Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts»  - textes en français page 3/4
COLLÈGE et LYCÉE  -  page 3/4

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Printemps des Poètes 2014  - textes originaux en français -  COLLÈGE et LYCÉE - page 3

21. Gérard de Nerval

pseudonyme de Gérard Labrunie (1808-1855) est un poète "moderne", auteur des "Filles du Feu" (1854) ; Les Chimères (1854) ; Aurélia ou le rêve et la vie (1855). Il traduit le poète allemand Heinrich Heine .

En grande détresse matérielle et morale, il se pend dans une rue de Paris.


Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:

Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé

Porte le soleil noir de la Mélancolie ...

Gérard de Nerval  dans le poème El Desdichado ("le malheureux", en espagnol) ("Les Chimères").


l’art musical, prétexte à une évocation nostalgique :


Fantaisie


Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !


Gérard de Nerval («Odelettes», 1835)

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Voici deux tableaux, où s'exprime en touches discrètes la sensibilité du poète :


Avril

Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !

Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.


Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853)


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Le coucher du soleil
   
Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries
Et jette l'incendie aux vitres du château,
Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d'eau
Tout plongé dans mes rêveries !

Et de là, mes amis, c'est un coup d'œil fort beau
De voir, lorsqu'à l'entour la nuit répand son voile,
Le coucher du soleil, riche et mouvant tableau,
Encadré dans l'arc de l'Étoile !


Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853) - Des signes de ponctuation, les tirets, ont été supprimés des textes pour simplifier la présentation.

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22. Joseph Noiret

(1927-2012) est un poète, artiste surréaliste belge, fondateur du groupe éphémère CoBrA (1948-1951), un projet internationaliste et pratique qui se démarque du Mouvement surréaliste, jugé trop "intellectualiste" et "parisianiste".

CoBrA (ou Cobra), qui compte parmi ses membres le peintre Pierre Alechinsky, fait la part belle à la peinture (art naïf et art brut) et à la sculpture, mais c'est au détriment de la poésie et de la littérature, ce qui conduit Noiret à s'en écarter pour fonder avec d'autres la revue Phantomas, qui se veut libre, ludique (voire humoristique) et expérimentale, écartant de l'art tout excès de réflexion théorique, pourtant sous influence dadaïste.

Noiret participe ensuite avec six autres poètes, au groupe "Les types en or", avec ce même projet axé sur la poésie polygraphe, expérimentale ...


Ouvrages : "L’oeil, l’oreille et le lieu" (éditions Phantomas, 1979 )


«Le jardin bien bêché

si j’écris

mon écriture durcit le papier

naïve et anguleuse

en fin de compte

ma pensée glisse à sa plus grande concision

à la perte ultime

qui est son but

dans des étendues de silence blanc » ...

Joseph Noiret

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HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE




"Histoires naturelles de la Crevêche", édité par Bruxelles Acoustic' Phantomas Museum/Henri Kumps, en 1965, comprend 3 lithographies de Mogens Balle (ci-dessus).


La Crevêche

Un être humain comporte deux dimensions : l'intérieure et l'extérieure.

Quand l'intérieure l'envahit tout entier, il devient Crevêche

et son bonheur d'exister s'exprime dans une liberté du corps et de

l'esprit qui abolit la pesanteur de la vie quotidienne.


D'abord invisible pour qui ne prend pas garde aux couleurs du temps,

la Crevêche n'a de cesse de s'incarner au fil des images

par lesquelles elle tente d'imposer sa présence.


Pour échapper quelques instants à la nuit des apparences,

elle vit à corps retrouvé les aventures de la légereté,

des musiques et de la lumière :

elle s'éternise dans une éternité friable.


(...)


Sur la glace de l'étang est apparue la Crevêche

dans la tension de son hiver

parmi les voix

montant des vases profondes

tentative de naissance

petit personnage s'étirant

de la flûte

elle persiste assise

dans ses angles

elle mange son morceau

de silence

la Crevêche se fait.


Joseph Noiret («Histoires naturelles de la Crevêche», de Joseph Noiret et Mogens Balle, 1965)


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avec SERGE VANDERCAM




"L'Aube se lève droit devant elle", 1982, œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, Collage de papiers déchirés, encre de Chine, gouache, pinceau sur papier

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«Dans la pâte je m’entortouille», œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, 1983
Collage et écritures sur papier

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Sans titre*, œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, 1985
Collage et écritures sur papier



la java des mots*

* titre suggéré pour cette retranscription du texte

l’ordre des phrases est également proposé par lieucommun


c'est la java des mots

c'est la java du moi


les jupes tournent leurs phrases

on danse sa grammaire


on voltige ses verbes

on coince sa syntaxe


on a on a belle allure et la culotte étroite


on est on est bien dans sa peau


on glisse on glisse sur l'air du temps


on tourne on tourne sa parole et son visage


tu es tu es l'orange et l'orangée

du grand bal du hasard


Joseph Noiret

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23. Germain Nouveau

(1851-1920) a fréquenté Mallarmé, Jean Richepin et Charles Cros, puis Arthur Rimbaud avec qui il travaille à l'édition des Illuminations . Il sera aussi proche de Verlaine. Après avoir été interné en asile psychiatrique, Germain Nouveau termine son existence dans l'errance et le mysticisme.


Un peu de musique

sonnet


Une musique amoureuse

Sous les doigts d'un guitariste

S'est éveillée, un peu triste,

Avec la brise peureuse ;


Et sous la feuillée ombreuse

Où le jour mourant résiste,

Tourne, se lasse, et persiste

Une valse langoureuse.


On sent, dans l'air qui s'effondre,

Son âme en extase fondre ;

— Et parmi la vapeur rose


De la nuit délicieuse

Monte cette blonde chose,

La lune silencieuse.


Germain Nouveau ("Premiers vers, 1872-1878")


24. Francis Picabia (1879-1953)

est un peintre, graphiste, poète et écrivain qui a participé activement au mouvement Dada et au Surréalisme.
Un de ses recueils mariant poésie et dessins s’intitule
«Poèmes et Dessins de la Fille née sans Mère», 1918 (ci-dessous un poème pleine page)






«catax» (1929), cette toile fait partie d'une série de tableaux portant comme titres le nom latin de papillons.


Manifeste DADA


Les cubistes veulent couvrir Dada de neige : ça vous étonne mais c’est ainsi, ils veulent vider la neige de leur pipe pour recouvrir Dada.

Tu en es sûr ?

Parfaitement, les faits sont révélés par des bouches grotesques.

Ils pensent que Dada peut les empêcher de pratiquer ce commerce odieux :

Vendre de l’art très cher.

L’art vaut plus cher que le saucisson, plus cher que les femmes, plus cher que tout.

L’art est visible comme Dieu ! (voir Saint-Sulpice).

L’art est un produit pharmaceutique pour imbéciles.

Les tables tournent grâce à l’esprit ; les tableaux et autres œuvres d’art sont comme les tables coffres-forts, l’esprit est dedans et devient de plus en plus génial suivant les prix de salles de ventes

Comédie, comédie, comédie, comédie, comédie, mes chers amis.

Les marchands n’aiment pas la peinture, ils connaissent le mystère de l’esprit ...

Achetez les reproductions des autographes.

Ne soyez donc pas snobs, vous ne serez pas moins intelligents parce que le voisin possèdera une chose semblable à la vôtre.

Plus de chiures de mouches sur les murs.

Il y en aura tout de même, c’est évident, mais un peu moins.

DADA bien certainement va être de plus en plus détesté, son coupe-file lui permettant de couper les processions en chantant « Viens Poupoule », quel sacrilège !!!

Le cubisme représente la disette des idées.

Ils ont cubé les tableaux des primitifs, et les sculptures nègres, cubé les violons, cubé les guitares, cubé les journaux illustrés, cubé la merde et les profils de jeunes filles, maintenant il faut cuber l’argent !!!

DADA, lui, ne veut rien, rien, rien, il fait quelque chose pour que le public dise : « nous ne comprenons rien, rien, rien ».

« Les Dadaïstes ne sont rien, rien, rien, bien certainement ils n’arriveront à rien, rien, rien ».

Francis PICABIA qui ne sait rien, rien, rien.

(Manifeste DADA de Picabia, lu le 5 février 1920 au Salon des Independants à Paris).


un passage choisi du long poème Pensées sans langage
qui donne un aperçu de la poésie DADA de Picabia :


Pensées sans langage

...
le bonheur des autres traverse la rue

vers l’inconnu rallumé

au fond

vers les étoiles lumineuses

camarades des soirs sans corsets

gestes extravagants des bagages entr’actes

emportés vers l’idéal bourgeois


les voyages des araignées

magnifiques rythmes

vêtus d’un peignoir surprise

en palissandre de l’âme pendule

sur le marbre des visites

personne guéridon

vin d’Espagne débraillé

venu de là

...

Terminé à Paris le 28 Avril 1919.

P. S. À tous ceux que démange l’envie de dire que ce langage est sans pensée je conseille la visite dangereuse du jardin zoologique


Francis Picabia

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25. Pablo Picasso (1881-1973).

Exception à la règle fixée ici, Pablo Picasso, qui n’est pas un poète d’écriture dans le sens habituel, trouve ici un petit paragraphe.
Ses ouvrages collaboratifs, eux, on les trouvera chez Eluard, Aragon, Prévert (ci-dessous) ...

Reportez-vous à ces paragraphes, en catégorie Collège-Lycée

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SONGE ET MENSONGE DE FRANCO


Œuvre comprenant 18 scènes gravées sur deux planches en bande dessinée, Picasso manifeste contre le coup d'Etat de Franco. Les gravures sont éditées avec un poème intitulé «Sueño y Mentira de Franco»/»Songe et Mensonge de Franco», dénonçant subversions et souffrance ;  le texte est reproduit en espagnol, en français et en anglais

la seconde gravure :






fandango de lechuzas escabeche de espadas de pulpos de mal agüero estropajo de pelos de coronillas de pie en medio de la sartén en pelotas puesto sobre el cucurucho del sorbete de bacalao frito en la sarna de su corazón de cabestro – la boca llena de la jalea de chinches de sus palabras – cascabeles del plato de caracoles trenzando tripas – meñique en erección ni uva ni breva – comedia del arte del mal tejer y teñir nubes – productos de belleza del carro de basura – rapto de las meninas en lágrimas y en lagrimones – al hombro el ataúd relleno de chorizos y de bocas- la rabia retorciendo el dibujo de la sombra que le azota los dientes clavados en la arena y el caballo abierto de par en par al sol que lo lee a las moscas que hilvanan a los nudos de la red llena de boquerones el cohete de azuzenas – farol de piojos donde está el perro nudo de ratas y escondrijo del palacio de trapos viejos – las banderas que fríen en la sartén se retuercen en el negro de la salsa de tinta derramada en las gotas de sangre que lo fusilan – la calle sube a las nubes atada por los pies al mar de cera que pudre sus entrañas y el velo que la cubre canta y baila como loco de pena – el vuelo de cañas de pescar y alhiqui alhigui del entierro de primera del carro de mudanza- las alas rotas rodando sobre la tela de araña del pan seco y agua clara de la paella de azúcar y terciopelo que pinta el latigazo en sus mejillas – la luz se tapa los ojos delante del espejo que hace el mono y el trozo de turrón de las llamas se muerde los labios de la herida gritos de niños gritos de mujeres gritos de pájaros gritos de flores gritos de ladrillo gritos de muebles de camas de sillas de cortinas de cazuelas de gatos y de papeles gritos de olores que se arañan gritos de humo picando en el morrillo de los gritos que cuecen en el caldero y de la lluvia de pájaros que inunda el mar que roe el hueso y se rompe los dientes mordiendo el algodón que el sol rebana en el plato que el bolsín y la bolsa esconden en la huella que el pie deja en la roca”.


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fandango de chouettes marinade d'épées de poulpes de mauvais augure tampon à récurer des poils de corne de pied au milieu de la poêle à poil mis sur le cornet du sorbet de morue frite dans la gale de son coeur licou- la bouche pleine de la gelée de punaises de ses mots – grelots de l'assiette des escargots tressant des tripes – l'auriculaire en érection mi figue mi raisin - comédie de l' Art de la mauvaise trame et teindre des nuages - produits de beauté du camion d'ordures - Le rapt des ménines en larmes et d'énormes larmes - le cercueil à l'épaule farci de saucisses et de bouches- la rage qui tord le dessin de l'ombre qui lui fouette les dents enfoncées dans le sable et le cheval grand ouvert au soleil qui le lit aux mouches qui faufilent les nœuds du filet plein d' anchois le fuseau des lis - lanterne de poux où se trouve le chien nœud de rats et la salle cachée du palais de vieux draps – Les drapeaux frits sur la poêle se tordent dans le noir de la sauce d'encre renversée dans les gouttes de sang qui le fusillent - la rue monte aux nuages attachée par les pieds à la mer de cire qui pourrit ses entrailles et le voile qui la recouvre chante et danse comme fou de douleur - le vol des cannes à pêche et alhigui et alhigui *de l'enterrement de première du camion de déménagement – les ailes cassées roulant sur la toile d'araignée du pain sec et de l'eau claire de la paella de sucre et de velours que peint le fouet sur ses joues – la lumière se cache les yeux face au miroir qui fait le singe et le morceau de nougat des flammes se mord les lèvres de la blessure – cris d'enfants cris de femmes cris des oiseaux cris des fleurs cris des bois et des pierres cris des briques des meubles des lits des chaises des rideaux des casseroles de chats et des papiers cris d'odeurs qui s'agrippent cris de fumée qui piquent le nez des cris que cuisent dans le chaudron et de la pluie des oiseaux qui inondent la mer qui ronge l'os et se casse les dents en mordant le coton que le soleil baigne dans l'assiette que la bourse et la besace cachent dans l'empreinte que le pied laisse dans le rocher.


alhigui et alhigui *: aucune explication sur ces mots nulle part !

Pablo Picasso, passage d’un poème dans l’ouvrage «Sueño y Mentira de Franco»/»Songe et Mensonge de Franco» (cycle d’eaux-fortes, textes en espagnol, en anglais et en français, 1937).


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D’AUTRES TEXTES  (1936)


minuscule barque faite avec des clous de girofle saupoudrée des

roses et des verts des pastels fixe brille et resplendit aromatise et colore enchante et verse pavillon ailé dans sa coupe son écharpe la petite feuille de

la

fleur du cerisier

(13 avril 1936)

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aujourd’hui anniversaire de cet amour qui est ma vie maintenant qu’il est six heures et quatre petites minutes du onze janvier de l’année XXXVI j’écris et sens les fleurs qui sont devant moi à droite mais assis devant la table d’une telle façon que la ligne qui va de l’angle gauche où mon coude appuie coupe en deux la corbeille et que m’importe le taureau et sa course maintenant à cette heure où le piano mange peu à peu avalant couleuvres et crapauds et écorchant des grenouilles.

(6 janvier-2 février 1936)


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Texte de Picasso dans l’ouvrage de Paul Éluard  titré «Divers poèmes du Livre ouvert».
Les textes de Paul Éluard seront repris dans d’autres recueils  de l’auteur (sans les textes et illustrations de Picasso)


Paul Éluard a calligraphié en 15 exemplaires un recueil de 30 poèmes inédits, que Picasso a illustrés d’enluminures, y traçant également, comme ci-dessus, des passages écrits (en capitales), suite d’images associées oniriques, dans la tradition surréaliste de l’écriture automatique.


Extraits :

Dès que les ailes du cheval sont lourdes à porter dit le i déposant le paquet sur l'évier ni la pluie ni le beau temps ni la neige et encore moins les vignes à l'automne et les champs d'avoine et de blé l'été et le printemps et l'hiver réunis dans un seul bouquet les mille de milliards de lampes allumées posées sur la commode.

Le sopha contracté se hausse jusqu'au plafond la chaise grince ses cordes et le bois vernis des jupes des marbres attachées aux rideaux descendent lentement les marches - l'horloge couvre sa bouche sur la vitre et utile la plaque de l'heure qui respire encore derrière le rideau de plumes

(…)

La nuit qui se détache du manteau herborise sa puanteur sur le livre ouvert de la fenêtre (…)


Pablo Picasso, 1941, dans «Divers poèmes du Livre ouvert», en collaboration avec Paul Éluard.

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Gravure avec poème de Picasso «pour Paul Éluard»




16 mai XXXVI (achevé le 20 mai)


Non plus frappe l'arôme de Ia saveur du jaune sur le

son du vert charme soupirant au toucher du rose

aux éclats de rire le regard du parfum évanoui

du bleu du vide modèle la colombe liquide le chant

évaporé de la lumière aveuglée par le cri de

la chaleur mirant son corps dans l'air

frais sonne le tocsin si doux de l'absence

des heures arrachées au silence


L'arôme des fleurs de la branche

arrachée au citronnier pétrifié se

forme dans le creux de la main appuyée

à la tempe à la chaleur de mauve

pointe son dard dans la narine gauche de la jeune

fille au loin dans son rêve


le découpage du texte respecte la mise en page de l’auteur

Pablo Picasso, mai 1936, poème avec gravure (paru initialement dans la revue «Minotaure» n°10, avril 1937)

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extrait de l’ouvrage  «Pablo Picasso, Ecrits» (référ plus bas)
rébus de Picasso pouvant donner lieu à diverses interprétations :

po(é)sie, maladie guérissable est le choix généralement retenu, celui de l’auto-dérision, acceptable, mais avec «une cheville» dans poésie
pot (chance), si ma lady (Dora Maar ?) guérissable, c’est celui du coeur

pot si maladie guérissable, c’est l’hypercondriaque en vous qui s’exprime ...



22 MARS XXXVI


miette de pain posée si gentiment par ses doigts sur le bord du ciel autant bleu soupirant que le coquillage enchaîné joueur de flûte battant des ailes à chaque goutte fleurit au printemps à l'accroc que fait dans sa robe la fenêtre que se gonfle et remplit la pièce et l'emporte flottant au vent ses longs cheveux


(...) "C'est un flot verbal où son imagination torrentielle s'accroche à des sensations vécues et sa valeur documentaire l'apparente aux textes surréalistes. C'est la matière brute de la poésie que Picasso a exposée à l'état naissant, sans se préoccuper d'une quelconque conclusion».

Tristan Tzara


ce commentaire de Tristan Tzara est cité par Henri Béhar dans son ouvrage : «Les enfants perdus : essai sur l'avant-garde, Bibliothèque Mélusine, éd L’Age d’Homme, 2002, actualisé en 2010)




4 AVRIL XXXVI

portrait de jeune fille

sur une vieille boîte de conserves écrasée par un camion

attacher un morceau de verre brisé  et lui peindre le profil d'une face de femme

accrocher au bas une paire de petits gants de poupée

sur le haut planter quelques plumes

piquer l'ensemble sur une orange amère

faire sur le couvercle de la boîte un trou


texte extrait de l’ouvrage  «Pablo Picasso, Ecrits»
préface de Michel Leiris, textes et dessins présentés et annotés par Marie-Laure Bernadac et Christine Piot, traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan (Réunion des musées nationaux / Gallimard,1989)


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DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS




Pour sa « tête de taureau», réalisée en 1942, Pablo Picasso a assemblé deux objets, une selle de vélo en cuir et un guidon en métal

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26. Ernest Pignon-Ernest est un artiste plasticien né en 1942 à Nice.

Il est un des initiateurs, avec Daniel Buren et Gérard Zlotykamien, de l'art urbain en France (Wikipédia).
Wikipédia : Hanté par les ombres laissées sur les murs, à Nagasaki et à Hiroshima, par les corps volatilisés, il a apposé des images peintes, dessinées, sérigraphiées sur du papier fragile, sur les murs des cités, dans des cabines téléphoniques, images qui se fondent dans l'architecture urbaine, sont acceptées par les populations qui les défendent même de leur dégradation lente (comme à Naples). Les témoignages photographiques accentuent cette fusion et en gardent les traces. Ernest Pignon-Ernest dénonce l'art construit pour les musées et les expositions, ce qui ne l'empêche pas d'y exposer.

Ernest Pignon-Ernest décrit lui-même son œuvre comme une manière de saisir l'essence d'un lieu. Il puise dans l'histoire du lieu, dans les souvenirs, mais aussi dans la lumière, l'espace. Puis, il vient y inscrire une image élaborée dans son atelier.




dessin représentant le poète Robert Desnos en lévitation tenant un portrait de Gérard de Nerval. Ernest P-E a collé ce dessin en avril 2001, dans la nuit, derrière le théâtre du Châtelet, là même où Nerval s'était pendu en 1855.


hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish, à Ramallah en 2009.

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27. Francis Ponge

(1899-1988) est un poète français. Il a reçu en 1984 le grand prix de poésie de l'Académie française.

Il prend dans son premier recueil paru en 1942 "Le Parti pris des choses".Il prend dans son premier recueil paru en 1942 "Le Parti pris des choses".

"Loin de percevoir et de montrer le monde à travers sa subjectivité de poète, Ponge [...] cherche à  donner aux choses,  par les mots,  la possibilité d'une expression. Le poème, sorte d'équivalent neutre de l'objet, devient alors un véritable objet littéraire, un « objeu ». Par une savante et complexe utilisation de l'étymologie, de la graphie, des sons, des jeux de mots, des figures, la poésie de Ponge devient une sorte de redoublement du réel, qui cherche à abolir la distinction entre le mot et la chose". (référence : http://www.proverbes-citations.com/ponge.htm)

À partir de 1930, Francis Ponge fréquente les surréalistes, et en 1944 commence sa collaboration avec des peintres : Braque, Dubuffet, Fautrier, Picq, Picasso, Giacometti, Seurat  ...

On accèdera avec le lien ci-dessous à un texte de Francis Ponge sur le peintre Jean Dubuffet :
http://blog.diamorphose.com/diamorphose.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/04/ponge_matiere-et-memoire-2.pdf


Ce document pdf est extrait de l’ouvrage «Matière et Mémoire ou les lithographes à l'école»
Cet ouvrage comprend le texte de Francis Ponge avec 34 lithographies de Jean Dubuffet, un texte de Paul Éluard et un texte d'André Frénaud accompagnés chacun d'une lithographie de Jean Dubuffet
(Fernand Mourlot éditeur, Paris 1944)

Autre édition : «Matière et Mémoire» - L'Atelier contemporain Paris - Gallimard, 1977)


                  


Jean Dubuffet
Nutrition, 1944

Lithographie de jean Dubuffet  pour «Matière et Mémoire»

en collaboration avec Francis Ponge


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Ouvrage de Francis Ponge illustré de 5 eaux fortes et aquatintes originales de Georges Braque, 1950


La cruche


Pas d'autre mot qui sonne comme cruche. Grâce à cet U qui s'ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux et l'est à sa façon. C'est un creux entouré d'une terre fragile : rugueuse et fêlable à merci.


Cruche d'abord est vide et le plus tôt possible vide encore.


Cruche vide est sonore.


Cruche d'abord est vide et s'emplit en chantant.


De si peu haut que l'eau s'y précipite, cruche d'abord est vide et s'emplit en chantant.


Cruche d'abord est vide et le plus tôt possible vide encore.


C'est un objet médiocre, un simple intermédiaire.


Dans plusieurs verres (par exemple) alors avec précision la répartir.


C'est donc un simple intermédiaire, dont on pourrait se passer. Donc, bon marché ; de valeur médiocre.


Mais il est commode et l'on s'en sert quotidiennement.


C'est donc un objet utile, qui n'a de raison d'être que de servir souvent.                ,


Un peu grossier, sommaire ; méprisable ? - Sa perte ne serait pas un désastre...


La cruche est faite de la matière la plus commune ; souvent de terre cuite.


Elle n'a pas les formes emphatiques, l'emphase des amphores.


C'est un simple vase, un peu compliqué par une anse ; une panse renflée ; un col large - et souvent le bec un peu camus des canards.


Un objet de basse-cour. Un objet domestique.


La singularité de la cruche est donc d'être à la fois médiocre et fragile : donc en quelque façon précieuse.


Et la difficulté, en ce qui la concerne, est qu'on doive - car c'est aussi son caractère - s'en servir quotidiennement.


II nous faut saisir cet objet médiocre (un simple intermédiaire, de peu de valeur, bon marché), le placer en pleine lumière, le manier, faire jouer ; nettoyer, remplir, vider.


Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle casse. Elle périt par usage prolongé. Non par usure : par accident. C'est-à-dire, si l'on préfère, par usure de ses chances de survie.


C'est un ustensile qui périt par une sorte particulière d'usure : l'usure de ses chances de survie.


Ainsi la cruche, qui a un caractère un peu simple et plutôt gai, périt par usage prolongé.


Certaines précautions sont donc utiles pour ce qui 1a concerne. II nous faut l'isoler un peu, qu'elle ne choque aucune autre chose. L'éloigner un peu des autres choses. Pratiquer avec elle un peu comme le danseur avec sa danseuse. En rapports avec elle, faire preuve d'une certaine prudence, éviter de heurter les couples voisins.


Pleine elle peut déborder, vide elle peut casser.


Il ne faut pas, non plus, la reposer brusquement... lui laisser trop peu de champ libre.


Voilà donc un objet dont il faut nous servir quotidiennement, mais à propos duquel, malgré son côté bon marché, il nous faut pourtant calculer nos gestes. Pour le maintenir en forme et qu'il n'éclate pas, ne s'éparpille pas brusquement en morceaux absolument sans intérêt, navrants et dérisoires.


Certains, il est vrai, pour se consoler, s'attardent - et pourquoi pas ? - auprès des morceaux d'une cruche cassée : notant qu'ils sont convexes... et même crochus... pétalliformes..., qu'il y a parenté entre eux et les pétales des roses, les coquilles d'œufs... Que sais-je ?


Mais n'est-ce pas une dérision ?


Car tout ce que je viens de dire de la cruche, ne pourrait-on le dire, aussi bien, des paroles ?


Francis Ponge  («Matière et Mémoire» - L'Atelier contemporain Paris - Gallimard, 1977)

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28. Jacques Prévert
(1900-1977)

poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres poètes et artistes de Picasso
(photo ci-dessous, Prévert et Picasso)
et de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ...
Mais une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.

               

Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation ("Paroles" - 1945, est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits).
Il est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que de scénarios de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis ; réalisés par Marcel Carné).
Il a également accompagné ses textes de dessins et de collages (pour le recueil «Fatras» en particulier).
                     

Il dit du collage : "pour moi c'est pareil qu'un texte, ça dit la même chose.
Il n est pas nécessaire à l'auteur de dominer ou même de connaître les règles de l'imitation puisque le collage détourne le savoir faire d'autrui."

(cité par L'art caché de Jacques Prévert, 19 Mai 2002 Laurent POITHIER)


«Tout au long de sa vie, Prévert s'est lié d'amitié avec de nombreux photographes, de ceux qui étaient proches des surréalistes, tels Man Ray, Brassaï, Robert Doisneau, Izis, Willy Ronis, André Villers, le décorateur de cinéma Alexandre Trauner. Ce demi-siècle de connivences a inspiré de nombreux livres réalisés en collaboration, mais aussi des jeux de correspondance entre l'écriture et la photographie».


texte et collage de Jacques Prévert pour «Fatras» empruntés ici :

http://www.mep-fr.org/evenement/collage-de-jacques-prevert/



Ce tableau de Picasso (Nature morte avec jarre et pommes, 1919), a inspiré Jacques Prévert :


                 

Promenade de Picasso


Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle

une pomme pose

Face à face avec elle

un peintre de la réalité

essaie vainement de peindre

la pomme telle qu'elle est

mais

elle ne se laisse pas faire

la pomme

elle a son mot à dire

et plusieurs tours dans son sac de pomme

la pomme

et la voilà qui tourne

dans une assiette réelle

sournoisement sur elle-même

doucement sans bouger

et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz

parce qu'on veut malgré lui tirer le portrait

la pomme se déguise en beau bruit déguisé

et c'est alors

que le peintre de la réalité

commence à réaliser

que toutes les apparences de la pomme sont contre lui

et

comme le malheureux indigent

comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n'importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité

le malheureux peintre de la réalité

se trouve soudain alors être la triste proie

d'une innombrable foule d'associations d'idées

Et la pomme en tournant évoque le pommier

le Paradis terrestre et Ève et puis Adam

l'arrosoir l'espalier Parmentier l'escalier

le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l'Api

le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme

et le péché originel

et les origines de l'art

et la Suisse avec Guillaume Tell

et même Isaac Newton

plusieurs fois primé à l'Exposition de la Gravitation Universelle

et le peintre étourdi perd de vue son modèle

et s'endort

C'est alors que Picasso

qui passait par là comme il passe partout

chaque jour comme chez lui

voit la pomme et l'assiette et le peintre endormi

Quelle idée de peindre une pomme

dit Picasso

et Picasso mange la pomme

et la pomme lui dit Merci

et Picasso casse l'assiette

et s'en va en souriant

et le peintre arraché à ses songes

comme une dent

se retrouve tout seul devant sa toile inachevée

avec au beau milieu de sa vaisselle brisée

les terrifiants pépins de la réalité.


Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)


Un court poème qui pourrait inspirer un nouveau peintre cubiste :

Bain de soleil


La salle de bains est fermée à clef

Le soleil entre par la fenêtre

et il se baigne dans la baignoire

et il se frotte avec le savon

et le savon pleure

il a du soleil dans l'oeil.


Jacques Prévert ("Textes divers"  (1929-1977) - Oeuvres complètes tome II - Gallimard-La Pléiade, 1996)


Un classique :


Pour faire le portrait d'un oiseau


Peindre d'abord une cage

avec une porte ouverte

peindre ensuite

quelque chose de joli

quelque chose de simple

quelque chose de beau

quelque chose d'utile

pour l'oiseau

placer ensuite la toile contre un arbre

dans un jardin

dans un bois

ou dans une forêt

se cacher derrière l'arbre

sans rien dire

sans bouger...

Parfois l'oiseau arrive vite

mais il peut aussi bien mettre de longues années

avant de se décider

Ne pas se décourager

attendre

attendre s'il faut pendant des années

la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau

n'ayant aucun rapport

avec la réussite du tableau

Quand l'oiseau arrive

s'il arrive

observer le plus profond silence

attendre que l'oiseau entre dans la cage

et quand il est entré

fermer doucement la porte avec le pinceau

puis

effacer un à un tous les barreaux

en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau

Faire ensuite le portrait de l'arbre

en choisissant la plus belle de ses branches

pour l'oiseau

peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent

la poussière du soleil

et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été

et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter

Si l'oiseau ne chante pas

c'est mauvais signe

signe que le tableau est mauvais

mais s'il chante c'est bon signe

signe que vous pouvez signer

Alors vous arrachez tout doucement

une des plumes de l'oiseau

et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.


Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)

L'école des beaux-arts


Dans une boîte de paille tressée

Le père choisit une petite boule de papier

Et il la jette

Dans la cuvette

Devant ses enfants intrigués

Surgit alors

Multicolore

La grande fleur japonaise

Le nénuphar instantané

Et les enfants se taisent

Émerveillés

Jamais plus tard dans leur souvenir

Cette fleur ne pourra se faner

Cette fleur subite

Faite pour eux

À la minute

Devant eux.


Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)


Beauté


Beauté

qui pourrait inventer

un nom plus beau

plus calme

plus indéniable

plus mouvementé

Beauté

Souvent j'emploie ton nom

et je travaille à ta publicité

je ne suis pas le patron

Beauté

je suis ton employé.


Jacques Prévert (extrait de «Adonides» dans le recueil «Fatras»1966, éditions Le point du jour)


Presque


À Fontainebleau

Devant l’hôtel de l’Aigle Noir

Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur

Un peu plus loin tout autour

Il y a la forêt

Et un peu plus loin encore

Joli corps

Il y a encore la forêt

Et le malheur

Et tout à côté le bonheur

Le bonheur avec les yeux cernés

Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos

Le bonheur qui ne pense à rien

Le bonheur comme le taureau

Sculpté par Rosa Bonheur

Et puis le malheur

Le malheur avec une montre en or

Avec un train à prendre

Le malheur qui pense à tout …

À tout

À tout … à tout … à tout …

Et à tout

Et qui gagne « presque » à tous les coups

Presque.


Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)


Voyages

Moi aussi, comme les peintres, j’ai mes modèles.

Un jour, et c’est déjà hier, sur la plateforme de l’autobus

Je regardais les femmes qui descendaient la rue d’Amsterdam

Soudain à travers la vitre du bus,

J’en découvris une que je n’avais pas vu monter Assise et seule elle semblait sourire

A l’instant même elle me plut énormément

Mais au même instant

Je m’aperçus que c’était la mienne J’étais content.

Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)


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SOMMAIRE PAR AUTEURS  SUR LES 4 PAGES


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page 1 (CLIC pour y accéder)


  1. 1.Guillaume Apollinaire - Les fiançailles ; La Colombe poignardée ; le jet d’eau ;  La cravate ; Il pleut ; Marie ; Le présent ; Si je mourais là-bas

  2. 2.Louis Aragon - MATISSE  PARLE ; LA BELLE ITALIENNE ; Chagall IX (Le ciel est un pays de chèvres ...) ; Les oiseaux déguisés ; Chagall à l'opéra ; Chagall (Tous les animaux et les candélabres) ; CHAGALL N° TANT ET PLUS ; Léger ; La merveille de la musique

  3. 3.Jean Hans Arp - Interview de Jean Arp par Camille Bryen ; Flamber et fleurir ; Plastron et fourchette (sculpture) ; Femme paysage (sculpture) ; Une goutte d’homme ; Berger de nuages (sculpture) ; Nombril et nombril ailé (collage) ; Aux anses de coton ; Cuis-moi un tonnerre

  4. 4.Charles Baudelaire - Harmonie du soir ; Les phares ; Une gravure fantastique ; Une martyre ; La Musique

  5. 5.Maurice Bourg - Embrasement

  6. 6.André Breton - Île ; À l’intersection de lignes de force invisibles ... (poème-objet) ; Ces terrains vagues … (poème-objet)

  7. 7.René Char - Lettera amorosa ; Allégeance ; l y a deux iris jaunes ... ; LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON (FRONT DE LA ROSE) ; Dansez, montagnes (Derrière Le Miroir) ; Éloge rupestre de Miró

  8. 8.Malcolm de Chazal - aphorismes en forme de poèmes courts ; pensées et aphorismes courts ; pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière

  9. 9.Jean Cocteau - Le Coq et l’Arlequin (courts extraits) ; La jeune femme ; Les trois yeux (céramique) ; Le chat (décor de la Chapelle Saint-Blaise des Simples) ;  Plain-chant ; Hommage à Igor Stravinsky

  10. 10.Lucienne Desnoues - La mort du peintre

  11. 11.Heather Duollau - La Liseuse ; extraits divers (dont "Le tableau")

  12. 12.Jean Dubuffet - LER DLA CANPANE ; OREILLES GARDÉES ; Ontogénèse (tableau) ; collaborations avec Jacques Berne

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page 2 (CLIC pour y accéder)


  1. 13.PAUL ÉLUARD
    textes dédiés à des artistes et textes illustrés par
    Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, Valentine Hugo, Max Ernst, Man Ray, Joan Miró, René Magritte, Yves Tanguy, Albrecht Dürer, André Masson ...

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page 3 (vous y êtes)


  1. 14.Max Ernst - Écritures ; Festin

  2. 15.Jean Follain - La pomme rouge

  3. 16.Guillevic - J’ai joué sur la pierre … ; Les mots … ; Le chant ; Art poétique ; Regarder ; Paysage habité ; Les murs ; Tourbillon , Se dénuager ; D’une lune ; L’infini ; Cette lumière ; Grisé ; Cymbalum ; Échappées ; Aguets

  4. 17.Victor Hugo - dessins ; Que la musique date du seizième siècle

  5. 18.Pierre Jean Jouve - Mozart

  6. 19.Stéphane Mallarmé - Peindre un paysage

  7. 20.Henri Michaux - Peindre ; alphabets ; Émergences-Résurgence ; Mouvements ; Par la voie des rythmes ; Misérable miracle ; Portrait des Meidosems ; CLOWN

  8. 21.Gérard de Nerval - Fantaisie ; Avril ; Le coucher du soleil

  9. 22.Joseph Noiret - Le jardin bien bêché … ; HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE ; L'Aube se lève droit devant elle ; Dans la pâte je m’entortouille ; la java des mots

  10. 23.Germain Nouveau - Un peu de musique

  11. 24.Francis Picabia - FLEUR COUPÉE ; Manifeste DADA ; Pensées sans langage

  12. 25.Pablo Picasso - SONGE ET MENSONGE DE FRANCO ; Divers poèmes du Livre ouvert ; 16 mai XXXVI ; 22 MARS XXXVI ; 4 AVRIL XXXV, portrait de jeune fille ; DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS

  13. 26.Ernest Pignon-Ernest - Robert Desnos en lévitation ; hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish

  14. 27.Francis Ponge - Nutrition (avec Jean Dubuffet) ; La cruche

  15. 28.Jacques Prévert - Les collages de «Fatras» ; Promenade de Picasso ; Bain de soleil ; Pour faire le portrait d’un oiseau ; L’école des Beaux-Arts ; Presque ; Beauté ; Voyages


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page 4 (CLIC pour y accéder)


  1. 29.Pierre Reverdy - Le côté bleu du ciel ; La vie fragile

  2. 30.Maurice Rollinat - Coucher de soleil

  3. 31.Hector de Saint-Denis-Garneau - Flûte ; Entre le ciel et l’eau - Paysage en deux couleurs ; Baigneuse

  4. 32.André Salmon - El Malagueño ; Profond tableau ; Peindre c’est la merveille !

  5. 33.Albert Samain - Musique sur l’eau ; Musique

  6. 34.Philippe Soupault - La Roue des Roues

  7. 35.Jules Supervielle - À propos de Pedro Figari ; Un peintre ; Je caresse la mappemonde

  8. 36.Jean Tardieu - Outils posés sur une table ; HENRI  ROUSSEAU LE DOUANIER ; À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR ; LE MIROIR ÉBLOUI ; C’EST À DIRE ; POÈMES À VOIR ; L’ESPACE ET LA FLÛTE ; LE PARQUET SE SOULÈVE ; Nous sommes tes amis ; Les figures du mouvement ; Jean Tardieu quatre fois ; TOUT ET RIEN

  9. 37.Roland Topor - AFFICHES ; POÉSIE GRAPHIQUE : Paysage de montagne ; Vaches noires ; La Princesse Angine ; LE CINÉMA DE TOPOR ; LITTÉRATURE ET THÉÂTRE : Alice au pays des lettres

  10. 38.Tristan Tzara - Midis gagnés

  11. 39.Paul Verlaine - Art poétique

  12. 40.Boris Vian - Si les poètes étaient moins bêtes ; Les hommes de fer

  13. 41.Théophile de Viau - Un Corbeau devant moi croasse …

  14. 42.Alexandre Voisard - L'artiste à l'œuvre 

CRÉATION POÉTIQUE et ARTISTIQUE
fiches techniques pour l’école (avec les textes du PP 2009)
cliquez sur ce lien (en construction)PP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlPP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlPP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.htmlshapeimage_4_link_0shapeimage_4_link_1

14. Max Ernst
(1891-1976) était un des premiers peintres et sculpteurs allemands, artiste majeur des mouvements Dada et surréaliste. Il a aussi laissé un recueil d’«Écritures»



Le peintre vous permet d'ignorer

ce que c'est qu'un visage.


Evadé du musée de l'homme,

il a choisi d'être mortel.


Mortel comme

le baiser de la Gioconde.


Max Ernst («Écritures», éditions Le Point du Jour, 1970)






à rapprocher des «Alphabets» d’Henri Michaux, une écriture inventive de Max Ernst.


Max Ernst («Festin», lithographies de Max Ernst et poèmes de Pierre Herbey)



Une autre écriture

Eau-forte pour le frontispice de l'ouvrage "Ecritures",
Max Ernst («Écritures», éditions Le Point Cardinal, 1970)

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15. Jean Follain
(1903-1971), écrivain et poète français né à Saint-Lô, a côtoyé André Salmon, Pierre Reverdy, Pierre Mac Orlan, Max Jacob, Guillevic et Pierre Albert-Birot.     


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«Le Tintoret peignant sa fille morte», par Henry Nelson O'Neil (1873)

Plusieurs peintres ont donné leur version de cette scène, dont la réalité n’a jamais été démontrée, puisqu’il n’existe pas de tableau du Tintoret la représentant.

Dans ce poème, Jean Follain fait aussi référence à une oeuvre du Tintoret, "les Trois pommes» .
Le Tintoret avait peint une fresque pour La Scuola Grande San Rocco à Venise, de 1577 à 1588. Un fragment de 58 cm x 25 cm de cette frise était caché par un repli et protégé de la lumière.
Il ne fut découvert qu'au début du XXe siècle, ce qui explique que les pommes rouges aient gardé leur éclat initial. (source de l’image : http://www.e-venise.com/scuole_venise/scuola_grande_san_rocco_venise_5.htm )




La pomme rouge

Le Tintoret peignit sa fille morte

il passait des voitures au loin

le peintre est mort à son tour

de longs rails aujourd’hui

corsètent la terre

et la cisèlent

la Renaissance résiste

dans le clair-obscur des musées

les voix muent

souvent même le silence

est comme épuisé

mais la pomme rouge demeure.


Jean Follain ("Territoires", Gallimard, 1969)

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16. Guillevic
Eugène de son prénom (1), Guillevic (1907-1997) a traversé le XXe siècle et ses courants littéraires de sa poésie rocailleuse et si humaine.
Il observe le surréalisme (André Breton, Paul Éluard) sans y appartenir (2).

Proche en 1941, de l'École de Rochefort, créée pendant l'occupation comme une forme de résistance et de liberté contre les normes de la poésie "officielle", avec un groupe d'amis dont le poète René-Guy Cadou, il participe à la presse clandestine de la Résistance aux côtés de Paul Éluard et de Pierre Seghers, et adhère au Parti Communiste.

(1) Guillevic ne voulait pas qu'on mentionne son prénom.

(2) Dans un entretien en 1991, Guillevic déclare :
"Je considère peut-être à tort que le surréalisme n’a pas enrichi la langue. Il s’agit d’une langue plate [...] Le poète est forcément un révolté, je ne dis pas révolutionnaire, contre tout pouvoir établi. C’est le contraire d’un conservateur, c’est un novateur qui a pour charge de défendre la langue [...] Ce langage doit mettre en contact, doit être un révélateur, un élément de communication, de communion" ...


Grand Prix de poésie de l'Académie française (1976) et Grand Prix national de poésie (1984), Guillevic se définit lui-même comme un  "poète breton d'expression française" :


"J’ai joué sur la pierre

De mes regards et de mes doigts

Et mêlées à la mer,

S’en allant sur la mer,

Revenant par la mer,

J’ai cru à des réponses de la pierre".

Carnac (1961)


Il écrit dans son premier recueil de poèmes, Terraqué* (1942) :


" Les mots, les mots

Ne se laissent pas faire

...

Et toute langue

Est étrangère."

("Art poétique", strophe I)


* Terraqué : ce mot forgé par l'auteur vient de "terre" et "aqua", terraqua : la terre et l'eau.

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Le chant (extrait)


Le chant c'est comme l'eau d'un ruisseau

qui coule sur des galets, 

Vers la source.

C'est la promesse de la source au soleil. 

Tous peuvent avoir accès au chant. 

Certains ne le savent pas. 

Le chant a une manière bien à lui 

d'ouvrir des blessures enchanteresses. 

Ne te fatigue pas à chanter. 

Ou bien le chant te porte en sortant de toi,

ou tu l'attends.


Eugène Guillevic ("Le Chant", poème 1987-1988 - éditions Gallimard, 1990)

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Art poétique (extrait)


C'est aussi le titre du recueil. Un autre poème s'intitule "Art poétique", dans "Terraqué"


Si je fais couler du sable

De ma main gauche à ma paume droite,


C'est bien sûr pour le plaisir

De toucher la pierre devenue poudre,


Mais c'est aussi et davantage

Pour donner du corps au temps,


Pour ainsi sentir le temps

Couler, s'écouler


Et aussi le faire

Revenir en arrière, se renier.


En faisant glisser du sable,

J'écris un poème contre le temps.


Guillevic ("Art Poétique" - poème 1985-1986, Gallimard, 1989)


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Regarder


1


Avant de regarder

Par la fenêtre ouverte,


Je ne sais pas

Ce que ce sera.


2


Ce n’est pas

Que ce soit la première fois.


Depuis des années

Je recommence


Au même endroit

Par la même fenêtre.


3


Pourtant je ne sais pas

Ce que mon regard, ce soir,


Va choisir dans cette masse de choses

Qui est là,

Dehors.


Ce qu’il va retenir

Pour son bien-être.


4


Il peut aller loin.


Peu de couleurs.

Peu de courbes.


Beaucoup de lignes.

Des formes,


Accumulées

Par des générations.


5


Je laisse à mon regard

Beaucoup de temps,


Tout le temps qu’il faut.


Je ne le dirige pas.

Pas exprès.


6


J’espère que ce soir

Il va trouver de quoi :


Par exemple

Un toit, du ciel.


Et que je vais pouvoir

Agréer ce qu’il a choisi,


L’accueillir en moi,

Le garder longtemps.


Pour la gloire

De la journée.


Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)


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LES COLLABORATIONS AVEC DES PEINTRES


Guillevic a réalisé, en collaboration avec des artistes, peintres, graveurs, dessinateurs, environ 150 ouvrages de toutes dimensions, du format «boîte d’allumettes» au format «affiche», certains en auto-édition a très peu d’exemplaires ...
Quelques exemples :

avec JEAN DUBUFFET




«Paysage habité», lithographie double page de Jean Dubuffet

pour l’ouvrage «Élégies» de Guillevic
(éditions du Point du Jour,NRF, 1946)


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Deux des 15 lithographies originales de Jean Dubuffet pour l’ouvrage illustrant les 12 parties du poème de Guillevic «Les Murs» (Éditions du livre, 1950).


Les murs (extraits)

1.
Les murs sont compagnons,

Posés toujours qu’ils sont pour le

    coude et la paume
Et dressés vers les yeux,

    Ayant un peu de terre

Où confier leur bonté quand ils en

    ont excès

Et paraissant avoir prouvé leur

Innocence

A se trouver dans l’air tout en

    vivant de noir.


(...)


3.

C’est dans les murs

Que sont les portes

Par où l’on peut entrer

Et par l’une

Arriver.


(...)

5.
Les murs quand ils sont hauts,

Surtout ceux qui n’ont pas fenêtres

    et rideaux,

Qui ont traînées parfois de gris

    jaune et de noir

Dessous les cheminées,

Sont bons pour être écrans aux

    visions des passants

Qui n’y trouvent pas forme ni leçon,

Mais soupirail :


Un géant rouge a fait grand signe

Et sur les toits ses pieds vont vite.

C’est au ciel qu’il s’en prend,

C’est à l’été. Il a du feu entre les

    bras.

Il a laissé tomber un astre ou un

    enfant.

Il dit : Vengeance. Il se rasseoit.


C’était un pauvre.


(...)


7.
Voir le dedans des murs

Ne nous est pas donné.


On a beau les casser,

Leur façade est montrée.

Bien sûr que c’est pareil

En nous et dans les murs,


Mais voir
Apaiserait.


(...)

12.

Un homme

Est devenu jaloux des murs,


Et puis, têtu, c’est des racines

Qu’il ne peut plus se démêler.


Il assoit à l’écart

Un corps habitué,


Exclut les portes,

Exclut le temps,

Voit dans le noir


Et dit : amour.


Guillevic («Les Murs», édition illustrée par Jean Dubuffet, Éditions du livre, 1950)
Cette suite de 12 poèmes titrée «Les murs» est initialement parue dans «Exécutoire», Gallimard, 1947).


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avec JULIUS BALTAZAR


Dans le recueil  posthume «Relier», Lucie Guillevic-Albertini, l’épouse du poète, a rassemblé des textes écrits entre 1938 et 1996, dispersés dans des ouvrages d’artistes, la plupart connus de seulement quelques initiés.
Dans un second ouvrage , «Accorder» (Gallimard, 2013), complète ce travail.

«Tourbillon» est dédié au peintre avec lequel Guillevic a collaboré étroitement pour de nombreux ouvrages : Julius Baltazar

Tourbillon


à Julius Baltazar


Il faut

Pour tes images


Des poèmes qui montent

Et qui s’enfoncent,


Vont quelque part,

Qui sait où ?


*


Mais il y a

Dans nos langages


Le tien

Comme le mien,


Un tourbillon

Qui a du sens.


*


Il a du sens, c’est sûr,

Il aide à vivre


Plus haut

qu’au départ


Il nous aspire

Il nous incorpore


*


Nous,


Nous ne tournons pas

Que sur nous-mêmes,


Mais autour

D’un axe


Qui porte

Le tourbillon du monde.


*


Est-ce une danse

Que nous infligent

Les mots, les couleurs ?


Non, car la danse

Se contente d’elle-même.


Nous deux

Nous voulons trouver.



Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)



«Se dénuager» , ouvrage de Guillevic illustré et auto-édité par Julius Baltazar à seulement trois exemplaires, 1990, puis publié aux éditions Gallimard en 2007.


Dans l’original de cet ouvrage, le texte autographe calligraphié par Guillevic et le lavis bleuté à l’aquarelle, avec encre de chine et crayon arlequin de Julius Baltazar sont étroitement liés, la graphie poétique et évocatrice de Guillevic et l’illustration faisant un seul poème visuel.


Se dénuager

On ne peut pas dire

Que l’on voit

Voler les nuages,


On les voit plutôt

Se traîner

Hésitants,

Ne sachant ni qui, ni quoi,


Ni où ils vont,

Ni ce qu’ils deviendront,

Pas même ce qu’ils sont.


Guillevic


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«D’une lune», est un autre ouvrage de Guillevic en collaboration avec Julius Baltazar, qui l’a illustré de quatre lithographies rehaussées au crayon Arlequin,  sur papier Japon appliqué sur Arches (André Biren, 1991).



«D’une lune», double page


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«L’infini» (Jacques Matarasso, 1987)
est un ouvrage de taille très réduite (6 x 7 cm), fait de collages de textes imprimés sur papier et illustré de gravures en taille douce de Baltazar (ci-dessous exemplaire dédicacé par Baltazar à Jacques Matarasso







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«Cette lumière» (Jacques Matarasso, 1987)
est un ouvrage de taille très réduite (6 x 7 cm), fait de collages de textes imprimés sur papier et illustré de gravures en taille douce de Baltazar (ci-dessous exemplaire dédicacé par Baltazar à Jacques Matarasso - source :
http://catalogue.gazette-drouot.com )



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avec RENÉ LAUBIÈS




«Grisé». texte de Guillevic avec 4 lithographies de René Laubiès ( éd Zoé Christiani, 1990).


Que se passe-t-il ?


Quoi que je traverse

je suis entouré de sources


Qui coulent,

Qui m’inondent


et ne me mouillent pas.


Guillevic («Grisé»)

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avec ALFRED MANESSIER


«Cymbalum»
Texte d’Eugène Guillevic : 20 poèmes sur le thème de la nature et du paysage llustrés par quatre aquatintes de Manessier
(Au Vent d’Arles, 1973)






Cymbalum (extraits)


Une tige

D'arbuste


Qui aurait pu

Se balancer encore


S'est éprise

De son silence


(...)


Un buisson


Présent

Dans le pré


Pour la douceur

De l’espace


Voulue surtout

Par l’horizon


Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)


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avec JEAN CORTOT


«Échappées» (éditions Adélie, 1995) - ci-dessous un aperçu de cet ouvrage, réalisé en pliage accordéon, une des aquarelles de Jean Cortot, et le  début du texte du poème, qui figure à la toute fin de l’ouvrage.






Échappées


Ne me laissez pas seul

Avec moi-même,


Mais laissez·moi tout seul

Avec vous.



Les bruits urbains

Émoussent les aiguillons


Que le silence

Pointe sur les puissants.



On fera dire

À la pierre


Qu'il ne faut pas

Qu'elle s'ennuie.



On te l'accorde. oui,

Tu es la ville,


On connaît ça,

Ne fais pas la fière.


(...)


Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)


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avec BERTRAND DORNY


L'ouvrage "Aguets" de Eugène Guillevic, présenté comme le précédent ouvrage en pliage accordéon, a été illustré de gravures par Bertrand Dorny (édité par Robert et Lydie Dutrou, 1991).
C’est le second volume de "Lisière des mots"







Aguets (début du texte)


Dans ce que je vois

Tout autour de moi


Qu’est-ce qui n’est pas
Avertissements ?


*


Il y a

Ce qu’il y a.


Il y a

Ce qu’il n’y a pas.


Il y a

Ce qui est entre les deux.


*


On voudrait qu’il y ait

Dans la hauteur de l’air


Des espèces de joues
Que l’on pourrait gifler.


*


Comme est loin
Ce qui somnole en moi


Et près de moi

Ce que je cherche

Dans les lointains.


*


Le ciel de la nuit

Est un bal continuel,

Mais jamais d'idylle.


*


Je ne récuserai pas

La terre,

Elle fait ce qu'elle peut,


Mais lui échappe

Ce qui nous échappe

Et nous taraude.


*


Et ce goût de néant


Comme si le néant

Avait un goût.


*


Le temps,

J'ai tout mon temps,


Mais il en a, lui,

Beaucoup plus.


*


Ce n'est pas rien

D'avoir à porter le monde,


Courage !


Guillevic
Ce texte figure dans l’ouvrage de Lucie Guillevic-Albertini,«Relier, poèmes 1938-1996» (Gallimard, 2007)


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17. Victor Hugo
(1802-1885) est un monument de la littérature française, journaliste, dessinateur, peintre, romancier et poète romantique à l’œuvre impressionnante, et combattant politique, grand défenseur des libertés.



«Souvenir d'Anvers», dessin de Victor Hugo, plumes, encres brune et noire et lavis, fusain, rehauts de gouache blanche sur papier beige (Maison de Victor Hugo, Paris)

«Victor Hugo n'était pas seulement un homme de lettre, il était également un homme de l'art. C'est après la mort de sa fille Léopoldine que le dessin devint un refuge pour l'écrivain et un moyen d'exprimer ses émotions. Il créa entre 1830 et 1876 environ 35000 dessins» ...
source :
http://www.besancon.fr/index.php?p=1557


un autre dessin titré «Chat-huant devant les ruines du Château de Vianden» :




ici un texte à la gloire de la musique


Que la musique date du seizième siècle

(extraits)


Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,

Sur tous les violons l'archet se précipite.

L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.

Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,

Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,

Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.

Comme sur la colonne un frêle chapiteau,

La flûte épanouie a monté sur l'alto.

Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,

Vident et remplissent leurs amphores penchées,

Se tiennent par la main et chantent tour à tour.


...


Ô concert qui s'envole en flamme à tous les vents !

Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants !

Comme l'âme s'émeut ! comme les cœurs écoutent !

Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,

Tantôt dans le lumière et tantôt dans la nuit,

Remue avec fierté cet orage de bruit !


...


Heureux ceux qui vivaient dans ce siècle sublime

Où, du génie humain dorant encor la cime,

Le vieux soleil gothique à l'horizon mourait !

Où déjà, dans la nuit emportant son secret,

La cathédrale morte en un sol infidèle

Ne faisait plus jaillir d'églises autour d'elle !

Être immense obstruée encore à tous degrés,

Ainsi qu'une Babel aux abords encombrés,

De donjons, de beffrois, de flèches élancées,

D'édifices construits pour toutes les pensées ;

De génie et de pierre énorme entassement ;

Vaste amas d'où le jour s'en allait lentement !

Siècle mystérieux où la science sombre

De l'antique Dédale agonisait dans l'ombre,

Tandis qu'à l'autre bout de l'horizon confus,

Entre Tasse et Luther, ces deux chênes touffus,

Sereine, et blanchissant de sa lumière pure

Ton dôme merveilleux, ô sainte Architecture,

Dans ce ciel, qu'Albert Dürer admirait à l'écart,

La Musique montait, cette lune de l'art !


Victor Hugo («Les rayons et les ombres»)


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18. Pierre Jean Jouve
(1887-1976) - source Wikipédia -
est un écrivain, poète, romancier et critique français.

Il fut le compagnon de route d'artistes, d'écrivains, de philosophes. Les artistes : le peintre cubiste Albert Gleizes (qui illustra Artificiel) ; le graveur expressionniste belge Frans Masereel, avec qui il fit de nombreux livres avant 1925 ; le grand artiste surréaliste André Masson (qui illustra la 1e édition de Sueur de Sang, 1933) (...) l'éditeur typographe Guy Lévis Mano ("GLM") qui réalisa quelques-uns de ses plus beaux livres ; et enfin le grand peintre Balthus, etc.


Mozart


À Toi quand j’écoutais ton arc—en-ciel d’été:

Le bonheur y commence à mi-hauteur des airs

Les glaives du chagrin

Sont recouverts par mille effusions de nuages et d’oiseaux,

Une ancolie dans la prairie pour plaire au jour

A été oubliée par la faux,

Nostalgie délivrée tendresse si amère

Connaissez-vous Salzburg à six heures l’été

Frissonnement plaisir le soleil est couché est bu par un nuage.

Frissonnement — à Salzburg en été

O divine gaîté* tu vas mourir captive ô jeunesse inventée

Mais un seul jour encore entoure ces vraies collines,

Il a plu, fin d’orage. O divine gaîté*

Apaise ces gens aux yeux fermés dans toutes les salles de concerts du monde.


Pierre Jean Jouve ("Noces, 1925-1931" - Mercure de France)

  -  on écrit aujourd’hui «gaieté», «gaîté» est une forme vieillie de ce mot

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19. Stéphane Mallarmé
(1842-1898), est identifié comme poète ayant renouvelé le symbolisme, dans un style fermé, "difficile", où la musique du vers prime sur la lisibilité du propos. Il a écrit également des pièces de théâtre et traduit Edgar Poë.


De ce passage, où le poète voudrait, à la manière du "Chinois au coeur limpide et fin", peindre un paysage sur une tasse, on retiendra une étonnante image : "Un clair croissant perdu par une blanche nue / Trempe sa corne calme en la glace des eaux / Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux." :


Peindre un paysage (titre proposé)
    (fin du poème  "Las de l'amer repos")


[...]

 Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux.


Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain - Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)

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20. Henri Michaux
est né à Namur (Belgique) en 1899 et mort à Paris en 1984. Il a acquis en 1955 la nationalité française.


Il découvre Lautréamont (Les chants de Maldoror),.
On en trouve l'empreinte dans son œuvre écrite poétique, "à la marge" du surréalisme. Il écrit des carnets de voyages (Écuador), d'autres récits, ceux-là imaginaires, de voyages en Asie entre-autres, et des récits de ses expériences avec les drogues ...

site de référence (autres adresses plus bas) :
http://www.henrimichaux.org


"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie".

Henri Michaux, chapitre "Observations" écrit en 1950 (recueil "Passages, Gallimard, 1963)

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Peindre


Le déplacement des activités créatrices est un des plus étranges voyages en soi qu'on puisse faire.

Étrange décongestion, mise en sommeil d'une partie de la téte, la parlante, l'écrivante (partie, non, système de connexion plutót). On change de gare de triage quand on se met à peindre.

La fabrique à mots (mots-pensées, mots-images, mors-émotions, mots-motrìcité) disparait, se noie vertigineusement et si simplement. Elle n'y est plus. Le bourgeonnement s'arréte. Nuit. Mort locale. Plus d'envie? d'appétit parleur. La partie de la téte qui s'y trouvait la plus intéressée, se refroidit. C'est une expérience surprenante.

Et quel repos !

Étrange émotion. On retrouve le monde par une autre fenétre. Comme un enfant, il faut apprendre à marcher. On ne sait rien. On bourdonne de questions. On essaie constamment de deviner... de prévoir...

Nouvelles difficultés. Nouvelles tentations.

Tout art a sa tentation propre et ses cadeaux.


II n'y a qu'à laisser venir, laisser faire.

Pour le moment je peins sur des fonds noirs, hermétiquement noirs. Le noir est ma boule de cristal. Du noir seul, je vois de la vie sortir.



Henri Michaux, chapitre "Peindre", écrit en 1938 (recueil "Passages, Gallimard, 1963)


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«alphabets», 1943 - encres de Chine à la plume

Henri Michaux s’essaye à l’invention d’un langage universel, sorte d’espéranto graphique.
On consultera avec intérêt le travail de création de polices de caractère s«Michaux» ici :
http://www.ben.jammin.free.fr/etc/michaux.pdf


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Son oeuvre picturale (exemple ci-dessous) est importante aussi.

Il peint à l'aquarelle, au crayon, à la gouache ou à l'encre.




Henri Michaux («Émergences-Résurgences“ - Les sentiers de la création”, 1972 - Éditions d’Art Albert Skira)

« Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du «verbal», je peins pour me déconditionner.

Il faudrait rendre visite au site
http://rebstein.wordpress.com/2013/08/19/emergenze-risorgenze-v/
où Henri Michaux s’exprime largement sur sa pratique picturale, et aussi le «site le plus improbable sur Michaux», ici :
http://henri.michaux.chez-alice.fr

et bien sûr une référence, le site de Jean-Michel Maulpoix :
http://www.maulpoix.net/deplacement.html


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Mouvements (début du poème)

Contre les alvéoles

contre la colle

la colle les uns les autres

le doux les uns les autres


Cactus !

flammes de la noirceur

impétueuses

mères des dagues

racines des batailles s’ élançant dans la plaine


Course qui rampe

rampement qui vole

unité qui fourmille

bloc qui danse


Un défenestré enfin s’envole

un arrache de bas en haut

un arrache de partout

un arrache plus jamais rattaché


Homme arc-bouté

homme au bond

homme dévalant

homme pour l’opération éclair

pour l’opération  tempête

pour l’opération  sagaie

pour l’opération  harpon

pour l’opération  requin

pour l’opération  arrachement


Homme non selon la chair

mais par le vide et le mal et les flammes intestines

et les bouffées et les décharges nerveuses

et les revers

et les retours

et la rage

et l’écartèlement

et l’emmêlement

et le décollage dans les étincelles
...


Henri Michaux («Mouvements, face aux verrous,» Poésie/Gallimard, 1992)

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L’ouvrage «Par la voie des rythmes» est  exclusivement composé de dessins : 82 dessins d’Henri Michaux (éditions La Pleïade et fata morgana, 1974)


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Henri Michaux entame en 1955 des travaux d'écriture poétique et graphique sous mescaline, avec ou sans contrôle médical.

On retrouve les résultats de ces voyages intérieurs, appelés "dessins mescaliniens" dans plusieurs recueils : Misérable Miracle (1956), L’Infini Turbulent (1957), Paix dans les brisements, poème(1959) et des ouvrages  où la production artistique s'accompagne d'une auto-évaluation de l'expérience : Connaissance par les gouffres (1961), et Les Grandes épreuves de l’esprit (1966).


Misérable miracle (passage)

«À coups de traits zigzagants, à coups de fuites transversales, à coups de sillages en éclairs, à coups de je ne sais quoi, toujours se reprenant, je vois se prononcer, se dérober, s’affirmer, s’assurer, s’abandonner, se reprendre, se raffermir, à coups de ponctuations, de répétitions, de secousses hésitantes, par lents dévoiements, par fissurations, par indiscernables glissements, je vois se former, se déformer, se redéformer, un édifice tressautant, un édifice en instance, en perpétuelle métamorphose et transubstantiation, allant tantôt vers la forme d’une gigantesque larve, tantôt paraissant le premier projet d’un tapir immense et presque orogénique, ou le pagne encore frémissant d’un danseur noir effondré… »

Misérable Miracle», éditions du Rocher, Monaco, 1956 - et collection Le Point du jour, Gallimard, 1972, nouvelle édition revue et augmentée comportant quarante-huit dessins et documents manuscrits originaux de l'auteur - et en Poésie/Gallimard, 1991)




«dessin mescalinien» d’Henri Michaux, à l’encre de chine sur papier, 1958


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MEIDOSEMS


Dans l’ouvrage «MEIDOSEMS», henri Michaux a utilisé, c’est la seule fois, la technique de la lithographie "à même la pierre" en illustration du long poème-titre.


«MEIDOSEMS», Les Editions du Point du Jour, Paris, 1948.
Edition illustrée de 12 lithographies «à même la pierre» sur pur fil d’Arches




une autre lithographie


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Portrait des Meidosems *

(quelques extraits ordonnés)

Dans le recueil, ce texte est divisé en 68 parties sur autant de pages. Le texte intégral de ce long poème halluciné est ici :

http://www.wikipoemes.com/poemes/henri-michaux/portrait-des-meidosems.php)


(...)


L'horloge qui bat les passions dans l'âme des

Meidosems s'éveille.

Son temps s'accélère.

Le monde alentour se hâte, se précipite, allant vers un destin soudain marqué.


(...)


Ils prennent la forme de bulles pour rêver, ils prennent la forme de lianes pour s'émouvoir.


Appuyée contre un mur, un mur du reste que personne ne reverra jamais, une forme faite d'une corde longue est là.

Elle s'enlace.


C'est tout.

C'est une

Meidosemme.


Et elle attend, légèrement affaissée, mais bien moins que n'importe quel cordage de sa dimension appuyé sur lui-même.


(...)


Ce troupeau qui vient là, comme des pachydermes lents, avançant à la file, leur masse est et n'est pas.

Qu'en feraient-ils?

Comment la porteraient-ils?

Cette lourdeur, cette démarche ankylosée n'est qu'un parti qu'ils ont pris pour échapper à leur légèreté qui les épouvante à la longue.


(...)


Quand ils ont des soucis, leur tête se creuse, en jatte, en baquet, mais vide, de plus en plus vide, quoique de plus en plus grand, et ferait presque éclater leur crâne.


Quand deux choses ne leur plaisent pas, entre lesquelles il leur faudrait choisir et décider, quand, entre deux décisions à prendre, chacune désagréable et génératrice probable d'autres désagréments mais difficiles à suivre à l'avance, ils n'arrivent pas à donner la préférence à l'une sur l'autre, qui continue en quelque sorte, à chaque instant, de sonner de la cloche, ils agissent alors en reculant de plus en plus dans leur tête qui fait le vide devant le problème tracassant qui ne les tracasse pas moins pour cela, vide douloureux qui occupe tout, sphère de néant.


(...)


Ici est la ville des murs.

Mais les toits?

Pas de toits.

Mais les maisons?

Pas de maisons.

Ici est la ville des murs.

Plans en mains, vous voyez constamment des

Meidosems chercher à en sortir.

Mais jamais ils n'en sortent.


(...)


Henri Michaux (* texte de 68 pages (!) constituant sous ce titre la troisième partie du recueil «La vie dans les plis», Gallimard, 1949)


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édition illustrée de l’ouvrage «Peintures» (GLM, 1939)

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L’extrait qui suit est issu d’une thèse de doctorat (Serguei Chamchinov, 2006 - Henri Michaux» «Signes», «Gestes», «Mouvements» (Ecriture et Peinture)
source : http://1.static.e-corpus.org/download/notice_file/849545/chamchinov_serguei.pdf


(...) le Clown de Michaux peut être considéré d’abord au sens métaphorique : le personnage tragique. Cette figure est imaginée comme un être misérable. Son visage (...) est presque troué par les yeux-assiettes de l’effroi (tache), sa bouche est presque brisée comme si c’était l’expression d’un cri (encore une tache). Le zigzag comme la forme picturale figure dans cette peinture de Michaux. Il est derrière le personnage, composant le paysage sur le fond sombre du bleu, comme un symbole du destin, du plongement dangereux dans quelque espace (...)





peinture à la gouache (l’original est sur fond bleu) pour l’édition illustrée de l’ouvrage «Peintures» (GLM, 1939), avec 16 gouaches sur fond noir  reproduites en niveaux de gris, dont 7 sont accompagnées d'un poème : Tête, Clown (reproduction et poème ci-dessous) ; Paysages : Prince de la nuit ; Dragon ; Combats ; Couché.


Le poème «CLOWN» est souvent proposé au collège ou au lycée. C’est sans doute un de ceux qui révèle le mieux entre les signes les tourments existentiels de l’auteur :

CLOWN


Un jour.

Un jour, bientôt peut-être.

Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.

Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien,

Je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.

Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.

D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements « de fil en aiguille ».

Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.

À coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.

Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.

Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.

Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.

Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.


CLOWN, abattant dans la risée, dans l’esclaffement, dans le grotesque, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.

Je plongerai.

Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert

à tous,

ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée

à force d’être nul

et ras…


et risible…

Henri Michaux, («Peintures», repris dans «L’espace du dedans», Gallimard,1939)

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