Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts» - textes en français page 3/4
COLLÈGE et LYCÉE - page 3/4
Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts» - textes en français page 3/4
COLLÈGE et LYCÉE - page 3/4
Printemps des Poètes 2014 - textes originaux en français - COLLÈGE et LYCÉE - page 3
21. Gérard de Nerval
pseudonyme de Gérard Labrunie (1808-1855) est un poète "moderne", auteur des "Filles du Feu" (1854) ; Les Chimères (1854) ; Aurélia ou le rêve et la vie (1855). Il traduit le poète allemand Heinrich Heine .
En grande détresse matérielle et morale, il se pend dans une rue de Paris.
Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie ...
Gérard de Nerval dans le poème El Desdichado ("le malheureux", en espagnol) ("Les Chimères").
l’art musical, prétexte à une évocation nostalgique :
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très-vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
Or, chaque fois que je viens à l'entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !
Gérard de Nerval («Odelettes», 1835)
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Voici deux tableaux, où s'exprime en touches discrètes la sensibilité du poète :
Avril
Déjà les beaux jours, - la poussière,
Un ciel d’azur et de lumière,
Les murs enflammés, les longs soirs ;
Et rien de vert : à peine encore
Un reflet rougeâtre décore
Les grands arbres aux rameaux noirs !
Ce beau temps me pèse et m’ennuie.
Ce n’est qu’après des jours de pluie
Que doit surgir, en un tableau,
Le printemps verdissant et rose,
Comme une nymphe fraîche éclose
Qui, souriante, sort de l’eau.
Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853)
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Le coucher du soleil
Quand le Soleil du soir parcourt les Tuileries
Et jette l'incendie aux vitres du château,
Je suis la Grande Allée et ses deux pièces d'eau
Tout plongé dans mes rêveries !
Et de là, mes amis, c'est un coup d'œil fort beau
De voir, lorsqu'à l'entour la nuit répand son voile,
Le coucher du soleil, riche et mouvant tableau,
Encadré dans l'arc de l'Étoile !
Gérard de Nerval ("Odelettes", 1853) - Des signes de ponctuation, les tirets, ont été supprimés des textes pour simplifier la présentation.
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22. Joseph Noiret
(1927-2012) est un poète, artiste surréaliste belge, fondateur du groupe éphémère CoBrA (1948-1951), un projet internationaliste et pratique qui se démarque du Mouvement surréaliste, jugé trop "intellectualiste" et "parisianiste".
CoBrA (ou Cobra), qui compte parmi ses membres le peintre Pierre Alechinsky, fait la part belle à la peinture (art naïf et art brut) et à la sculpture, mais c'est au détriment de la poésie et de la littérature, ce qui conduit Noiret à s'en écarter pour fonder avec d'autres la revue Phantomas, qui se veut libre, ludique (voire humoristique) et expérimentale, écartant de l'art tout excès de réflexion théorique, pourtant sous influence dadaïste.
Noiret participe ensuite avec six autres poètes, au groupe "Les types en or", avec ce même projet axé sur la poésie polygraphe, expérimentale ...
Ouvrages : "L’oeil, l’oreille et le lieu" (éditions Phantomas, 1979 )
«Le jardin bien bêché
si j’écris
mon écriture durcit le papier
naïve et anguleuse
en fin de compte
ma pensée glisse à sa plus grande concision
à la perte ultime
qui est son but
dans des étendues de silence blanc » ...
Joseph Noiret
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HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE
"Histoires naturelles de la Crevêche", édité par Bruxelles Acoustic' Phantomas Museum/Henri Kumps, en 1965, comprend 3 lithographies de Mogens Balle (ci-dessus).
La Crevêche
Un être humain comporte deux dimensions : l'intérieure et l'extérieure.
Quand l'intérieure l'envahit tout entier, il devient Crevêche
et son bonheur d'exister s'exprime dans une liberté du corps et de
l'esprit qui abolit la pesanteur de la vie quotidienne.
D'abord invisible pour qui ne prend pas garde aux couleurs du temps,
la Crevêche n'a de cesse de s'incarner au fil des images
par lesquelles elle tente d'imposer sa présence.
Pour échapper quelques instants à la nuit des apparences,
elle vit à corps retrouvé les aventures de la légereté,
des musiques et de la lumière :
elle s'éternise dans une éternité friable.
(...)
Sur la glace de l'étang est apparue la Crevêche
dans la tension de son hiver
parmi les voix
montant des vases profondes
tentative de naissance
petit personnage s'étirant
de la flûte
elle persiste assise
dans ses angles
elle mange son morceau
de silence
la Crevêche se fait.
Joseph Noiret («Histoires naturelles de la Crevêche», de Joseph Noiret et Mogens Balle, 1965)
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avec SERGE VANDERCAM
"L'Aube se lève droit devant elle", 1982, œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, Collage de papiers déchirés, encre de Chine, gouache, pinceau sur papier
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«Dans la pâte je m’entortouille», œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, 1983
Collage et écritures sur papier
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Sans titre*, œuvre de Joseph Noiret et Serge Vandercam, 1985
Collage et écritures sur papier
la java des mots*
* titre suggéré pour cette retranscription du texte
l’ordre des phrases est également proposé par lieucommun
c'est la java des mots
c'est la java du moi
les jupes tournent leurs phrases
on danse sa grammaire
on voltige ses verbes
on coince sa syntaxe
on a on a belle allure et la culotte étroite
on est on est bien dans sa peau
on glisse on glisse sur l'air du temps
on tourne on tourne sa parole et son visage
tu es tu es l'orange et l'orangée
du grand bal du hasard
Joseph Noiret
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23. Germain Nouveau
(1851-1920) a fréquenté Mallarmé, Jean Richepin et Charles Cros, puis Arthur Rimbaud avec qui il travaille à l'édition des Illuminations . Il sera aussi proche de Verlaine. Après avoir été interné en asile psychiatrique, Germain Nouveau termine son existence dans l'errance et le mysticisme.
Un peu de musique
sonnet
Une musique amoureuse
Sous les doigts d'un guitariste
S'est éveillée, un peu triste,
Avec la brise peureuse ;
Et sous la feuillée ombreuse
Où le jour mourant résiste,
Tourne, se lasse, et persiste
Une valse langoureuse.
On sent, dans l'air qui s'effondre,
Son âme en extase fondre ;
— Et parmi la vapeur rose
De la nuit délicieuse
Monte cette blonde chose,
La lune silencieuse.
Germain Nouveau ("Premiers vers, 1872-1878")
24. Francis Picabia (1879-1953)
est un peintre, graphiste, poète et écrivain qui a participé activement au mouvement Dada et au Surréalisme.
Un de ses recueils mariant poésie et dessins s’intitule «Poèmes et Dessins de la Fille née sans Mère», 1918 (ci-dessous un poème pleine page)
«catax» (1929), cette toile fait partie d'une série de tableaux portant comme titres le nom latin de papillons.
Manifeste DADA
Les cubistes veulent couvrir Dada de neige : ça vous étonne mais c’est ainsi, ils veulent vider la neige de leur pipe pour recouvrir Dada.
Tu en es sûr ?
Parfaitement, les faits sont révélés par des bouches grotesques.
Ils pensent que Dada peut les empêcher de pratiquer ce commerce odieux :
Vendre de l’art très cher.
L’art vaut plus cher que le saucisson, plus cher que les femmes, plus cher que tout.
L’art est visible comme Dieu ! (voir Saint-Sulpice).
L’art est un produit pharmaceutique pour imbéciles.
Les tables tournent grâce à l’esprit ; les tableaux et autres œuvres d’art sont comme les tables coffres-forts, l’esprit est dedans et devient de plus en plus génial suivant les prix de salles de ventes
Comédie, comédie, comédie, comédie, comédie, mes chers amis.
Les marchands n’aiment pas la peinture, ils connaissent le mystère de l’esprit ...
Achetez les reproductions des autographes.
Ne soyez donc pas snobs, vous ne serez pas moins intelligents parce que le voisin possèdera une chose semblable à la vôtre.
Plus de chiures de mouches sur les murs.
Il y en aura tout de même, c’est évident, mais un peu moins.
DADA bien certainement va être de plus en plus détesté, son coupe-file lui permettant de couper les processions en chantant « Viens Poupoule », quel sacrilège !!!
Le cubisme représente la disette des idées.
Ils ont cubé les tableaux des primitifs, et les sculptures nègres, cubé les violons, cubé les guitares, cubé les journaux illustrés, cubé la merde et les profils de jeunes filles, maintenant il faut cuber l’argent !!!
DADA, lui, ne veut rien, rien, rien, il fait quelque chose pour que le public dise : « nous ne comprenons rien, rien, rien ».
« Les Dadaïstes ne sont rien, rien, rien, bien certainement ils n’arriveront à rien, rien, rien ».
Francis PICABIA qui ne sait rien, rien, rien.
(Manifeste DADA de Picabia, lu le 5 février 1920 au Salon des Independants à Paris).
un passage choisi du long poème Pensées sans langage
qui donne un aperçu de la poésie DADA de Picabia :
Pensées sans langage
...
le bonheur des autres traverse la rue
vers l’inconnu rallumé
au fond
vers les étoiles lumineuses
camarades des soirs sans corsets
gestes extravagants des bagages entr’actes
emportés vers l’idéal bourgeois
les voyages des araignées
magnifiques rythmes
vêtus d’un peignoir surprise
en palissandre de l’âme pendule
sur le marbre des visites
personne guéridon
vin d’Espagne débraillé
venu de là
...
Terminé à Paris le 28 Avril 1919.
P. S. À tous ceux que démange l’envie de dire que ce langage est sans pensée je conseille la visite dangereuse du jardin zoologique
Francis Picabia
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25. Pablo Picasso (1881-1973).
Exception à la règle fixée ici, Pablo Picasso, qui n’est pas un poète d’écriture dans le sens habituel, trouve ici un petit paragraphe.
Ses ouvrages collaboratifs, eux, on les trouvera chez Eluard, Aragon, Prévert (ci-dessous) ...
Reportez-vous à ces paragraphes, en catégorie Collège-Lycée
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SONGE ET MENSONGE DE FRANCO
Œuvre comprenant 18 scènes gravées sur deux planches en bande dessinée, Picasso manifeste contre le coup d'Etat de Franco. Les gravures sont éditées avec un poème intitulé «Sueño y Mentira de Franco»/»Songe et Mensonge de Franco», dénonçant subversions et souffrance ; le texte est reproduit en espagnol, en français et en anglais
la seconde gravure :
fandango de lechuzas escabeche de espadas de pulpos de mal agüero estropajo de pelos de coronillas de pie en medio de la sartén en pelotas puesto sobre el cucurucho del sorbete de bacalao frito en la sarna de su corazón de cabestro – la boca llena de la jalea de chinches de sus palabras – cascabeles del plato de caracoles trenzando tripas – meñique en erección ni uva ni breva – comedia del arte del mal tejer y teñir nubes – productos de belleza del carro de basura – rapto de las meninas en lágrimas y en lagrimones – al hombro el ataúd relleno de chorizos y de bocas- la rabia retorciendo el dibujo de la sombra que le azota los dientes clavados en la arena y el caballo abierto de par en par al sol que lo lee a las moscas que hilvanan a los nudos de la red llena de boquerones el cohete de azuzenas – farol de piojos donde está el perro nudo de ratas y escondrijo del palacio de trapos viejos – las banderas que fríen en la sartén se retuercen en el negro de la salsa de tinta derramada en las gotas de sangre que lo fusilan – la calle sube a las nubes atada por los pies al mar de cera que pudre sus entrañas y el velo que la cubre canta y baila como loco de pena – el vuelo de cañas de pescar y alhiqui alhigui del entierro de primera del carro de mudanza- las alas rotas rodando sobre la tela de araña del pan seco y agua clara de la paella de azúcar y terciopelo que pinta el latigazo en sus mejillas – la luz se tapa los ojos delante del espejo que hace el mono y el trozo de turrón de las llamas se muerde los labios de la herida gritos de niños gritos de mujeres gritos de pájaros gritos de flores gritos de ladrillo gritos de muebles de camas de sillas de cortinas de cazuelas de gatos y de papeles gritos de olores que se arañan gritos de humo picando en el morrillo de los gritos que cuecen en el caldero y de la lluvia de pájaros que inunda el mar que roe el hueso y se rompe los dientes mordiendo el algodón que el sol rebana en el plato que el bolsín y la bolsa esconden en la huella que el pie deja en la roca”.
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fandango de chouettes marinade d'épées de poulpes de mauvais augure tampon à récurer des poils de corne de pied au milieu de la poêle à poil mis sur le cornet du sorbet de morue frite dans la gale de son coeur licou- la bouche pleine de la gelée de punaises de ses mots – grelots de l'assiette des escargots tressant des tripes – l'auriculaire en érection mi figue mi raisin - comédie de l' Art de la mauvaise trame et teindre des nuages - produits de beauté du camion d'ordures - Le rapt des ménines en larmes et d'énormes larmes - le cercueil à l'épaule farci de saucisses et de bouches- la rage qui tord le dessin de l'ombre qui lui fouette les dents enfoncées dans le sable et le cheval grand ouvert au soleil qui le lit aux mouches qui faufilent les nœuds du filet plein d' anchois le fuseau des lis - lanterne de poux où se trouve le chien nœud de rats et la salle cachée du palais de vieux draps – Les drapeaux frits sur la poêle se tordent dans le noir de la sauce d'encre renversée dans les gouttes de sang qui le fusillent - la rue monte aux nuages attachée par les pieds à la mer de cire qui pourrit ses entrailles et le voile qui la recouvre chante et danse comme fou de douleur - le vol des cannes à pêche et alhigui et alhigui *de l'enterrement de première du camion de déménagement – les ailes cassées roulant sur la toile d'araignée du pain sec et de l'eau claire de la paella de sucre et de velours que peint le fouet sur ses joues – la lumière se cache les yeux face au miroir qui fait le singe et le morceau de nougat des flammes se mord les lèvres de la blessure – cris d'enfants cris de femmes cris des oiseaux cris des fleurs cris des bois et des pierres cris des briques des meubles des lits des chaises des rideaux des casseroles de chats et des papiers cris d'odeurs qui s'agrippent cris de fumée qui piquent le nez des cris que cuisent dans le chaudron et de la pluie des oiseaux qui inondent la mer qui ronge l'os et se casse les dents en mordant le coton que le soleil baigne dans l'assiette que la bourse et la besace cachent dans l'empreinte que le pied laisse dans le rocher.
alhigui et alhigui *: aucune explication sur ces mots nulle part !
Pablo Picasso, passage d’un poème dans l’ouvrage «Sueño y Mentira de Franco»/»Songe et Mensonge de Franco» (cycle d’eaux-fortes, textes en espagnol, en anglais et en français, 1937).
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D’AUTRES TEXTES (1936)
minuscule barque faite avec des clous de girofle saupoudrée des
roses et des verts des pastels fixe brille et resplendit aromatise et colore enchante et verse pavillon ailé dans sa coupe son écharpe la petite feuille de
la
fleur du cerisier
(13 avril 1936)
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aujourd’hui anniversaire de cet amour qui est ma vie maintenant qu’il est six heures et quatre petites minutes du onze janvier de l’année XXXVI j’écris et sens les fleurs qui sont devant moi à droite mais assis devant la table d’une telle façon que la ligne qui va de l’angle gauche où mon coude appuie coupe en deux la corbeille et que m’importe le taureau et sa course maintenant à cette heure où le piano mange peu à peu avalant couleuvres et crapauds et écorchant des grenouilles.
(6 janvier-2 février 1936)
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Texte de Picasso dans l’ouvrage de Paul Éluard titré «Divers poèmes du Livre ouvert».
Les textes de Paul Éluard seront repris dans d’autres recueils de l’auteur (sans les textes et illustrations de Picasso)
Paul Éluard a calligraphié en 15 exemplaires un recueil de 30 poèmes inédits, que Picasso a illustrés d’enluminures, y traçant également, comme ci-dessus, des passages écrits (en capitales), suite d’images associées oniriques, dans la tradition surréaliste de l’écriture automatique.
Extraits :
Dès que les ailes du cheval sont lourdes à porter dit le i déposant le paquet sur l'évier ni la pluie ni le beau temps ni la neige et encore moins les vignes à l'automne et les champs d'avoine et de blé l'été et le printemps et l'hiver réunis dans un seul bouquet les mille de milliards de lampes allumées posées sur la commode.
Le sopha contracté se hausse jusqu'au plafond la chaise grince ses cordes et le bois vernis des jupes des marbres attachées aux rideaux descendent lentement les marches - l'horloge couvre sa bouche sur la vitre et utile la plaque de l'heure qui respire encore derrière le rideau de plumes
(…)
La nuit qui se détache du manteau herborise sa puanteur sur le livre ouvert de la fenêtre (…)
Pablo Picasso, 1941, dans «Divers poèmes du Livre ouvert», en collaboration avec Paul Éluard.
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Gravure avec poème de Picasso «pour Paul Éluard»
16 mai XXXVI (achevé le 20 mai)
Non plus frappe l'arôme de Ia saveur du jaune sur le
son du vert charme soupirant au toucher du rose
aux éclats de rire le regard du parfum évanoui
du bleu du vide modèle la colombe liquide le chant
évaporé de la lumière aveuglée par le cri de
la chaleur mirant son corps dans l'air
frais sonne le tocsin si doux de l'absence
des heures arrachées au silence
L'arôme des fleurs de la branche
arrachée au citronnier pétrifié se
forme dans le creux de la main appuyée
à la tempe à la chaleur de mauve
pointe son dard dans la narine gauche de la jeune
fille au loin dans son rêve
le découpage du texte respecte la mise en page de l’auteur
Pablo Picasso, mai 1936, poème avec gravure (paru initialement dans la revue «Minotaure» n°10, avril 1937)
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extrait de l’ouvrage «Pablo Picasso, Ecrits» (référ plus bas)
rébus de Picasso pouvant donner lieu à diverses interprétations :
po(é)sie, maladie guérissable est le choix généralement retenu, celui de l’auto-dérision, acceptable, mais avec «une cheville» dans poésie
pot (chance), si ma lady (Dora Maar ?) guérissable, c’est celui du coeur
pot si maladie guérissable, c’est l’hypercondriaque en vous qui s’exprime ...
22 MARS XXXVI
miette de pain posée si gentiment par ses doigts sur le bord du ciel autant bleu soupirant que le coquillage enchaîné joueur de flûte battant des ailes à chaque goutte fleurit au printemps à l'accroc que fait dans sa robe la fenêtre que se gonfle et remplit la pièce et l'emporte flottant au vent ses longs cheveux
(...) "C'est un flot verbal où son imagination torrentielle s'accroche à des sensations vécues et sa valeur documentaire l'apparente aux textes surréalistes. C'est la matière brute de la poésie que Picasso a exposée à l'état naissant, sans se préoccuper d'une quelconque conclusion».
Tristan Tzara
ce commentaire de Tristan Tzara est cité par Henri Béhar dans son ouvrage : «Les enfants perdus : essai sur l'avant-garde, Bibliothèque Mélusine, éd L’Age d’Homme, 2002, actualisé en 2010)
4 AVRIL XXXVI
portrait de jeune fille
sur une vieille boîte de conserves écrasée par un camion
attacher un morceau de verre brisé et lui peindre le profil d'une face de femme
accrocher au bas une paire de petits gants de poupée
sur le haut planter quelques plumes
piquer l'ensemble sur une orange amère
faire sur le couvercle de la boîte un trou
texte extrait de l’ouvrage «Pablo Picasso, Ecrits»
préface de Michel Leiris, textes et dessins présentés et annotés par Marie-Laure Bernadac et Christine Piot, traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan (Réunion des musées nationaux / Gallimard,1989)
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DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS
Pour sa « tête de taureau», réalisée en 1942, Pablo Picasso a assemblé deux objets, une selle de vélo en cuir et un guidon en métal
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26. Ernest Pignon-Ernest est un artiste plasticien né en 1942 à Nice.
Il est un des initiateurs, avec Daniel Buren et Gérard Zlotykamien, de l'art urbain en France (Wikipédia).
Wikipédia : Hanté par les ombres laissées sur les murs, à Nagasaki et à Hiroshima, par les corps volatilisés, il a apposé des images peintes, dessinées, sérigraphiées sur du papier fragile, sur les murs des cités, dans des cabines téléphoniques, images qui se fondent dans l'architecture urbaine, sont acceptées par les populations qui les défendent même de leur dégradation lente (comme à Naples). Les témoignages photographiques accentuent cette fusion et en gardent les traces. Ernest Pignon-Ernest dénonce l'art construit pour les musées et les expositions, ce qui ne l'empêche pas d'y exposer.
Ernest Pignon-Ernest décrit lui-même son œuvre comme une manière de saisir l'essence d'un lieu. Il puise dans l'histoire du lieu, dans les souvenirs, mais aussi dans la lumière, l'espace. Puis, il vient y inscrire une image élaborée dans son atelier.
dessin représentant le poète Robert Desnos en lévitation tenant un portrait de Gérard de Nerval. Ernest P-E a collé ce dessin en avril 2001, dans la nuit, derrière le théâtre du Châtelet, là même où Nerval s'était pendu en 1855.
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27. Francis Ponge
(1899-1988) est un poète français. Il a reçu en 1984 le grand prix de poésie de l'Académie française.
Il prend dans son premier recueil paru en 1942 "Le Parti pris des choses".Il prend dans son premier recueil paru en 1942 "Le Parti pris des choses".
"Loin de percevoir et de montrer le monde à travers sa subjectivité de poète, Ponge [...] cherche à donner aux choses, par les mots, la possibilité d'une expression. Le poème, sorte d'équivalent neutre de l'objet, devient alors un véritable objet littéraire, un « objeu ». Par une savante et complexe utilisation de l'étymologie, de la graphie, des sons, des jeux de mots, des figures, la poésie de Ponge devient une sorte de redoublement du réel, qui cherche à abolir la distinction entre le mot et la chose". (référence : http://www.proverbes-citations.com/ponge.htm)
À partir de 1930, Francis Ponge fréquente les surréalistes, et en 1944 commence sa collaboration avec des peintres : Braque, Dubuffet, Fautrier, Picq, Picasso, Giacometti, Seurat ...
On accèdera avec le lien ci-dessous à un texte de Francis Ponge sur le peintre Jean Dubuffet :
http://blog.diamorphose.com/diamorphose.com/wordpress/wp-content/uploads/2009/04/ponge_matiere-et-memoire-2.pdf
Ce document pdf est extrait de l’ouvrage «Matière et Mémoire ou les lithographes à l'école»
Cet ouvrage comprend le texte de Francis Ponge avec 34 lithographies de Jean Dubuffet, un texte de Paul Éluard et un texte d'André Frénaud accompagnés chacun d'une lithographie de Jean Dubuffet
(Fernand Mourlot éditeur, Paris 1944)
Autre édition : «Matière et Mémoire» - L'Atelier contemporain Paris - Gallimard, 1977)
Jean Dubuffet
Nutrition, 1944
Lithographie de jean Dubuffet pour «Matière et Mémoire»
en collaboration avec Francis Ponge
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Ouvrage de Francis Ponge illustré de 5 eaux fortes et aquatintes originales de Georges Braque, 1950
La cruche
Pas d'autre mot qui sonne comme cruche. Grâce à cet U qui s'ouvre en son milieu, cruche est plus creux que creux et l'est à sa façon. C'est un creux entouré d'une terre fragile : rugueuse et fêlable à merci.
Cruche d'abord est vide et le plus tôt possible vide encore.
Cruche vide est sonore.
Cruche d'abord est vide et s'emplit en chantant.
De si peu haut que l'eau s'y précipite, cruche d'abord est vide et s'emplit en chantant.
Cruche d'abord est vide et le plus tôt possible vide encore.
C'est un objet médiocre, un simple intermédiaire.
Dans plusieurs verres (par exemple) alors avec précision la répartir.
C'est donc un simple intermédiaire, dont on pourrait se passer. Donc, bon marché ; de valeur médiocre.
Mais il est commode et l'on s'en sert quotidiennement.
C'est donc un objet utile, qui n'a de raison d'être que de servir souvent. ,
Un peu grossier, sommaire ; méprisable ? - Sa perte ne serait pas un désastre...
La cruche est faite de la matière la plus commune ; souvent de terre cuite.
Elle n'a pas les formes emphatiques, l'emphase des amphores.
C'est un simple vase, un peu compliqué par une anse ; une panse renflée ; un col large - et souvent le bec un peu camus des canards.
Un objet de basse-cour. Un objet domestique.
La singularité de la cruche est donc d'être à la fois médiocre et fragile : donc en quelque façon précieuse.
Et la difficulté, en ce qui la concerne, est qu'on doive - car c'est aussi son caractère - s'en servir quotidiennement.
II nous faut saisir cet objet médiocre (un simple intermédiaire, de peu de valeur, bon marché), le placer en pleine lumière, le manier, faire jouer ; nettoyer, remplir, vider.
Tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle casse. Elle périt par usage prolongé. Non par usure : par accident. C'est-à-dire, si l'on préfère, par usure de ses chances de survie.
C'est un ustensile qui périt par une sorte particulière d'usure : l'usure de ses chances de survie.
Ainsi la cruche, qui a un caractère un peu simple et plutôt gai, périt par usage prolongé.
Certaines précautions sont donc utiles pour ce qui 1a concerne. II nous faut l'isoler un peu, qu'elle ne choque aucune autre chose. L'éloigner un peu des autres choses. Pratiquer avec elle un peu comme le danseur avec sa danseuse. En rapports avec elle, faire preuve d'une certaine prudence, éviter de heurter les couples voisins.
Pleine elle peut déborder, vide elle peut casser.
Il ne faut pas, non plus, la reposer brusquement... lui laisser trop peu de champ libre.
Voilà donc un objet dont il faut nous servir quotidiennement, mais à propos duquel, malgré son côté bon marché, il nous faut pourtant calculer nos gestes. Pour le maintenir en forme et qu'il n'éclate pas, ne s'éparpille pas brusquement en morceaux absolument sans intérêt, navrants et dérisoires.
Certains, il est vrai, pour se consoler, s'attardent - et pourquoi pas ? - auprès des morceaux d'une cruche cassée : notant qu'ils sont convexes... et même crochus... pétalliformes..., qu'il y a parenté entre eux et les pétales des roses, les coquilles d'œufs... Que sais-je ?
Mais n'est-ce pas une dérision ?
Car tout ce que je viens de dire de la cruche, ne pourrait-on le dire, aussi bien, des paroles ?
Francis Ponge («Matière et Mémoire» - L'Atelier contemporain Paris - Gallimard, 1977)
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28. Jacques Prévert
(1900-1977)
poète surréaliste à ses débuts, ami entre-autres poètes et artistes de Picasso
(photo ci-dessous, Prévert et Picasso)
et de Raymond Queneau, s'éloignera de ce mouvement pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ...
Mais une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Il dit du collage : "pour moi c'est pareil qu'un texte, ça dit la même chose.
Il n est pas nécessaire à l'auteur de dominer ou même de connaître les règles de l'imitation puisque le collage détourne le savoir faire d'autrui."
(cité par L'art caché de Jacques Prévert, 19 Mai 2002 Laurent POITHIER)
«Tout au long de sa vie, Prévert s'est lié d'amitié avec de nombreux photographes, de ceux qui étaient proches des surréalistes, tels Man Ray, Brassaï, Robert Doisneau, Izis, Willy Ronis, André Villers, le décorateur de cinéma Alexandre Trauner. Ce demi-siècle de connivences a inspiré de nombreux livres réalisés en collaboration, mais aussi des jeux de correspondance entre l'écriture et la photographie».
texte et collage de Jacques Prévert pour «Fatras» empruntés ici :
Ce tableau de Picasso (Nature morte avec jarre et pommes, 1919), a inspiré Jacques Prévert :
Promenade de Picasso
Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle
une pomme pose
Face à face avec elle
un peintre de la réalité
essaie vainement de peindre
la pomme telle qu'elle est
mais
elle ne se laisse pas faire
la pomme
elle a son mot à dire
et plusieurs tours dans son sac de pomme
la pomme
et la voilà qui tourne
dans une assiette réelle
sournoisement sur elle-même
doucement sans bouger
et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz
parce qu'on veut malgré lui tirer le portrait
la pomme se déguise en beau bruit déguisé
et c'est alors
que le peintre de la réalité
commence à réaliser
que toutes les apparences de la pomme sont contre lui
et
comme le malheureux indigent
comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n'importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité
le malheureux peintre de la réalité
se trouve soudain alors être la triste proie
d'une innombrable foule d'associations d'idées
Et la pomme en tournant évoque le pommier
le Paradis terrestre et Ève et puis Adam
l'arrosoir l'espalier Parmentier l'escalier
le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l'Api
le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme
et le péché originel
et les origines de l'art
et la Suisse avec Guillaume Tell
et même Isaac Newton
plusieurs fois primé à l'Exposition de la Gravitation Universelle
et le peintre étourdi perd de vue son modèle
et s'endort
C'est alors que Picasso
qui passait par là comme il passe partout
chaque jour comme chez lui
voit la pomme et l'assiette et le peintre endormi
Quelle idée de peindre une pomme
dit Picasso
et Picasso mange la pomme
et la pomme lui dit Merci
et Picasso casse l'assiette
et s'en va en souriant
et le peintre arraché à ses songes
comme une dent
se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
les terrifiants pépins de la réalité.
Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
Un court poème qui pourrait inspirer un nouveau peintre cubiste :
Bain de soleil
La salle de bains est fermée à clef
Le soleil entre par la fenêtre
et il se baigne dans la baignoire
et il se frotte avec le savon
et le savon pleure
il a du soleil dans l'oeil.
Jacques Prévert ("Textes divers" (1929-1977) - Oeuvres complètes tome II - Gallimard-La Pléiade, 1996)
Un classique :
Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
L'école des beaux-arts
Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
À la minute
Devant eux.
Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
Beauté
Beauté
qui pourrait inventer
un nom plus beau
plus calme
plus indéniable
plus mouvementé
Beauté
Souvent j'emploie ton nom
et je travaille à ta publicité
je ne suis pas le patron
Beauté
je suis ton employé.
Jacques Prévert (extrait de «Adonides» dans le recueil «Fatras»1966, éditions Le point du jour)
Presque
À Fontainebleau
Devant l’hôtel de l’Aigle Noir
Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur
Un peu plus loin tout autour
Il y a la forêt
Et un peu plus loin encore
Joli corps
Il y a encore la forêt
Et le malheur
Et tout à côté le bonheur
Le bonheur avec les yeux cernés
Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos
Le bonheur qui ne pense à rien
Le bonheur comme le taureau
Sculpté par Rosa Bonheur
Et puis le malheur
Le malheur avec une montre en or
Avec un train à prendre
Le malheur qui pense à tout …
À tout
À tout … à tout … à tout …
Et à tout
Et qui gagne « presque » à tous les coups
Presque.
Jacques Prévert ("Paroles" - Les Éditions du Point du Jour, 1946 et Gallimard, 1949)
Voyages
Moi aussi, comme les peintres, j’ai mes modèles.
Un jour, et c’est déjà hier, sur la plateforme de l’autobus
Je regardais les femmes qui descendaient la rue d’Amsterdam
Soudain à travers la vitre du bus,
J’en découvris une que je n’avais pas vu monter Assise et seule elle semblait sourire
A l’instant même elle me plut énormément
Mais au même instant
Je m’aperçus que c’était la mienne J’étais content.
Jacques Prévert ("Histoires" - Éditions Gallimard, 1946 et 1963)
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SOMMAIRE PAR AUTEURS SUR LES 4 PAGES
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1.Guillaume Apollinaire - Les fiançailles ; La Colombe poignardée ; le jet d’eau ; La cravate ; Il pleut ; Marie ; Le présent ; Si je mourais là-bas
2.Louis Aragon - MATISSE PARLE ; LA BELLE ITALIENNE ; Chagall IX (Le ciel est un pays de chèvres ...) ; Les oiseaux déguisés ; Chagall à l'opéra ; Chagall (Tous les animaux et les candélabres) ; CHAGALL N° TANT ET PLUS ; Léger ; La merveille de la musique
3.Jean Hans Arp - Interview de Jean Arp par Camille Bryen ; Flamber et fleurir ; Plastron et fourchette (sculpture) ; Femme paysage (sculpture) ; Une goutte d’homme ; Berger de nuages (sculpture) ; Nombril et nombril ailé (collage) ; Aux anses de coton ; Cuis-moi un tonnerre
4.Charles Baudelaire - Harmonie du soir ; Les phares ; Une gravure fantastique ; Une martyre ; La Musique
5.Maurice Bourg - Embrasement
6.André Breton - Île ; À l’intersection de lignes de force invisibles ... (poème-objet) ; Ces terrains vagues … (poème-objet)
7.René Char - Lettera amorosa ; Allégeance ; l y a deux iris jaunes ... ; LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON (FRONT DE LA ROSE) ; Dansez, montagnes (Derrière Le Miroir) ; Éloge rupestre de Miró
8.Malcolm de Chazal - aphorismes en forme de poèmes courts ; pensées et aphorismes courts ; pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière
9.Jean Cocteau - Le Coq et l’Arlequin (courts extraits) ; La jeune femme ; Les trois yeux (céramique) ; Le chat (décor de la Chapelle Saint-Blaise des Simples) ; Plain-chant ; Hommage à Igor Stravinsky
10.Lucienne Desnoues - La mort du peintre
11.Heather Duollau - La Liseuse ; extraits divers (dont "Le tableau")
12.Jean Dubuffet - LER DLA CANPANE ; OREILLES GARDÉES ; Ontogénèse (tableau) ; collaborations avec Jacques Berne
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13.PAUL ÉLUARD
textes dédiés à des artistes et textes illustrés par
Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, Valentine Hugo, Max Ernst, Man Ray, Joan Miró, René Magritte, Yves Tanguy, Albrecht Dürer, André Masson ...
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14.Max Ernst - Écritures ; Festin
15.Jean Follain - La pomme rouge
16.Guillevic - J’ai joué sur la pierre … ; Les mots … ; Le chant ; Art poétique ; Regarder ; Paysage habité ; Les murs ; Tourbillon , Se dénuager ; D’une lune ; L’infini ; Cette lumière ; Grisé ; Cymbalum ; Échappées ; Aguets
17.Victor Hugo - dessins ; Que la musique date du seizième siècle
18.Pierre Jean Jouve - Mozart
19.Stéphane Mallarmé - Peindre un paysage
20.Henri Michaux - Peindre ; alphabets ; Émergences-Résurgence ; Mouvements ; Par la voie des rythmes ; Misérable miracle ; Portrait des Meidosems ; CLOWN
21.Gérard de Nerval - Fantaisie ; Avril ; Le coucher du soleil
22.Joseph Noiret - Le jardin bien bêché … ; HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE ; L'Aube se lève droit devant elle ; Dans la pâte je m’entortouille ; la java des mots
23.Germain Nouveau - Un peu de musique
24.Francis Picabia - FLEUR COUPÉE ; Manifeste DADA ; Pensées sans langage
25.Pablo Picasso - SONGE ET MENSONGE DE FRANCO ; Divers poèmes du Livre ouvert ; 16 mai XXXVI ; 22 MARS XXXVI ; 4 AVRIL XXXV, portrait de jeune fille ; DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS
26.Ernest Pignon-Ernest - Robert Desnos en lévitation ; hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish
27.Francis Ponge - Nutrition (avec Jean Dubuffet) ; La cruche
28.Jacques Prévert - Les collages de «Fatras» ; Promenade de Picasso ; Bain de soleil ; Pour faire le portrait d’un oiseau ; L’école des Beaux-Arts ; Presque ; Beauté ; Voyages
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29.Pierre Reverdy - Le côté bleu du ciel ; La vie fragile
30.Maurice Rollinat - Coucher de soleil
31.Hector de Saint-Denis-Garneau - Flûte ; Entre le ciel et l’eau - Paysage en deux couleurs ; Baigneuse
32.André Salmon - El Malagueño ; Profond tableau ; Peindre c’est la merveille !
33.Albert Samain - Musique sur l’eau ; Musique
34.Philippe Soupault - La Roue des Roues
35.Jules Supervielle - À propos de Pedro Figari ; Un peintre ; Je caresse la mappemonde
36.Jean Tardieu - Outils posés sur une table ; HENRI ROUSSEAU LE DOUANIER ; À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR ; LE MIROIR ÉBLOUI ; C’EST À DIRE ; POÈMES À VOIR ; L’ESPACE ET LA FLÛTE ; LE PARQUET SE SOULÈVE ; Nous sommes tes amis ; Les figures du mouvement ; Jean Tardieu quatre fois ; TOUT ET RIEN
37.Roland Topor - AFFICHES ; POÉSIE GRAPHIQUE : Paysage de montagne ; Vaches noires ; La Princesse Angine ; LE CINÉMA DE TOPOR ; LITTÉRATURE ET THÉÂTRE : Alice au pays des lettres
38.Tristan Tzara - Midis gagnés
39.Paul Verlaine - Art poétique
40.Boris Vian - Si les poètes étaient moins bêtes ; Les hommes de fer
41.Théophile de Viau - Un Corbeau devant moi croasse …
42.Alexandre Voisard - L'artiste à l'œuvre
14. Max Ernst
(1891-1976) était un des premiers peintres et sculpteurs allemands, artiste majeur des mouvements Dada et surréaliste. Il a aussi laissé un recueil d’«Écritures»
Le peintre vous permet d'ignorer
ce que c'est qu'un visage.
Evadé du musée de l'homme,
il a choisi d'être mortel.
Mortel comme
le baiser de la Gioconde.
Max Ernst («Écritures», éditions Le Point du Jour, 1970)
à rapprocher des «Alphabets» d’Henri Michaux, une écriture inventive de Max Ernst.
Max Ernst («Festin», lithographies de Max Ernst et poèmes de Pierre Herbey)
Une autre écriture
Eau-forte pour le frontispice de l'ouvrage "Ecritures",
Max Ernst («Écritures», éditions Le Point Cardinal, 1970)
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15. Jean Follain
(1903-1971), écrivain et poète français né à Saint-Lô, a côtoyé André Salmon, Pierre Reverdy, Pierre Mac Orlan, Max Jacob, Guillevic et Pierre Albert-Birot.
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Plusieurs peintres ont donné leur version de cette scène, dont la réalité n’a jamais été démontrée, puisqu’il n’existe pas de tableau du Tintoret la représentant.
Dans ce poème, Jean Follain fait aussi référence à une oeuvre du Tintoret, "les Trois pommes» .
Le Tintoret avait peint une fresque pour La Scuola Grande San Rocco à Venise, de 1577 à 1588. Un fragment de 58 cm x 25 cm de cette frise était caché par un repli et protégé de la lumière.
Il ne fut découvert qu'au début du XXe siècle, ce qui explique que les pommes rouges aient gardé leur éclat initial. (source de l’image : http://www.e-venise.com/scuole_venise/scuola_grande_san_rocco_venise_5.htm )
il passait des voitures au loin
le peintre est mort à son tour
de longs rails aujourd’hui
corsètent la terre
et la cisèlent
la Renaissance résiste
dans le clair-obscur des musées
les voix muent
souvent même le silence
est comme épuisé
mais la pomme rouge demeure.
Jean Follain ("Territoires", Gallimard, 1969)
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16. Guillevic
Eugène de son prénom (1), Guillevic (1907-1997) a traversé le XXe siècle et ses courants littéraires de sa poésie rocailleuse et si humaine.
Il observe le surréalisme (André Breton, Paul Éluard) sans y appartenir (2).
Proche en 1941, de l'École de Rochefort, créée pendant l'occupation comme une forme de résistance et de liberté contre les normes de la poésie "officielle", avec un groupe d'amis dont le poète René-Guy Cadou, il participe à la presse clandestine de la Résistance aux côtés de Paul Éluard et de Pierre Seghers, et adhère au Parti Communiste.
(1) Guillevic ne voulait pas qu'on mentionne son prénom.
(2) Dans un entretien en 1991, Guillevic déclare :
"Je considère peut-être à tort que le surréalisme n’a pas enrichi la langue. Il s’agit d’une langue plate [...] Le poète est forcément un révolté, je ne dis pas révolutionnaire, contre tout pouvoir établi. C’est le contraire d’un conservateur, c’est un novateur qui a pour charge de défendre la langue [...] Ce langage doit mettre en contact, doit être un révélateur, un élément de communication, de communion" ...
Grand Prix de poésie de l'Académie française (1976) et Grand Prix national de poésie (1984), Guillevic se définit lui-même comme un "poète breton d'expression française" :
"J’ai joué sur la pierre
De mes regards et de mes doigts
Et mêlées à la mer,
S’en allant sur la mer,
Revenant par la mer,
J’ai cru à des réponses de la pierre".
Carnac (1961)
Il écrit dans son premier recueil de poèmes, Terraqué* (1942) :
" Les mots, les mots
Ne se laissent pas faire
...
Et toute langue
Est étrangère."
("Art poétique", strophe I)
* Terraqué : ce mot forgé par l'auteur vient de "terre" et "aqua", terraqua : la terre et l'eau.
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Le chant (extrait)
Le chant c'est comme l'eau d'un ruisseau
qui coule sur des galets,
Vers la source.
C'est la promesse de la source au soleil.
Tous peuvent avoir accès au chant.
Certains ne le savent pas.
Le chant a une manière bien à lui
d'ouvrir des blessures enchanteresses.
Ne te fatigue pas à chanter.
Ou bien le chant te porte en sortant de toi,
ou tu l'attends.
Eugène Guillevic ("Le Chant", poème 1987-1988 - éditions Gallimard, 1990)
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Art poétique (extrait)
C'est aussi le titre du recueil. Un autre poème s'intitule "Art poétique", dans "Terraqué"
Si je fais couler du sable
De ma main gauche à ma paume droite,
C'est bien sûr pour le plaisir
De toucher la pierre devenue poudre,
Mais c'est aussi et davantage
Pour donner du corps au temps,
Pour ainsi sentir le temps
Couler, s'écouler
Et aussi le faire
Revenir en arrière, se renier.
En faisant glisser du sable,
J'écris un poème contre le temps.
Guillevic ("Art Poétique" - poème 1985-1986, Gallimard, 1989)
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Regarder
1
Avant de regarder
Par la fenêtre ouverte,
Je ne sais pas
Ce que ce sera.
2
Ce n’est pas
Que ce soit la première fois.
Depuis des années
Je recommence
Au même endroit
Par la même fenêtre.
3
Pourtant je ne sais pas
Ce que mon regard, ce soir,
Va choisir dans cette masse de choses
Qui est là,
Dehors.
Ce qu’il va retenir
Pour son bien-être.
4
Il peut aller loin.
Peu de couleurs.
Peu de courbes.
Beaucoup de lignes.
Des formes,
Accumulées
Par des générations.
5
Je laisse à mon regard
Beaucoup de temps,
Tout le temps qu’il faut.
Je ne le dirige pas.
Pas exprès.
6
J’espère que ce soir
Il va trouver de quoi :
Par exemple
Un toit, du ciel.
Et que je vais pouvoir
Agréer ce qu’il a choisi,
L’accueillir en moi,
Le garder longtemps.
Pour la gloire
De la journée.
Guillevic ("Étier", poèmes 1965-1975 - éditions Gallimard, 1979)
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LES COLLABORATIONS AVEC DES PEINTRES
Guillevic a réalisé, en collaboration avec des artistes, peintres, graveurs, dessinateurs, environ 150 ouvrages de toutes dimensions, du format «boîte d’allumettes» au format «affiche», certains en auto-édition a très peu d’exemplaires ...
Quelques exemples :
avec JEAN DUBUFFET
«Paysage habité», lithographie double page de Jean Dubuffet
pour l’ouvrage «Élégies» de Guillevic
(éditions du Point du Jour,NRF, 1946)
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Deux des 15 lithographies originales de Jean Dubuffet pour l’ouvrage illustrant les 12 parties du poème de Guillevic «Les Murs» (Éditions du livre, 1950).
Les murs (extraits)
1.
Les murs sont compagnons,
Posés toujours qu’ils sont pour le
coude et la paume
Et dressés vers les yeux,
Ayant un peu de terre
Où confier leur bonté quand ils en
ont excès
Et paraissant avoir prouvé leur
Innocence
A se trouver dans l’air tout en
vivant de noir.
(...)
3.
C’est dans les murs
Que sont les portes
Par où l’on peut entrer
Et par l’une
Arriver.
(...)
5.
Les murs quand ils sont hauts,
Surtout ceux qui n’ont pas fenêtres
et rideaux,
Qui ont traînées parfois de gris
jaune et de noir
Dessous les cheminées,
Sont bons pour être écrans aux
visions des passants
Qui n’y trouvent pas forme ni leçon,
Mais soupirail :
Un géant rouge a fait grand signe
Et sur les toits ses pieds vont vite.
C’est au ciel qu’il s’en prend,
C’est à l’été. Il a du feu entre les
bras.
Il a laissé tomber un astre ou un
enfant.
Il dit : Vengeance. Il se rasseoit.
C’était un pauvre.
(...)
7.
Voir le dedans des murs
Ne nous est pas donné.
On a beau les casser,
Leur façade est montrée.
Bien sûr que c’est pareil
En nous et dans les murs,
Mais voir
Apaiserait.
(...)
12.
Un homme
Est devenu jaloux des murs,
Et puis, têtu, c’est des racines
Qu’il ne peut plus se démêler.
Il assoit à l’écart
Un corps habitué,
Exclut les portes,
Exclut le temps,
Voit dans le noir
Et dit : amour.
Guillevic («Les Murs», édition illustrée par Jean Dubuffet, Éditions du livre, 1950)
Cette suite de 12 poèmes titrée «Les murs» est initialement parue dans «Exécutoire», Gallimard, 1947).
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avec JULIUS BALTAZAR
Dans le recueil posthume «Relier», Lucie Guillevic-Albertini, l’épouse du poète, a rassemblé des textes écrits entre 1938 et 1996, dispersés dans des ouvrages d’artistes, la plupart connus de seulement quelques initiés.
Dans un second ouvrage , «Accorder» (Gallimard, 2013), complète ce travail.
«Tourbillon» est dédié au peintre avec lequel Guillevic a collaboré étroitement pour de nombreux ouvrages : Julius Baltazar
Tourbillon
à Julius Baltazar
Il faut
Pour tes images
Des poèmes qui montent
Et qui s’enfoncent,
Vont quelque part,
Qui sait où ?
*
Mais il y a
Dans nos langages
Le tien
Comme le mien,
Un tourbillon
Qui a du sens.
*
Il a du sens, c’est sûr,
Il aide à vivre
Plus haut
qu’au départ
Il nous aspire
Il nous incorpore
*
Nous,
Nous ne tournons pas
Que sur nous-mêmes,
Mais autour
D’un axe
Qui porte
Le tourbillon du monde.
*
Est-ce une danse
Que nous infligent
Les mots, les couleurs ?
Non, car la danse
Se contente d’elle-même.
Nous deux
Nous voulons trouver.
Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)
«Se dénuager» , ouvrage de Guillevic illustré et auto-édité par Julius Baltazar à seulement trois exemplaires, 1990, puis publié aux éditions Gallimard en 2007.
Dans l’original de cet ouvrage, le texte autographe calligraphié par Guillevic et le lavis bleuté à l’aquarelle, avec encre de chine et crayon arlequin de Julius Baltazar sont étroitement liés, la graphie poétique et évocatrice de Guillevic et l’illustration faisant un seul poème visuel.
Se dénuager
On ne peut pas dire
Que l’on voit
Voler les nuages,
On les voit plutôt
Se traîner
Hésitants,
Ne sachant ni qui, ni quoi,
Ni où ils vont,
Ni ce qu’ils deviendront,
Pas même ce qu’ils sont.
Guillevic
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«D’une lune», est un autre ouvrage de Guillevic en collaboration avec Julius Baltazar, qui l’a illustré de quatre lithographies rehaussées au crayon Arlequin, sur papier Japon appliqué sur Arches (André Biren, 1991).
«D’une lune», double page
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«L’infini» (Jacques Matarasso, 1987)
est un ouvrage de taille très réduite (6 x 7 cm), fait de collages de textes imprimés sur papier et illustré de gravures en taille douce de Baltazar (ci-dessous exemplaire dédicacé par Baltazar à Jacques Matarasso
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«Cette lumière» (Jacques Matarasso, 1987)
est un ouvrage de taille très réduite (6 x 7 cm), fait de collages de textes imprimés sur papier et illustré de gravures en taille douce de Baltazar (ci-dessous exemplaire dédicacé par Baltazar à Jacques Matarasso - source : http://catalogue.gazette-drouot.com )
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avec RENÉ LAUBIÈS
«Grisé». texte de Guillevic avec 4 lithographies de René Laubiès ( éd Zoé Christiani, 1990).
Que se passe-t-il ?
Quoi que je traverse
je suis entouré de sources
Qui coulent,
Qui m’inondent
et ne me mouillent pas.
Guillevic («Grisé»)
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avec ALFRED MANESSIER
«Cymbalum»
Texte d’Eugène Guillevic : 20 poèmes sur le thème de la nature et du paysage llustrés par quatre aquatintes de Manessier
(Au Vent d’Arles, 1973)
Cymbalum (extraits)
Une tige
D'arbuste
Qui aurait pu
Se balancer encore
S'est éprise
De son silence
(...)
Un buisson
Présent
Dans le pré
Pour la douceur
De l’espace
Voulue surtout
Par l’horizon
Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)
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avec JEAN CORTOT
«Échappées» (éditions Adélie, 1995) - ci-dessous un aperçu de cet ouvrage, réalisé en pliage accordéon, une des aquarelles de Jean Cortot, et le début du texte du poème, qui figure à la toute fin de l’ouvrage.
Échappées
Ne me laissez pas seul
Avec moi-même,
Mais laissez·moi tout seul
Avec vous.
Les bruits urbains
Émoussent les aiguillons
Que le silence
Pointe sur les puissants.
On fera dire
À la pierre
Qu'il ne faut pas
Qu'elle s'ennuie.
On te l'accorde. oui,
Tu es la ville,
On connaît ça,
Ne fais pas la fière.
(...)
Guillevic (texte repris dans «Relier, poèmes 1938-1996» rassemblés par Lucie Guillevic-Albertini, Gallimard, 2007)
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avec BERTRAND DORNY
L'ouvrage "Aguets" de Eugène Guillevic, présenté comme le précédent ouvrage en pliage accordéon, a été illustré de gravures par Bertrand Dorny (édité par Robert et Lydie Dutrou, 1991).
C’est le second volume de "Lisière des mots"
Aguets (début du texte)
Dans ce que je vois
Tout autour de moi
Qu’est-ce qui n’est pas
Avertissements ?
*
Il y a
Ce qu’il y a.
Il y a
Ce qu’il n’y a pas.
Il y a
Ce qui est entre les deux.
*
On voudrait qu’il y ait
Dans la hauteur de l’air
Des espèces de joues
Que l’on pourrait gifler.
*
Comme est loin
Ce qui somnole en moi
Et près de moi
Ce que je cherche
Dans les lointains.
*
Le ciel de la nuit
Est un bal continuel,
Mais jamais d'idylle.
*
Je ne récuserai pas
La terre,
Elle fait ce qu'elle peut,
Mais lui échappe
Ce qui nous échappe
Et nous taraude.
*
Et ce goût de néant
Comme si le néant
Avait un goût.
*
Le temps,
J'ai tout mon temps,
Mais il en a, lui,
Beaucoup plus.
*
Ce n'est pas rien
D'avoir à porter le monde,
Courage !
Guillevic
Ce texte figure dans l’ouvrage de Lucie Guillevic-Albertini,«Relier, poèmes 1938-1996» (Gallimard, 2007)
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«Souvenir d'Anvers», dessin de Victor Hugo, plumes, encres brune et noire et lavis, fusain, rehauts de gouache blanche sur papier beige (Maison de Victor Hugo, Paris)
«Victor Hugo n'était pas seulement un homme de lettre, il était également un homme de l'art. C'est après la mort de sa fille Léopoldine que le dessin devint un refuge pour l'écrivain et un moyen d'exprimer ses émotions. Il créa entre 1830 et 1876 environ 35000 dessins» ...
source : http://www.besancon.fr/index.php?p=1557
un autre dessin titré «Chat-huant devant les ruines du Château de Vianden» :
ici un texte à la gloire de la musique
Que la musique date du seizième siècle
(extraits)
Écoutez ! écoutez ! du maître qui palpite,
Sur tous les violons l'archet se précipite.
L'orchestre tressaillant rit dans son antre noir.
Tout parle. C'est ainsi qu'on entend sans les voir,
Le soir, quand la campagne élève un sourd murmure,
Rire les vendangeurs dans une vigne mûre.
Comme sur la colonne un frêle chapiteau,
La flûte épanouie a monté sur l'alto.
Les gammes, chastes sœurs dans la vapeur cachées,
Vident et remplissent leurs amphores penchées,
Se tiennent par la main et chantent tour à tour.
...
Ô concert qui s'envole en flamme à tous les vents !
Gouffre où le crescendo gonfle ses flots mouvants !
Comme l'âme s'émeut ! comme les cœurs écoutent !
Et comme cet archet d'où les notes dégouttent,
Tantôt dans le lumière et tantôt dans la nuit,
Remue avec fierté cet orage de bruit !
...
Heureux ceux qui vivaient dans ce siècle sublime
Où, du génie humain dorant encor la cime,
Le vieux soleil gothique à l'horizon mourait !
Où déjà, dans la nuit emportant son secret,
La cathédrale morte en un sol infidèle
Ne faisait plus jaillir d'églises autour d'elle !
Être immense obstruée encore à tous degrés,
Ainsi qu'une Babel aux abords encombrés,
De donjons, de beffrois, de flèches élancées,
D'édifices construits pour toutes les pensées ;
De génie et de pierre énorme entassement ;
Vaste amas d'où le jour s'en allait lentement !
Siècle mystérieux où la science sombre
De l'antique Dédale agonisait dans l'ombre,
Tandis qu'à l'autre bout de l'horizon confus,
Entre Tasse et Luther, ces deux chênes touffus,
Sereine, et blanchissant de sa lumière pure
Ton dôme merveilleux, ô sainte Architecture,
Dans ce ciel, qu'Albert Dürer admirait à l'écart,
La Musique montait, cette lune de l'art !
Victor Hugo («Les rayons et les ombres»)
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18. Pierre Jean Jouve
(1887-1976) - source Wikipédia -
est un écrivain, poète, romancier et critique français.
Il fut le compagnon de route d'artistes, d'écrivains, de philosophes. Les artistes : le peintre cubiste Albert Gleizes (qui illustra Artificiel) ; le graveur expressionniste belge Frans Masereel, avec qui il fit de nombreux livres avant 1925 ; le grand artiste surréaliste André Masson (qui illustra la 1e édition de Sueur de Sang, 1933) (...) l'éditeur typographe Guy Lévis Mano ("GLM") qui réalisa quelques-uns de ses plus beaux livres ; et enfin le grand peintre Balthus, etc.
Mozart
À Toi quand j’écoutais ton arc—en-ciel d’été:
Le bonheur y commence à mi-hauteur des airs
Les glaives du chagrin
Sont recouverts par mille effusions de nuages et d’oiseaux,
Une ancolie dans la prairie pour plaire au jour
A été oubliée par la faux,
Nostalgie délivrée tendresse si amère
Connaissez-vous Salzburg à six heures l’été
Frissonnement plaisir le soleil est couché est bu par un nuage.
Frissonnement — à Salzburg en été
O divine gaîté* tu vas mourir captive ô jeunesse inventée
Mais un seul jour encore entoure ces vraies collines,
Il a plu, fin d’orage. O divine gaîté*
Apaise ces gens aux yeux fermés dans toutes les salles de concerts du monde.
Pierre Jean Jouve ("Noces, 1925-1931" - Mercure de France)
- on écrit aujourd’hui «gaieté», «gaîté» est une forme vieillie de ce mot
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19. Stéphane Mallarmé
(1842-1898), est identifié comme poète ayant renouvelé le symbolisme, dans un style fermé, "difficile", où la musique du vers prime sur la lisibilité du propos. Il a écrit également des pièces de théâtre et traduit Edgar Poë.
De ce passage, où le poète voudrait, à la manière du "Chinois au coeur limpide et fin", peindre un paysage sur une tasse, on retiendra une étonnante image : "Un clair croissant perdu par une blanche nue / Trempe sa corne calme en la glace des eaux / Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux." :
Peindre un paysage (titre proposé)
(fin du poème "Las de l'amer repos")
[...]
Serein, je vais choisir un jeune paysage
Que je peindrais encor sur les tasses, distrait.
Une ligne d'azur mince et pâle serait
Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue,
Un clair croissant perdu par une blanche nue
Trempe sa corne calme en la glace des eaux,
Non loin de trois grand cils d'émeraude, roseaux.
Stéphane Mallarmé ("Le Parnasse contemporain - Recueil de vers nouveaux", éditions Lemerre, 1867, et "Poésies complètes", 1887)
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20. Henri Michaux
est né à Namur (Belgique) en 1899 et mort à Paris en 1984. Il a acquis en 1955 la nationalité française.
Il découvre Lautréamont (Les chants de Maldoror),.
On en trouve l'empreinte dans son œuvre écrite poétique, "à la marge" du surréalisme. Il écrit des carnets de voyages (Écuador), d'autres récits, ceux-là imaginaires, de voyages en Asie entre-autres, et des récits de ses expériences avec les drogues ...
site de référence (autres adresses plus bas) :
http://www.henrimichaux.org
"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie".
Henri Michaux, chapitre "Observations" écrit en 1950 (recueil "Passages, Gallimard, 1963)
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Peindre
Le déplacement des activités créatrices est un des plus étranges voyages en soi qu'on puisse faire.
Étrange décongestion, mise en sommeil d'une partie de la téte, la parlante, l'écrivante (partie, non, système de connexion plutót). On change de gare de triage quand on se met à peindre.
La fabrique à mots (mots-pensées, mots-images, mors-émotions, mots-motrìcité) disparait, se noie vertigineusement et si simplement. Elle n'y est plus. Le bourgeonnement s'arréte. Nuit. Mort locale. Plus d'envie? d'appétit parleur. La partie de la téte qui s'y trouvait la plus intéressée, se refroidit. C'est une expérience surprenante.
Et quel repos !
Étrange émotion. On retrouve le monde par une autre fenétre. Comme un enfant, il faut apprendre à marcher. On ne sait rien. On bourdonne de questions. On essaie constamment de deviner... de prévoir...
Nouvelles difficultés. Nouvelles tentations.
Tout art a sa tentation propre et ses cadeaux.
II n'y a qu'à laisser venir, laisser faire.
Pour le moment je peins sur des fonds noirs, hermétiquement noirs. Le noir est ma boule de cristal. Du noir seul, je vois de la vie sortir.
Henri Michaux, chapitre "Peindre", écrit en 1938 (recueil "Passages, Gallimard, 1963)
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Henri Michaux s’essaye à l’invention d’un langage universel, sorte d’espéranto graphique.
On consultera avec intérêt le travail de création de polices de caractère s«Michaux» ici : http://www.ben.jammin.free.fr/etc/michaux.pdf
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Son oeuvre picturale (exemple ci-dessous) est importante aussi.
Il peint à l'aquarelle, au crayon, à la gouache ou à l'encre.
Henri Michaux («Émergences-Résurgences“ - Les sentiers de la création”, 1972 - Éditions d’Art Albert Skira)
« Né, élevé, instruit dans un milieu et une culture uniquement du «verbal», je peins pour me déconditionner.
Il faudrait rendre visite au site
http://rebstein.wordpress.com/2013/08/19/emergenze-risorgenze-v/
où Henri Michaux s’exprime largement sur sa pratique picturale, et aussi le «site le plus improbable sur Michaux», ici :
http://henri.michaux.chez-alice.fr
et bien sûr une référence, le site de Jean-Michel Maulpoix :
http://www.maulpoix.net/deplacement.html
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Mouvements (début du poème)
Contre les alvéoles
contre la colle
la colle les uns les autres
le doux les uns les autres
Cactus !
flammes de la noirceur
impétueuses
mères des dagues
racines des batailles s’ élançant dans la plaine
Course qui rampe
rampement qui vole
unité qui fourmille
bloc qui danse
Un défenestré enfin s’envole
un arrache de bas en haut
un arrache de partout
un arrache plus jamais rattaché
Homme arc-bouté
homme au bond
homme dévalant
homme pour l’opération éclair
pour l’opération tempête
pour l’opération sagaie
pour l’opération harpon
pour l’opération requin
pour l’opération arrachement
Homme non selon la chair
mais par le vide et le mal et les flammes intestines
et les bouffées et les décharges nerveuses
et les revers
et les retours
et la rage
et l’écartèlement
et l’emmêlement
et le décollage dans les étincelles
...
Henri Michaux («Mouvements, face aux verrous,» Poésie/Gallimard, 1992)
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L’ouvrage «Par la voie des rythmes» est exclusivement composé de dessins : 82 dessins d’Henri Michaux (éditions La Pleïade et fata morgana, 1974)
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Henri Michaux entame en 1955 des travaux d'écriture poétique et graphique sous mescaline, avec ou sans contrôle médical.
On retrouve les résultats de ces voyages intérieurs, appelés "dessins mescaliniens" dans plusieurs recueils : Misérable Miracle (1956), L’Infini Turbulent (1957), Paix dans les brisements, poème(1959) et des ouvrages où la production artistique s'accompagne d'une auto-évaluation de l'expérience : Connaissance par les gouffres (1961), et Les Grandes épreuves de l’esprit (1966).
Misérable miracle (passage)
«À coups de traits zigzagants, à coups de fuites transversales, à coups de sillages en éclairs, à coups de je ne sais quoi, toujours se reprenant, je vois se prononcer, se dérober, s’affirmer, s’assurer, s’abandonner, se reprendre, se raffermir, à coups de ponctuations, de répétitions, de secousses hésitantes, par lents dévoiements, par fissurations, par indiscernables glissements, je vois se former, se déformer, se redéformer, un édifice tressautant, un édifice en instance, en perpétuelle métamorphose et transubstantiation, allant tantôt vers la forme d’une gigantesque larve, tantôt paraissant le premier projet d’un tapir immense et presque orogénique, ou le pagne encore frémissant d’un danseur noir effondré… »
(«Misérable Miracle», éditions du Rocher, Monaco, 1956 - et collection Le Point du jour, Gallimard, 1972, nouvelle édition revue et augmentée comportant quarante-huit dessins et documents manuscrits originaux de l'auteur - et en Poésie/Gallimard, 1991)
«dessin mescalinien» d’Henri Michaux, à l’encre de chine sur papier, 1958
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MEIDOSEMS
Dans l’ouvrage «MEIDOSEMS», henri Michaux a utilisé, c’est la seule fois, la technique de la lithographie "à même la pierre" en illustration du long poème-titre.
«MEIDOSEMS», Les Editions du Point du Jour, Paris, 1948.
Edition illustrée de 12 lithographies «à même la pierre» sur pur fil d’Arches
une autre lithographie
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Portrait des Meidosems *
(quelques extraits ordonnés)
Dans le recueil, ce texte est divisé en 68 parties sur autant de pages. Le texte intégral de ce long poème halluciné est ici :
http://www.wikipoemes.com/poemes/henri-michaux/portrait-des-meidosems.php)
(...)
L'horloge qui bat les passions dans l'âme des
Meidosems s'éveille.
Son temps s'accélère.
Le monde alentour se hâte, se précipite, allant vers un destin soudain marqué.
(...)
Ils prennent la forme de bulles pour rêver, ils prennent la forme de lianes pour s'émouvoir.
Appuyée contre un mur, un mur du reste que personne ne reverra jamais, une forme faite d'une corde longue est là.
Elle s'enlace.
C'est tout.
C'est une
Meidosemme.
Et elle attend, légèrement affaissée, mais bien moins que n'importe quel cordage de sa dimension appuyé sur lui-même.
(...)
Ce troupeau qui vient là, comme des pachydermes lents, avançant à la file, leur masse est et n'est pas.
Qu'en feraient-ils?
Comment la porteraient-ils?
Cette lourdeur, cette démarche ankylosée n'est qu'un parti qu'ils ont pris pour échapper à leur légèreté qui les épouvante à la longue.
(...)
Quand ils ont des soucis, leur tête se creuse, en jatte, en baquet, mais vide, de plus en plus vide, quoique de plus en plus grand, et ferait presque éclater leur crâne.
Quand deux choses ne leur plaisent pas, entre lesquelles il leur faudrait choisir et décider, quand, entre deux décisions à prendre, chacune désagréable et génératrice probable d'autres désagréments mais difficiles à suivre à l'avance, ils n'arrivent pas à donner la préférence à l'une sur l'autre, qui continue en quelque sorte, à chaque instant, de sonner de la cloche, ils agissent alors en reculant de plus en plus dans leur tête qui fait le vide devant le problème tracassant qui ne les tracasse pas moins pour cela, vide douloureux qui occupe tout, sphère de néant.
(...)
Ici est la ville des murs.
Mais les toits?
Pas de toits.
Mais les maisons?
Pas de maisons.
Ici est la ville des murs.
Plans en mains, vous voyez constamment des
Meidosems chercher à en sortir.
Mais jamais ils n'en sortent.
(...)
Henri Michaux (* texte de 68 pages (!) constituant sous ce titre la troisième partie du recueil «La vie dans les plis», Gallimard, 1949)
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édition illustrée de l’ouvrage «Peintures» (GLM, 1939)
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L’extrait qui suit est issu d’une thèse de doctorat (Serguei Chamchinov, 2006 - Henri Michaux» «Signes», «Gestes», «Mouvements» (Ecriture et Peinture)
source : http://1.static.e-corpus.org/download/notice_file/849545/chamchinov_serguei.pdf
(...) le Clown de Michaux peut être considéré d’abord au sens métaphorique : le personnage tragique. Cette figure est imaginée comme un être misérable. Son visage (...) est presque troué par les yeux-assiettes de l’effroi (tache), sa bouche est presque brisée comme si c’était l’expression d’un cri (encore une tache). Le zigzag comme la forme picturale figure dans cette peinture de Michaux. Il est derrière le personnage, composant le paysage sur le fond sombre du bleu, comme un symbole du destin, du plongement dangereux dans quelque espace (...)
peinture à la gouache (l’original est sur fond bleu) pour l’édition illustrée de l’ouvrage «Peintures» (GLM, 1939), avec 16 gouaches sur fond noir reproduites en niveaux de gris, dont 7 sont accompagnées d'un poème : Tête, Clown (reproduction et poème ci-dessous) ; Paysages : Prince de la nuit ; Dragon ; Combats ; Couché.
Le poème «CLOWN» est souvent proposé au collège ou au lycée. C’est sans doute un de ceux qui révèle le mieux entre les signes les tourments existentiels de l’auteur :
CLOWN
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien,
Je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînements « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
À coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
CLOWN, abattant dans la risée, dans l’esclaffement, dans le grotesque, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous,
ouvert moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, («Peintures», repris dans «L’espace du dedans», Gallimard,1939)
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