobre 1961)


Jean Paulhan écrit, dans sa préface à  l’ouvrage "Sens-plastique" :
« Il  (Malcolm de Chazal) dit franchement de son œuvre qu'elle est une

« littérature-peinture ». Ou encore, une sur-poésie (qui n'a que faire de règles.) ...»


aphorismes en forme de poèmes courts :


Dans les tableaux

Cubistes

La lumière

Joue au loto.

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Les couleurs
sont les empreintes digitales
du soleil


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Le gris
Est la robe
du soir
de la nuit


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Le noir
est la lumière
trouée


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Il faisait
si chaud
que
les fleurs
durent
se servir
de
leurs couleurs
comme éventails
.


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Chaque
oiseau
a la couleur
de son cri 


---------------------- d’autres poèmes courts :


La Nature

Ignore

Le déjà vu


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L'espace

A

Pour seule clé

Le regard


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La vitre

ne sait

par

quel côté

se regarder

pour se reconnaître.


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L'eau dit à la vague :

"Tu me bois.

- Comment le pourrais-je ?

reprit la vague,

je suis ta bouche."


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L'auto

n'atteindra

jamais

la vitesse

de la route.


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Tous les animaux

sourient

quand

ils boivent.


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La pluie

barbouillée

de vent

alla

se laver

les yeux

dans l’étang


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La lumière

mit la main

dans le sac du soir

et en tira

une étoile.


Malcolm de Chazal ("Poèmes", Jacques Pauvert, 1966)


Quelques pensées et aphorismes courts :

  1. Pucele silence est un avocat qui plaide avec ses yeux.


  1. PuceL'idéaliste a la marche des orteils et le matérialiste a la marche des talons.


  1. PuceLa graine est le sac à main des plantes.


  1. PuceLe bruit de la cigale augmente le mal de dents.


  1. PuceLa rose, c'est les dents de lait du soleil.


  1. PuceL’œil a tous les gestes du poisson.


  1. PuceSur toute surface lisse, l'eau coule en serpentant. Sur le vernis des feuilles, l'eau luge.


  1. PuceSein : une pomme dans une poire où pointe un grain de raisin.


Des pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière :

  1. PuceSans l'ombre, la lumière ne pourrait chevaucher les objets, et le soleil irait partout à pied.


  1. PuceLorsqu'on tissera des robes en verre, mais à grains à cristaux, les femmes auront des robes multicolores et multi-tons, dont les effets varieront avec l'angle de frappe de la lumière. Et, comme la couleur change toute forme qu'elle vêt, hanches et bustes de femmes seront élastiques dans le soleil, augmentant la pulsation du désir chez l'homme, et rendant encore plus étendu son esclavage.


  1. PuceLa couleur est le chausse-pied de l'œil entre les formes des choses. Nature grise et délavée des paysages d'hiver; l'œil pris de biais entre les formes des choses ne touche plus la semelle de l'espace.


  1. PuceLa lumière, c'est le jeûne absolu. Elle est mangée par la plante, bue par l'eau, dévorée par les couleurs qui la coupent en sections. Si la lumière se nourrissait, tout disparaîtrait à vue, englouti par elle, et le temps même y passerait.


  1. PuceToutes les couleurs sont des filtres à différents degrés, qui servent d'écumoires au soleil, tels des verres-fumés naturels filtrant l'écume du soleil. Le premier effet du feu est de brûler cet écran, c'est de brûler la couleur avant de s'attaquer à la substance même de la matière.


  1. PuceSons et lumière sont associés. S'il y a un ton de la couleur, il y a aussi un timbre de la couleur. Si le ton de la couleur est uniforme sur les tissus, le timbre, lui, varie selon les régions du corps que le tissu vêt. Les formes du corps donnent aux couleurs leur timbre. Flûtée dans les plis des aisselles, tambourinante sur l'arrière-train, clarinettant à l'avant-bras, saxophone au haut des cuisses, castagnette sur les genoux que la robe claque, hautbois dans la région du cou, la couleur sur le buste est un xylophone sur lequel tapent et retapent les deux marteaux feutrés et ouatés des seins. Les formes du corps humain mettent du « vivant » à la couleur et orchestrent les teintes en gammes à l'infini.


  1. PuceJe donne à toute forme de vie corps et visage humains, afin de lui faire révéler ses secrets. Cela, tous les poètes l'ont fait mais dans un but flou et spécifiquement esthétique alors que j'y mets une intention philosophique avec le but bien défini de découvrir du nouveau.


  1. PuceSi le regard pouvait faire pont entre les deux rives d'un ruisseau, on verrait courir le ruisseau dans le sens contraire. Il n'est comme d'essayer de voir deux choses à la fois, pour mettre le regard sens dessus dessous.


  1. PuceSur toute surface lisse, l'eau coule en serpentant. Sur le vernis des feuilles, l'eau luge.


  1. PuceLa nature est le plus beau livre d'images, mais nous ne nous arrêtons, hélas! qu'à la couverture. Pour arriver à feuilleter ce super-album, il faudrait pouvoir décortiquer la plante, la fleur et le fruit comme un oignon qu'on épluche, ou procéder comme avec un orchestre, dont on goûte en détail les composants, tout en conservant pleinement l'audition de l'ensemble. Ainsi, pour apprécier la beauté de la fleur à plein, il faudrait pouvoir « goûter », tour à tour, de la fleur les stries, les zébrures, les flaques colorées, le grain, le velouté, les marbrures élastiques, l'éclat,le sombre et le dessin ; la chair et l'esprit ; les symboles, le vase et le décor ; la scène, la rampe et les coulisses ; l'orchestration des couleurs et le mariage des formes; l'architecture et le tableau. Mais pour arriver à « éplucher» la fleur, comme un oignon qu'on décortique, ne faudrait-il pas, du moins, que l'homme ait su, d'abord, se créer des plans dans le regard ?


Malcolm de Chazal


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9. Jean Cocteau

(1889-1963) auteur de théâtre,  poète et cinéaste français, était aussi sculpteur, céramiste, peintre, dessinateur...

Le théâtre lui doit en particulier La Machine infernale, Les Parents terribles, Antigone.


  1. Puce  «Une œuvre d’art doit satisfaire toutes les muses, c’est ce que j’appelle :

       Preuve par 9» (Jean Cocteau, «Le Coq et l’Arlequin»)


  1. Puce  «UN POÈTE A TOUJOURS TROP DE MOTS DANS SON VOCABULAIRE,      

        UN PEINTRE TROP DE COULEURS SUR SA PALETTE, UN MUSICIEN

       TROP DE NOTES SUR SON CLAVIER».

(Jean Cocteau, écrit en capitales dans «Le Coq et l’Arlequin»)




Ce n’est pas ce «Portrait de Dora Maar» par Picasso, réalisé en1937 qui a inspiré à Jean Cocteau, ami du peintre, le poème (écrit en 1935) qui suit, mais peut-être ci-dessous le tableau « Tête de femme », qui représente Marie-Thérèse Walter, en 1935  :




La jeune femme


Que voulez-vous que j'y fasse
Comment cela se fait-il
La jeune femme est de face
Alors qu'elle est de profil

Comment cela se fait-il
Elle n'a qu'un œil de face
Elle en a deux de profil
Que voulez-vous que j'y fasse

Que voulez-vous que j'y fasse
Comment cela se fait-il
Sa figure est une glace
Qui reflète son profil


Jean Cocteau, 1935 (publié dans «Clair-obscur», Éditions du Rocher, Monaco, 1954)


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Les trois yeux, 1958, céramique de Jean Cocteau, de 38 cm de diamètre

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Le chat




En 1959, Jean Cocteau a décoré l’intérieur, murs et plafond, de la Chapelle Saint-Blaise des Simples, à Milly-la-Forêt, sur le thème des simples (plantes) et de la résurrection. Il y a été inhumé.

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Plain-chant

(extrait)


J'ai peine à soutenir le poids d'or des musées

Cet immense vaisseau

Combien me parle plus que leurs bouches usées

L'Œuvre de Picasso.


Là, j’ai vu les objets qui flottent dans nos chambres,

Trop grands ou trop petits,

Enfin, comme l’amour mêle bouches et membres,

Profondément bâtis !


Les muses ont tenu ce peintre dans leur ronde,

Et dirigé sa main ;

Pour qu’il puisse, au désordre adorable du monde,

Imposer l’ordre humain.


Jean Cocteau ("Plain-Chant", éditions Stock, 1923)


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Hommage à Igor Stravinsky


texte en attente


Jean Cocteau («Poèmes en marge de Clair-Obscur» - «Faire-part, poèmes, 1922-1962», Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1968)


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autre texte de Cocteau dans la catégorie cycle 2 du Printemps des poètes 2014, ICI

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10. Lucienne Desnoues

(1921-2004) poète, a également écrit des contes pour les enfants..


Le paysage, à qui on demande de faire discrètement le deuil de sa représentation :


La mort du peintre


La palette à peine avertie

Sera déjà sèche à midi

Et demain les pinceaux roidis *

Iront finir dans les orties.

Chantez moins haut, belles collines,

Chantez moins clair et moins certain.

Par le monde il est ce matin

Mille aquarelles orphelines.

Vous qui en fûtes les modèles

Avec vos galops d'amandiers

J'aimerais que vous retardiez

L'instant fatal d'être infidèles,

L'instant d'oublier, vieilles mousses,

Les fins sabots du chevalet

Et cet œil cligné qui voulait

Saisir vos allusions douces.


Lucienne Desnoues ("Les Ors", éditions Seghers, 1966)  - * "roidis" : On préfèrera  peut-être "raidis" pour la classe

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11. Heather Dohollau (1925-2013)
est une poète d'origine galloise, installée en France en 1947. Ayant d'abord vécu dans l'île de Bréhat, elle a habité Saint-Brieuc, de 1958 au 30 avril dernier, où elle s'est éteinte en terre bretonne. Elle écrivait en français et sa prose comme sa poésie ont été publiées par Yves Prié aux éditions Folle Avoine, depuis 1981.




«La jeune fille lisant une lettre» - 1657 -  Johannes Vermeer

La Liseuse


cela doit être une table
mais la nappe
se lève intempestive
et prend le jour
ses plis fendus
font glisser d'un plat
un feu de fruits
des pommes rouges et des pêches
un rideau veille
et semble protéger de son vert et or
l'espace intime
où l'on accueille la venue d'une lettre
dans un écart de soi
sous un suspens de flamme


Heather Dohollau («Une suite de matins»  - Éditions Folle Avoine - 2005)


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Les paragraphes qui suivent ont pour source : http://poezibao.typepad.com/files/heather-dohollau-par-meredith-le-dez.pdf


... «Sur le papier
Frôlées par l’ombre
Les choses
Existent de clarté»


«Les Portes d’en bas», - éd Folle Avoine, 1992)

article écrit en 2006 par Meredith Le Dez :

«L’œuvre de Heather Dohollau, nourrie de son amour pour la peinture, ne cesse de tisser des équivalences entre le tableau et le poème : la peinture et la parole poétique partagent un mystérieux pouvoir de révélation.

“ Entre le fermé et l’ouvert
Le peintre est passeur
Du visible vers l’invisible
D’une terre sans faille ”


écrit le poète dans
L’Adret du jour, poème auquel font écho, issues du même recueil, les lignes suivantes :
“ J’écris pour voir ce qui reste à l’extérieur, qui vient s’appuyer contre la vitre du texte. Le presque oublié, attiré par un mot, une couleur, l’air. D’un lieu d’où je me suis retournée pour regarder ailleurs. L’arrière-plan éternel, éternellement au-devant de moi.”

Une suite de matins contient plusieurs textes écrits à propos de tableaux, dont celui-ci, qui le clôture :

Tableaux

«... ce que j'aime ce sont les tableaux des autres – les tableaux et les cartes – en eux je vis les mettant sur les murs pour partir loin cherchant à distance pour voir devant moi fenêtres internes la grâce de l'air où je suis.


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12. Jean Dubuffet (1901-1985)

est un peintre, sculpteur et plasticien français.

Il est le premier théoricien d'un style d'art auquel il a donné le nom d'«art brut». Il s’est lui-même largement inspiré des productions de marginaux ou de malades mentaux : peintures sculptures, calligraphies. (source : Wikipédia)


LER DLA CANPANE




Ce livre de Jean Dubuffet (signé Dubufe J.) inaugure une série d’ouvrages artisanaux, pour lesquels il est tout à la fois auteur, illustrateur et éditeur (auto-édition).
le texte est écrit en langage phonétique, le jargon qu’affectionne Dubuffet.
Dédié au poète
Jean Lanselme (A JANLANSELM), cet ouvrage comporte vingt-huit pages agrafées, dont un texte découpé en 16 parties sur stencil (Dubuffet utilisera la lithographie pour les ouvrages suivants), et six gravures, dont trois sur linoléum, et trois sur bois de caisse et fonds de boites de camembert ou de cigares.





DTERE  PARTOU  LEFEULLE  QI TONBE  SARFE  DLATERE  IAPLIN  DGRENE  QIJERME  PARTOU  IA  DECHMIN  IADE  CAYOU  IAPLIN  DBETE




SAFE  MARAN  LA  CHMINE  EFUME  ONFE  LASOUPE


LER DLA CANPANE

(par commodité, bien que les capitales et les minuscules (bas-de-casse) coexistent dans l’écriture de Dubuffet, le texte éditable a été ici entièrement mis en capitales, non accentuées comme dans l’original)


A  JANLANSELM


SQON  NAPELE  LEPE  ISAJE SAVEDIR  LA  CANPANE  IARIIN  QI  MANBETE  COMSA  LACANPANE  LACANPANE  SEPLIN  DLEGUME  ONDIRE  UNE  SOUPE  MINESETRON

LESARBE  IZON  DEBRA  COM  LEJAN  IZON  DEDOI  IZON  TROICATE  JANBE  LE  NUAGE  IZON  DEPATE  SINQSI  PATE  IAPLIN  DTERE  PARTOU  LEFEULLE  QI TONBE  SARFE  DLATERE  IAPLIN  DGRENE  QIJERME  PARTOU  IA  DECHMIN  IADE  CAYOU  IAPLIN  DBETE  IADEPTITE  BRANCHE  IA  DEPLATEBANDE IA  DEGRIYAGE  IA  DE  FILDEFER  IADE  BOUDBOI PARTOU  IADE  SOIZO  DAN  LARBE  IFON  IN  RAFU  IBOUFE  LENOIZETE  IA  IN  VANDCHIIN  VLA LIVER  QISTAYE  EPIL  BOTAN  QIVA  SAMENE  ONVA  ALE  OCHANPIGNON  ONVERABIIN  SI  IORAPA  DPAPI  YON  DCHOU  LIVER  IAN  NAPA  DPAPI  YON  IARIINQ  DEMITE  DLA  MITE  IAN  NA  TOULTAN  DLAMOUCH  IAN  NAANCOR  PABOCOU  DE  TOILE  DAREGNE  ON  NAN  NA  PLINLAGUELE  LEJAN  IPLANTE  DERADI  APRE  IVIENEVOIR  SI  SAPOUCE  LAOUQ  TOU  IPOUCE  MIEU  SECANTE  ITONBE  DELO  LEJAN IFOUTE  PAGRANCHOZE  ISCASPA LATETE  IBRICOLE  ADROI  TAGOCHE  IVON  ALERBE  OLAPIN  ICAS  BIIN  LACROUTE  LELAPIN  LEVACHE  OSI  EZA  RETEPA  DBOUFE  EMACHOUYE  TOULTAN JOREDUMET  MON  TRENCHECOTE  DEFOI  QITONBRE  DLO  LE  SIRONDELE  ONDIRE  QEVOLE  PLUTOBA  SESIGNE  QIVA  RFLOTE LEJAN  ISFON  DLABIL  RAPORE  OLIMASE  IA  DECHATEGNE  PARTERE  LEJAN  ILERAMAS  PA  SEPOURTAN  PAMOVE  IALA  VACHE  QIRGARDE  ETOURNE  SATETE LEPOUL  ETOURNE  PALATETE  ETOURNE  RIINQ  LEUYE  UNOTFOI  JAN  PORTRE  DECONFETI  POURLEFOUTRE  OPOUL  JPEPA  LEBLERE  LEPOUL  LESARBE  JPOURE  LEUR  BALANSE  DESER  PANTIN  LEMEZON  ESON  TOUTE  PAREYE  EZON  DECHAPOPOUINTU  SAFE  MARAN  LA  CHMINE  EFUME  ONFE  LASOUPE.


DUBUFFET, Jean Dubuffet («Ler dla canpane» par Dubufe J. -  L'Art brut, 1948) - comporte en plus du texte, 6 gravures originales de Jean Dubuffet



  1. PuceLe texte de Jean Dubuffet pourrait servir d’exemple à une mise en écriture phonétique illustrée descriptive ou narrative courte, qui devrait plaire aux élèves, à partir du Cycle 3 (voir aussi les pages consacrées à la création poétique


une «traduction du début du texte :

Ce qu’on appelle le paysage, ça veut- dire la campagne, y a rien qui m’embête comme ça, la campagne. La campagne, c’est plein de légumes, on dirait une soupe minestrone (...)


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avec Pierre André BENOIT


OREILLES GARDÉES










OREILLES GARDÉES


(...) MOUILLEZ-VOUS DE L’EAU DE VOS PROFONDES COUCHES MONTEZ -LA HALETANT POUR QU’A VOTRE SURFACE L’HERBE POUSSE NOUVEAU POIL QUI VOUS CHANGERA LA FACE - - - - -

IL A BIEN PLU POURTANT MAIS PAS POUR VOUS CAR VOUS VOUS ETIEZ MIS SOUS UN CHAMPIGNON PARAPLUIE DE SOMBRE ROCHE QUI NE VOUS ECORCHAIT MEME PAS


Oreilles gardées (dessins de Jean Dubuffet et texte de Pierre André Benoit, éditions PAB, Paris-Alès, 1962)

Jean Dubuffet a réalisé cet ouvrage en collaboration Pierre André Benoit (1921-1993),  poète, peintre, illustrateur, graveur, typographe, imprimeur et éditeur d'art (sous le nom PAB).

Le texte de PAB est accompagné de 13 dessins de Jean Dubuffet à l’encre de chine, dont deux en couverture.


Le musée Pierre André Benoit d’Alès (Gard) abrite une belle collection d'oeuvres d'art moderne et contemporaine.


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Jean Dubuffet , Ontogénèse, 1975 Vinyle sur panneau, offert par l’artiste à la ville du Havre.

Cette œuvre fait partie du cycle de l’Hourloupe


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avec JACQUES BERNE (poèmes en attente)




Jean Dubuffet et Jacques Berne

«IL Y A» (éditions Fata Morgana, 1979)

17 poèmes de Jacques Berne et 13 illustrations de Jean Dubuffet en pliage accordéon.

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Jean Dubuffet et Jacques Berne

«le flux même», seize poèmes de Jacques Berne Illustrés par Jean Dubuffet (Editions St-Germain-des-Pres, 1976)

 
"Le paysage se pense en moi et je suis sa conscience"
Paul Cézanne
CRÉATION POÉTIQUE et ARTISTIQUE
fiches techniques pour l’école (avec les textes du PP 2009)
cliquez sur ce lien (en construction)PP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlPP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlPP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlshapeimage_3_link_0shapeimage_3_link_1

SOMMAIRE PAR AUTEURS  SUR LES 4 PAGES


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page 1 (vous y êtes)


  1. 1.Guillaume Apollinaire - Les fiançailles ; La Colombe poignardée ; le jet d’eau ;  La cravate ; Il pleut ; Marie ; Le présent ; Si je mourais là-bas

  2. 2.Louis Aragon - MATISSE  PARLE ; LA BELLE ITALIENNE ; Chagall IX (Le ciel est un pays de chèvres ...) ; Les oiseaux déguisés ; Chagall à l'opéra ; Chagall (Tous les animaux et les candélabres) ; CHAGALL N° TANT ET PLUS ; Léger ; La merveille de la musique

  3. 3.Jean Hans Arp - Interview de Jean Arp par Camille Bryen ; Flamber et fleurir ; Plastron et fourchette (sculpture) ; Femme paysage (sculpture) ; Une goutte d’homme ; Berger de nuages (sculpture) ; Nombril et nombril ailé (collage) ; Aux anses de coton ; Cuis-moi un tonnerre

  4. 4.Charles Baudelaire - Harmonie du soir ; Les phares ; Une gravure fantastique ; Une martyre ; La Musique

  5. 5.Maurice Bourg - Embrasement

  6. 6.André Breton - Île ; À l’intersection de lignes de force invisibles ... (poème-objet) ; Ces terrains vagues … (poème-objet)

  7. 7.René Char - Lettera amorosa ; Allégeance ; l y a deux iris jaunes ... ; LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON (FRONT DE LA ROSE) ; Dansez, montagnes (Derrière Le Miroir) ; Éloge rupestre de Miró

  8. 8.Malcolm de Chazal - aphorismes en forme de poèmes courts ; pensées et aphorismes courts ; pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière

  9. 9.Jean Cocteau - Le Coq et l’Arlequin (courts extraits) ; La jeune femme ; Les trois yeux (céramique) ; Le chat (décor de la Chapelle Saint-Blaise des Simples) ;  Plain-chant ; Hommage à Igor Stravinsky

  10. 10.Lucienne Desnoues - La mort du peintre

  11. 11.Heather Duollau - La Liseuse ; extraits divers (dont "Le tableau")

  12. 12.Jean Dubuffet - LER DLA CANPANE ; OREILLES GARDÉES ; Ontogénèse (tableau) ; collaborations avec Jacques Berne


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page 2 (CLIC pour y accéder)


  1. 13.PAUL ÉLUARD
    textes dédiés à des artistes et textes illustrés par
    Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, Valentine Hugo, Max Ernst, Man Ray, Joan Miró, René Magritte, Yves Tanguy, Albrecht Dürer, André Masson ...

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page 3 (CLIC pour y accéder)


  1. 14.Max Ernst - Écritures ; Festin

  2. 15.Jean Follain - La pomme rouge

  3. 16.Guillevic - J’ai joué sur la pierre … ; Les mots … ; Le chant ; Art poétique ; Regarder ; Paysage habité ; Les murs ; Tourbillon , Se dénuager ; D’une lune ; L’infini ; Cette lumière ; Grisé ; Cymbalum ; Échappées ; Aguets

  4. 17.Victor Hugo - dessins ; Que la musique date du seizième siècle

  5. 18.Pierre Jean Jouve - Mozart

  6. 19.Stéphane Mallarmé - Peindre un paysage

  7. 20.Henri Michaux - Peindre ; alphabets ; Émergences-Résurgence ; Mouvements ; Par la voie des rythmes ; Misérable miracle ; Portrait des Meidosems ; CLOWN

  8. 21.Gérard de Nerval - Fantaisie ; Avril ; Le coucher du soleil

  9. 22.Joseph Noiret - Le jardin bien bêché … ; HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE ; L'Aube se lève droit devant elle ; Dans la pâte je m’entortouille ; la java des mots

  10. 23.Germain Nouveau - Un peu de musique

  11. 24.Francis Picabia - FLEUR COUPÉE ; Manifeste DADA ; Pensées sans langage

  12. 25.Pablo Picasso - SONGE ET MENSONGE DE FRANCO ; Divers poèmes du Livre ouvert ; 16 mai XXXVI ; 22 MARS XXXVI ; 4 AVRIL XXXV, portrait de jeune fille ; DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS

  13. 26.Ernest Pignon-Ernest - Robert Desnos en lévitation ; hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish

  14. 27.Francis Ponge - Nutrition (avec Jean Dubuffet) ; La cruche

  15. 28.Jacques Prévert - Les collages de «Fatras» ; Promenade de Picasso ; Bain de soleil ; Pour faire le portrait d’un oiseau ; L’école des Beaux-Arts ; Presque ; Beauté ; Voyages

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page 4 (CLIC pour y accéder)


  1. 29.Pierre Reverdy - Le côté bleu du ciel ; La vie fragile

  2. 30.Maurice Rollinat - Coucher de soleil

  3. 31.Hector de Saint-Denis-Garneau - Flûte ; Entre le ciel et l’eau - Paysage en deux couleurs ; Baigneuse

  4. 32.André Salmon - El Malagueño ; Profond tableau ; Peindre c’est la merveille !

  5. 33.Albert Samain - Musique sur l’eau ; Musique

  6. 34.Philippe Soupault - La Roue des Roues

  7. 35.Jules Supervielle - À propos de Pedro Figari ; Un peintre ; Je caresse la mappemonde

  8. 36.Jean Tardieu - Outils posés sur une table ; HENRI  ROUSSEAU LE DOUANIER ; À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR ; LE MIROIR ÉBLOUI ; C’EST À DIRE ; POÈMES À VOIR ; L’ESPACE ET LA FLÛTE ; LE PARQUET SE SOULÈVE ; Nous sommes tes amis ; Les figures du mouvement ; Jean Tardieu quatre fois ; TOUT ET RIEN

  9. 37.Roland Topor - AFFICHES ; POÉSIE GRAPHIQUE : Paysage de montagne ; Vaches noires ; La Princesse Angine ; LE CINÉMA DE TOPOR ; LITTÉRATURE ET THÉÂTRE : Alice au pays des lettres

  10. 38.Tristan Tzara - Midis gagnés

  11. 39.Paul Verlaine - Art poétique

  12. 40.Boris Vian - Si les poètes étaient moins bêtes ; Les hommes de fer

  13. 41.Théophile de Viau - Un Corbeau devant moi croasse …

  14. 42.Alexandre Voisard - L'artiste à l'œuvre 

1. Guillaume Apollinaire

(1880 -1918), poète français ami de Picasso (le poème qui suit lui est dédié) et de Max Jacob, écrit ses premiers poèmes à l'âge de 17 ans.


Apollinaire évoque le poème ci-dessous, dédié à Picasso.

dans une lettre à Madeleine Pagès le 30 juillet 1915 :

«Ma chère petite fée chérie :

... «Je vous ai dit que « Vendémiaire » était mon poème préféré d’Alcools. J’y songe, le plus nouveau et le plus lyrique, le plus profond ce sont ces « Fiançailles » dédiées à Picasso dont j’admire l’art sublime et qui vous concernent tout à fait, vous, Madeleine». ...

On ne propose de ce long texte que les trois premières strophes aux élèves :


Les fiançailles


À Picasso


Le printemps laisse errer les fiancés parjures

Et laisse feuilloler longtemps les plumes bleues

Que secoue le cyprès où niche l’oiseau bleu


Une Madone à l’aube a pris les églantines

Elle viendra demain cueillir les giroflées

Pour mettre aux nids des colombes qu’elle destine

Au pigeon qui ce soir semblait le Paraclet


Au petit bois de citronniers s’enamourèrent

D’amour que nous aimons les dernières venues

Les villages lointains sont comme leurs paupières

Et parmi les citrons leurs cœurs sont suspendus



Mes amis m’ont enfin avoué leur mépris

Je buvais à pleins verres les étoiles

Un ange a exterminé pendant que je dormais

Les agneaux les pasteurs des tristes bergeries

De faux centurions emportaient le vinaigre

Et les gueux mal blessés par l’épurge dansaient

Étoiles de l’éveil je n’en connais aucune

Les becs de gaz pissaient leur flamme au clair de lune

Des croque-morts avec des bocks tintaient des glas

À la clarté des bougies tombaient vaille que vaille

Des faux-cols sur des flots de jupes mal brossées

Des accouchées masquées fêtaient leurs relevailles

La ville cette nuit semblait un archipel

Des femmes demandaient l’amour et la dulie

Et sombre sombre fleuve je me rappelle

Les ombres qui passaient n’étaient jamais jolies

[ ... ]
ici plusieurs paragraphes non reproduits


Incertitude oiseau feint peint quand vous tombiez

Le soleil et l’amour dansaient dans le village

Et tes enfants galants bien ou mal habillés

Ont bâti ce bûcher le nid de mon courage


Guillaume Apollinaire ("Alcools" - Mercure de France 1913 - réédité en poche Poésie/Gallimard)


-------------------------------------------PP 2014 - français Collège 1


quatre calligrammes qui tirent le texte vers l’art pictural :


La Colombe poignardée  -  le jet d’eau




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La cravate


                      

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Il pleut




transcription horizontale du calligramme ci-dessus :


Il pleut

Il pleut des voix de femmes comme si elles étaient mortes même dans le souvenir.

c’est vous aussi qu’il pleut merveilleuses rencontres de ma vie ô gouttelettes !

et ces nuages cabrés se prennent à hennir tout un univers de villes auriculaires

écoute s’il pleut tandis que le regret et le dédain pleurent une ancienne musique

écoute tomber les liens qui te retiennent en haut et en bas


Guillaume Apollinaire ("Calligrammes", 1918 et éditions Gallimard, 1970, pour ces deux images)

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APOLLINAIRE et MARIE LAURENCIN

         


«Apollinaire et ses amis», Marie Laurencin, 1909.
Marie Laurencin (1883-1956), artiste peintre, avec qui Apollinaire entretint une relation de cinq ans (avant Lou), a peint ce tableau représentant le poète, avec Picasso, à sa gauche et Gertrude Stein.


poème d’Apollinaire pour Marie (Laurencin)


Marie


Vous y dansiez petite fille

Y danserez-vous mère-grand

C'est la maclotte qui sautille

Toute les cloches sonneront

Quand donc reviendrez-vous Marie


Les masques sont silencieux

Et la musique est si lointaine

Qu'elle semble venir des cieux

Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine

Et mon mal est délicieux


Les brebis s'en vont dans la neige

Flocons de laine et ceux d'argent

Des soldats passent et que n'ai-je

Un cœur à moi ce cœur changeant

Changeant et puis encor que sais-je


Sais-je où s'en iront tes cheveux

Crépus comme mer qui moutonne

Sais-je où s'en iront tes cheveux

Et tes mains feuilles de l'automne

Que jonchent aussi nos aveux


Je passais au bord de la Seine

Un livre ancien sous le bras

Le fleuve est pareil à ma peine

Il s'écoule et ne tarit pas

Quand donc finira la semaine


Guillaume Apollinaire ("Alcools" - Mercure de France 1913 - réédité en poche Poésie/Gallimard)

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plus tard, Marie Laurencin a dédié ce poème à Francis Picabia :

Le présent

Si tu veux je te donnerai

Mon matin, mon matin gai

Avec tous mes clairs cheveux

Que tu aimes ;

Mes yeux verts

Et dorés

Si tu veux,

Je te donnerai tout le bruit

Qui se fait

Quand le matin s'éveille

Au soleil

Et l'eau qui coule

Dans la fontaine

Tout auprès !

Et puis encor le soir qui viendra vite

Le soir de mon âme triste

À pleurer

Et mes mains toutes petites

Avec mon cœur qu'il faudra près du tien

Garder.


Marie Laurencin (revue Dada, 1917)

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APOLLINAIRE et les POÈMES À LOU


     


ouvrage «Si je mourais là-bas, poèmes à Lou»
Guillaume Apollinaire, avec 18 bois gravés originaux de Georges Braque

(Louis Broder, Paris, 1962)

Contient les «poèmes à Lou» écrits entre décembre 1914 et septembre 1915, édité pour le 80e anniversaire de Braque, «l'artiste compagnon de tranchées du poète».


le poème-titre :

Si je mourais là-bas

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée,

Tu pleurerais un jour, ô Lou, ma bien-aimée.

Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt Un obus éclatant sur le front de l'armée,

Un bel obus semblable aux mimosas en fleur.

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace Couvrirait de mon sang le monde tout entier : La mer, les monts, les vals et l'étoile qui passe, Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace Comme font les fruits d'or autour de Baratier.

Souvenir oublié, vivant dans toutes choses,

Je rougirais le bout de tes jolis seins roses,

Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants. Tu ne vieillirais point, toutes ces belles choses Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants.

Le fatal giclement de mon sang sur le monde Donnerait au soleil plus de vive clarté,

Aux fleurs plus de couleur, plus de vitesse à l'onde, Un amour inouï descendrait sur le monde,

L'amant serait plus fort dans ton corps écarté...

Lou, si je meurs là-bas, souvenir qu'on oublie,

— Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie, De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur, — Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur ! Et sois la plus heureuse étant la plus jolie,

Ô mon unique amour et ma grande folie !


Guillaume Apollinaire («Poèmes à Lou»)
Ce recueil est dédié à Lou, Louise de Coligny-Châtillon, avec qui Apollinaire, mobilisé pour la guerre de 14-18, a entretenu une relation amoureuse épistolaire et poétique.

Il a été publié pour la première fois à Genève en 1947 sous le titre «Ombre de mon amour», puis en 1955 sous le titre «Poèmes à Lou».
Réédité régulièrement en Poésie/Gallimard
(«Poèmes à Lou, précédé de Il y a», Gallimard,1969)

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2. Louis Aragon (1897-1982)

appartient au mouvement surréaliste, dont il est un des fondateurs, avec André Breton et Philippe Soupault.

Il adhère au Parti communiste et s'engage dans la Résistance contre le nazisme pendant la Seconde guerre mondiale.

Son amour pour Elsa Triolet, romancière (1896-1970), traverse et illumine son oeuvre poétique. Un des recueils d'Aragon s'intitule Le Fou d'Elsa (1963). On peut citer d'autres recueils : Cantique à Elsa (1942) - Les Yeux d'Elsa (1942) -  Elsa (1959) - Il ne m'est Paris que d'Elsa (1964) ...

Aragon était également romancier (Le Paysan de Paris - Les beaux quartiers - Les Communistes, Les Voyageurs de l'Impériale ...)


ARAGON et HENRI MATISSE


Louis Aragon publie en 1971 "Henri Matisse, roman", ensemble d’écrits sur le peintre (éd Gallimard).

En 1941, Matisse  collabore à la revue «Poésie 42", fondée par Aragon (précédée de «Poésie 41».

En 1943, Aragon préface le recueil "de dessins Thèmes et variations" de Matisse.

ci-dessous, un des dessins et la couverture de l’ouvrage.


"Je rends à la lumière un tribut de justice

Immobile au milieu des malheurs de ce temps

Je peins l'espoir des yeux afin qu'Henri Matisse

Témoigne à l'avenir ce que l'homme en attend"

Louis Aragon, 1947


                    




MATISSE  PARLE                            


Je défais dans mes mains toutes les chevelures

Le jour a les couleurs que lui donnent mes mains

Tout ce qu’enfle un soupir dans ma chambre est voilure

Et le rêve durable est mon regard demain


Toute fleur d´être nue est semblables aux captives

Qui font trembler les doigts par leur seule beauté

J´attends je vois je songe et le ciel qui dérive

Est simple devant moi comme une robe ôtée


J´explique sans les mots le pas qui fait la ronde

J´explique le pied nu qu´a le vent effacé

J´explique sans mystère un moment de ce monde

J´explique le soleil sur l´épaule pensée


J´explique un dessin noir à la fenêtre ouverte

J´explique les oiseaux les arbres les saisons

J´explique le bonheur muet des plantes vertes

J´explique le silence étrange des maisons

                                                                                

J´explique infiniment l´ombre et la transparence

J´explique le toucher des femmes leur éclat

J´explique un firmament d´objets par différence

J´explique le rapport des choses que voilà


J´explique le parfum des formes passagères

J´explique ce qui fait chanter le papier blanc

J´explique ce qui fait qu´une feuille est légère

Et les branches qui sont des bras un peu plus lents


Je rends à la lumière un tribut de justice

Immobile au milieu des malheurs de ce temps

Je peins l´espoir des yeux afin qu´Henri Matisse

Témoigne à l´avenir ce que l´homme en attend


Louis Aragon ("Les Lettres Françaises», 1947, et «Le Nouveau Crève-coeur», Gallimard, 1948)


ARAGON et PICASSO





Ouvrage d’Aragon avec un dessin de Picasso


LA BELLE ITALIENNE


à Pablo Picasso


L'AZUR et ses voiles

Les bras de santé

Crèmes estivales

Sa grande beauté


Mais qu'elle en impose

À qui veut l'aimer

(Parler de la mer

Autrement qu'en prose)


La plus idiote

Avec son œil rond

Luit intelligente

Auprès de ce front


Ô chère adorée

Au soleil de plomb

Ton regard d'aplomb

Et ta chair dorée


Quand on te décrit

Toutes les chevilles

Comme des salives

Montent à l'esprit


Dans ta chevelure

Reflet du passé

Tu gardes l'allure

Du papier glacé


Qu'amènent tes lèvres

Les mots maux et fièvres


Mais la voix dit Non

Sur un ton de lave.


Louis Aragon («Feu de joie», éditions Au Sans Pareil, 1920) - le dessin inclus dans cet ouvrage est reproduit ci-dessus.


ARAGON et CHAGALL




tableau de Chagall :«Moi et le village», 1911 (huile sur toile exposée au MOMA New York)


« Mon cirque se joue dans le ciel, il se joue dans les nuages parmi les chaises, il se joue dans la fenêtre où se reflète la lumière » (Marc Chagall)


Chagall IX

(Le ciel est un pays de chèvres ...)


Le ciel est un pays de chèvres
C'est dommage pour les poissons
Les amoureux est-ce qu'ils sont
À ça près

 

Pourquoi les pieds touchent-ils terre
Quand ils peuvent faire autrement
Et ma tête à l'envers Maman
Ma tête

 

L'homme danse et non les oiseaux
Il est l'inventeur du trapèze
Les chevaux ont appris de lui l'art
Des bouquets

 

La vie est longue comme un air
De violon
Qui peint la nuit a deux visages
L'autre d'aimer l'un pour dormir

 

Tout est joli comme une lampe
C'est la guimpe de la lumière
Les objets s'y font acrobates
Les gens légers

 

Chagall la couleur est ton peuple
Donne-lui des jeux et du pain
Dieu qu'il fait beau quand l'ombre est rouge
Et bleu l'amour


Louis Aragon («Les Adieux et autres poèmes», Temps Actuels,1982 et éditions Stock, 1997)


  1. Les oiseaux déguisés


  2. Tous ceux qui parlent des merveilles

  3. Leurs fables cachent des sanglots

  4. Et les couleurs de leur oreille

  5. Toujours à des plaintes pareilles

  6. Donnent leurs larmes pour de l'eau


  7. Le peintre assis devant sa toile

  8. A-t-il jamais peint ce qu'il voit

  9. Ce qu'il voit son histoire voile

  10. Et ses ténèbres sont étoiles

  11. Comme chanter change la voix


  12. Ses secrets partout qu'il expose

  13. Ce sont des oiseaux déguisés

  14. Son regard embellit les choses

  15. Et les gens prennent pour des roses

  16. La douleur dont il est brisé


  17. Ma vie au loin mon étrangère

  18. Ce que je fus je l'ai quitté

  19. Et les teintes d'aimer changèrent

  20. Comme roussit dans les fougères

  21. Le songe d'une nuit d'été


  22. Automne automne long automne

  23. Comme le cri du vitrier

  24. De rue en rue et je chantonne

  25. Un air dont lentement s'étonne

  26. Celui qui ne sait plus prier.


Louis Aragon («Les Adieux et autres poèmes», Temps Actuels,1982 et éditions Stock, 1997)

texte mis en musique par Jean Ferrat en 1994


Chagall à l’opéra

(passages)


I


Ton âme peut changer comme le fond des mers

Ton corps démesurer sa force à tes travaux

L'univers bourdonner de tes astres rivaux

Peuple de l'avenir parmi tes bras nouveaux

Toujours tu parleras des enfants qui s'aimèrent


Archipel archipel une terre qui ploie


L'arbre est rouge où l'oiseau chante et se desespère


L'ombre seule au printemps comme une jambe impaire


Pèse parmi les fleurs

Daphnis où tu te perds


Et comme un plomb léger tes pas changent de loi


Rien ne retombe quand vient le temps solaire

Le monde est un passage énorme de troupeaux

Un établi dansant où bouclent les copeaux

Et toute chose est peinte et les prës ët la peau

La couleur et le sang ne songent qu'a se plaire


...

II


Il y a deux thèmes dans les toiles de

Chagall qui reviennent

Souvent comme si rien de rien ne pouvait s'entendre sans eux

En premier lieu quelque part dans un coin ce sont les amoureux


Elle en robe de mariée ou nue il faut que lui la tienne

N'importe dans le ciel une barque ou la rue ah seulement


Qu'il la tienne ou sans cela qui pourrait comprendre un pot de fleurs


Ou quoi que ce soit qui satisfait l'artiste ordinairement

Et le second thème est celui du temps qu'on ne voit pas comment


On pourrait figurer sinon par un balancier battant l'heure


(...)

Marc

Chagall voit d'un seul coup les amoureux et le reste des


roses

Parce que tandis qu'ils sont couchés ensemble ou plutôt nichés

Ensemble ou perchés ensemble ou pour mieux dire ensemble branchés


Parfois dans le boîtier de la pendule où leur reflet se pose

Avec le tic-tac de ce qui se passe isolés dans leurs bras

...


Louis Aragon («Les Adieux et autres poèmes», Temps Actuels,1982 et éditions Stock, 1997)



Chagall

(texte de Ferrat repris du poème Tous les animaux et les candélabres)


Tous les animaux et les candélabres

Le violon-coq et le bouc-bouquet

Sont du mariage


L'ange à la fenêtre où sèche le linge

Derrière la vitre installe un pays

Dans le paysage


Mon peintre amer odeur d'amandes (note*)


Les danseurs ont bu le grand soleil rouge

Qui se fera lune avant bien longtemps

Sur les marécages


Et le cheval-chèvre assis dans la neige

Aimerait parler avec les poissons

Qui sont trop sauvages


Mon peintre amer odeur d'amandes


Le peintre est assis quelque part dans l'ombre

A quoi rêve-t-il sinon des amants

Sur leur beau nuage


Au-dessus des toits à l'horizontale

Dans leurs habits neufs avant d'être nus

Comme leurs visages


Mon peintre amer odeur d'amandes


Marchez sur les mains perdez votre tête

Le ciel est un cirque où tout est jonglé

Et le vent voyage


Tous les animaux et les candélabres

Le violon-coq et le bouc-bouquet

Sont du mariage


Mon peintre amer odeur d'amandes


Louis Aragon («Les Adieux et autres poèmes», Temps Actuels,1982 et éditions Stock, 1997)

texte mis en musique par Jean Ferrat en 1994

le vers-refrain « Mon peintre amer couleur d'amandes» a été emprunté par Ferrat  à un autre texte d’Aragon su Chagall : « Comme tes couleurs sont jolies»

«C'est la première fois que Je fais ça,  ... J'ai pris un poème qui s'appelle «tous les animaux et les candélabres» ... et j'ai trouvé la musique ... mais j'avais un sentiment d'insatisfaction, comme s'il manquait quelque chose ... Je ne sais pas combien de temps après, de mois ou d'années. j 'ai réécouté la chanson. j'ai relu tous les poèmes sur Chagall et Je suis tombé sur ce vers (dans «Comme les couleurs sont jolies) : Mon peintre amer odeur d'amandes". C'était comme s'il attendait d'être placé là dans la chanson, et j'en ai fait le refrain» ...


et pour en finir avec Chagall , un dernier texte d’Aragon sous peut-être le tableau auquel il fait référence :




CHAGALL N° TANT ET PLUS (extrait)


Un tout petit Chagall où l'on voit l'univers

Avec la couleur la perspective et tout ce qu'il faut

La toile à l'envers et le peintre à l'endroit

Beaucoup trop de monde et tout de travers

Vivre est à l'étroit les invités viennent

Rien n'est vraiment prêt le vin les couverts

Envoyez le cheval chercher les fleurs à l'épicerie

Un tout petit Chagall qui a les yeux plus gros que le ventre

Un tout petit Chagall comme une noce

Le violon devant qui parcourt le quartier

Un tout petit Chagall bleu dimanche avec une tranche d’orange à l’oreille

Un tout petit Chagall avec des amoureux sur le toit

J’ai perdu la bague et les gants comment faire

J’ai perdu la clé du tableau

Et les gens sont repartis sans avoir vu la fiancée

Un tout petit Chagall avec pas même un coin pour se pendre


Louis Aragon ("Écrits sur l'art moderne / Aragon" *, recueil de textes du poète, sous la direction de Jean Ristat,
texte également reproduit dans l'ouvrage "Louis Aragon" de la collection "Poètes d'Aujourd'hui", rédigé par Georges Sadoul", Seghers, 1967)

* présentation : "Des textes dadaïstes et provocateurs aux poèmes des années 1970, en passant par des écrits engagés dans le combat surréaliste ou pour la défense du réalisme socialiste, ce volume rassemble, pour la première fois dans leur intégralité, les écrits d'Aragon consacrés à l'art du XXe siècle" (…)




ARAGON et FERNAND LÉGER


(passages de ce très très long texte)


Léger


Léger

Léger marchons légère

Léger marchons légèrement


Ce monde est un immense camouflage où la couleur et l'ombre

Cachent l'homme et le découvrent tour à tour

Comme s'il glissait entre des panneaux ou des cartes

Il ne faut pas trop se presser pour abattre son jeu

Car même pris la main dans le sac

Ou dans quelque flagrant délit de rêve


...

Il y a toujours moyen de se sentir confortable comme dans une forêt


Avec des feuillages pour toutes les sortes de pudeur

Le camouflage croyez m'en ça c'est du grand art dans la vie

Le génie après tout c'est savoir se déguiser en courant d'air

Quarante villes croient avoir mis

Homère au monde et lui pardon


Pas si aveugle que tout ça


Vous voyez ce que je veux dire

Non

Eh bien

Richard

Wagner


Va toujours le chercher entre ses

Walkyries

Heïotoho


Heïotoho tout juste un profil sous son béret de velours


Mais si tu tombes dans la peinture alors pour le courant d'air


On peut s'en payer une pinte

II y a


Le courant d'air

Dürer et le courant d'air

Botticelli


Par exemple

Suivant que tu fais dans la frisette ou le cuir repoussé


Quant à l'impressionnisme en matière de camouflage il se pose là


...


... Et pour ce genre-là de conversation mon ami

Guillaume

Apollinaire

Eh bien il en connaît un bout

Il a même inventé quelque chose qui ressemble à du

camouflage parlé

Il appelle cela des calligrammes et c'est vrai que c'est joli à voir


(fragment du passage sur Fernand Léger) :

... je vous dis que

Fernand

Léger ressemblait à s'y méprendre

À vous et moi peut-être dans le format au-dessus voilà tout


... la poésie à l'inverse de la peinture est faite

Pour montrer l'homme et non point le camoufler

Aussi croyez-moi c'est une chose très dangereuse en temps de guerre

Je voudrais vous montrer

Fernand

Léger

Ce grand gaillard avec des taches de rousseur et la moustache en brosse

La bouche amère quand il ne rit pas mais il rit souvent

Il se gratte la tête devant le monde et tout le jette dans la perplexité

...



... C'était hier mais on n'allait pas encore dans la lune

Sur les bouteilles les bouchons étaient encore en bouchon

Et

Paris avait des fortifs avec de l'herbe et des boîtes de conserve

On ne se faisait aucune idée de la

Télévision

Le monde en général ressemblait au

Douanier

Rousseau


... On ne fera pas

De

Fernand

Léger d'après moi le héros d'un

Montparnasse aux lumières

Il ne dansera pas la java

Rue de

Lappe il ne rencontrera pas au

Dôme

Ou à la

Rotonde

Modigliani

Je ne soufflerai pas mot de sa cravate

Et s'il portail une flanelle il y aura bien quelqu'un pour le dire à ma place

Ou le tabac qui lui plaisait


Je parle d'un homme qui peignait tout le long du jour

Et qui rêvait du divorce de la couleur et du dessin

Je parle d'un homme qui le premier au monde a peint des fumées

Je parle d'un homme de chair et de sang dans une grande pièce

vitrée

Qui va et vient lit un peu s'assied sur une chaise

Et puis reprend ses pinceaux et de grandes couleurs propres

préparées

Et regarde sa toile par lui promise uniquement à figurer

La beauté de ce temps qui est à la fois le sien et le nôtre


...


Pour parler de

Léger je ne prendrai dans mes doigts que

Les matériaux de tous les jours

Les mots qui sont chez eux dans la bouche

Les objets qu'on peut toucher sur la table ou chez l'épicier du

coin


...


Il est plus facile de parler en vers de la chasse à la baleine

Plus facile de parler du crime et des abîmes de l'âme

Que d'un peintre dans ce parfum d'huile et de térébenthine

Qui met ses figures à l'abri des lettres surhumaines de la réclame


Et d'abord il prend à la disproportion des choses réelles

Les traits du présent pour l'avenir mais bientôt

C'est le paysage qui va l'imiter dans sa démarche et sa pensée

Le décor du monde aura l'air de suivre une mode par lui lancé


Naturellement on a déjà vu les appareils photographiques

Se mettre à faire avec un peu de retard du

Renoir ou du

Seurat

Tandis que les peintres de l'école moderne déclaraient

Qu'on ne peut pour la ressemblance

Concurrencer la photographie


Mais avec

Léger ce n'est pas de cela maintenant qu'il s'agit -


C'est la vie elle-même qui s'est mise à le copier à le plagier

...


Et voilà qu'il a beau être mort

Léger continue

Il a gagné les nouveaux immeubles qui se bâtissent

Comme une épidémie en couleur


...

La

Seine-et-Oise j'y reviens

Elle s'est mise à ressembler furieusement à la peinture de

Léger

Un certain rapport des toits de tuiles des oiseaux des fils télégraphiques

Une enseigne sur un bout de jardin sans parler des postes à

essence

La disproportion des postes à essence et des pavillons qu'on

habite à côté


...

Mais entre les édifices déjà fleurant la banlieue

Il pousse toujours un peu de printemps provisoire

Du printemps qui ne se reproduira bientôt plus ici pour peu

qu'on lotisse

Un printemps précaire qui porte gaiement son propre deuil de lilas

Ou de glycines

C'est ce moment entre la ville et la campagne ce moment

D'herbe et de tuile creuse qui caractérise si bien

Cette charnière du siècle ce passage

Entre

Corot et comment s'appellera-t-il le peintre de l'urbanisation totale

C'est ce moment qui est

Léger

Ce moment rêveur comme une bouteille de lait devant la porte

Un vélo par la roue accroché dans un arbre

Le métro qui s'amène jusqu'à

Orsay avec des airs de chemin de fer


Les petits viaducs et les nuages sur mesure au paysage

Tout cela neuf et déjà sur le point de disparaître

Du carreau de plâtre et du contre-plaqué


Un jour on la regardera cette

Seine-et-Oise avec un certain attendrissement

Ce sera des

Léger comme des

Watteau les

Fêtes

Galantes

Dans ces parcs depuis longtemps morcelés ce monde incompréhensible

À notre époque de radars et de scooters


Les grands peintres sont ceux qui ont fixé les choses périssables

Les canotiers sur la

Marne ou

Madame

Samary

Un petit coup de soleil avec un petit coup de blanc


Un jour on la regardera cette

Seine-et-Oise

Et on se dira quelle drôle de chose c'était

Comme une écharpe toute rapiécée de travers autour de

Paris


...


Tu n'as plus de temps à perdre avec la pluie

Il te faut un éternel soleil

Une peinture du ciel comme un coup de poing en pleine figure

Tu poses ton blanc sur le bleu sur un bleu

Imprenable


...


Ô

Léger qui mesures tout à ta démesure

Comme toujours au milieu des hommes à la fois

Pareil et dissemblable à eux

Tu as beaucoup appris beaucoup compris depuis quatorze

Mais tu n'en fais pas beaucoup de foin

Tu te contentes d'être dans le soleil et de briller


Louis Aragon («Il ne m’est Paris que d’Elsa», Robert Laffont,1964)


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La merveille de la musique

(extrait, titre proposé)


La merveille de la musique est de n’être que mouvement

C’est comme l’eau que l’on regarde et tout y bouge vaguement

C’est comme l’âme a la dérive où se déforment les nuages

Tout demeure amorce d’un rêve et déjà c’est autre mirage

Déjà la phrase est d’autres mots et déjà son murmure a changé

Qu’elle fleurisse ou se flétrisse elle a demandé son congé

Elle a fui comme fui le temps le temps irréversible

Qui berce et leurre engendre et meurt à la fois flèche à la fois cible

A la fois le jour et la nuit le pourquoi surgi du comment

La merveille de la musique est de n’être que mouvement


Louis Aragon ("Poésies complètes", Fides, 1949)


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3. Jean Hans Arp

(1886-1986) est à la fois peintre, sculpteur et poète.
bio résumée d’après le site des éditions Arfuyen :
JH Arp est né à Strasbourg, d’une mère française et d’un père d’origine allemande. Il revendique ce double prénom, parle et écrit en français, en allemand, et dans le dialecte alsacien.

À 24 ans, il rencontre Kandinski, Delaunay, Ernst, Modigliani, Picasso, Jacob, Apollinaire. Lorsque éclate la guerre, il part s'installer à Zurich où il expose ses premiers collages.

En février 1916, Arp, Tzara, Hülsenbeck et Hugo Ball fondent le mouvement Dada et en 1920, ARP et Max Ernst fondent le groupe Dada de Cologne, en Allemagne.
A la fin de la guerre Arp et Tzara portent le dadaïsme à Paris et entrent en contact avec la revue Littérature, dirigée par Aragon, Breton et Soupault.


Plus bas au paragraphe René Char, la participation de Jean Arp à l’ouvrage «Lettera amorosa»


Le site de la Fondation Arp est ici : http://www.fondationarp.org


Interview de Jean Arp par Camille Bryen (extraits) - source :
http://www.fondationhartungbergman.fr/camillebryen/arp.htm

Nous avons reçu un courriel d’une des responsables du site https://www.artsy.net
site qui «s’efforce de rendre l'ensemble de l'art du monde accessible à tous en ligne», et dont la page Jean Arp (hélas pas en français) «offre aux visiteurs la bio de Arp, plus de 30 de ses œuvres, des articles exclusifs, ainsi que la mise à jour des listes exposition Arp».
Voici l’adresse qu’elle souhaite partager avec vous, et à laquelle nous vous invitons à vous rendre :
https://www.artsy.net/artist/jean-arp


(...)
C.B. - Peut-on envisager un langage du collage au même titre que le langage poétique ?

J.A. - Non, pas plus qu'en musique.

C.B. - Dans tes collages, quel rôle joue la couleur ? Je crois que tu te sers surtout de complémentaires ou de noir et de blanc.

J.A. - J'emploie très peu de rouge. Je me sers de bleu, de jaune, un peu de vert, mais surtout, comme tu le dis, du noir, du blanc, du gris. Il y a en moi un certain besoin de communication avec l'être humain. Le noir et le blanc, c'est de l'écriture.

C.B. - Que signifie dans ton oeuvre l'obsession de la verticale ?

J.A. - La verticale vise l'infini. Quand je pense à la survie, je ne peux l'atteindre avec les moyens de la science, de la technique du progrès, je l'atteins par la croyance.

(...)

C.B. - Crois-tu que tes collages soient une poésie visible ?

J.A. - Oui, c'est de la poésie faite avec les moyens plastiques."


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Flamber et fleurir

Nous aimerions

acheter des roses.

Nous aimerions

acheter des étoiles.

Que coûte une étoile

flambant fleurissant ?

Que coûte flamber

et fleurir ?

Flamber et fleurir

cela coûte-t-il la vie ?

Mon cœur fleurit

dit le cœur.

Cendre cendre

répond le vide.

Mon cœur flambe

dit le cœur.

Cendre cendre

répond le vide.

Nous aimerions

acheter des étoiles.

Nous aimerions

acheter des roses.

Que coûte une étoile

fleurissant flambant ?

Allons demander à notre

ami le danseur de corde

si flamber et fleurir

cela coûte la vie.

Notre ami le danseur de corde

n'est-il pas une étoile.

de première grandeur. C'est beau si beau

quand au soir

sur sa corde il flambe et fleurit.

Hans Arp ("Logbuch, carnet de route», édition bilingue - traduit de l’allemand par Aimée Bleikasten - éditions Arfuyen, 1983)

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Plastron et fourchette, Jean Hans Arp ; , 1922 sculpture-peinture sur bois -  National Gallery of Art, Washington, USA, DC

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Femme paysage, sculpture de Jean Hans Arp, 1958

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Une goutte d’homme


une goutte d'homme

un rien de femme

achèvent la beauté du bouquet d'os

c'est l'heure de l'aubade

dans la fourrure de feu

le vent arrive sur ses quatre plantes

comme le cheval sur ses quatre roues

l'espace a un parfum vertical

l'espace a un parfum vertical Jean Arp peinture

le vent arrive sur ses quatre plantes

comme le cheval sur ses quatre roues

c'est l'heure de l'aubade

dans la fourrure de feu

une goutte d'homme

un rien de femme

achèvent la beauté du bouquet d'os


Jean Hans Arp ("Le siège de l'air", collection Vrille, Paris, 1946)

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«Berger de nuages, 1953, sculpture de Jean (Hans) Arp
cette oeuvre figurait, avec des textes de Arp et d’autres Dadaïstes, au catalogue de l’ «Exposition rétrospective Dada (1916-1923)», présentée en 1953 à la galerie Sydney Janis à New York. .

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Gravures, papiers déchirés collés et gouache :




Nombril et nombril ailé, Jean Hans Arp, 1933


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Un ouvrage illustré




Aux anses de coton

Un mouton à quatre tiges

fait pousser l’herbe en bâillant.

Des petites momies mobiles

partent à la recherche des entrailles

d’un écho aux anses de coton.



Jean Hans Arp («Le voilier dans la forêt», éditions Louis Broder, Paris, 1957)

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autre poème dans le même ouvrage :


Cuis-moi un tonnerre


Arrose-moi la lune.

Brosse-moi les dents de mes échelles.

Transporte-moi dans ta valise de chair sur mon toit d'os.

Cuis-moi un tonnerre.

Enferme-moi les tremblements de terre dans une cage

et cueille-moi un bouquet d'éclairs.

Coupe-toi en deux et mange une de ces moitiés.

Ejacule-toi en l'air plus fier que les jets d'eaux de Versailles

Brûle-toi roule toi en boule.

Sois une boule au rire archaïque

qui roule autour d'une pilule.

Tire toutes tes langues aux roses.

Donne tes langues aux doux rhinocé-roses.

Rata-toi en ratatouille.

Grenouille-toi en grenouille.

Appose-toi en signature sous ma lettre.


Jean Hans Arp («Le voilier dans la forêt», éditions Louis Broder, Paris, 1957)

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4. Charles Baudelaire (1821-1867)

peut-il être qualifié de poète maudit ? Certainement, lui  à qui Les Fleurs du Mal ont valu un procès pour outrage à la morale publique et à la morale religieuse. Aujourd'hui, Les Fleurs du Mal est le recueil de poésies qui se vend et s'est le plus vendu en France.




«Luxe, calme et volupté» , tableau
d’Henri Matisse (1904)
inspiré par le poème de Baudelaire «L’invitation au voyage» (Les Fleurs du mal, 1857)

L'invitation au voyage


Mon enfant, ma soeur,

Songe à la douceur

D'aller là-bas vivre ensemble !

Aimer à loisir,

Aimer et mourir

Au pays qui te ressemble !

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés

Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,

Brillant à travers leurs larmes.


Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.


Des meubles luisants,

Polis par les ans,

Décoreraient notre chambre ;

Les plus rares fleurs

Mêlant leurs odeurs

Aux vagues senteurs de l'ambre,

Les riches plafonds,

Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,

Tout y parlerait

À l'âme en secret

Sa douce langue natale.


Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.


Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux

Dont l'humeur est vagabonde ;

C'est pour assouvir

Ton moindre désir

Qu'ils viennent du bout du monde.

- Les soleils couchants

Revêtent les champs,

Les canaux, la ville entière,

D'hyacinthe et d'or ;

Le monde s'endort

Dans une chaude lumière.


Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.


Charles Baudelaire («Les Fleurs du mal», 1857)



eau-forte d’Henri Matisse pour l’ouvrage «les Fleurs du mal»  de Baudelaire,
édition illustrée de dessins et photolithographies par Henri Matisse (La Bibliothèque Française, 1947)


Harmonie du soir
   

Voici venir les temps où vibrant sur sa tige
Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir;
Valse mélancolique et langoureux vertige!

Chaque fleur s'évapore ainsi qu'un encensoir;
Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige;
Valse mélancolique et langoureux vertige!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir.

Le violon frémit comme un cœur qu'on afflige,
Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir!
Le ciel est triste et beau comme un grand reposoir;
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige.

Un cœur tendre, qui hait le néant vaste et noir,
Du passé lumineux recueille tout vestige!
Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige
Ton souvenir en moi luit comme un ostensoir!


Baudelaire (« Les fleurs du mal», XLIII, 1857)


Les phares

Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,

Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,

Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,

Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;


Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,

Où des anges charmants, avec un doux souris

Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre

Des glaciers et des pins qui ferment leur pays,


Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,

Et d'un grand crucifix décoré seulement,

Où la prière en pleurs s'exhale des ordures,

Et d'un rayon d'hiver traversé brusquement ;


Michel-Ange, lieu vague où l'on voit des Hercules

Se mêler à des Christs, et se lever tout droits

Des fantômes puissants qui dans les crépuscules

Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;


Colères de boxeur, impudences de faune,

Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,

Grand coeur gonflé d'orgueil, homme débile et jaune,

Puget, mélancolique empereur des forçats,


Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,

Comme des papillons, errent en flamboyant,

Décors frais et légers éclairés par des lustres

Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;


Goya, cauchemar plein de choses inconnues,

De foetus qu'on fait cuire au milieu des sabbats,

De vieilles au miroir et d'enfants toutes nues,

Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;


Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,

Ombragé par un bois de sapins toujours vert,

Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges

Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;


Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,

Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,

Sont un écho redit par mille labyrinthes ;

C'est pour les coeurs mortels un divin opium !


C'est un cri répété par mille sentinelles,

Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;

C'est un phare allumé sur mille citadelles,

Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !


Car c'est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage

Que nous puissions donner de notre dignité

Que cet ardent sanglot qui roule d'âge en âge

Et vient mourir au bord de votre éternité !

Charles Baudelaire - «Les Fleurs du mal», 1857




Death on a Pale Horse, 1784 - gravure de Joseph Haynes (1784) d'après un dessin de John Hamilton Mortimer


Cette gravure a inspiré à Baudelaire le poème qui suit :

Une gravure fantastique


Ce spectre singulier n'a pour toute toilette,

Grotesquement campé sur son front de squelette,

Qu'un diadème affreux sentant le carnaval.

Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,

Fantôme comme lui, rosse apocalyptique

Qui bave des naseaux comme un épileptique.

Au travers de l'espace ils s'enfoncent tous deux,


Et foulent l'infini d'un sabot hasardeux.

Le cavalier promène un sabre qui flamboie

Sur les foules sans nom que sa monture broie,

Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,

Le cimetière immense et froid, sans horizon,

Où gisent, aux lueurs d'un soleil blanc et terne,

Les peuples de l'histoire ancienne et moderne.


Charles Baudelaire - «Les Fleurs du mal», 1857


Une martyre


DESSIN D'UN MAÎTRE INCONNU


Au milieu des flacons, des étoffes lamées

Et des meubles voluptueux,

Des marbres, des tableaux, des robes parfumées

Qui traînent à plis somptueux,


Dans une chambre tiède où, comme en une serre,

L'air est dangereux et fatal,

Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre

Exhalent leur soupir final,


Un cadavre sans tête épanche, comme un fleuve,

Sur l'oreiller désaltéré

Un sang rouge et vivant, dont la toile s'abreuve

Avec l'avidité d'un pré.


Semblable aux visions pâles qu'enfante l'ombre

Et qui nous enchaînent les yeux,

La tête, avec l'amas de sa crinière sombre

Et de ses bijoux précieux,


Sur la table de nuit, comme une renoncule,

Repose ; et, vide de pensers,

Un regard vague et blanc comme le crépuscule

S'échappe des yeux révulsés.


Sur le lit, le tronc nu sans scrupules étale

Dans le plus complet abandon

La secrète splendeur et la beauté fatale

Dont la nature lui fit don ;


Un bas rosâtre, orné de coins d'or, à la jambe,

Comme un souvenir est resté ;

La jarretière, ainsi qu'un oeil secret qui flambe,

Darde un regard diamanté.


Le singulier aspect de cette solitude

Et d'un grand portrait langoureux,

Aux yeux provocateurs comme son attitude,

Révèle un amour ténébreux,


Une coupable joie et des fêtes étranges

Pleines de baisers infernaux,

Dont se réjouissait l'essaim des mauvais anges

Nageant dans les plis des rideaux ;


Et cependant, à voir la maigreur élégante

De l'épaule au contour heurté,

La hanche un peu pointue et la taille fringante

Ainsi qu'un reptile irrité,


Elle est bien jeune encor ! - Son âme exaspérée

Et ses sens par l'ennui mordus

S'étaient-ils entr'ouverts à la meute altérée

Des désirs errants et perdus ?


L'homme vindicatif que tu n'as pu, vivante,

Malgré tant d'amour, assouvir,

Combla-t-il sur ta chair inerte et complaisante

L'immensité de son désir ?


Réponds, cadavre impur ! et par tes tresses roides

Te soulevant d'un bras fiévreux,

Dis-moi, tête effrayante, a-t-il sur tes dents froides

Collé les suprêmes adieux ?


- Loin du monde railleur, loin de la foule impure,

Loin des magistrats curieux,

Dors en paix, dors en paix, étrange créature,

Dans ton tombeau mystérieux ;


Ton époux court le monde, et ta forme immortelle

Veille près de lui quand il dort ;

Autant que toi sans doute il te sera fidèle,

Et constant jusques à la mort.


Charles Baudelaire - «Les Fleurs du mal», 1857


Le 6e art (la poésie) et le 4e (la musique) réunis dans ce poème :


La Musique


La musique souvent me prend comme une mer !

Vers ma pâle étoile,

Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,

Je mets à la voile;


La poitrine en avant et les poumons gonflés

Comme de la toile

J’escalade le dos des flots amoncelés

Que la nuit me voile ;


Je sens vibrer en moi toutes les passions

D’un vaisseau qui souffre ;

Le bon vent, la tempête et ses convulsions


Sur l’immense gouffre

Me bercent. D’autres fois, calme plat, grand miroir

De mon désespoir !


Charles Baudelaire - «Les Fleurs du mal», 1857 , chapitre Spleen et Idéal


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