Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts» - textes en français 2/4
COLLÈGE et LYCÉE - page 2/4
Printemps des Poètes 2014 «Au cœur des arts» - textes en français 2/4
COLLÈGE et LYCÉE - page 2/4
SOMMAIRE PAR AUTEURS SUR LES 4 PAGES
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1.Guillaume Apollinaire - Les fiançailles ; La Colombe poignardée ; le jet d’eau ; La cravate ; Il pleut ; Marie ; Le présent ; Si je mourais là-bas
2.Louis Aragon - MATISSE PARLE ; LA BELLE ITALIENNE ; Chagall IX (Le ciel est un pays de chèvres ...) ; Les oiseaux déguisés ; Chagall à l'opéra ; Chagall (Tous les animaux et les candélabres) ; CHAGALL N° TANT ET PLUS ; Léger ; La merveille de la musique
3.Jean Hans Arp - Interview de Jean Arp par Camille Bryen ; Flamber et fleurir ; Plastron et fourchette (sculpture) ; Femme paysage (sculpture) ; Une goutte d’homme ; Berger de nuages (sculpture) ; Nombril et nombril ailé (collage) ; Aux anses de coton ; Cuis-moi un tonnerre
4.Charles Baudelaire - Harmonie du soir ; Les phares ; Une gravure fantastique ; Une martyre ; La Musique
5.Maurice Bourg - Embrasement
6.André Breton - Île ; À l’intersection de lignes de force invisibles ... (poème-objet) ; Ces terrains vagues … (poème-objet)
7.René Char - Lettera amorosa ; Allégeance ; l y a deux iris jaunes ... ; LE MONDE DE L’ART N’EST PAS LE MONDE DU PARDON (FRONT DE LA ROSE) ; Dansez, montagnes (Derrière Le Miroir) ; Éloge rupestre de Miró
8.Malcolm de Chazal - aphorismes en forme de poèmes courts ; pensées et aphorismes courts ; pensées et aphorismes en rapport avec la couleur et la lumière
9.Jean Cocteau - Le Coq et l’Arlequin (courts extraits) ; La jeune femme ; Les trois yeux (céramique) ; Le chat (décor de la Chapelle Saint-Blaise des Simples) ; Plain-chant ; Hommage à Igor Stravinsky
10.Lucienne Desnoues - La mort du peintre
11.Heather Duollau - La Liseuse ; extraits divers (dont "Le tableau")
12.Jean Dubuffet - LER DLA CANPANE ; OREILLES GARDÉES ; Ontogénèse (tableau) ; collaborations avec Jacques Berne
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13.PAUL ÉLUARD
textes dédiés à des artistes et textes illustrés par
Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, Valentine Hugo, Max Ernst, Man Ray, Joan Miró, René Magritte, Yves Tanguy, Albrecht Dürer, André Masson ...
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14.Max Ernst - Écritures ; Festin
15.Jean Follain - La pomme rouge
16.Guillevic - J’ai joué sur la pierre … ; Les mots … ; Le chant ; Art poétique ; Regarder ; Paysage habité ; Les murs ; Tourbillon , Se dénuager ; D’une lune ; L’infini ; Cette lumière ; Grisé ; Cymbalum ; Échappées ; Aguets
17.Victor Hugo - dessins ; Que la musique date du seizième siècle
18.Pierre Jean Jouve - Mozart
19.Stéphane Mallarmé - Peindre un paysage
20.Henri Michaux - Peindre ; alphabets ; Émergences-Résurgence ; Mouvements ; Par la voie des rythmes ; Misérable miracle ; Portrait des Meidosems ; CLOWN
21.Gérard de Nerval - Fantaisie ; Avril ; Le coucher du soleil
22.Joseph Noiret - Le jardin bien bêché … ; HISTOIRES NATURELLES DE LA CREVÊCHE ; L'Aube se lève droit devant elle ; Dans la pâte je m’entortouille ; la java des mots
23.Germain Nouveau - Un peu de musique
24.Francis Picabia - FLEUR COUPÉE ; Manifeste DADA ; Pensées sans langage
25.Pablo Picasso - SONGE ET MENSONGE DE FRANCO ; Divers poèmes du Livre ouvert ; 16 mai XXXVI ; 22 MARS XXXVI ; 4 AVRIL XXXV, portrait de jeune fille ; DÉTOURNEMENT/ASSEMBLAGE D’OBJETS
26.Ernest Pignon-Ernest - Robert Desnos en lévitation ; hommage au poète palestinien Mahmoud Darwish
27.Francis Ponge - Nutrition (avec Jean Dubuffet) ; La cruche
28.Jacques Prévert - Les collages de «Fatras» ; Promenade de Picasso ; Bain de soleil ; Pour faire le portrait d’un oiseau ; L’école des Beaux-Arts ; Presque ; Beauté ; Voyages
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29.Pierre Reverdy - Le côté bleu du ciel ; La vie fragile
30.Maurice Rollinat - Coucher de soleil
31.Hector de Saint-Denis-Garneau - Flûte ; Entre le ciel et l’eau - Paysage en deux couleurs ; Baigneuse
32.André Salmon - El Malagueño ; Profond tableau ; Peindre c’est la merveille !
33.Albert Samain - Musique sur l’eau ; Musique
34.Philippe Soupault - La Roue des Roues
35.Jules Supervielle - À propos de Pedro Figari ; Un peintre ; Je caresse la mappemonde
36.Jean Tardieu - Outils posés sur une table ; HENRI ROUSSEAU LE DOUANIER ; À L’OCTROI DU POINT-DU-JOUR ; LE MIROIR ÉBLOUI ; C’EST À DIRE ; POÈMES À VOIR ; L’ESPACE ET LA FLÛTE ; LE PARQUET SE SOULÈVE ; Nous sommes tes amis ; Les figures du mouvement ; Jean Tardieu quatre fois ; TOUT ET RIEN
37.Roland Topor - AFFICHES ; POÉSIE GRAPHIQUE : Paysage de montagne ; Vaches noires ; La Princesse Angine ; LE CINÉMA DE TOPOR ; LITTÉRATURE ET THÉÂTRE : Alice au pays des lettres
38.Paul Verlaine - Art poétique
39.Tristan Tzara - Midis gagnés
40.Boris Vian - Si les poètes étaient moins bêtes ; Les hommes de fer
41.Théophile de Viau - Un Corbeau devant moi croasse …
42.Alexandre Voisard - L'artiste à l'œuvre
Printemps des Poètes 2014 - textes originaux en français - COLLÈGE et LYCÉE - page 2
avec Valentine Hugo :
illustration de Valentine Hugo pour la première version de l’ouvrage «Corps mémorable», 1947, recueil de 14 poèmes de Paul Éluard, dédié à sa femme Nush, morte subitement en novembre 1946.
Lucien Clergue, photographe, illustrera par la suite une autre édition de cet ouvrage, avec un dessin de Picasso et un poème liminaire de Jean Cocteau.
pour Yves Tanguy :
toile de Yves Tanguy : lettre à Paul Éluard , 1933
dédicace du recueil «Comme deux gouttes d’eau « (éd Tchou, 1957) à Yves Tanguy (source : «Paul Éluard et la peinture surréaliste -1910-1939», Jean-Charles Gateau)
Yves Tanguy
Un soir tous les soirs et ce soir comme les autres
Près de la nuit hermaphrodite
A croissance à peine retardée
Les lampes et leur venaison sont sacrifiées
Mais dans l'œil calciné des lynx et des hiboux
Le grand soleil interminable
Crève-cœur des saisons
Le corbeau familial
La puissance de voir que la terre environne.
Il y a des étoiles en relief sur eau froide
Plus noires que la nuit
Ainsi sur l'heure comme une fin l'aurore
Toutes illusions à fleur de mémoire
Toutes les feuilles à l'ombre des parfums.
Et les filles des mains ont beau pour m'endormir
Cambrer leur taille ouvrir les anémones de leurs seins
Je ne prends rien dans ces filets de chair et de frissons
Du bout du monde au crépuscule d'aujourd'hui
Rien ne résiste à mes images désolées.
En guise d'ailes le silence a des plaines gelées
Que le moindre désir fait craquer
La nuit qui se retourne les découvre
Et les rejette à l'horizon.
Nous avions décidé que rien ne se définirait
Que selon le doigt posé par hasard sur les commandes d'un appareil brisé.
Paul Éluard («"Ecrits et Gravures" volume 4,1956 - «La Vie immédiate», Gallimard, 1932, "Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948 et «Œuvres complètes» tome 1/2, La Pléiade, 1968)
couverture de "Voir, Poèmes Peintures Dessins", gravure originale sur cuivre de Raoul Ubac
pour Joan Miró :
«La peinture, c’est étudier la trace d’un petit caillou qui tombe sur la surface de l’eau, l’oiseau en vol, le soleil qui s’échappe vers la mer ou parmi les pins et les lauriers de la montagne.» Joan Miró
ouvrage en collaboration, gravures sur bois (le poème n’y figure pas)
Joan Miró
Soleil de proie prisonnier de ma tête,
Enlève la colline, enlève la forêt.
Le ciel est plus beau que jamais.
Les libellules des raisins
Lui donnent des formes précises
Que je désigne d’un geste.
Nuages du premier jour,
Nuages insensibles et que rien n’autorise,
Leurs graines brûlent
Dans les feux de paille de mes regards.
À la fin, pour se couvrir d’une aube
Il faudra que le ciel soit aussi pur que la nuit.
Paul Éluard (recueil «Capitale de la douleur», chapitre «Répétitions» - Gallimard, 1926 et en Pléïade, réf citée)
Œuvre de Joan Miró titrée «pour Paul Éluard», 1973
pour Juan Gris:
Illustration par Juan Gris du poème qui lui est consacré (ci-dessous) dans «Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948
Juan Gris
De jour merci de nuit prends garde
De douceur la moitié du monde
L'autre montrait rigueur aveugle
Aux veines se lisait un présent sans merci
Aux beautés des contours l'espace limité
Cimentait tous les joints des objets familiers
Table guitare et verre vide
Sur un arpent de terre pleine
De toile blanche d'air nocturne
Table devait se soutenir
Lampe rester pépin de l'ombre
Journal délaissait sa moitié
Deux fois le jour deux fois la nuit
De deux objets un double objet
Un seul ensemble à tout jamais.
Rien ne servait d’emplir le monde avec des mots
Un mur ne pouvait pas éterniser l’écho
De la vie éphémère au décor répété
Il fallait conserver les images utiles
Aux rues se lisait l’homme et sa soif et sa faim
Et les objets d’amour de ses besoins sublimes
L’obligation de vivre et la passion de vivre
Le pavé de la mort moulu par la vermine
Et le bourgeon poisseux comme un baiser vorace
Mais le geste enfanté par l’objet de raison
Le premier geste du seigneur sur la matière
L’objet du geste libérait l’image utile.
Paul Éluard (ouvrage «Voir, Poèmes Peintures Dessins" , publié aux «éditions des Trois collines» en 1948)
Ce poème a été mis en musique par Francis Poulenc dans la cantate «Le travail du peintre», en 1957.
pour Paul Klee :
"Illustration par Paul Klee du poème qui lui est consacré (ci-dessous) dans «Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948
Paul Klee
Sur la pente fatale, le voyageur profile
De la faveur du jour, verglas et sans cailloux,
Et les yeux bleus d'amour, découvre sa saison
Qui porte à tous les doigts de grands astres en bague.
Sur la plage la mer a laissé ses oreilles
Et le sable creusé la place d'un beau crime.
Le supplice est plus dur aux bourreaux qu'aux victimes
Les couteaux sont des singes et les balles des larmes.
Paul Éluard (préface du catalogue d'exposition Paul Klee Paris 1925, repris dans le recueil «Capitale de la douleur», chapitre «Répétitions», dans «Voir» cité plus haut et dans les «Œuvres complètes» tome 1/2, La Pléiade, 1968)
pour Albrecht Dürer :
Dürer
Une rafale une seule
D'horizon à horizon
Et ainsi sur toute la terre
Pour balayer la poussière
Les myriades de feuilles mortes
Pour dépouiller tous les arbres
Pour dévaster les cultures
Pour abattre les oiseaux
Pour éparpiller les vagues
Pour détruire les fumées
Pour rompre l'équilibre
Du soleil le plus chaud
Fuyante masse faiblesse
Monde qui ne pèse rien
Monde ancien qui m'ignore
Ombre affolée
Je ne serai plus libre que dans d'autres bras.
Paul Éluard («La Vie immédiate», Gallimard, 1932, "Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948 et «Œuvres complètes» tome 1/2, La Pléiade, 1968)
Dürer - Adam et Ève
gravure sur cuivre accompagnant le poème «La parole».
La parole
J'ai la beauté facile et c'est heureux.
Je glisse sur les toits des vents
Je glisse sur le toit des mers
Je suis devenue sentimentale
Je ne connais plus le conducteur
Je ne bouge plus soie sur les glaces
Je suis malade fleurs et cailloux
J'aime le plus chinois aux nues
J'aime la plus nue aux écarts d'oiseau
Je suis vieille mais ici je suis belle
Et l'ombre qui descend des fenêtres profondes
Épargne chaque soir le coeur noir de mes yeux.
Paul Éluard («Répétitions», recueil illustré par Max Ernst, éd «A Paris au Sans pareil», 1921 et recueil «Capitale de la douleur», chapitre «Répétitions» - Gallimard, 1926)
avec et pour Man Ray :
source de ce paragraphe Man Ray (une mine d’or !) :
http://www.lettresvolees.fr/eluard/liberte.html
Couverture du recueil «Les Mains libres», Paul Éluard et Man Ray (1937)
Voir ci-dessous le poème dédié au peintre
dans ce recueil ci-dessus, un poème avec son illustration par Man Ray :
Solitaire
J'aurais pu vivre sans toi
Vivre seul
Qui parle
Qui peut vivre seul
Sans toi
Qui
Etre en dépit de tout
Etre en dépit de soi
La nuit est avancée
Comme un bloc de cristal
Je me mêle à la nuit.
Paul Éluard et Man Ray («Les Mains libres»), 1937
toujours dans «Les mains libres», dessin de Man Ray pour un autre poème :
L'évidence
L'homme la plante le jet d'eau
Les flammes calmes certaines bêtes
Et l'impliable oiseau de nuit
Joignent tes yeux
Ils sont debout
Toi tu gardes ton équilibre
Malgré les mains malgré les branches
Malgré la fumée et les ailes
Malgré le désordre et ton lit.
Paul Éluard et Man Ray («Les Mains libres»), 1937
pages poème illustré par Man Ray dans l’ouvrage "Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948
le poème d’Éluard dédié à Man Ray :
Man Ray
L'orage d'une robe qui s'abat
Puis un corps simple sans nuages
Ainsi venez me dire tous vos charmes
Vous qui avez eu votre part de bonheur
Et qui pleurez souvent le sort sinistre de celui qui vous a rendue si heureuse
Vous qui n'avez pas envie de raisonner
Vous qui n'avez pas su faire un homme
Sans en aimer un autre
Dans les espaces de marées d'un corps qui se dévêt
A la mamelle du crépuscule ressemblant
L'œil fait la chaîne sur les dunes négligées
Où les fontaines tiennent dans leurs griffes des mains nues
Vestiges du front nu joues pâles sous les cils de l'horizon
Une larme fusée fiancée au passé
Savoir que la lumière fut fertile
Des hirondelles enfantines prennent la terre pour le ciel
La chambre noire où tous les cailloux du froid sont à vif
Ne dis pas que tu n'as pas peur
Ton regard est à la hauteur de mon épaule
Tu es trop belle pour prêcher la chasteté
Dans la chambre noire où le blé même
Naît de la gourmandise
Reste immobile
Et tu es seule.
Paul Éluard ("Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948 et «Œuvres complètes» tome 1/2, La Pléiade, 1968)
le recueil «Facile» est illustré de photographies de Man Ray
l’image ci-dessous reproduit la page du poème présenté :
Tu te lèves ... (le poème ne porte pas de titre)
Tu te lèves l’eau se déplie
Tu te couches l’eau s’épanouit
Tu es l’eau détournée de ses abîmes
Tu es la terre qui prend racine
Et sur laquelle tout s’établit
Tu fais des bulles de silence dans le désert des bruits
Tu chantes des hymnes nocturnes sur les cordes de l’arc-en-ciel
Tu es partout tu abolis toutes les routes
Tu sacrifies le temps
A l’éternelle jeunesse de la flamme exacte
Que voile la nature en la reproduisant
Femme tu mets au monde un corps toujours pareil
Le tien
Tu es la ressemblance.
Paul Éluard (recueil «Facile», 1935, éd GLM, avec douze photographies de Man Ray, réimprimé en 2004 par Guy Lévis Mano)
pour Georges Braque :
ce tableau de Braque a pu inspirer le poète, mais dans la revue, aucune illustration (ci-dessous la page 15 du n° de La Révolution surréaliste de juillet 1925.)
On y trouvera, avec le poème pour Braque, une gravure de Max Ernst, et un texte d’ Éluard pour André Masson
Georges Braque
Un oiseau s'envole,
II rejette les nues comme un voile inutile,
II n'a jamais craint la lumière,
Enfermé dans son vol
II n'a jamais eu d'ombre.
Coquilles des moissons brisées par le soleil.
Toutes les feuilles dans les bois disent oui,
Elles ne savent dire que oui,
Toute question, toute réponse
Et la rosée coule au fond de ce oui.
Un homme aux yeux légers décrit le ciel d'amour.
Il en rassemble les merveilles
Comme des feuilles dans un bois,
Comme des oiseaux dans leurs ailes
Et des hommes dans le sommeil.
Paul Éluard (paru dans la revue «La Révolution surréaliste, 1925, repris en Pléïade, réf citée)
pour André Masson :
gravure d’André Masson, "L'Espagne Assassinée" 1938.
Cette gravure illustre le poème "Novembre 1936" (texte ci-dessous), dans le portfolio Solidarité, publié par SW Hayter et Atelier 17 à Paris en 1938, au bénéfice du fonds pour les enfants des républicains espagnols de la guerre d’Espagne (1936-39).
Le portfolio contient des œuvres de Picasso, Joan Miró, Yves Tanguy, John Buckland Wright, Dalla Mari, SW Hayter et André Masson.
Novembre 1936
Regardez travailler les bâtisseurs de ruines
Ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes
Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur cette terre
Ils sont au bord de l'homme et le comblent d'ordures
Ils plient au ras du sol des palais sans cervelle.
On s'habitue à tout
Sauf à ces oiseaux de plomb
Sauf à leur haine de ce qui brille
Sauf à leur céder la place.
Parlez du ciel le ciel se vide
L'automne nous importe peu
Nos maîtres ont tapé du pied
Nous avons oublié l'automne
Et nous oublierons nos maîtres...
Ville en baisse océan fait d'une goutte d'eau sauvée
D'un seul diamant cultivé au grand jour
Madrid ville habituelle à ceux qui ont souffert
De cet épouvantable bien qui nie être en exemple
Qui ont souffert
Que la bouche remonte vers sa vérité
Souffle rare sourire comme une chaîne brisée
Que l'homme délivré de son passé absurde
Dresse devant son frère un visage semblable
Et donne à la raison des ailes vagabondes.
Paul Éluard (portfolio «Solidarité», SW Hayter et Atelier 17, 193, poème repris dans «Cours naturel» un recueil dédié à Nusch, avec une eau-forte de Salvador Dali, éditions Sagittaire,1938, et en Pléïade, Œuvres complètes tome I, Gallimard, 1968)
André Masson
La cruauté se noue et la douceur agile se dénoue. L'aimant des ailes prend des visages bien clos, les flammes de la terre s'évadent par les seins
et le jasmin des mains s'ouvre sur une étoile.
Le ciel tout engourdi, le ciel qui se dévoue n'est plus sur nous. L'oubli, mieux que le soir, l'efface. Privée de sang et de reflets, la cadence des tempes et des colonnes subsiste.
Les lignes de la main, autant de branches dans le vent tourbillonnant. Rampe des mois d’hiver, jour pâle d’insomnie, mais aussi, dans les chambres les plus secrètes de l’ombre, la guirlande d’un corps autour de sa splendeur.
Paul Éluard (page 15 du n° de La Révolution surréaliste de juillet 1925 , cette page est reproduite entièrement plus haut).
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page consacrée aux collaborations
de PAUL ÉLUARD
avec des artistes
PAUL ÉLUARD
< AFFICHE D’EXPO 2013
13. PAUL ÉLUARD
(1895-1952) est l'un des plus importants poètes du Surréalisme. Il a aussi participé au mouvement Dada.
On se reportera pour une biographie détaillée à ce lien Wikipédia
Paul Éluard a réalisé une grande partie de son œuvre littéraire poétique en collaboration avec de très nombreux artistes, peintres, graveurs, dessinateurs, sculpteurs, photographes, pour la plupart proches du mouvement surréaliste :
Max Ernst, Pablo Picasso, Salvador Dalí, Fernand Léger, René Magritte, Man Ray, Paul Klee, Jean Dubuffet, Henri Matisse, André Masson, Marc Chagall, Joan Miró, Giorgio De Chirico, André Lhote, Stanley William Hayter, André Deslignères, Dora Maar, Albert Flocon, Roger Chastel, Françoise Gilot, Rose Adler, Lucien Clergue, Hans Bellmer, Valentine Hugo, etc
La liste de la plupart des collaborations du poète avec des artistes sont rassemblées ici :
http://www.lettresvolees.fr/eluard/collaborations.html
pour Picasso :
Ie recueil «Le Phénix» comprend dix-huit dessins de Valentine Hugo - dont celui-ci (éditions G.L.M., 1952)
deux poèmes pour Picasso :
À Pablo Picasso
Bonne journée j'ai revu qui je n'oublie pas
Qui je n'oublierai jamais
Et des femmes fugaces dont les yeux
Me faisaient une haie d'honneur
Elles s'enveloppèrent dans leurs sourires
Bonne journée j'ai vu mes amis sans soucis
Les hommes ne pesaient pas lourd
Un qui passait
Son ombre changée en souris
Fuyait dans le ruisseau
J'ai vu le ciel très grand
Le beau regard des gens privés de tout
Plage distante où personne n'aborde
Bonne journée qui commença mélancolique
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d'aurore
M'entra dans le cœur par surprise.
Paul Éluard
Pablo Picasso
Les armes du sommeil ont creusé dans la nuit
Les sillons merveilleux qui séparent nos têtes.
à travers le diamant, toute médaille est fausse,
Sous le ciel éclatant, la terre est invisible.
Le visage du cour a perdu ses couleurs
et le soleil nous cherche et la mer est aveugle.
Si nous l'abandonnons, l'horizon a des ailes
Et nos regards au loin dissipent les erreurs.
Paul Éluard
un autre texte, écrit en hommage à Picasso :
Le travail du peintre
À Picasso
I
Entoure ce citron de blanc d'œuf informe
Enrobe ce blanc d'œuf d'un azur souple et fin
La ligne droite et noire a beau venir de toi
L'aube est derrière ton tableau
Et des murs innombrables croulent
Derrière ton tableau et toi l'oeil fixe
Comme un aveugle comme un fou
Tu dresses une haute épée vers le vide
Une main pourquoi pas une seconde main
Et pourquoi pas la bouche nue comme une plume
Pourquoi pas un sourire et pourquoi pas des larmes
Tout au bord de la toile où jouent les petits clous
Voici le jour d'autrui laisse aux ombres leur chance
Et d'un seul mouvement des paupières renonce
II
Tu dressais une haute épée
Comme un drapeau au vent contraire
Tu dressais ton regard contre l'ombre et le vent
Des ténèbres confondantes
Tu n'as pas voulu partager
II n'y a rien à attendre de rien
La pierre ne tombera pas sur toi
Ni l'éloge complaisant
Dur contempteur avance en renonçant
Le plaisir naît au sein de ton refus
L'art pourrait être une grimace
Tu le réduis à n'être qu'une porte
Ouverte par laquelle entre la vie
III
Et l'image conventionnelle du raisin
Posé sur le tapis l'image
Conventionnelle de l'épée
Dressée vers le vide point d'exclamation
Point de stupeur et d'hébétude
Qui donc pourra me la reprocher
Qui donc pourra te reprocher la pose
Immémoriale de tout homme en proie à l'ombre
Les autres sont de l'ombre mais les autres portent
Un fardeau aussi lourd que le tien
Tu es une des branches de l'étoile d'ombre
Qui détermine la lumière
Ils ne nous font pas rire ceux qui parlent d'ombre
Dans les souterrains de la mort
Ceux qui croient au désastre et qui charment leur mort
De mille et une vanités sans une épine
Nous nous portons notre sac de charbon
À l'incendie qui nous confond
IV
Tout commence par des images
Disaient les fous frères de rien
Moi je relie par des images
Toutes les aubes au grand jour
J'ai la meilleure conscience
De nos désirs Sa sont gentils
Doux et violents comme des faux
Dans l'herbe tendre et rougissante
Aujourd'hui nous voulons manger
Ensemble ou bien jouer et rire
Aujourd'hui je voudrais aller
En U. R. S. S. ou bien me reposer
Avec mon cœur à l'épousée
Avec le pouvoir de bien faire
Et l'espoir fort comme une gerbe
De mains liées sur un baiser
V
Picasso mon ami dément
Mon ami sage hors frontières
II n'y a rien sur notre terre
Qui ne soit plus pur que ton nom
J'aime à le dire j'aime à dire
Que tous tes gestes sont signés
Car à partir de là les hommes
Sont justifiés à leur grandeur
Et leur grandeur est différente
Et leur grandeur est tout égale
Elle se tient sur le pavé
Elle se tient sur leurs désirs
VI
Toujours c'est une affaire d'algues
De chevelures de terrains
Une affaire d'amis sincères
Avec des fièvres de fruits mûrs
De morts anciennes de fleurs jeunes
Dans des bouquets incorruptibles
Et la vie donne tout son cœur
Et la mort donne son secret
Une affaire d'amis sincères
A travers les âges parents
La création quotidienne
Dans le bonjour indifférent
VII
Rideau il n'y a pas de rideau
Mais quelques marches à monter
Quelques marches à construire
Sans fatigue et sans soucis
Le travail deviendra un plaisir
Nous n'en avons jamais douté nous savons bien
Que la souffrance est en surcharge et nous voulons
Des textes neufs des toiles vierges après l'amour
Des yeux comme des enclumes
La vue comme l'horizon
Des mains au seuil de connaître
Comme biscuits dans du vin
Et le seul but d'être premier partout
Jour partagé caresse sans degré
Cher camarade à toi d'être premier
Dernier au monde en un monde premier.
Paul Éluard, («Poésie ininterrompue» NRF Gallimard, 1946)
et en collaboration avec Picasso :
Illustration de Picasso pour Le visage de la paix
Le visage de la paix (extrait)
le texte intégral est ici :
http://wikilivres.ca/wiki/Le_Visage_de_la_paix
I
Je connais tous les lieux où la colombe loge
Et le plus naturel est la tête de l’homme.
II
L’amour de la justice et de la liberté
A produit un fruit merveilleux
Un fruit qui ne se gâte point
Car il a le goût du bonheur.
III
Que la terre produise que la terre fleurisse
Que la chair et le sang vivants
Ne soient jamais sacrifiés.
IV
Que le visage humain connaisse
L’utilité de la beauté
Sous l’aile de la réflexion.
V
Pour tous du pain pour tous des roses
Nous avons tous prêté serment
Nous marchons à pas de géant
Et la route n’est pas si longue.
...
Paul Éluard, «Le visage de la paix» - avec 29 lithographies de Pablo Picasso (1951)
Le 26 avril 1937, les avions allemands bombardent Guernica un jour de marché, faisant des milliers de victimes.
Ce poème de 1938 précède de quelques mois et influence sans doute le grand tableau apocalyptique «Guernica» de Picasso (ci-dessus) :
La victoire de Guernica
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort coeur renversé
V
Ils vous ont fait payer le pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
Paul Éluard («Cours naturel» recueil dédié à Nusch, avec une eau-forte de Salvador Dali, éditions Sagittaire,1938)
pour Salvador Dalí :
Ci-dessus, Paul Éluard par Salvador Dali, en 1929 (huile sur carton)
Salvador Dalí
C'est en tirant sur la corde des villes en fanant
Les provinces que le délié des sexes
Accroît les sentiments rugueux du père
En quête d'une végétation nouvelle
Dont les nuits boule de neige
Interdisent à l'adresse de montrer le bout mobile de son nez.
C'est en lissant les graines imperceptibles des désirs
Que l'aiguille s'arrête complaisamment
Sur la dernière minute de l'araignée et du pavot
Sur la céramique de l'iris et du point de suspension
Que l'aiguille se noue sur la fausse audace
De l'arrêt dans les gares et du doigt de la pudeur.
C'est en pavant les rues de nids d'oiseaux
Que le piano des mêlées de géants
Fait passer au profit de la famine
Les chants interminables des changements de grandeur
De deux êtres qui se quittent.
C'est en acceptant de se servir des outils de la rouille
En constatant nonchalamment la bonne foi du métal
Que les mains s'ouvrent aux délices des bouquets
Et autres petits diables des villégiatures
Au fond des poches rayées de rouge.
C'est en s'accrochant à un rideau de mouches
Que la pêcheuse malingre se défend des marins
Elle ne s'intéresse pas à la mer bête et ronde comme
une pomme *
Le bois qui manque la forêt qui n'est pas là
La rencontre qui n'a pas lieu et pour boire
La verdure dans les verres et la bouche qui n'est faite
Que pour pleurer une arme le seul terme de comparaison
Avec la table avec le verre avec les larmes
Et l'ombre forge le squelette du cristal de roche.
C'est pour ne pas laisser ces yeux les nôtres vides
entre nous
Qu'elle tend ses bras nus
La fille sans bijoux la fille à la peau nue
Il faudrait bien par-ci par-là des rochers des vagues
Des femmes pour nous distraire pour nous habiller
Ou des cerises d'émeraudes dans le lait de la rosée.
Tant d'aubes brèves dans les mains
Tant de gestes maniaques pour dissiper l'insomnie
Sous la rebondissante nuit du linge
Face à l'escalier dont chaque marche est le plateau
d'une balance
Face aux oiseaux dressés contre les torrents
L'étoile lourde du beau temps s'ouvre les veines.
* le vers en italique a été supprimé pour le recueil «Voir»
Paul Éluard (Catalogue de l’expo Dalí, 1932 et dans «La Vie immédiate», Gallimard, 1932 ; dans l’ouvrage "Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948 ainsi que dans «Œuvres complètes» tome 1/2, La Pléiade, 1968)
pour René Magritte :
"je ne peins pas ce que je vois, je peins ce que je pense" (Magritte)
René Magritte
Marches de l'œil
À travers les barreaux des formes
Un escalier perpétuel
Le repos qui n'existe pas
Une des marches est cachée par un nuage
Une autre par un grand couteau
Une autre par un arbre qui se déroule
Comme un tapis
Sans gestes
Toutes les marches sont cachées
On a semé les feuilles vertes
Champs immenses forêts déduites
Au coucher des rampes de plomb
Au niveau des clairières
Dans le lait léger du matin
Le sable abreuve de rayons
Les silhouettes des miroirs
Leurs épaules pâles et froides
Leurs sourires décoratifs
L'arbre est teinté de fruits invulnérables.
Paul Éluard («Les Cahiers d’art», 1935 » et »Les Yeux fertiles» 1936)
Le texte qui suit a été publié dans un autre recueil
À René Magritte
Les yeux et les seins nus
Un sourire sur le lit
S’était étendu
La lumière les bras levés
A* sa toilette
La lumière faisait le point
De sa beauté
Sous le lit une valse
Sur le pont d’un navire
Danse de cale basse
Le ciel remue se convertit répare
Lumière épouse une chair éternelle
Et le soleil a la chair ferme et rose
Sourire est peu il lui faut rire un brin
Rien n’est réel que ce rire en parade
Coeur sans respect à l’aise dans ses draps
Rire a la main plus lourde qu’un fruit mûr
Et les malheurs terrestres sont jugés.
* non accentué
Paul Éluard (catalogue expo Magritte New-York, mai 1948 et ouvrage «Voir, Poèmes Peintures Dessins" - éditions des Trois collines, 1948 )
un poème-recueil illustré par René Magritte :
Moralité du sommeil (première partie de ce très long texte en deux parties)
Cordes des distances cordes des lueurs
Cordes d'espérance jetées aux absents
La paresse des enfants
La fleur son éternité
La tempête sa puissance
Les conquêtes du beau temps
La femme son chemin partout
La femme flamme de nature
Tissant la trame du soleil
Et s'exaltant pour m'exalter
Entre les horizons volages
Qui font et défont sa beauté
La forêt couvre ses épaules
Sa chevelure silencieuse
D'un seul bruit d'ailes d'un seul chant
Moisson d'espace
Mais tout se noue en mon domaine
Pour mieux m'incliner m'humilier
La joie la clarté convulsées
Perdent leur éclat leur fraîcheur
Ma souffrance devient visible
Bagarre effrénée sur l'estrade
Visage de crin flambant noir
Odeur de suie plafond de poix
Ours démuselé panthère traquée
Crépuscule de la fureur
Les cages vides sont fermées
Une chèvre aride au ciel étoilé
Vieillit en calculant son âge
L'après-midi fut de brindilles
De façons d'être coutumières
Une étreinte de mains chétives
Dix doigts d'images vacillantes
Voilés de molles bagues blanches
Ainsi mon délire ainsi mon désastre
Ainsi mes forces écroulées
Un rire roulis
Que le jeu ramène vers la table douce
De tes seins légers
Nuit de neige nuit vague
Sur un pont tremblant le sommeil
Fripe la chemise du temps
La vie
Et la courbe de ta poitrine
La retient au bord d'un abîme
[...]
Paul Éluard (« Moralité du sommeil». dessins de Magritte. Éditions de l'aiguille aimantée, avril 1941)
pour Max Ernst :
On trouvera une présentation des collages de l’ouvrage collaboratif «Le malheur des immortels», en suivant ce lien (pdf en téléchargement direct):
Illustration, collage ou recoupement
le tableau de droite est une peinture hommage de Max Ernst à son ami quelques années après la disparition du poète («Après moi le sommeil», huile sur toile, 1958).
Max Ernst
Dans un coin l’inceste agile
Tourne autour de la virginité d’une petite robe.
Dans un coin le ciel délivré
Aux épines de l’orage laisse des boules blanches.
Dans un coin plus clair de tous les yeux
On attend les poissons d’angoisse
Dans un coin la voiture de verdure de l’été
Immobile glorieuse et pour toujours.
A la lueur de la jeunesse
Des lampes allumées très tard
La première montre ses seins que tuent des insectes rouges.
Paul Éluard («Répétitions», recueil illustré par Max Ernst, éd «A Paris au Sans pareil», 1922 et recueil «Capitale de la douleur», chapitre «Répétitions» - Gallimard, 1926)
avec Fernand Léger :
le poème «Liberté» a été publié clandestinement en 1942 par Paul Éluard dans le recueil «Poésie et Vérité», aux «Éditions de la main à la plume».
Le texte a été parachuté sur la France en 1942 par la Royal Air Force.
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffées d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes raisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attendries
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté
Paul Éluard, («Poésies et vérités», 1942)
Wikipédia : "En 1952, à l'initiative de Pierre Seghers, Fernand Léger illustre le poème Liberté en hommage à Éluard qui vient de mourir. Seghers édite et diffuse un « poème-objet ».
Le poème est illustré par Fernand Léger en 1953 sur de grands panneaux de contreplaqué. Les quatre fresques sont installées dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville d'Ivry-sur-Seine depuis 1983"
image empruntée ici :
http://luckasetmoi.blogs-de-voyage.fr/files/2013/04/liberté-fernand-léger.jpg
«Les Constructeurs» éditions Falaize, 1951, illustrations des poèmes par Fernand Léger
avec Jean Lurçat :
«LIBERTÉ, Jean Lurçat, 1943
2,83 x 3,64 m
atelier Picaud, Aubusson
source :
Sur un fond ocre jaune se détachent, au centre, deux astres passant l'un devant l'autre telle une éclipse. Dans les quatre coins de la tapisserie, on peut lire des extraits du poème de Paul Eluard, Liberté ; les derniers mots du poème viennent s'inscrire dans l'astre solaire :
… Pour te connaître / … Pour te nommer / Liberté
Jean Lurçat et Paul Eluard ont côtoyé une génération d'artistes et de mouvements culturels d'avant-garde comme le Surréalisme. Issus de la même génération, ils ont tous deux traversé deux guerres mondiales, connu un engagement politique fort aux côtés du Parti communiste et pris une part active à la Résistance.
Le questionnement sur la paix et la liberté est au cœur de leurs œuvres.
La tapisserie, composée et tissée clandestinement en 1943, montre qu'une œuvre tissée peut être engagée et peut dépasser sa vocation purement décorative.
Le soleil rayonnant de flammes rouges apparaît comme générateur de vie et figure aussi l'espoir. En contraste, la guerre est peut-être représentée par l'astre sombre placé devant le soleil. Cette ombre contient des figures de crânes éparpillées, images de destruction et de mort. Le coq placé au-dessus du soleil revêt plusieurs significations, comme le coq français. Il est peut être ici une évocation de la victoire, un symbole triomphant de la résistance à l'ennemi.
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom
(...)
texte complet un peu plus haut avec Fernand Léger
Paul Éluard, («Poésies et vérités», 1942)
PAUL ÉLUARD