Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique - page 4
auteurs de S à Z - Collège, Lycée en français
Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique - page 4
auteurs de S à Z - Collège, Lycée en français
Les textes proposés dans cette page sont destinés aux élèves du Collège ou du Lycée.
On peut aussi en proposer certains en élémentaire
(voir aussi pour ce niveau la page GS-ÉLÉMENTAIRE).
lieucommun interprète librement et à sa manière le thème de l’insurrection poétique :
Textes s’écartant par la forme ou le fond des critères attendus ;
textes de révolte, de revendication, de survie (voir la page déportation), ou encore existentiels, sur l’état même de poète, d’homme, et le rapport au monde.
Ainsi se recoupent par exemple les thèmes de révolte, de liberté, rejoignant d’autres Printemps des Poètes («éloge de l’autre»)
Une grande partie de ces textes sont importés d’autres pages du site, où on en trouvera d’autres autour du thème 2015.
Ils sont accessibles en cliquant ici :
Printemps des Poètes : HUMOUR
et du blog lieucommun :
Printemps des Poètes : L’AUTRE
André Spire
André Spire (1868-1966) est un écrivain et poète français, militant sioniste (Wikipédia).
NE ...
Quand je valais quelque chose,
Digue ,digue ,digue ;
Quand je valais quelque chose,
Ne touche pas au feu ,
Me disait le grand oncle ;
N'ouvrez pas cette armoire ,
Me disait la servante ;
N'approche pas du puits,
Me disait la grande -mère ;
Ne marche pas si vite ,
Tu te mettras en nage ;
Ne cause pas en route,
Ne regarde pas en l'air ;
Ne regarde pas à droite,
Il y a la fleuriste ;
Ne regarde pas à gauche ,
Il y a le libraire ;
Ne passe pas la rivière ,
Ne monte pas la colline,
N'entre pas dans le bois.
Moi, j'ai pris mon chapeau
En éclatant de rire,
Mon manteau mon bâton
En chantant : digue, digue !
La rivière ,la colline,
Les grands bois ,digue digue,
Digue digue , les beaux yeux,
Et digue ,digue les livres !
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Sans titre
extrait de "Et vous riez !"
j'écrivais,
Une rose s'est écroulée.
Le mystère, j'en ris!
L'âme de mes grand-mères
Ne vient plus visiter mes antiques armoires!
Je n'ai pas peur, quand je suis seul, même à minuit.
Mais, sur ma page, pourquoi ces feuilles rouges;
Pourquoi ce parfum lourd, cette chute..., ce trouble,
Et pourquoi mon poème est-il mort tout à coup ?
André Spire
(Versets : Et vous riez !- Poèmes juifs, Mercure de France, 1909)
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Au peuple
Ils m'ont dit de chanter pour toi, Peuple.
Ils m'ont dit :
Il faut à ses enfants des chansons à danser ;
A ses femmes des lieds pour les longues veillées.
Chante-lui son travail,
Et chante-lui ses jeux;
Chante-lui ses cortèges et ses foules mystiques
Qui font trembler les chefs peureux des Républiques.
Ils m'ont dit :
Chante ce peuple bon, chante ce peuple juste;
Rends ce peuple plus fort en lui chantant sa force,
Et forge-lui des cris pour ses colères.
Peuple, j'ai rencontré les meilleurs de tes fils;
Ceux qui malgré tes rires,
Pendant que tu jouais, pendant que tu dormais,
Entre leurs mains rugueuses ont pris leurs fronts ardents
Les sombres militants, plus tristes que moi-même.
Ils m'ont dit :
Monte sur la montagne, et devant les rochers
Chante ;
Chante au milieu des arbres ; chante sous les nuages ;
Assemble les oiseaux, les troupeaux et les chiens,
Et chante-leur.
Mais tenter d'exalter ces hommes sans désirs,
Ce peuple qui se traîne !
Tu n'as donc pas encore regardé ses yeux vides ?
Viens avec nous,
Rythme-nous des injures pour fouetter son dos mou.
Par crainte de nos coups il lèvera la tête,
Et nous le lancerons contre ceux qui l'écrasent.
André Spire (Poèmes juifs, Versets, 1919)
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Jean Tardieu (1901-1971)
Le dilemme
J’ai vu des barreaux
je m’y suis heurté
c’était l’esprit pur.
J’ai vu des poireaux
je les ai mangés
c’était la nature.
Pas plus avancé !
Toujours des barreaux
toujours des poireaux !
Ah ! si je pouvais
laisser les poireaux
derrière les barreaux
la clé sous la porte
et partir ailleurs
parler d’autre chose !
Jean Tardieu
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Tristan Tzara (1896-1963)
Tristan Tzara (1896-1963) est l'un des fondateurs du mouvement Dada.
Le mouvement Dada dépasse le cadre de l'humour, et pour tout dire celui de la poésie. Il échappe aux critères, aux règles et aux contraintes.
Voici des passages du Manifeste Dada rédigé en 1918 par Tristan Tzara :
"[...] J'écris ce manifeste pour montrer qu'on peut faire les actions opposées ensemble, dans une seule fraîche respiration; je suis contre l'action; pour la continuelle contradiction, pour l'affirmation aussi, je ne suis ni pour ni contre et je n'explique pas car je hais le bon sens. [...]
Une œuvre d'art n'est jamais belle, par décret, objectivement, pour tous. La critique est donc inutile, elle n'existe que subjectivement, pour chacun, et sans le moindre caractère de généralité. [...]
Chaque page doit exploser, soit par le sérieux profond et lourd, le tourbillon, le vertige, le nouveau, l'éternel, par la blague écrasante, par l'enthousiasme des principes ou par la façon d'être imprimée. Voilà un monde chancelant qui fuit, fiancé aux grelots de la gamme infernale, voilà de l'autre côté : des hommes nouveaux. Rudes, bondissants, chevaucheurs de hoquets."
D'autres textes sur le site ici (clic) >> Tristan Tzara, l'humour
les fruits ruinés (titre proposé)
les fruits ruinés
les murs déchiquetés
la neige morte
les heures souillées
les pas verrouillés
ont rompu les rues
la honte de vivre
inonde mes yeux
les foyers éteints
le rire édenté
les places écrasées
la vieillesse harcelée
profilée dans l'âtre
toute la misère
pour marcher dessus
les chevaux éventrés
dans l'arène des têtes
les volets volés
les maisons ouvertes
les enfants dehors
les paroles de paille
pour seule vérité
vide matelas
pour ne pas dormir
ni rire ni rêver
le froid aux entrailles
le fer dans la neige
brûlant dans la gorge
qu'avez-vous fait qu'avez-vous fait
des mains chaudes de tendresse
avez-vous perdu le ciel
dans la tête par le monde
dans la pierre dans le vent
l'amitié et le sourire
comme les chiens à l'abandon
comme des chiens.
Tristan Tzara ("La bonne heure", Raymond Jacquet, 1955)
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Angèle Vannier (1917-1980)
Angèle Vannier est une romancière et poétesse française de Bretagne.
Pierre
Pierre je compatis à ta vie lente et dure
Même le saule en pleurs ne me déchire pas
Comme le verbe d’or caché sous ton armure.
J’entrerai dans ta nuit dans la nuit de Noël
Et quand tu te mettras à tourner sur toi-même
Tu sauras qu’une seule enfant des hommes t’aime
Et se souvient d’avoir été semblable à toi.
Bruyères de mon sang pardonnez-moi l’adieu
Que je vous ai donné sans détourner la tête
Je suis de ce granit qui pense et qui ne peut
Traduire pour Jésus sa prière muette.
Règne du minéral ouvre-moi ton église
Et travaillons ensemble à refuser l’hiver
Pierre levée nous prévaudrons contre l’enfer
Le diable et ses petits ricanent dans la brise
Et qu’ils fassent leurs dents leurs ongles sur nos chairs
Qui durent lentement debout face à la mer.
Angèle Vannier ("Poèmes choisis, 1947-1978" - éditions Rougerie, 1990)
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Émile Verhaeren
Émile Verhaeren (1855-1916) est (très) présent sur le site, dans diverses catégories des Printemps des Poètes passés.
Ce long poème est souvent proposé aux élèves de CM2 en version courte, correspondant au passage mis en couleur. C'est ainsi que l'école me l'a donné à apprendre. J’étais alors en CM2, et ce n’était déjà pas facile.
L'effort
Groupes de travailleurs, fiévreux et haletants,
Qui vous dressez et qui passez au long des temps
Avec le rêve au front des utiles victoires,
Torses carrés et durs, gestes précis et forts,
Marches, courses, arrêts, violences, efforts,
Quelles lignes fières de vaillance et de gloire
Vous inscrivez tragiquement dans ma mémoire !
Je vous aime, gars des pays blonds, beaux conducteurs
De hennissants et clairs et pesants attelages,
Et vous, bûcherons roux des bois pleins de senteurs,
Et toi, paysan fruste et vieux des blancs villages,
Qui n'aimes que les champs et leurs humbles chemins
Et qui jettes la semence d'une ample main
D'abord en l'air, droit devant toi, vers la lumière,
Pour qu'elle en vive un peu, avant de choir en terre ;
Et vous aussi, marins qui partez sur la mer
Avec un simple chant, la nuit, sous les étoiles,
Quand se gonflent, aux vents atlantiques, les voiles
Et que vibrent les mâts et les cordages clairs ;
Et vous, lourds débardeurs dont les larges épaules
Chargent ou déchargent, au long des quais vermeils,
Les navires qui vont et vont sous les soleils
S'assujettir les flots jusqu'aux confins des pôles ;
Et vous encor, chercheurs d'hallucinants métaux,
En des plaines de gel, sur des grèves de neige,
Au fond de pays blancs où le froid vous assiège
Et brusquement vous serre en son immense étau ;
Et vous encor mineurs qui cheminez sous terre,
Le corps rampant, avec la lampe entre vos dents
Jusqu'à la veine étroite où le charbon branlant
Cède sous votre effort obscur et solitaire ;
Et vous enfin, batteurs de fer, forgeurs d'airain,
Visages d'encre et d'or trouant l'ombre et la brume,
Dos musculeux tendus ou ramassés, soudain,
Autour de grands brasiers et d'énormes enclumes,
Lamineurs noirs bâtis pour un oeuvre éternel
Qui s'étend de siècle en siècle toujours plus vaste,
Sur des villes d'effroi, de misère et de faste,
Je vous sens en mon coeur, puissants et fraternels !
Ô ce travail farouche, âpre, tenace, austère,
Sur les plaines, parmi les mers, au coeur des monts,
Serrant ses noeuds partout et rivant ses chaînons
De l'un à l'autre bout des pays de la terre !
Ô ces gestes hardis, dans l'ombre où la clarté,
Ces bras toujours ardents et ces mains jamais lasses,
Ces bras, ces mains unis à travers les espaces
Pour imprimer quand même à l'univers dompté
La marque de l'étreinte et de la force humaines
Et recréer les monts et les mers et les plaines,
D'après une autre volonté.
Émile Verhaeren (La multiple splendeur)
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Anne Vernon (contemporaine)
Anne Vernon publie en 2003 son premier recueil, "Eaux-Fortes", illustré par Adeline Lorthios. Ne pensez pas que cet ouvrage est hors de prix en raison de son titre, non, il est de petit format et vendu 6,10 €.
En voici quelques fragments épars :
Est-ce moi qui choisis le creuset ? ...
Est-ce moi qui choisis le creuset
ou le creuset qui me choisit ?
Allez savoir
et faut-il d'ailleurs
le savoir ?
Ca creuse pareillement.
Anne Vernon ("Eaux-fortes" - éditions Donner à Voir, 2003)
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Alexandre Vialatte (1901-1971)
Alexandre Vialatte a été chroniqueur pour le quotidien régional auvergnat La Montagne et pour le magazine Le Spectacle du monde. Auteur d’un seul recueil poétique, sa plume poétique traverse et illumine ses nombreuses chroniques, ses récits et ses romans (Les Fruits du Congo est le plus connu).
Il a été le premier traducteur en France de Franz Kafka et a également traduit, entre-autres, Nietzsche et Thomas Mann..
Il était l'ami de Henri Pourrat et du peintre Dubuffet. Après la disparition de Vialatte, le dessinateur Honoré (assassiné le 7 janvier 2015 à Charlie-Hebdo) a illustré un choix de ses textes dans le Bestiaire (références plus bas).
On observera qu’une grande partie de ses écrits, chroniques, poèmes, et même romans ont été réunis, publiés après sa mort.
Ainsi, la plupart des poèmes de La paix des jardins datent d’avant les années 50.
« On y décèle déjà le tour d’esprit (plus systématique) du chroniqueur incomparable, et les nostalgies parfois bouffonnes de l’auteur des Fruits du Congo. »
«Dans son jardin simple et candide, Vialatte ramasse ses pommes du Congo, cultive ses nostalgies exotiques. (…) Régalons-nous, une poésie de fin gourmet, et quelle maîtrise, jusque dans la facture du vers à la fois classique et chaloupée comme il faut » (La Nouvelle Revue française citée par l’éditeur ici :
http://www.lesbelleslettres.com/livre/?GCOI=22510100860410 )
«Lire La Paix des jardins, récemment publié aux Belles Lettres, recueil de poèmes intelligemment préfacé, comme les chroniques, par Charles Dantzig. Nostalgique d'une France et d'un empire enfuis, les vers de Vialatte ressuscitent le sachem nommé Lune d'or, les tabacs roses de Manille, la liane de banian, les bayadères charmeuses de najas, les violons trop raclés. Tout un bric- à-brac de mémoire dont le principe tient tout entier dans ce beau vers: "Mes souvenirs sont de petits phoques acrobates ..."
(critique dans http://www.lexpress.fr/informations/les-sommets-de-vialatte_640557.html )
(Correspondance Alexandre Vialatte - Henri Pourrat, 1916-1959
Tome I : Lettres de collège, 1916-1921 (Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand)
Je veux comme un enfant sauvage
Je veux comme un enfant sauvage
Courir dans les tristes palais
Où mon cœur contemple en image
Mademoiselle de Galais,
La belle dame qui promène
En de nostalgiques domaines
L'âme d'un monarque exilé.
Je veux, couronné de cerises,
M'habiller en prince chinois,
Je veux régner sur des banquises
Qui porteraient des noms danois.
Mon cœur qui vole et qui frivole
Attrape les poissons qui volent
Sur la route de Mandalay.
Alexandre Vialatte (La paix des jardins, La Différence, 1990 et Les Belles lettres, 2000)
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les deux textes qui suivent ont été empruntés ici, où vous en trouverez l’intégralité :
Mers coloniales
ou
Cartographies
Parfois, à la clarté des lampes électriques,
Les enfants appliqués de l'étude du soir
Ornent avec amour de bleus géographiques
Les lointains océans du cahier de devoirs.
Car il faut aux enfants des vieux pays du monde,
Pour loger les espoirs de leurs amours futures,
Les pathétiques mers de l'Inde ou de la Sonde
Qu'ils peignent lentement de trois sortes d'azur.
Le bleu tendre leur dit les rêves nostalgiques,
Les princes noirs, les coquillages, les turbans,
Et leur songe attendri sur la mer des Tropiques
Met à la voile avec des fleurs dans les haubans.
Le bleu plus bleu leur dit les rêves d'aventures
Et l'abordage des corsaires opulents,
La Croix du Sud, la nuit australe et les mâtures
Qui craquent sous-officiers les alizés des océans.
Le bleu sombre leur dit les minuits sans étoiles,
Le naufrage éperdu des rêves achevés :
Les matelots sont nus sur le trois-mâts sans voiles
Et les noyés sont verts sur les galions crevés.
[...]
la suite sur le site référencé plus haut
Alexandre Vialatte (La paix des jardins, La Différence, 1990 et Les Belles lettres, 2000
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(Correspondance Alexandre Vialatte - Henri Pourrat)
Syrie 1921
« Les sous-officiers s'ennuient »
(Lettres intimes du sergent-fourrier)
Le sergent du R.I.C.L. a eu les fièvres
Dans cette école où les pères grecs l'ont soigné ;
Maintenant il va jusqu'au bouquet d'oliviers
Dont les ombres sont bleues comme un vase de Sèvres.
Il regarde tourner, au soleil, des moustiques,
Tels les bacilles qu'on voit dans la goutte d'eau,
À la quatrième page des grands journaux,
Faire une école de section microscopique.
Il est triste comme s'il vivait de ses rentes,
Comme la circulaire au sujet du képi,
Comme un homme qui se découvre sans génie
Dans un bar de sous-préfecture à midi trente.
La mouche bleu-noir qui revient de chez Nathan
Et Samuel, en face des coopératives,
Sent le café grillé, le miel et les olives,
Et prend pour un pain de sucre son casque blanc.
[...]
la suite sur le site référencé plus haut
Alexandre Vialatte (La paix des jardins, La Différence, 1990 et Les Belles lettres, 2000)
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Trois textes extraits de l’ouvrage Et c'est ainsi qu'Allah est grand (Julliard,1979 et en poche chez Presses Pocket) et dans Bestiaire (Arléa)
Bestiaire (textes choisis par Michaël Lainé, illustrations d'Honoré, Arléa, 2002)
HOMARD
Le homard est un animal paisible qui devient d’un beau rouge à la cuisson. Il demande à être plongé vivant dans l’eau bouillante. Il l’exige même, d’après les livres de cuisine. La vérité est plus nuancée. Elle ressort parfaitement du charmant épisode qu’avait rimé l’un de nos confrères et qui montrait les démêlés d’un homard au soir de sa vie avec une Américaine hésitante :
Une Américaine
Était incertaine
Quant à la façon de cuire un homard.
– Si nous remettions la chose à plus tard ?…
Disait le homard
À l’Américaine.
On voit par là que le homard n’aspire à la cuisson que comme le chrétien au Ciel. Le chrétien désire le Ciel, mais le plus tard possible. Ce récit fait ressortir aussi la présence d’esprit du homard. Elle s’y montre à son avantage. Précisons de plus que le homard n’aboie pas et qu’il a l’expérience des abîmes de la mer, ce qui le rend très supérieur au chien, et décidait Nerval à le promener en laisse, plutôt qu’un caniche ou un bouledogue, dans les jardins du Palais-Royal. Enfin, le homard est gaucher. Sa pince gauche est bien plus développée que sa pince droite. A moins, toutefois, qu’il n’ait l’esprit de contradiction, et, dans ce cas, sa pince droite est de beaucoup la plus forte. De toute façon, il n’est pas ambidextre. Ou plutôt il l’est en naissant. Mais il passe sa vie misérable à se coincer les pinces dans toutes sortes de pièges. Si bien qu’il les perd constamment. Tantôt c’est l’une, tantôt c’est l’autre. Comme elles repoussent, au contraire des bras de l’homme (le bras de l’homme ne repousse jamais), la dernière en date est plus petite, si bien que le homard ressemble au célèbre empereur Guillaume II, qui avait un bras bien plus petit que l’autre. Il ne put jamais se servir également des deux mains.
Alexandre Vialatte (Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Julliard,1979 et en poche chez Presses Pocket)
repris dans Bestiaire (textes choisis par Michaël Lainé, illustrations d'Honoré, Arléa, 2002)
CHAT
Les chats sont de sales bestioles qui lacèrent les fauteuils et font pipi au milieu des salons, après quoi ils vont s’établir sur les genoux d’une dame respectable, une présidente de confrérie, une grand-mère de parents d’élèves, une lauréate de jeux floraux infiniment maigre et savante. Tel est l’avis de plusieurs personnes autorisées. Ce sont des choses qu’on ne permettrait même pas à un vieux général en retraite tout couvert de décorations, ou au premier vicaire d’une paroisse distinguée. À un igame *, à un banquier utile, à un diplomate en fonction. Et que font les dames ? Elles disent : « Minou, minou, minou. » On voit par là combien le mal est profond. Les chats montent ensuite sur les toits où ils font le sabbat toute la nuit avec des cris affreux d’enfants qu’on assassine. Quand le pharmacien les attrape, il les pèle et garde la peau. Dieu l’a fait, dans sa grande bonté, pour que l’homme puisse caresser le tigre : le chat est un tigre d’appartement. Il est élastique et feutré, soyeux, griffu, plein d’électricité statique. Il se compose, assure un écolier, de deux pattes de devant, de deux pattes de derrière et deux pattes de chaque côté. Derrière lui, ajoute cet enfant, il y a une queue qui devient de plus en plus petite, et puis au bout il n’y a plus rien. On ne saurait mieux peindre le chat. A condition d’ajouter la moustache. Tout le chat se trouve dans la moustache. Elle est sensible aux infrasons, à l’infrarouge et à l’ultraviolet. C’est avec elle qu’il détecte le monde, la température de la soupe, la présence des esprits, l’approche de Lucifer. Les sorcières l’amènent au sabbat.
Les chats perdus se réunissent à Montmartre. Une demoiselle âgée leur apporte à goûter. Devant le Sacré-Cœur. Ils mangent, ils regardent Paris avec sa brume et ses cheminées ; puis ils s’en vont et reviennent pour le dîner. On voit par là qu’ils aiment les grands panoramas. Mais ils n’adorent pas moins les caves. Sur les bateaux, ils voyagent dans les soutes.
* un igame est un inspecteur de l’administration
Alexandre Vialatte (Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Julliard,1979 et en poche chez Presses Pocket)
repris dans Bestiaire (textes choisis par Michaël Lainé, illustrations d'Honoré, Arléa, 2002)
Présentation de l’ouvrage Et c'est ainsi qu'Allah est grand (par l’éditeur Pocket) :
« Étrange destin que celui d'Alexandre Vialatte...
De son vivant, méconnu et célèbre : d'une part vénéré par un seul petit groupe d'initiés, d'autre part adulé par les milliers de lecteurs de " La montagne " qui dévoraient ses chroniques quotidiennes chez le médecin ou le coiffeur. Aujourd'hui, enfin reconnu par tous comme un écrivain de génie. Explorateur des mots, capitaine au long cours de la grammaire et de la syntaxe, Vialatte donne ici ses lettres de noblesse à la chronique en embarquant sur son arche hommes, bêtes, choses, arts et bâtisses dont il étudie les édifiants rapports. Nous le suivons, irrésistiblement aimantés par son humour. Nous évoluons avec délices dans les méandres de la langue française. L'appel de ce magicien du verbe et la cocasserie de son monde sont irrésistibles.»
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un texte à retrouver dans la catégorie Automne du site planetelieucommun :
Automne d’autrefois (titre suggéré)
Les premiers marrons d'Inde tombent le long du trottoir.
Tombent comme des plombs, roulent comme des billes. Autrefois c'était la rentrée.
On les chassait à coups de souliers. Ils avaient une couleur brûlée, brune et brillante.
On discernait dans le brouillard gris la silhouette du kiosque à musique vide comme l'épave d'un bateau naufragé, comme une salle après le bal, comme un lendemain de fête.
Les grands marronniers étaient roux et le sol couvert de coques vertes.
On récitait Rosa la rose...
Alexandre Vialatte (Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Julliard,1979 et en poche chez Presses Pocket)
repris dans Bestiaire (textes choisis par Michaël Lainé, illustrations d'Honoré, Arléa, 2002)
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L'auberge de Jérusalem
(titre du chapitre de l'ouvrage La complainte des enfants frivoles dont est extrait ce passage)
Un soir il vint des bohémiens. C’étaient des hommes étranges et formidables qui vivaient au bord de la route, dans une voiture verte, loin d’une civilisation qu’ils méprisaient. Le jour, leurs ombres s’étendaient toutes bleues sur le sable, comme le grand poisson de Tobie dans l’histoire sainte. Le soir, dans l’ombre, on ne voyait plus que leurs yeux ; ils faisaient accroupis sur la route, des repas sombres de vins noirs et de sauces ténébreuses, ils avaient l’air de manger du charbon et lançaient des crachats blancs sur la poussière ; ils parlaient une langue étrange, dure et mystérieuse, que Jérusalem écoutait sans la comprendre (il se surprenait ensuite à en répéter un mot saisi au hasard, sans savoir ce qu’il disait, comme s’il y avait eu dans ce mot quelque vertu magique). Quand ils avaient fini de manger, les hommes bourraient leur pipe en silence avec du tabac, qui sentait le miel, et les crapauds chantaient dans la vallée. Alors on sentait passer au fond de l’âme un grand désir de pays étrangers, de neiges norvégiennes et de géographies neuves.
Alexandre Vialatte La complainte des enfants frivoles, éditions Le Dilettante, 1999)
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Boris Vian
Boris Vian (1920-1959) est un touche-à-tout de génie.
Diplômé de l'École centrale, il entre comme ingénieur à l'Afnor (Association française de normalisation !) où il sévira quand même quatre années, avant de devenir trompettiste, car il est passionné de musique et de "culture jazz" (il signe des critiques pour des revues spécialisées).
Il écrit parallèlement(1) des poésies et des textes de chansons, qu'il interprètera plus tard, des nouvelles et des romans.
Son oeuvre littéraire la plus connue est le roman L'Écume des jours paru en 1946. Il y en a d'autres, des romans, des nouvelles : L'automne à Pékin (où il n'est question ni de Pékin ni d'automne), L'arrache-coeur, L'Herbe rouge, Vercoquin et le Plancton ... (La présentation et l'étude dans les années 70, du roman L'arrache-coeur en collège ou lycée, a fait polémique).
Boris Vian a également publié des romans noirs sous le pseudonyme de Vernon Sullivan : J'irai cracher sur vos tombes, Et on tuera tous les affreux ... et des pièces de théâtre : L'Équarrissage pour tous, Le Goûter des généraux, Les Bâtisseurs d'empire ...
Il consacre la dernière partie de sa vie à son "métier" de chanteur, avec des titres comme J'suis snob, Je bois, On n'est pas là pour se faire engueuler, la java des bombes atomiques, Le déserteur ...
Ses chansons ont été aussi interprétées par Mouloudji, Serge Reggiani... Le déserteur a été interdite d'antenne.
En 1959, Il scénarise l'adaptation au cinéma de son roman J'irai cracher sur vos tombes et meurt d'une crise cardiaque pendant le visionnage, à l'âge de 39 ans.
(1) Lire la superbe biographie de Noël Arnaud :
Les vies parallèles de Boris Vian.
À tous les enfants
À tous les enfants
Qui sont partis le sac au dos
Par un brumeux matin d’avril
Je voudrais faire un monument
À tous les enfants
Qui ont pleuré le sac au dos
Les yeux baissés sur leurs chagrins
Je voudrais faire un monument
Pas de pierre, pas de béton
Ni de bronze qui devient vert
Sous la morsure aiguës du temps
Un monument de leur souffrance
Un monument de leur terreur
Aussi de leur étonnement
Voilà le monde parfumé
Plein de rires, pleins d’oiseaux bleus
Soudain griffé d’un coup de feu
Un monde neuf où sur un corps
Qui va tomber
Grandit une hache de sang
Mais à tous ceux qui sont restés
Les pieds au chaud sous leur bureau
En calculant le rendement
De la guerre qu’ils ont voulue
À tous les gras tous les cocus
Qui ventripotent dans la vie
Et comptent comptent leurs écus
A tous celui-là je dresserai
Le monument qui leur convient
Avec la schlague, avec le fouet
Avec mes pieds avec mes poings
Avec des mots qui colleront
Sur leurs faux-plis sur leurs bajoues
Des larmes de honte et de boue.
Boris Vian
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Le déserteur
Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C'est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m'en vais déserter
Depuis que je suis né
J'ai vu mourir mon père
J'ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j'étais prisonnier
On m'a volé ma femme
On m'a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J'irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens:
Refusez d'obéir
Refusez de la faire
N'allez pas à la guerre
Refusez de partir
S'il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n'aurai pas d'armes
Et qu'ils pourront tirer
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
Je voudrais pas crever
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
La vie, c'est comme une dent
La vie, c'est comme une dent
D'abord on y a pas pensé
On s'est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu'on soit vraiment guéri
Il faut vous l'arracher, la vie
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
Je mourrai d'un cancer de la colonne vertébrale
Je mourrai d'un cancer de la colonne vertébrale
Ça sera par un soir horrible
Clair, chaud, parfumé, sensuel
Je mourrai d'un pourrissement
De certaines cellules peu connues
Je mourrai d'une jambe arrachée
Par un rat géant jailli d'un trou géant
Je mourrai de cent coupures
Le ciel sera tombé sur moi
Ça se brise comme une vitre lourde
Je mourrai d'un éclat de voix
Crevant mes oreilles
Je mourrai de blessures sourdes
Infligées à deux heures du matin
Par des tueurs indécis et chauves
Je mourrai sans m'apercevoir
Que je meurs, je mourrai
Enseveli sous les ruines sèches
De mille mètres de coton écroulé
Je mourrai noyé dans l'huile de vidange
Foulé aux pieds par des bêtes indifférentes
Et, juste après, par des bêtes différentes
Je mourrai nu, ou vêtu de toile rouge
Ou cousu dans un sac avec des lames de rasoir
Je mourrai peut-être sans m'en faire
Du vernis à ongles aux doigts de pied
Et des larmes plein les mains
Et des larmes plein les mains
Je mourrai quand on décollera
Mes paupières sous un soleil enragé
Quand on me dira lentement
Des méchancetés à l'oreille
Je mourrai de voir torturer des enfants
Et des hommes étonnés et blêmes
Je mourrai rongé vivant
Par des vers, je mourrai les
Mains attachées sous une cascade
Je mourrai brûlé dans un incendie triste
Je mourrai un peu, beaucoup,
Sans passion, mais avec intérêt
Et puis quand tout sera fini
Je mourrai.
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
Pourquoi que je vis
Pourquoi que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube
Pour toucher le sable
Voir le fond de l'eau
Qui devient si bleu
Qui descend si bas
Avec les poissons
Les calmes poissons
Ils paissent le fond
Volent au-dessus
Des algues cheveux
Comme zoizeaux lents
Comme zoizeaux bleus
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
Je veux une vie en forme d'arête
Je veux une vie en forme d'arête
Sur une assiette bleue
Je veux une vie en forme de chose
Au fond d'un machin tout seul
Je veux une vie en forme de sable dans des mains
En forme de pain vert ou de cruche
En forme de savate molle
En forme de faridondaine
De ramoneur ou de lilas
De terre pleine de cailloux
De coiffeur sauvage ou d'édredon fou
Je veux une vie en forme de toi
Et je l'ai, mais ça ne me suffit pas encore
Je ne suis jamais content
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
Tout a été dit cent fois
Tout a été dit cent fois,
Et beaucoup mieux que par moi.
Aussi quand j’écris des vers
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse
C’est que ça m’amuse et je vous chie au nez.
Boris Vian
_ _ _ _ _ _ _
L'évadé
Il a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres
Là-haut, entre les quatre murs
La sirène chantait sans joie
Il respirait l'odeur des arbres
De tout son corps comme une forge
La lumière l'accompagnait
Et lui faisait danser son ombre
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il sautait à travers les herbes
Il a cueilli deux feuilles jaunes
Gorgées de sève et de soleil
Les canons d'acier bleu crachaient
De courtes flammes de feu sec
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l'eau
Il y a plongé son visage
Il riait de joie, il a bu
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il s'est relevé pour sauter
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L'a foudroyé sur l'autre rive
Le sang et l'eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau
Le temps de porter à sa bouche
Deux feuilles gorgées de soleil
Le temps de rire aux assassins
Le temps d'atteindre l'autre rive
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre.
Boris Vian (Chansons - édit Christian Bourgois)
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Paul Vincensini
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Charles Vincent (1840-1888)
résumé de biographie d'après Wikipédia (intégralité ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Vincent )
Pendant la Révolution de 1848, il se fait remarquer par des poèmes révolutionnaires, publiés en 1849 sous le titre Album révolutionnaire. Chants démocratiques.
Il s'établit définitivement en 1850 à Paris, et de réunions chantantes en réunions politiques, il vient naturellement vers le journalisme et la chanson. Charles Vincent devient célèbre.
Il est l'auteur de nombreux romans, poèmes et chansons, dont le recueil intitulé Refrains du dimanche (Paris, 1856), écrit en collaboration avec Édouard Plouvier et illustré par Gustave Doré.
L'enfant de la Révolution de 1848 reste fidèle à la chanson toute sa vie. En 1878, 1881, 1883 et 1886, il est élu président de la célèbre goguette parisienne du Caveau, quatrième du nom.
Profession de foi (24 février 1868)
Je ne suis pas un poète
Que le chant de l'alouette
Fait rêver matin et soir ;
Qui, pour les pleurs d'une blonde,
S'en va désoler le monde
Par des chants de désespoir.
Je ne suis pas un poète
Qu'un bon dîner met en fête,
Qui trinque à toute santé,
Et qui, joyeux virtuose,
Chante l'Univers en rose
Quand son ventre est en gaîté.
Je ne suis pas un poète
Que l'on gagne ou qu'on achète,
Qui, dans ses vers prosternés,
En rimes plates encense
La fastueuse puissance
De tous les fronts couronnés.
Si parfois je suis poète
C'est quand, relevant la tête,
Et las de servilité,
Le peuple enfin dit : "C'est l'heure !
Il faut aujourd'hui qu'on meure
Ou qu'on vive en liberté !"
Charles Vincent (Chansons, mois et toasts, 1882 éditions E. Dentu)
publié dans l'anthologie d'Edmond Thomas
"Voix d'en bas, La poésie ouvrière du XIXe siècle"
collection Actes et Mémoires du peuple, éditions Maspero,1979)
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Liliane Wouters (née en 1930)
Liliane Wouters est une auteure belge de poésies, essais et romans.
À l'enfant que je n'ai pas eu ...
À l'enfant que je n'ai pas eu
mais que d'un homme je reçus
septante fois sept fois et davantage, à l'enfant sage
dont je formai le souffle et le visage...
enfant conçu, toujours inachevé,
qu'on me fait, que je fais, à chaque fois que j'aime,
qui se défait en moi pour donner un poème...
Liliane Wouters
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Ma tête dans le vent ...
Ma tête dans le vent, mes pieds dans leurs chaussures,
mon âme dans son corps.
J'ignore où je m'en vais, la route n'est pas sûre,
au bout m'attend la mort.
Liliane Wouters
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Le bois sec
Brûler Je songe à ma cendre
Quand m’appellent des forêts
Ô feux Mais à leur voix tendre
répond votre chant secret
Je suis né pour cette fête
barbare ces rites purs
ce mortel assaut de bêtes
contre le défi des murs
J’aime la gloire soudaine
des flammes j’aime le bref
sursaut de passion de haine
du feu saluant son chef
Brûler Mon sang me calcine
Pas un coin de chair ombreux
Et si pourtant mes racines
Trouvaient un sol généreux
un peu d’eau et de sel Le sable
d’où je sors verrait des fruits
Non De cette paix durable
la fin seule me séduit
Je ne porte ni lumière
ni chaleur en mon corps mais
ce n’est qu’au centre des pierres
qu’on trouve un feu qui dormait
Verdoyez branches dociles
aux commandements des dieux
Je montre mon bois fossile
C’est lui qui flambe le mieux
Liliane Wouters
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Que m'importent lieu, durée ...
Que m'importent lieu, durée,
si je demeure assurée
de garder toujours l'instant.
Seconde ou siècles, autant
Le vent sur sa route emporte.
Lieu, durée, ah, que m'importe,
tout défile au même train.
je ne saisirai qu'un grain
du sable des destinées,
Pour le cueillir, je suis née.
Liliane Wouters
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Robert Sabatier (né en 1923)
Robert Sabatier est un écrivain connu du grand public pour la saga en sept tomes d’Olivier, le personnage des Allumettes suédoises (1967), qui traverse les remous de l'Histoire, et dont le dernier épisode : Olivier 1940 est paru en 2003.
Robert Sabatier a publié d'autres romans et des recueils de poésies. Il est l'auteur d'une Histoire de la poésie française en 11 volumes, chez Albin Michel (éditée de 1961 à 1988). Cet ouvrage rassemble des textes de poètes, du Moyen Âge jusqu'à la période contemporaine.
Les semblables (extrait)
Autant le dire à celui qui m'écoute :
Je te ressemble à ce point qu'au soleil
Je crois me voir dans ton corps de passage
Et je t'entends en m'écoutant moi-même.
Mon œil a soif des autres, je les crois
Jaillis de moi comme un oiseau de l'oeuf
Et leur coeur bat comme battent mes veines,
Je suis lié par un pacte de sang.
Pas d'ennemis dans l'absolu du monde,
Un même corps, Une même épouvante
Et l'espérance avec sa robe verte
Pour nous unir dans un même refus.
Robert Sabatier ("L'Oiseau de demain" - 1981 - éditions Albin Michel)
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Amina Saïd (contemporaine)
Née d'un père tunisien et d'une mère française, elle réside à Paris depuis 1979, mais retourne régulièrement se ressourcer dans son pays natal où vit toute sa famille1.
Elle suit des études de langues et de littérature anglophone à la Sorbonne. Journaliste, elle est également traductrice ; elle a traduit en français l'écrivain philippin d'expression anglaise Francisco Sionil José2.
Elle a publié plusieurs recueils de poésie, des articles, notamment pour Jeune Afrique, et deux recueils de contes :
« Dans la culture arabe, les genres majeurs sont d'abord la poésie, ensuite le conte. Curieusement, c'est ce que j'ai écrit : de la poésie et des contes. J'ai écrit ces contes dans des moments où j'avais la nostalgie du pays natal. Ce sont des fables de Tunisie que j'entendais dans mon enfance, racontées par ma grand-mère à laquelle j'ai voulu ainsi rendre hommage1. »
Ses poèmes ont été traduits en plusieurs langues — principalement en arabe, allemand, turc, anglais, espagnol et italien3 — et figurent, ainsi que des nouvelles, récits et essais, dans des revues, des anthologies et des ouvrages collectifs4.
Elle a reçu le prix Jean-Malrieu, décerné par la revue Sud en 1989, et le prix Charles-Vidrac de la Société des gens de lettres en 1994, ainsi que le prix international de poésie Antonio Viccaro (Marché de la poésie) en 2004. Elle a été par ailleurs membre du jury (poésie) pour le prix Max-Pol-Fouchet.
source biographique : http://fr.wikipedia.org/wiki/Amina_Saïd
La douleur des seuils (extrait)
(...)
Je suis née plusieurs fois de chaque étoile
je suis morte autant de fois du soleil des jours
j'ai pris très tôt des bateaux pour nulle part
j'ai demandé une chambre dans la patrie des autres je n'avais rien accompli avant nos adieux
j'ai habité le couchant, le levant et l'espace du vent j'étais cette étrangère qu'accompagnait le soir deux fois étrangère entre nord et sur
j'ai gravé des oiseaux tristes sur des pierres grises j'ai dessiné ces pierres et les ai habitées
j'ai construit des radeaux où il n'y avait pas d'océan j'ai dressé des tentes où n'étaient nuls déserts
des caravanes m'ont conduite vers un rêve d'orient mes calligraphies ont voyagé sur le dos des nuages je me suis souvenue de la neige des amandiers
j'ai suivi la route aérienne des oiseaux jusqu'au mont de la lune aux duvets des naissances j'ai appris et oublié toutes les langues de la terre
j'ai fait un grand feu de toutes les patries
j'ai bu quelques soirs au flacon de l'oubli
j'ai cherché mon étoile dans le lit des étoiles
j'ai gardé ton amour au creux de ma paume
j'ai tissé un tapis avec la laine du souvenir
j'ai déplié le monde sous l'arche des commencements j'ai pansé les plaies du crépuscule
j'ai mis en gerbe mes saisons pour les offrir à la vie (...)
Amina Saïd (La douleur des seuils, 2002)
source du poème : http://www.collectif65droitsdesfemmes.org/wp-content/uploads/Doc-Complet-Lecture-complète-Beaux-Jours-15-Mars-2013.pdf
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Jacqueline Saint-Jean (contemporaine)
Née dans les Côtes D'Armor, elle a longtemps vécu en Bretagne. Après des études de lettres à Rennes, elle enseigne au lycée de Lorient pendant sept ans. Professeur à l'IUFM de Toulouse jusqu'en 1995, elle collabore à des recherches et ouvrages collectifs sur la poésie à l'école de 1973 à 1980.
Rédactrice de la revue Rivaginaires, membre du Comité de rédaction d'Encres Vives, elle participe à de nombreuses manifestations et actions pour la poésie, et anime des ateliers d'écriture depuis 1972, en France et au Maroc.
Elle a publié une vingtaine de recueils de poésie.
Prix Poésie pour la jeunesse 1994 pour « Entre lune et loup »
Prix Max-Pol Fouchet 1999 pour « Chemins de bord »
Prix Xavier Grall 2007 pour l’ensemble de son œuvre poétique.
source biographique (résumé) : http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=211
Femmes dressées (extrait)
Femmes dressées sur le ciel blanc
aux terrasses rousses d'Aguersiwal
sentinelles de l'espace
sculptées dans leur attente
Ce soir à l'heure où la nuit espère
où les visages se lèvent
vers les étoiles de la pluie
les regards deviendront rivière
Demain nous aurons des yeux
de lune et de sève.
Jacqueline Saint Jean, Femmes dressées, Atlas secret, 2000
source du poème : http://www.collectif65droitsdesfemmes.org/wp-content/uploads/Doc-Complet-Lecture-complète-Beaux-Jours-15-Mars-2013.pdf
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Visages mouvants (extrait)
Tu es dans le sommeil du livre
quelque part dans l'inachevé
là où les noms vivent la nuit
là où vont s'ouvrir
dans les bogues de l'ombre
les yeux humides des chevaux
là où tressaille
ce frêle visage en fuite
dans l'affolement des feuilles
On s’avance entre des épaves
de portes debout dans l’espace
comme en rêve de seuil en seuil
une présence se dérobe
La distance tressaille
Quelqu’un se tenait dans le noir
frère friable murmurant
dans la gravitation secrète des images
Jacqueline Saint-Jean (extrait de "Visages mouvants", recueil "Chemins de bord" - le Castor Astral, 1999)
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Jean-Philippe Salabreuil (1940-1970)
Jean-Philippe Salabreuil :
(source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Salabreuil )
Après une licence en droit, il prépare une thèse sur "Les coutumes africaines" et séjourne 3 ans en Afrique, y occupant un poste de conseiller auprès du Ministre de l'Éducation congolais.
Son premier recueil, La Liberté des feuilles, est remarqué par Jean Paulhan et parait chez Gallimard en 1964. Il obtient les prix Félix Fénéon et Max Jacob. Dans sa poésie, caractérisée par une rythmique savante, la fluidité d'une musique volontiers élégiaque et de longues envolées lyriques, le "moi" semble disparaître et se confondre avec le cosmos :
"Chercherai-je un sens, ou bien le sens me cherchera-t-il ? Et pourtant quelque chose s'efforce en moi. Il s'achemine un monde obscur vers un vrai livre où je mettrai mon nom. Je suis hanté de sources profondes. J'ai de grands travaux dans le silence. Il me reste à découvrir le premier mot."
Jean-Philippe Salabreuil figure dans de nombreux ouvrages littėraires et dictionnaires de Poésie français et étrangers.
Ces dernières années, de plus en plus de sites web font référence à sa poésie.
Je suis là
Vous me croyez vivant
Je laisse mes yeux ouverts
Je regarde la nuit
Et je sais pour vous plaire
Y poster deux hiboux
Je les poudre d'étoiles
Et les chemins sont fleuves
Entre berges de boue
Je suis là je murmure
Et ces mots vous comprennent
Comme comprend le vent
Ce mélèze où nous sommes
Inondés de fraîcheur
Mais moi je suis ailleurs
Je ne suis pas vivant
Je suis mort et transi
Je ne suis pas ici
Simplement je vous parle
Et vous écoutez sans savoir
Combien ces choses sont lointaines
Combien me font ces feuillages d'ennui
Qui nous dépassent dans la nuit
Et demain seront les traces
De mes pas dans l'autre nuit.
Jean-Philippe Salabreuil (La liberté des feuilles, Gallimard, 1964)
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Albertine Sarrazin (1937-1967)
Albertine Sarrazin est romancière et poète. Emprisonnée 8 années pour délinquance et prostitution, elle a écrit ses romans et ses poèmes derrière les barreaux. Ils racontent sa vie et portent la marque de la prison, de ses rêves de liberté et de son amour pour Julien Sarrazin.
Comme dans presque tous les poèmes de son recueil, l'auteure s'est affranchie de toute ponctuation et ne titre pas les textes (les titres sont proposés). Il faudra choisir sa diction :
Le soleil voudrait saigner sans arrêt ...
(poème sans titre, titres proposé)
Le soleil voudrait saigner sans arrêt
Il coupe mon corps de longues aiguilles
Mais l'aube naîtra d'ici partirai
Un jour n'est pas loin nous reconnaîtrons
Ta voix en liberté franchit mes grilles
Tes cheveux encor dansent tes chansons
je voudrais tant dire et ne parle pas
Car la nuit est froide où sans fin tu brilles
Chut j'écoute en moi l'écho de tes pas
Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)
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Rêve du 7 avril
Les hommes m’ont condamnée
À demeurer loin d’eux
Dans le calme ils m’ont enfermée
Seule à seule
Avec la vierge
Avec la cierge
Et le crochet
Moins puissant que symbolique
Dont ma porte est fermée
La religieuse
M’a percé la main de ce crochet
Symboliquement
Je rêve vers celui
Dont on m’a éloignée
Pour lui j’ai renversé les tiroirs
Du souvenir
De l’avenir
Du revenir
L’homme est revenu
Il a jugé ma révolte enfantine
Et lui aussi s’est détourné
J’ai monté par les escaliers sanglants
Nue encore sous la robe noire
Ma mère pour la première fois souriant
La fille relevée me contant son histoire
Désormais j’étais
Déchue à la terre
Refusée au ciel
On ressortit tout mon courrier d’enfance
Tout ce magique
Toute cette amitié
Tour ce profané
J’ai fait mal aux enfants
Par ce courrier d’enfance
Et me suis renfermée
Ni l’amour
Ni l’amant
Ni l’ami
Ne viennent me délivrer
La moitié de moi qui rôde autour des murs
Me prend par la main
Et franchit le ravin
Et rampe le long des frontières d’Europe
Alors sept coups de feu font éclater le rêve.
Fresnes, 1955
Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)
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La jacasse dans son nœud de ramures
La jacasse dans son nœud de ramures
N’entendit la clé toucher les serrures
Et la prison fuir en un long respir
Parce que la vie ici est soupir
Les carillonneurs regardaient peut-être
Passer le convoi lent de nos fenêtres
Piquées très haut sur l’obscurité
Papillons morts des rondes sans été
Ah tant que la nuit neige sur la chambre
Que je sois cristal et toi mon Décembre
Soumis au ciel nous ne saurions mourir
Ni l’errant désir nous ensevelir
Je suis riche parmi les mendiantes
Et peux bien laisser ma part des enfances
Miséricordieusement leurrer
Tous ces hommes que Noël fait pleurer
Mon amitié chaude cheminée
Garde-leur ce soir le rêve à portée
Et que le beau feu danseur des hivers
Les réconcilie aux froides hiers
Noël, 1959
Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)
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Je suis en partance
Je suis en partance
Aux jours de l'exil
Aucune importance
Je tiens le bon fil
J'ai lu le grand Meaulnes
Je dors si je veux
Mes doigts restent jaunes
Et noirs mes cheveux
Dehors me murmure
À travers le toit
Et chaque voiture
Va passant pour moi
Comme en ta couchette
Rêvant sur le bois
M'abreuve en cachette
À l'eau que tu bois
Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier
Et si j'en ai marre
Plein mon cendrier
J'ajoute une barre
Au calendrier
Amiens, 1958
Véronique Pestel interprète ce poème, devenu chanson, en 2000, sur une musique d'Alain Poirier.
Albertine Sarrazin ("Lettres et Poèmes" - Jean-Jacques Pauvert, 1967)
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Pierre Seghers (1906-1987)
Pierre Seghers est un poète et un éditeur de poésie (Les éditions Seghers publient toujours).
Il est le créateur de la revue des poètes de la Résistance : Poésie 40, qui publie, aussi des textes actuels et de la collection "Poètes d’aujourd’hui", ainsi que de nombreuses anthologies poétiques. Le poème de Pierre Seghers "Merde à Vauban", a été mis en musique et chanté par Léo Ferré.
Les hommes
Le sang doux des arbres
coule dans tes mains,
Le vent du désert
ensable les marbres.
Le chant de la vie
Rouge dans ta voix
Le temps qui s’avoue
Plus vite que toi.
Écoute, on dirait
que la biche brame,
Les bois ont des bras
Des poings, les forêts,
La terre a, profond
De hauts corps en marche,
Des hommes debout
Venus pour parler.
Ils disent qu’ils sont
Le nombre et la masse,
Chacun son regard
Plus clair d’espérer,
Chacun son pas d’homme
Son cœur et sa force,
Ils viennent ici
du fond du passé
Brûler au feu noir
qui fit notre histoire,
Il faudra les croire
Ou bien les tuer !
Pierre Seghers ("le Futur Antérieur")
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Merde à Vauban
Bagnard, au bagne de Vauban
Dans l'île de Ré
Je mange' du pain noir et des murs blancs
Dans l'île de Ré
A la ville m'attend ma mignonne
Mais dans vingt ans
Pour elle je ne serai plus personne
Merde à Vauban
Bagnard, je suis, chaîne et boulet
Tout ça pour rien,
Ils m'ont serré dans l'île de Ré
C'est pour mon bien
On y voit passer les nuages
Qui vont crevant
Moi je vois se faner la fleur de l'âge
Merde à Vauban
Bagnard, ici les demoiselles
Dans l'île de Ré
S'approchent pour voir rogner nos ailes
Dans l'île de Ré
Ah ! Que jamais ne vienne celle
Que j'aimais tant
Pour elle j'ai manqué la belle
Merde à Vauban
Bagnard, la belle elle est là-haut
Dans le ciel gris
Elle s'en va derrière les barreaux
Jusqu'à Paris
Moi je suis au mitard avec elle
Tout en rêvant
A mon amour qu'est la plus belle
Merde à Vauban
Bagnard, le temps qui tant s'allonge
Dans l'île de Ré
Avec ses poux le temps te ronge
Dans l'île de Ré
Où sont ses yeux où est sa bouche
Avec le vent
On dirait parfois que je les touche
Merde à Vauban
C'est un p'tit corbillard tout noir
Etroit et vieux
Qui me sortira d'ici un soir
Et ce sera mieux
Je reverrai la route blanche
Les pieds devant
Mais je chanterai d'en dessous mes planches
Merde à Vauban
Pierre Seghers - musique de Léo Ferré
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Criez, noirs
Criez noirs, un cri de bauxite et de cuivre
Un cri de grumes déroulées, un cri de sisal, d’indigo
Un cri de cimetières de baleines, un cri de palmes, d’arachides, Un long cri de coton, de mil et de sorgho !
Criez, noirs, pour vos richesses subtilisées
dans la traite des Conseils d’Administration, dans les partages fallacieux Criez dans la considération qu’on vous accorde, propriétaires immémoriaux des biens fonciers qu’on absorbe à coups de buvards.
Criez, noirs, un cri d’uranium, un cri de filons et de gites, de placers et de mines d’or, un cri de métal absolu
Un long cri de diamant, un cri de cobalt et de houille
De zinc, de fer, de plomb, de radium et d’étain.
Criez, noirs ! Qu’on vous écorce dans l’arachide
qu’on vous écorche dans la quinine, qu’on vous saigne dans l’hévéas Criez dans le kapok que, sur l’ébène de la table,
et l’acajou, c’est vous. Et que l’on signe sur votre dos.
Criez, noirs, non plus un long chant de pirogues
ou de tam-tam, ou vos griots, ou vos masques du temps jadis Les traverses du chemin de fer, ou les chicotes et les bagnes, Criez aujourd’hui à mort les fausses Bourses des Valeurs.
Criez, noirs ! Un cri de chrome et de platine
Un cri de quartz et de phosphates, un cri de cheminées de mer De gemmes, d’émeraudes, un cri de rubis qu’on épuise Comme on épuise votre sang.
Dans les bougainvillées là-bas.
Gorée sommeille où d’autres négriers reviennent
Ce sont les mêmes. Oubliez l’histoire. Ils sont là
Ils ont jeté l’ancre chez vous. De Wall-Street et du Stock-Exchange leurs plates-formes de forages pompent votre vie. Criez, noirs
Un long cri de pétrole, pour leurs trépans et pour leurs sondes
Criez pour votre sang, criez pour le balayeur noir qui va dans les gerçures de l’hiver, dans les capitales de la finance grelottant, glacé, seul, et ne comprenant pas.
Pierre Seghers ( Deux poèmes inédits, éditions Seghers, 1973)
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Sabine Sicaud (1913-1928)
source Wikipedia :
Sabine Sicaud est née et morte à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.
Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, avant de mourir à l'âge de 15 ans, elle écrit :
"Aux médecins qui viennent me voir :
Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ses poisons de fakir, vert et or..."
Postée en commentaire, cette info : "On peut lire tous les poèmes de Sabine Sicaud et une foule de documents concernant son oeuvre poétique sur ce nouveau site" :
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Le chemin de l’amour
Amour, mon cher amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d’accent, de cœur et d’âge
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles,
De la nuit, de la mer, des îles sans escales.
Je ne crains rien si tu m’as reconnue
Mon amour, de bien loin, pour toi je suis venue.
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t’avais-je perdue ? Dans quelle vie ?
Et qu’oserait le ciel contre nous maintenant ?
Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)
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Vous parler ?
Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.
Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.
La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.
Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.
On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.
J'attends, comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet ...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ? Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être ...
Sabine Sicaud ("Douleur, je vous déteste" et "Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958)
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La chanson du soleil (ou "Vassili")
N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil.
Sabine Sicaud ("Les Poèmes de Sabine Sicaud" - éditions Stock, 1958) - Poème trouvé dans un de ses cahiers, après sa disparition.
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Jean-Pierre Siméon
Jean-Pierre Siméon est né en 1950. Il a publié aux Éditions Cheyne de nombreux recueils de poésies pour les enfants et les adolescents. Il est aussi l'auteur de pièces de théâtre. Il est actuellement directeur du "Printemps des poètes".
Nous sommes faits
Nous sommes faits de tant de choses
du feu qui hante les étoiles
de la jeunesse du verger
de la couleur du sable
de la patience des forêts.
Nous sommes faits
de la chair des roses
de la grêle du printemps
du parfum des ruches
et du souffle de la source.
Notre visage est d’aubépine
comme nos mains sont d’osier
nous sommes de la glaise et de l’oiseau
de la pierre et du ruisseau.
Nous sommes faits
de nos regards, de nos silences
de nos maisons, de nos miroirs
comme du blé de nos poèmes.
Jean-Pierre Siméon ("La nuit respire» - éditions Cheyne, 1987)
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Les couleurs de l'invisible
Je vous dirai la couleur
des choses invisibles
la couleur qu'on entend
la couleur qu'on respire
la guirlande bleue du violon
et la pourpre des guitares
le vert profond du vent
dans le soir
et l'or fragile
d'une caresse
Je vous dirai la voix perdue
dans l'indigo des solitudes
et le calme orangé
près des yeux doux qu'on aime
Je vous dirai l'arc-en-ciel
qui naît en vous
de la patience et de l'oubli
de la défaite du silence
et du geste réconcilié
car comme je vous aime et je vis
dans l'arc-en-ciel de mes songes
Jean-Pierre Siméon ("La nuit respire» - éditions Cheyne, 1987»
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Sans frontières fixes
Sans frontières fixes (Cheyne, 2001) - illustré par Martine Mellinette
Recueil de 26 textes illustrés sur le thème de la Shoah,"Odes" à la fraternité, à la différence, au rejet de la haine, à la paix, à la force de la vie, à l'héritage de l'Humanité...»
Bienheureux les fleuves
qui n’ont pas de frontières
et bienheureux les vents
qui sautent les murailles :
ils sont du pays où ils respirent ;
bienheureuse la nuit,
que partout on accueille
comme une amie de toujours
et bienheureux le hêtre
qui partage son hasard
avec le tremble et l’églantier
Ah, faites-moi un homme
comme une rivière
comme un vent comme un arbre
jouissant du droit du ciel
citoyen du jour où son regard se pose.
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Je ne parlerai pas des arbres
ni de la nuit bruissant dans la paume du ciel
ni des rivages ourlés par la lumière
tant qu’un homme
avouera sa douleur…
de n'avoir faim
que de pain et d'eau
tant qu'un femme
triera des ruines
pour chercher son enfant
...
Je ne parlerai pas
des arbres
Jean-Pierre Siméon («Sans frontières fixes», Cheyne, 2001)
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Je crois
Je crois en ceux qui marchent
à pas nus
face à la nuit
Je crois en ceux qui doutent
et face à leur doute
marchent
Je crois en la beauté oui
parce qu’elle me vient des autres
Je crois au soleil au poisson
à la feuille qui tremble
et puis meurt
en elle je crois encore
après sa mort
je crois en celui
qui n’a pas de patrie
que dans le chant des hommes
et je crois qu’on aime la vie
comme on lutte
à bras le corps
Jean-Pierre Siméon («Le Sentiment du monde», Cheyne, 1994)
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Lettre aux gens très sages
Non il n'est pas fou
Celui qui parle au vent
Aux murs aux rues aux lampadaires
A l'ombre du chat sur la fenêtre
Aux mains fragiles
Qui l'aiment et le connaissent
Il n'est pas fou
Celui qui voit la mer
Dans son miroir
Et des chiens bleus
Dans les nuages
Non il n'est pas fou
Il rêve il rêve
Et nous attend
Sous le manteau de son mystère
Au cœur du monde imagé.
Jean-Pierre Siméon
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Tu ne veux plus tu voudrais
Tu ne veux plus habiter ton quartier
parce que le mur ne promet rien
sous son écorce grise
parce que les rues
n'ont pas de noms d'enfants
parce que l'ombre
y est froide
Tu voudrais que l'air
soit sucré
qu'il soit chaud
comme un feu
qu'il cajole et rassure
comme une barque lente
Tu ne veux plus tu voudrais
simplement être heureux
Jean-Pierre Siméon ("À l'aube du buisson" - éditions Cheyne, 1985)
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Racistes
Voilà ce qu’ils disent :
l’anémone est plus intelligente que la rose
le sable est plus beau que le chat
et la pierre a toujours été
supérieure au potiron
Ils reprochent au noir
d’être plus noir que le blanc
comme si on reprochait au feu
d’être plus chaud que la neige
et au miel d’être plus sucré que la vague
Et s’ils ont peur de leur ombre
c'est qu’ils se doutent un peu
que haïr l’étranger
c’est avoir peur de soi.
Jean-Pierre Siméon ("Sans frontières fixes" - éditions Cheyne, 2001)
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Andrée Sodenkamp (1906-2004)
Andrée Sodenkamp est une poète belge de langue française.
Le printemps
Le printemps garde encor
au bord de la colline
sa face de bois mort.
Un petit arbre neuf, une églantine
blanchi de bas en haut.
L'éclat monte des eaux.
Tout va briller, s'ouvrir
le monde est en soupir
un saule aux clairs cheveux
est si clair qu'il s'efface.
Et le ciel bleu, par place
a des corbeaux heureux.
Andrée Sodenkamp
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Les loups
C'était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J'appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C'était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.
Andrée Sodenkamp
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Jules Supervielle
Jules Supervielle, poète franco-uruguayen de langue française, est né en 1884 à Montevideo, et il est mort à Paris en 1960.
Il a partagé son existence entre deux pays, deux continents, d'où vient peut-être cette approche du monde.
..."L'étoile dit : je tremble au bout d'un fil, si nul ne pense à moi, je cesse d'exister."
Je caresse la mappemonde
Je caresse la mappemonde
Jusqu'à ce que sous mes longs doigts
Naissent des montagnes, des bois,
Et je me mouille en eau profonde
Des fleuves, et je fonce avec eux
Dans l'océan vertigineux
Débordant de partout mes yeux
Dans la fougue d'un autre monde.
Jules Supervielle (poème et citation empruntés à "Poèmes pour les jeunes du temps présent" - Jacques Charpentreau - Les Editions Ouvrières - 1974)
C'est le passage en couleur du poème suivant qui est parfois proposé :
Plein ciel
J'avais un cheval
Dans un champ de ciel
Et je m'enfonçais
Dans le jour ardent.
Rien ne m'arrêtait
J'allais sans savoir,
C'était un navire
Plutôt qu'un cheval
Comme on n'en voit pas, < (...) si on s'arrête là)
Tête de coursier,
Robe de délire,
Un vent qui hennit
En se répandant.
Je montais toujours
Et faisais des signes :
"Suivez mon chemin,
Vous pouvez venir,
Mes meilleurs amis,
La route est sereine,
Le ciel est ouvert".
Mais qui parle ainsi ?
Je me perds de vue,
Dans cette altitude,
Me distinguez-vous ?
Je suis celui qui
Parlait tout à l'heure,
Suis-je encor celui
Qui parle à présent,
Vous-mêmes, amis,
Êtes-vous les mêmes ?
L'un efface l'autre
Et change en montant.
Jules Supervielle
Le double
Mon double se présente et me regarde faire,
II se dit : « Le voilà qui se met à rêver,
II se croit seul alors que je puis l'observer
Quand il baisse les yeux pour creuser sa misère.
Au plus noir de la nuit il ne peut rien cacher
De ce qui fait sa nuit avec ma solitude.
Même au fond du sommeil je monte le chercher,
A pas de loup, craignant de lui paraître rude
Et je l'éclaire avec mon électricité
Délicate, qui ne saurait l'effaroucher,
Je m'approche de lui et le mets à l'étude,
Voyant venir à moi ce que son cœur élude.
Jules Supervielle
Figures
Je bats comme des cartes
Malgré moi des visages,
Et, tous, ils me sont chers.
Parfois l'un tombe à terre
Et j'ai beau le chercher
La carte a disparu.
Je n'en sais rien de plus.
C'était un beau visage
Pourtant, que j'aimais bien.
Je bats les autres cartes.
L'inquiet de ma chambre,
Je veux dire mon coeur,
Continue à brûler
Mais non pour cette carte
Q'une autre a remplacée :
C'est nouveau visage,
Le jeu reste complet
Mais toujours mutilé.
C'est tout ce que je sais,
Nul n'en sait d'avantage.
Jules Supervielle
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Visages de la rue
Visages de la rue, quelle phrase indécise
Écrivez-vous ainsi pour toujours l'effacer
Et faut-il que toujours soit à recommencer
Ce que vous essayer de dire ou de mieux dire ?
...
Jules Supervielle (extrait du poème "le miroir intérieur", 1934 (recueil "Les Amis inconnus" qu'on peut trouver dans "Le Forçat innocent suivi de Les Amis inconnus, collection Poésie-Gallimard, 1969)
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Docilité
La forêt dit : "C'est toujours moi la sacrifiée,
On me harcèle, on me traverse, on me brise à coups de hache,
On me cherche noise, on me tourmente sans raison,
On me lance des oiseaux à la tête ou des fourmis dans les jambes,
Et l'on me grave des noms auxquels je ne puis m'attacher.
Ah ! On ne le sait que trop que je ne puis me défendre
Comme un cheval qu'on agace ou la vache mécontente.
Et pourtant je fais toujours ce qu'on m'avait dit de faire.
On m'ordonna : "Prenez racine." Et je donnai de la racine tant que je pus.
"Faites de l'ombre." Et j'en fis autant qu'il était raisonnable.
"Cessez d'en donner l'hiver." Je perdis mes feuilles jusqu'à la dernière.
Mois par mois et jour par jour je sais bien ce que je dois faire,
Voilà longtemps qu'on n'a plus besoin de me commander.
Alors pourquoi ces bûcherons qui s'en viennent au pas cadencé ?
Que l'on me dise ce qu'on attend de moi, et je le ferai,
Qu'on me réponde par un nuage ou quelque signe dans le ciel,
Je ne suis pas une révoltée, je ne cherche querelle à personne.
Mais il semble tout de même que l'on pourrait bien me répondre
Lorsque le vent qui se lève fait de moi une questionneuse."
Jules Supervielle (La Fable du monde, 1938, Gallimard)
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