Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique - page 3
auteurs de J à R   -   Collège, Lycée en français

⥣⥣ RETOUR à la page d’ACCUEILBienvenue.html
 

Jean Perret (né en 1924)


source biographique :

http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=516


Il a connu un certain nombre d'activités professionnelles. Il a notamment dirigé pendant plus de 25 ans une coopérative de libraires et de papetiers. En outre, et parallèlement, il s'est adonné à de nombreuses activités, littéraires, théâtrales, associatives, ou militantes, changeantes et variées. Engagé "civiquement" et, en autres, dans le domaine des Droits de l'Homme et plus particulièrement dans celui des Droits de l'Enfant, il a assumé des reponsabilités diverses, par exemple au sein d'Amnesty International.


Sur le plan littéraire (outre quelques livres), il s'est fait connaître à travers de nombreuses revues et publications, dont Action-Poétique, Cahiers du Sud, Le pont de l'épée, La Nouvelle poésie Française, Le Journal des Poètes, Bacchanales, Arpa, Verso, etc; ainsi que dans diverses anthologies dont Dictionnaire de la poésie de Jean Rouosselot, La poésie contemporaine de Serge Brindeau, Anthologie de la poésie française de Robert Sabatier. Romancier, poète, essayiste,  Il a participé à la rédaction des revues "L'Action poétique" et "Change".

Quelques recueils poétiques : Liturgie pour la nuit (éditions Millas Martin, 1958) ; Quand Anna murmurait (éditions Chambelland, 1963 et anthologie des poésies, Flammarion, 1999) ; Les états provisoires (POL éditeur, 1984) ; Visage des Nuits (éditions Flammarion, 2005)





  1. *Le Parti de l'Istiqlal (PI ; en arabe حزب الإستقلال, en français, « Parti de l'indépendance ») est le premier parti politique marocain, fondé pour obtenir l'Indépendance étatique du Maroc, et remplacer le protectorat colonial français par une monarchie constitutionnelle.(Wikipédia)

  2. *

AVANT-PROPOS DE MAUVAISE FOI


Ça vous fait rire !


Ça vous fait rire mes poèmes, satire, épître ou complainte, mes citations, mon insistance, ça vous fait rire, vous les esthètes, vous, les gens cultivés, fatigués, vous, les Français.

Ça vous fait rire la poésie politique, l'Algérie dans mes poèmes avec ses interminables cris, ses hurlements de bête assassinée, avec ses voix innombrables clamant l'Istiqlal.

Ça vous fait rire mon parti pris, vous, les politiques, les esprits forts, vous qui conduisez les masses, vous qui dormez dans le lit des masses.


Ça vous fait rire.


Ça vous fait rire ma maladie, ma honte d'être responsable, ma colère et ma rage au cœur.

Ça vous fait rire, vous les poètes classiques, les faiseurs de sonnets fanfarons, d'alexandrins célébrant le culte des dieux nouveaux.


Ça vous fait rire.


Jean Perret (dans "Nommer la peur, poèmes politiques", de Gabriel Cousin et Jean Perret , préface de Georges Mounin  -  collection "J'exige la parole" volume 14  -  éditions P.-J. Oswald, 1967)


- - - - - - - - - - - - - - - - -


dans ce même recueil, un texte de Gabriel Cousin (1918-2010)

Gabriel Cousin est "auteur de quelque 35 ouvrages dont une quinzaine de pièces de théâtre et une vingtaine de recueils de poésies". (Wikipédia)


TORTURES 58


Que les femmes se lèvent et se mettent en

marche.


Que les jeunes filles, que les mères, se lèvent et

crient.


Que les épouses, les amantes, dont le ventre a

senti l'inoubliable fusion, se lèvent et s'assemblent.


Que les amoureuses se dressent et montrent leur

ventre desséché, minéralisé, inutilisé tant que des

bourreaux encercleront la verge de l'homme des bagues

de la dynamo.


Gabriel Cousin, Mai 1958

dans "Nommer la peur, poèmes politiques", de Gabriel Cousin et Jean Perret (éditions P.-J. Oswald, 1967)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jacques Prévert


Jacques Prévert (1900-1977), d’abord poète surréaliste, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera du surréalisme pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ...
Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.

Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.

Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.


Les textes qui suivent, avec parfois une proposition de création poétique, se trouvent déjà sur ce site planètelieucommun (ou le blog lieucommun.canalblog.com) dans les pages des Printemps des Poètes passés (humour, éloge de l’autre ...) - Voyez la page d’accueil.

  1. On trouvera d’autres textes de Prévert pour ce Printemps 2015 dans la catégorie GS et ÉLÉMENTAIRE (< CLIC ICI)


MAI 1968


I


on ferme !

Cri du coeur des gardiens du musée homme usé

Cri du coeur à greffer

à rafistoler

Cri d’un coeur exténué

On ferme !

On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec

On ferme !

On verrouille l'espoir

On cloitre les idées

On ferme !

O.R.T.F. bouclée

Vérités séquestrées

Jeunesse bâillonnée

On ferme !

Et si la jeunesse ouvre la bouche

par la force des choses

par les forces de l'ordre

on la lui fait fermer

On ferme !

Mais la jeunesse à terre

matraquée piétinée

gazée et aveuglée

se relève pour forcer les grandes portes ouvertes

les portes d'un passé mensonger

périmé

On ouvre !

On ouvre sur la vie

la solidarité

et sur la liberté de la lucidité.


II


Des gens s'indignent que l'Odéon soit occupé alors qu'ils trouvent encore tout naturel qu'un acteur occupe, tout seul, la Tragi-Comédie-Française depuis de longues années afin de jouer, en matinée, nuit et soirée, et à bureaux fermés, le rôle de sa vie, l’Homme providentiel, héros d’un très vieux drame du répertoire universel : l'Histoire ancienne.


Jacques Prévert (Choses et autres)


_ _ _ _ _ _ _


Malgré moi


Embauché malgré moi dans l’usine à idées

j’ai refusé de pointer

Mobilisé de même dans l’armée des idées

j’ai déserté

Je n’ai jamais compris grand chose

Il n’y a jamais grand chose

ni petite chose

il y a autre chose


Autre chose

c’est ce que j’aime qui me plaît

et que je fais.


Jacques Prévert (Soleil de nuit)


_ _ _ _ _ _ _


Commémoration de la Commune


À l’école on nous a raconté des histoires

L’histoire de France

Il était une fois un roi et une reine

Ralliez vous à mon panache blanc

Du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent

Notre histoire à nous

Ce sont les jacqueries, les communes

…. Nos batailles

Les grèves, les insurrections

… Nos défaites

Les répressions

Apprenons notre histoire, camarades

En 1871, première grande victoire du prolétariat

La Commune de Paris

Camarades, c’est vous qui écrivez notre histoire.


Jacques Prévert (emprunté à «Octobre: skeches et chœurs parlés pour le groupe Octobre (1932-1936)»,André Heinrich,Gallimard, 2007)


_ _ _ _ _ _ _


Le texte qui suit a été écrit par Prévert  en janvier 1933, date de l’accession au pouvoir d’Hitler :

L’Avènement d’Hitler


Braves gens vous pouvez dormir sur vos deux oreilles

Dormez braves gens Dormez

Mais…

Krach… Krach… Krach….

Les banques de New York baissent leur rideau de fer

Les braves gens sont debout livides au bas du lit

Qu’est-ce que vous dites… Je suis mal reveillé

La bourse de New York va fermer

Comme c’est près New York. Comme c’est près…

Câblez… Câblez… Câblez

Ça va mal au pays de la prospérité

Ford demeure maintenant au rez-de –chaussée

S’il se jette par la fenêtre, on pourra peut-être le sauver…

Ça va mal …

Le bourgeois pleure des larmes et grince des dents

Il devient de plus en plus méchant…

Comme ce grand homme mythologique

Qui n’était sensible qu’au talon

Le bourgeois n’est sensible qu’au fric

Même quand on lui joue du violon

Il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison

Mais il ne peut pas tuer lui-même

Il faut qu’on croie qu’il est bon

Alors il cherche un homme. Comme Diogène

Alors il trouve un homme au fond d’un vieux tonneau de peinture

Hitler… Hitler… Hitler

L’homme de paille pour foutre le feu

Le tueur. Le provocateur

On présente d’abord le monstre en liberté

On le présente aux ouvriers

« C’est un ami presque un frère. Un ancien peintre en bâtiment »

Le moindre mal quoi !

C’est moins dangereux qu’un général

Un ancien peintre en bâtiment

Et maintenant

les quartiers ouvriers sont peints couleur de sang

Là-bas c’est Hitler.

Ici. Demain.

Si l’ouvrier se laisse faire

Ce sera Tardieu ou Weygand ou un autre

Travailleurs attention.

Votre vie est à vous. Ne vous la laissez pas prendre

Socialistes sans Parti Communistes

La main qui tient l’outil ressemble à la main qui tient l’outil

Serrez les poings

Travailleurs attention. Il faut matérialiser votre haine

Haïr. Lutter. S’unir. Voilà nos cris.

Plus que jamais

Prolétaires de tous les pays Unissez-vous !

Jacques Prévert, 1933


_ _ _ _ _ _ _


Lumières d’Hommes


Somnambule en plein midi

même la viande sur la fourchette

même la fourchette à la main

toujours très près des camarades

mais si loin tout de même si loin

et donner la pâtée au chien

mais je voyais la pâtée s’enfuir

le chien courir le long du mur

et j’entendais ses soupirs

et le chien voyait ma lumière

mon astre

et laissait la pâtée courir

j’avais cette lumière là sur moi

comme ça

mais ce n’était pas

ma lumière

elle était là comme ça

j’aurais voulu

j’ai tout essayé

j’aurais voulu m’en débarrasser… partager

mais elle brûlait tout le monde

personne n’en voulait

mais

si je la mettais en veilleuse

tout le monde applaudissait

lumière couleur de lanterne sourde

petite lampe sans danger

elle plaisait

mais la grande lueur de l’indifférence avouée

le vrai lampadaire

le bec de gaz saignant

contre lequel l’amour saignant se cogne

se blesse

se tue

sans vraiment mourir

la comète

le grand rat de cave que chacun porte dans sa poitrine

l’inquiétante et magnifique lueur

cette braise

personne presque personne n’en veut

petits mensonges lumineux couleur de vérité lumineuse

vérités verroteries

lumière béate de l’homme franc qui vous regarde bien en face

salamandre installée dans le front du penseur

bois et charbons

petits briquets de l’amitié

feux de paille

feux de poutres

feux de joies

de Bengale et de tous bois

allumettes

brindilles

boulets bernots

comme vous plaisez !

ne croyez pas que je pousse le cri du ver luisant qui s’excuse de briller

ou la plainte déchirante du cul-de-jatte qui voudrait patiner

non…

je hurle à la lumière avec de l’encre et du papier

le soir tard

et je crie

tout de même

il y a la lumière

chacun a sa lumière

et le monde crève de froid

le monde a peur de se brûler les doigts

évidemment

c’est la lumière qui brille qui brûle qui fait cuire

et qui glace le sang

c’est la grande omelette surprise

le soleil avec des caillots de sang

lueur du cœur

lueur de l’amour

lueur

oh il faut la poursuivre cette lueur aveuglante

elle existe

elle crève les yeux

mais s’ils faut que les yeux crèvent pour tout voir

crevez les yeux

c’est la lumière vivante que chacun porte en soi

et que tout le monde étouffe pour faire comme tout le monde

lumière défendue

tu grilles ceux qui t’approchent

ceux qui veulent te prendre

mais tu les aimes

lumière vivante

la vie c’est toi

la vie vivante qui marche en avant

en revenant sur ses pas

qui marche tout droit qui fait des détours et qui n’en fait pas

soleil de nuit

lune de jour

étoiles de l’après-midi

battements de cœur avant l’amour

pendant l’amour

après l’amour

grande lumière dans l’œil du porc qui fait l’amour

lumière telle que sans abat-jour

lumière brute lumière rouge

lumière crépusculaire

indifférente avide passionnée

lumière de printemps si douce

lumière d’enfant

toujours la même lumière cruelle et lucide

mais parfois si belle

visages qui vous approchez

yeux fermés

bouches ouvertes

tout tourne et tout flambe

vos deux têtes

tête de garçon

tête de fille

vos deux têtes tournent et oublient…

c’est un astre

un instant

une victoire

une prise

éclair obscur du mauvais temps

feux follets de la morale

croix de feu

pétards mouillés

ciboires bien astiqués

malheureux petits soleils de cuivre

ostensoirs

comme ils sont ridicules et blêmes vos rayons

lorsque la lumière de celle qui aime l’amour

rencontre la lumière de celui qui aime l’amour

drôle d’incendie

peu importe sa durée

toujours hier demain bonjour bonsoir autrefois jamais toujours et vous-mêmes

qu’est-ce que ça fout pourvu que ça flambe.


Jacques Prévert (Soleil de nuit)


_ _ _ _ _ _ _

Pater Noster


Notre Père qui êtes au cieux

Restez-y

Et nous nous resterons sur la terre

Qui est quelquefois si jolie

Avec ses mystères de New York

Et puis ses mystères de Paris

Qui valent bien celui de la Trinité

Avec son petit canal de l'Ourcq

Sa grande muraille de Chine

Sa rivière de Morlaix

Ses bêtises de Cambrai

Avec son océan Pacifique

Et ses deux bassins aux Tuileries

Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets

Avec toutes les merveilles du monde

Qui sont là

Simplement sur la terre

Offertes à tout le monde

Éparpillées

Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles

Et qui n'osent se l'avouer

Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer

Avec les épouvantables malheurs du monde

Qui sont légion

Avec leurs légionnaires

Avec leurs tortionnaires

Avec les maîtres de ce monde


Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs

reîtres

Avec les saisons

Avec les années

Avec les jolies filles et avec les vieux cons

Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des

canons.


Jacques Prévert (Paroles, 1945)



_ _ _ _ _ _ _


Barbara


Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

Épanouie ravie ruisselante

Sous la pluie

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest

Et je t'ai croisée rue de Siam

Tu souriais

Et moi je souriais de même

Rappelle-toi Barbara

Toi que je ne connaissais pas

Toi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi

Rappelle-toi quand même ce jour-là

N'oublie pas

Un homme sous un porche s'abritait

Et il a crié ton nom

Barbara

Et tu as couru vers lui sous la pluie

Ruisselante ravie épanouie

Et tu t'es jetée dans ses bras

Rappelle-toi cela Barbara

Et ne m'en veux pas si je te tutoie

Je dis tu à tous ceux que j'aime

Même si je ne les ai vus qu'une seule fois

Je dis tu à tous ceux qui s'aiment

Même si je ne les connais pas

Rappelle-toi Barbara

N'oublie pas

Cette pluie sage et heureuse

Sur ton visage heureux

Sur cette ville heureuse

Cette pluie sur la mer

Sur l'arsenal

Sur le bateau d'Ouessant

Oh Barbara

Quelle connerie la guerre

Qu'es-tu devenue maintenant

Sous cette pluie de fer

De feu d'acier de sang

Et celui qui te serrait dans ses bras

Amoureusement

Est-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh Barbara

Il pleut sans cesse sur Brest

Comme il pleuvait avant

Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé

C'est une pluie de deuil terrible et désolée

Ce n'est même plus l'orage

De fer d'acier de sang

Tout simplement des nuages

Qui crèvent comme des chiens

Des chiens qui disparaissent

Au fil de l'eau sur Brest

Et vont pourrir au loin

Au loin très loin de Brest

Dont il ne reste rien.


Jacques Prévert (Paroles, 1945)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Raymond Queneau


Raymond Queneau (1903-1976) appartient au mouvement surréaliste, qu'il quittera (exclusion), comme beaucoup d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire "Oulipo" (Ouvroir de Littérature Potentielle).

Il invente des règles d'écriture (remplacer par exemple chacun des mots d'un texte par le mot situé dans le dictionnaire 7 mots plus loin).

Auteur en particulier d' Exercices de style et de Zazie dans le Métro, il publie en 1961 l'ouvrage Cent Mille Milliards de Poèmes, qui permet par combinaisons de vers de composer une infinité (ou presque !) de sonnets  réguliers.

Il est élu à l'Académie Goncourt en 1951.

_ _ _ _ _ _ _


Grand standigne


Un jour on démolira

ces beaux immeubles si modernes

on en cassera les carreaux

de plexiglas ou d'ultravitre

on démontera les fourneaux

construits à polytechnique

on sectionnera les antennes

collectives de télévision

on dévissera les ascenseurs

on anéantira les vide-ordures

on broiera les chauffoses

on pulvérisera les frigidons

quand ces immeubles vieilliront

du poids infini de la tristesse des choses


Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)


_ _ _ _ _ _ _


Cris de Paris


On n'entend plus guère le repasseur de couteaux

le réparateur de porcelaines le rempailleur de chaises

on n'entend plus guère que les radios qui bafouillent

des tourne-disques des transistors et des télés

ou bien encore le faible aye aye ouye ouye

que pousse un piéton écrasé


Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)


_ _ _ _ _ _ _


L’espèce humaine


L’espèce humaine m’a donné

le droit d’être mortel

le devoir d’être civilisé

la conscience humaine

deux yeux qui d’ailleurs ne fonctionnent pas très bien

le nez au milieu du visage

deux pieds deux mains

le langage

l’espèce humaine m’a donné

mon père et ma mère

peut-être des frères on ne sait

des cousins à pelletées

et des arrière-grands-pères

l’espèce humaine m’a donné

ses trois facultés

le sentiment l’intelligence et la volonté

chaque chose de façon modérée

l’espèce humaine m’a donné

trente-deux dents un cœur un foie

d’autres viscères et dix doigts

l’espèce humaine m’a donné

de quoi être satisfait


Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1948, Gallimard)


_ _ _ _ _ _ _


Quelqu'un


Quand la chèvre sourit

quand l’arbre tombe

quand le crabe pince

quand l’herbe est sonore

plus d’une maison

plus d’une coquille

plus d’une caverne

plus d’un édredon

entendent là-bas

entendent tout près

entendent très peu

entendent très bien

quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être

et qui pourrait bien être quelqu’un


Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1948, Gallimard)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Charles le Quintrec


Charles Le Quintrec, né en 1926 en Bretagne, est un écrivain et poète français.

Un de ses derniers romans : Les enfants de Kerfontaine (Albin Michel, 2007).


L'enfant


L’enfant n’est pas un ange

Ce n’est pas un démon


Il se cogne aux étoiles

Sans se blesser le front


Roi des eaux sidérales

Il s’invente un royaume


Un royaume à cheval

Entre l’aurore et l’aube


Chaque jour son regard

Recommence le monde.


Charles Le Quintrec


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Paul-Louis Rossi


Paul-Louis Rossi est né en 1933. Romancier, poète, essayiste,  Il a participé à la rédaction des revues "L'Action poétique" et "Change".

Quelques recueils poétiques : Liturgie pour la nuit (éditions Millas Martin, 1958) ; Quand Anna murmurait (éditions Chambelland, 1963 et anthologie des poésies, Flammarion, 1999) ; Les états provisoires (POL éditeur, 1984) ; Visage des Nuits (éditions Flammarion, 2005)


Chaque nuit

Chaque nuit

je me promène

solitaire et calme

contemplant

sous un amas de poussières

les objets de mon insomnie


Paul-Louis Rossi (extrait de "Quand Anna murmurait", anthologie de poésies, Flammarion, 1999)


- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Un texte image pour le thème du Printemps des Poètes :


Les enfants crient (titre proposé)


Les enfants crient        ce soir      dans les ruelles

      obscures tous Italiens       Gitans     Espagnols

Siciliens  Tziganes moitié Juifs moitié       Arabes

    moitié    Sardes    Egéens    Corses     Egyptiens

Grecs     tous fils indignes      des        Villes

   Corinthe   Gênes    Béotie   Massilia   la

Porte       de la Narbonnaise      un point   humide

    chaud

             sans un

                       souffle ...


Paul-Louis Rossi ("Les états provisoires"  - POL éditeur, 1984)



  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jehan Rictus


Jehan Rictus, dont la quasi totalité de l’œuvre est en phase avec le thème de l’insurrection poétique est avec Gaston Couté ici sur le blog lieucommun avec quelques textes, en attendant la mise en ligne sur ce site :

http://lieucommun.canalblog.com/archives/jehan_rictus_et_gaston_coute_z_ont_mal_tourne/index.html


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Madeleine Riffaud


Madeleine Riffaud en 1968 (photo Dityvon) et Madeleine Riffaud aujourd'hui, la même Résistante, seuls les combats ont changé ...



On qualifie parfois Madeleine Riffaud d'"ancienne résistante". C'est faux, elle n'a jamais cessé de résister.
Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a couvert des guerres, des combats, des luttes sociales, publié des romans, des contes pour enfants (
Le chat si extraordinaire ; Contes du Viet-Nam, illustrés de dessins de Ragataya), des romans, des récits  :


Dans les maquis Vietcongs ;

Au Nord-Vietnam : Écrit sous les bombes ;
Les linges de la nuit
) *

et des poèmes :

"Le Poing fermé», références ci-dessous ;

«Le Courage d’aimer», collection «Poésie 49», recueil n°7», Pierre Seghers,1949 ;

«Vienne le temps des pigeons blancs» idem, collection Poésie 51

et «Cheval rouge : anthologie poétique, 1939-1972" , Éditeurs Français Réunis, 1973)




Cet ouvrage réunit les textes des recueils précédents avec 4 dessins originaux d`Abidine


On ne propose aux élèves que les 3 premières strophes du poème qui suit ...

Pour les petites classes, ça se justifie peut-être ...

Madeleine Riffaud l’a écrit en 1940 à l’âge de seize ans, et il annonce son engagement dans l’action moins de deux années plus tard sous le pseudonyme de Rainer (en référence au poète Rainer Maria Rilke).


Il ne faut donc pas réduire ce Cheval bleu à une image de conte de fées, Ce n’est pas un Cheval rouge (autre poème qui donne son titre au recueil) qui aurait adouci sa couleur de sang, il est du même combat.

Il ne prend tout son sens, avec ses «deux ailes acérées», qu’au terme du parcours.


Cheval bleu

J’avais un petit cheval bleu

Qui se promenait dans ma chambre

En liberté, crinière longue

Et des rayons sur ses sabots.


Il galopait sur le bureau,

Sur les bouquins de l’étagère.

Il galopait, tête levée

Sur la steppe blanche des draps.


Il vivait d’un reflet

S’endormait chaque nuit

Dans le creux de mes mains

Comme font les oiseaux.


Mais un soir qu'il dansait, léger

Sur les rayons verts de la lune

Deux ailes acérées

S'ouvrirent dans son dos.


Il s'envola sans m'emporter

Mon cheval bleu aux ailes neuves

Par la fenêtre, sur le ciel.


Plus rien ne bougea dans la nuit

Où deux torrents grondaient tout bas,

Mousse d'argent sur le balcon.

Neige des draps, neige des monts.


Et mes deux mains écartelées.


(1940)


Madeleine Riffaud («Cheval rouge, poèmes 1969-1972» EFR, 1973)


- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Nuit


Il fait noir

Acceptons la nuit,

Nuit :

Terre à étoiles.


Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)


  1. -- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Capturée par la Milice et livrée à  la Gestapo, elle sera emprisonnée et torturée. Elle a écrit le poème qui suit  sur le sol de sa cellule de Fresnes dans la nuit du 4 au 5 août 1944.
Elle  aura la vie sauve grâce aux dernières luttes de la Résistance et à la désorganisation des forces nazies.
Ce poème a été publié dans son ouvrage "On l'appelait Rainer : 1939-1945" (Éditions Julliard, 1994)


Chanson


Ils me banderont les yeux

Avec un mouchoir bleu

Ils me feront mourir

Sans me faire souffrir


Ils m'avaient tué un camarade

Je leur ai tué un camarade.

Ils m'ont battue et enfermée.

Ont mis des fers à mes poignets


-- Sept pas de long

À ma cellule

Et en largeur

Quatre petits -


Elle est murée - plus de lumière -

La fenêtre de mon cachot.

Et, la porte, elle est verrouillée.

J'ai les menottes dans le dos


- Tu te souviens ?

Soirs sur la Seine …

Et les reflets …

Le ciel et l'eau …


Ils sont dehors, mes frères de guerre

Dans le soleil et dans le vent.

Et si je pleure - je pleure souvent -

C'est qu'ici je ne puis rien faire.   


-- Sept pas de long

Et puis un mur

Si durs, les murs

Et la serrure.


Ils ont bien pu tordre mes mains

Je n'ai jamais livré vos noms.

On doit me fusiller - demain.

As-tu très peur, dis ? Oui ou non ?


Le temps a pris

Le mors aux dents !

Courez, courez

Après le temps !


Ceux-là, demain, qui me tueront,

Ne les tuez pas à leur tour.

Ce soir, mon cœur n'est plus qu'amour.

Ce sera comme la chanson :


Les yeux bandés

Le mouchoir bleu

Le poing levé

Le grand adieu !


Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)


- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Mitard


Un allemand, poison et fer

Écrase des souris à grands coups de talon.

Le sol de la cellule est sanglant

De leurs petits corps mutilés.

Une patte levée, dans la chair et le sang.

Un petit cri aigu à transpercer la tête.

Un allemand s’amuse à tuer des souris.

Et la pluie nous rend fous.


Ils m’ont jeté un chapelet

Dans le noir glacé du cachot

- Chaîne de fer et croix de bois -

Le chapelet des fusillés.

Il sent l’église au mois de mai

Fête-Dieu, cierges et encens,

Réticule de mère-grand.

Entre mes mains chaîne légère

Auprès des menottes coupantes.

Ils m’ont jeté un chapelet

Comme au chien un os à ronger.


Les grosses clefs dans les serrures

Même, la nuit tournent encore

Et les éclats de leurs voix dures

Me font sursauter si je dors.


Bottes ferrées dans les couloirs.

Porte entrouverte et refermée :

Un camarade est emmené.

Sur les murs, il y a des cris

Des mots gravés avec un clou.

Oh désespoir, ou espoir fou

De ceux qui sont morts avant moi ...

Je sens bien qu’ils sont encore là

Autour de moi, et me regardent.

Leurs yeux s’allument quelquefois

Dans le noir comme des étoiles.

Et ma tête s’appuie

A leurs épaules d’ombre ...


Madeleine Riffaud
(repris dans "Cent poèmes de la Résistance", Alain Guérin, Omnibus, 2008)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Arthur Rimbaud


Arthur Rimbaud (1854-1891) est-il trop connu pour être présenté ? Est-il ce "poète de sept ans" (il commence à publier à quinze ans) qui "s'en allait les poings dans (ses) poches trouées", ou bien l'ami fâché de Verlaine, ou encore cet aventurier perdu de vue en Éthiopie dans une seconde vie. Rimbaud est tout cela. Il reste le marginal pleine page des anthologies de poésie, icône toujours moderne de l'adolescence révoltée, en recherche d'espace et de liberté.


Le loup criait


Le loup criait sous les feuilles

En crachant les belles plumes

De son repas de volailles :

Comme lui je me consume.

Les salades, les fruits

N’attendent que la cueillette ;

Mais l’araignée de la haie

Ne mange que des violettes.

Que je dorme ! que je bouille

Aux autels de Salomon.

Le bouillon court sur la rouille,

Et se mêle au Cédron.


Arthur Rimbaud ("Poésies")


_ _ _ _ _ _ _

Le dormeur du val


C'est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D'argent ; où le soleil de la montagne fière

Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.


Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.


Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme.

Nature, berce-le chaudement : il a froid.


Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Arthur Rimbaud ("Poésies")


_ _ _ _ _ _ _

Ma bohème


Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;

Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !


Mon unique culotte avait un large trou.

- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou


Et je les écoutais, assis au bord des routes,

Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;


Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !


Arthur Rimbaud ("Poésies")


_ _ _ _ _ _ _

Roman


I


On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

- On va sous les tilleuls verts de la promenade.


Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -

A des parfums de vigne et des parfums de bière ...


II


- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon

D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche ...


Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête ...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête ...


III


Le cœur fou robinsonne à travers les romans,

- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l'ombre du faux col effrayant de son père ...


Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif ...

- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines *...


IV


Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.

Vous êtes amoureux. - Vos sonnets la font rire.

Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.

- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire ! ...


- Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade...

- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.


* une cavatine est une courte partie mineure chantée, terminant un passage vocal, dans un opéra ou un oratorio. Ici, par extension, ce terme est plutôt péjoratif et désigne sans doute un morceau d'une romance populaire, chantonné.


Arthur Rimbaud ("Poésies")


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jean Ristat (né en 1943)




Jean Ristat est un poète, écrivain, directeur de revue et éditeur français.

Il est l'actuel directeur des Lettres françaises, le supplément littéraire du quotidien L'Humanité.

Il est en outre responsable de l'édition complète des écrits d'Aragon, dont il est l'exécuteur testamentaire.

(source : éléments de sa biographie Wikipédia)


Ode pour hâter la venue du printemps (passage n° 24)


24


Nous allons sur les grandes routes par le

Monde en guerre nous avons tout perdu le vent

Nous habille le ciel nous lave l’amour

Est notre livre défendu nouveaux croisés

Nous aimions autrefois les rolling stones

Et la musique ébranlait le capitalisme

Insolents nous forgions l’avenir dans un

Atelier de rythmes inouïs et de sono

Rités éclatantes une tendre violence

Déchirait nos cœurs nous avons dressé dans pa

Ris des barricades lancé des pavés comme

Bouteilles à la mer nous fûmes vaincus par des

Vieillards tristes et apeurés qu’avons-nous fait

De l’espoir nous avons reconstruit les temples et

Changé d’uniforme tu as oublié ca

Marade le mois de mai tu enseignes l’ordre

Démolis ta maison sors dans la rue et

Regarde tu es comme un aveugle qui tend

Toujours la main jette ta canne avoue les

Songes qu’on ne t’a pas appris lève-toi et

Ose


Jean Ristat
(Ode pour hâter La Venue du printemps, Gallimard, 1978 et Ode pour hâter La Venue du printemps suivi de Tombeau de Monsieur Aragon - Le Parlement d'amour - La Mort de l'aimé ; en Poésie/Gallimard, 2008)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pierre de Ronsard (1524-1585)


Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay, le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".


Voici le texte intégral d'un poème, lui aussi des plus connus, écologique avant la lettre. Il reste aujourd'hui de cette grande forêt de Gastine,"le bois de Gâtine" et ses étangs, site heureusement protégé du Loir-et-Cher.


On propose en général de ce texte le passage coloré, à partir de "Écoute, bûcheron," passage dont le texte  a été légèrement modernisé :


Contre les bûcherons de la forêt de Gastine


Quiconque aura premier la main embesognée

A te couper, forêt, d’une dure cognée,

Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,

Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,

Qui coupa de Cérès le Chêne vénérable

Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,

Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,

Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :

Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,

Et se dévore après par les dents de la guerre.


Qu’il puisse pour venger le sang de nos forêts,

Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêts

Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme

Tout son bien à payer la principale somme !


Que toujours sans repos ne face en son cerveau

Que tramer pour néant quelque dessein nouveau,

Porté d’impatience et de fureur diverse,

Et de mauvais conseil qui les hommes renverse !


Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;

Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;

Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force

Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?


Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur

Pour piller un butin de bien peu de valeur,

Combien de feux, de fers, de morts et de détresses

Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?


Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !

Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers

Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière

Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.


Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,

Enflant son flageolet à quatre trous percé,

Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,

Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.


Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;

Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,

Dont l'ombrage incertain lentement se remue,

Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;

Tu perdras le silence, et haletants d'effroi

Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.


Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,

Où premier j'accordai les langues de ma lyre,

Où premier j'entendis les flèches résonner

D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,

Où premier, admirant ma belle Calliope,

Je devins amoureux de sa neuvaine trope,

Quand sa main sur le front cent roses me jeta,

Et de son propre lait Euterpe m'allaita.


Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,

De tableaux et de fleurs autrefois honorées.

Maintenant le dédain des passants altérés,

Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,

Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,

Accusent tes meurtriers et leur disent injures.


Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.

Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,

Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;

Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître

Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers

De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !


Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !

Ô dieux, que véritable est la philosophie,

Qui dit que toute chose à la fin périra,

Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !


De Tempé la vallée un jour sera montagne,

Et la cime d'Athos une large campagne ;

Neptune quelquefois de blé sera couvert :

La matière demeure et la forme se perd.


Pierre de Ronsard ("Élégies", élégie XXIV, 1565)



  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Jacques Roubaud


Jacques Roubaud est né en 1932. Il se définit lui-même comme un "compositeur de mathématiques et de poésie". Traducteur et auteur de recueils de poésies pour les enfants, il est membre de l'Oulipo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle (voir la présentation de Raymond Queneau sur ce blog).


Le texte suivant a été mis en ligne sur le site officiel du Printemps des Poètes pour l'édition 2008, sur  le thème de "l'Éloge de l'autre".


L’autre, 1 ...


L’autre, 1

si je est un autre

de quel autre

alors, suis-je l’autre ?


L’autre, 2


ce je qui est autre

est-ce moi ?

est-ce moi encore ?


L’autre, 3


es-tu toi aussi

es-tu autre ? es-tu, toi, une autre ?


Jacques Roubaud (éditions Printemps des poètes 2008, Poèmes sur  le thème : Éloge de l'autre).


_ _ _ _ _ _ _


Je pense à toi


Quand je pense

quand je pense

quand je pense à toi

je me demande

je me demande

si tu penses à moi


et s’il se trouve que tu penses

que tu penses à moi

au moment même où je me demande

où je me demande

si tu penses à moi

est-ce que tu te demandes

te demandes

si je pense à toi ?


et tant je me demande

demande

si tu penses à moi

qu’à la fin je me demande

je me demande

si j’ai pensé à toi


Jacques Roubaud (dans "Poète toi-même, anthologie" - Le Castor Astral, collection Escales du Nord, 2000)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jean Rousselot

voir la page
des Poètes de l'École de Rochefort < ICI


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Claude Roy


Claude Roy (1915-1997) est lui aussi présent dans les catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour).


Le texte ci-dessous est plutôt pour le collège ou le lycée.


On en propose en général la première partie, jusqu’à “J'y suis pour tout le monde”...


Jamais je ne pourrai


Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri

ni jamais vivre de bon coeur tant qu'il faudra que d'autres meurent qui ne savent pas pourquoi

J'ai mal au coeur mal à la terre mal au présent

Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne Le poète dit J'y suis pour tout le monde

Ne frappez pas avant d'entrer

Vous êtes déjà là

Qui vous frappe me frappe

J'en vois de toutes les couleurs

J'y suis pour tout le monde

Pour ceux qui meurent parce que les juifs il faut les tuer

pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'est fait pour être exterminé pour ceux qui saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique

pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler

pour ceux qui pleurent parce que s'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer

pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français

pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes


Claude Roy ("Les Circonstances"  - Éd Gallimard 1970)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


André Ruellan (né en 1922)

André Ruellan est un écrivain de science-fiction et scénariste français né le 7 août 1922 à Courbevoie. Il a également écrit sous divers pseudonymes dont le principal est Kurt Steiner.


On a retourné la maison


On a retourné la maison comme un gant

et tous les meubles sont tombés

avec les locataires

les chiens sont tous enragés

les bateaux à l'ancre pour jamais

et un rire noir sonne dans les champs

les cathédrales fondent

les cloches rendent un son de cuir

qui dira la peur des arbres

dans le lait rouge de la nuit

apportez-moi seulement un couteau

dont la lame ne rentre pas dans le manche

un crayon qui ne se fracasse pas dans la main

des ciseaux qui coupent

un enfant sans béquilles

un fruit mangeable

trouvez un homme un seul

qui possède encore ses oreilles


André Ruellan ("De flamme et d'ombre", Fleuve Noir, Bibliothèque du fantastique, 1999)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 


  1. auteurs en bleu = lien vers une autre page du site

--------------------------

TEXTES DE DÉPORTÉS (Auschwitz, Buchenwald ...) ICI :


Printemps des Poètes 2015
POÈMES DE DÉPORTÉS <<

André Verdet - Jean-Pierre Voidies - Marianne Cohn - Denyse Clairouin
voir aussi Charlotte Delbo et René-Guy Cadou  par auteurs



TEXTES par AUTEURS :


  1. première page (A à D) - << CLIC ICI POUR Y ACCÉDER


  2. Textes anonymes

  3. Théodore Agrippa d'Aubigné
    Pierre Albert-Birot

  4. Marc Alyn

  5. Louis Aragon

  6. Antonin Artaud

  7. Lucien Becker (lien vers les poètes de l'École de Rochefort)

  8. Alain Boudet

  9. Pierre Boujut

  10. Alain Bosquet

  11. Alain Ilan Braun

  12. René-Guy Cadou (lien vers l'École de Rochefort)

  13. Odile Caradec

  14. Jean Cassou

  15. René Char

  16. Andrée Chedid

  17. Georges-Emmanuel Clancier (École de Rochefort)

  18. Marianne Cohn

  19. Luc Decaunes (École de Rochefort)

  20. Charlotte Delbo

  21. Yanette Delétang-Tardif (École de Rochefort)

  22. René Depestre

  23. Robert Desnos

  24. Jean-Pierre Develle
    David Diop

  25. Maurice Druon et Joseph Kessel (voir CHANSONS)


  26. --------------------------


  27. page  2 (E à I) - << CLIC ICI POUR Y ACCÉDER


  28. Paul Éluard

  29. Pierre Emmanuel

  30. Jean Follain (École de Rochefort)
    Maurice Fombeure (École de Rochefort)

  31. André Frédérique

  32. Pierre et Ilse Garnier (École de Rochefort)

  33. Jean Genet

  34. Louis Guillaume (École de Rochefort)

  35. Guillevic << lien vers la page

  36. José María de Heredia

  37. Yves Heurté

  38. Victor Hugo

  39. --------------------------


  40. page 3  (J à R) - - VOUS Y ÊTES !


  1. Jean Joubert

  2. Anise Koltz

  3. Henri Kréa

  4. Abdellatif Laâbi

  5. Joseph Lanza del Vasto

  6. Claude Le Petit

  7. Robert Lohro (Lionel Ray)

  8. Bernard Lorraine

  9. Claude Maillard

  10. Jean Malrieux

  11. Henri Michaux << lien vers la page

  12. Théodore Monod

  13. Gérard de Nerval

  14. Gérard Noiret

  15. Jean Orizet

  16. Jean Perret (et Gabriel Cousin)

  17. Jacques Prévert

  18. Sully Prudhomme

  19. Raymond Queneau

  20. Jehan Rictus << lien vers la page du blog (en attendant)

  21. Madeleine Riffaud

  22. Arthur Rimbaud

  23. Jean Ristat

  24. Pierre de Ronsard

  25. Jacques Roubaud

  26. Jean Rousselot (lien vers l'École de Rochefort)

  27. Claude Roy

  28. André Ruellan

  29. --------------------------


  30. page 4 (S à Z ) - << CLIC ICI POUR Y ACCÉDER


  31. Robert Sabatier

  32. Amina Saïd

  33. Jacqueline Saint-Jean

  34. Jean-Philippe Salabreuil

  35. Albertine Sarrazin

  36. Pierre Seghers

  37. Sabine Sicaud

  38. Jean-Pierre Siméon

  39. Andrée Sodenkamp

  40. Jules Supervielle
    André Spire

  41. Jean Tardieu << lien vers la page

  42. Tristan Tzara

  43. Angèle Vannier

  44. Émile Verhaeren

  45. Anne Vernon

  46. Alexandre Vialatte

  47. Boris Vian << lien vers la page

  48. Paul Vincensini << lien vers la page

  49. Charles Vincent >>

  50. Kenneth White << lien vers la page

  51. Liliane Wouters

Les textes proposés dans cette page sont destinés aux élèves du Collège ou du Lycée.
On peut aussi en proposer certains en élémentaire
(voir aussi pour ce niveau la page GS-ÉLÉMENTAIRE).
lieucommun interprète librement et à sa manière le thème de l’insurrection poétique :

Textes s’écartant par la forme ou/et le fond des critères poétiques habituellement attendus ;
textes de révolte, de revendication, ou encore existentiels, sur l’état même de poète, d’homme, d’être (et d’objet, pourquoi pas) et le rapport au monde.

Ainsi se recoupent  par exemple les thèmes de révolte, de liberté, rejoignant d’autres Printemps des Poètes («éloge de l’autre»)

Une grande partie de ces textes sont importés d’autres pages du site, où on en trouvera d’autres autour du thème 2015.
Ils sont accessibles en cliquant ici :

Printemps des Poètes : HUMOUR
et du blog lieucommun :
Printemps des Poètes : L’AUTRE

Jean Joubert (né en 1928)


Jean Joubert est un romancier et poète, auteur pour l'enfance et la jeunesse, et donc pour un plus large public.

Le veilleur solitaire

Il y a toujours dans la nuit de la ville

une petite fenêtre qui brille

très loin au bord du ciel

une fenêtre au loin, une lampe qui brûle,

un homme ou peut-être un enfant

penché sur la page d'un livre

où les mots brûlent et brillent.

Et le cœur de l'homme ou de l'enfant

brûle d'un sang plus vif,

s'exalte, s'illumine.

Il y a toujours au bord du ciel

un veilleur solitaire

qui cherche dans la nuit

son chemin de clarté.

Jean Joubert ("La maison du poète" - Pluie d'étoiles éditions, 1999)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - -

Les amis perdus


Et les amis perdus, au hasard des routes,

les égarés,

les morts,

les oublieux,

ceux qui laissèrent sur le papier de minces traces,

ceux qui parlent au loin

avec une autre voix,

ceux qui ragent dans le désert,

ceux qui trahissent

et nous blessent.


De ces visages emportés,

que reste-t-il au soir,

dans cette chambre vide ?


Jean Joubert ("poème emprunté ici :
http://www.philagora.org/jean-joubert/peuple.htm )


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - -


Asseyez-vous peuple de loups ...


Asseyez-vous, peuple de loups, sur les frontières

et négociez la paix des roses, des ruisseaux,

l'aurore partagée.

Que les larmes, les armes s'égarent dans la rouille et la poussière.

Que la haine crachée soit bue par le soleil.

La terre ouvre sa robe de ténèbres,

sa nudité enchante les oiseaux,

le jour se fend comme fille amoureuse.

Sous un ciel ébloui

viennent alors après tant de saccage

les épousailles de la terre et du feu,

le temps des sources,

des naissances.

Après le sang, la traîtrise et le cri,

ah, tant rêvé!

le règne des moissons

pour le bonheur des granges.

À nous qui hébergeons l'aube de la parole

de rassembler le grain,

les mots de l'espérance.

Un jour d'été, l'enfant plonge dans la rivière,

joue avec le soleil

sous le regard apaisé d'une mère,

le héron danse sur son nid de sable,

le renard ouvre des ailes d'ange

et le serpent, le mal aimé, forçat de la poussière,

sauvé, s'étire entre les seins du jour.


Jean Joubert ("poème emprunté ici :
http://www.philagora.org/jean-joubert/peuple.htm )


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Anise Koltz (née en 1928)*

Anise Koltz est une poète luxembourgeoise.
Elle est née 1928, comme Jean Joubert ci-dessus, c'est le hasard !
Elle a publié plusieurs recueils de poèmes, les premiers en allemand. Ses textes sont souvent très courts. Le thème central, en particulier dans le recueil "Le porteur d'ombre" en est souvent la poésie, l'écriture, le (la) poète et son rapport au monde.



Le mur du son (titre du recueil dont voici des passages)



Dépassant le mur du son

je me libère de toute mesure

la voix perd la parole


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Mes poèmes

des fourmilières


parmi les paroles noires

et grouillantes


des reines fécondes

des milliers d'ouvrières sans ailes


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Je t'offre un poème

comme un verre d'eau


Il ne désaltère pas

Il te présente un lac

où tu couleras à pic


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Je n'invente pas le poème

il existe quelque part

dans l'univers

ou pend hors d'un rêve

tel un micro cassé


Anise Koltz (Le mur du son - éditions Phi, 1997) - Ce recueil a obtenu le prix Apollinaire en 1998.


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


L'ailleurs  des mots (titre du recueil dont voici des passages)


Comment supporter

de vivre et de mourir

dans cette boucherie anonyme

où nos membres deviendront

des cierges pour l’éternité


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Les sables dévorent le désert


Je lègue ma carcasse aux rapaces

au vent qui léchera mes os

au soleil qui les croquera


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Pour moi

ma mère a marqué

de pierres blanches

son parcours dans l’au-delà


M’appellera-t-elle

comme jadis

pour me faire rentrer

sous son toit ?


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Des rapaces

je revendique

ailes

serres

becs pointus


Comme eux

je fonce sur ma proie

d’une violence

qui risque de me tuer


- - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - -


À ma mère


Cachée dans tes entrailles

comme dans une tranchée

j’étais prête à me lancer

dans la bataille


La mort dévalait

derrière nous

tandis que je subissais

la fatigue de ton sang


Tu devenais de plus en plus lente


Mais moi je voulais durer

être éternelle



Anise Koltz (L'ailleurs  des mots)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Henri Kréa (né en 1933)


Henri Kréa, dramaturge et poète, est né à Alger en 1933.

On trouve jusque dans les titres de ses recueils : Liberté Première (1957), La Révolution et la Poésie sont une seule et même chose (1960), Poèmes en forme de vertige (1967) le lien indissociable entre son engagement poétique et les valeurs humaines et sociales qu'il défend.

Il est signataire le 6 septembre 1960 de la Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie (le Manifeste des 121).


Jamais toujours encore


Nous sommes immortels

Nous sommes libres

Nous sommes inaltérables

Nous sommes identiques

Nous ne changeons pas

Nous n'avons pas de raison pour changer

Nous sommes à la fois

Le ciel et l'océan

Le sable et la douleur

Le sel et la joie

Nous sommes l'arbre

Nous sommes la plaine

Nous sommes l'enfance et le sommeil

Nous sommes immobiles

Nous sommes en mouvement

Nous avons des multitudes de dimensions

Nous sommes plusieurs

Nous sommes un

Nous sommes deux


Henri Kréa ("La Révolution et la Poésie sont une seule et même chose" - éditions PJ Oswald, 1959)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Abdelhatif Laâbi (né en 1942)


Abdellatif Laâbi, né au Maroc en 1942, est un poète d'expression française. Il vit en France depuis 1985.

Ce poème a été emprunté sur le site de l'auteur (<< clic ici)


« Ce texte, une humble prière pour que la barbarie *
ne tue pas jusqu'à l'espoir »(Abdellatif Laâbi,)



J'atteste qu'il n'y a d'Être humain

que Celui dont le cœur tremble d'amour

pour tous ses frères en humanité

Celui qui désire ardemment

plus pour eux que pour lui-même

liberté, paix, dignité

Celui qui considère que la Vie

est encore plus sacrée

que ses croyances et ses divinités

J'atteste qu'il n'y a d'Être humain

que Celui qui combat sans relâche la Haine

en lui et autour de lui

Celui qui dès qu'il ouvre les yeux au matin

se pose la question :

Que vais-je faire aujourd'hui pour ne pas perdre

ma qualité et ma fierté

d'être homme ?

Abdellatif Laâbi, 10 janvier 2015

référence aux assassinats des 7 au 9 janvier 2015, qui ont débuté avec le massacre de Charlie-Hebdo.


- - - - - -  - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -


Jardinier de l’âme (titre proposé)


Ô jardinier de l’âme

as-tu prévu pour la nouvelle année

un carré de terre humaine

où planter encore quelques rêves ?

As-tu sélectionné les graines

ensoleillé les outils

consulté le vol des oiseaux

observé les astres, les visages

les cailloux et les vagues ?

L’amour t’a-t-il parlé ces jours-ci

dans sa langue étrangère ?

As-tu allumé une autre bougie

pour blesser la nuit dans son orgueil ?

Mais parle

si tu es toujours là

Dis-moi au moins :

qu’as-tu mangé et qu’as-tu bu ?


Abdellatif Laâbi (texte inédit, janvier 2007)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Joseph Lanza del Vasto (1901-1981)


Lanza del Vasto est un philosophe militant de la paix italien. Poète français, sculpteur et dessinateur, il est le fondateur en 1948 des Communautés de l'Arche, de religion catholique, répliques des ashrams
Lanza del Vasto était un disciple du Mahatma Gandhi, apôtre de la non-violence, qu'il a rencontré.
(source : en partie Wikipédia)
Grand voyageur des chemins de l'occident, et surtout de ceux de l'Inde et du Moyen Orient, il dénonce en creux le modernisme, le confort matériel et intellectuel, et applique à lui-même le principe d'ascétisme rigoureux que résume cette formule : Suffis-toi à toi-même.
Il prône le respect total de la nature et du vivant :


«Tu crois pouvoir écraser cette chenille ?
Bien, c’est fait : ce n’était pas difficile.
Bien, maintenant, refais la chenille... »


Lanza del Vasto

_ _ _ _ _ _ _




La maison de vent


J'ai ma maison dans le vent sans mémoire,

J'ai mon savoir dans les livres du vent,

Comme la mer j'ai dans le vent ma gloire,

Comme le vent j'ai ma fin dans le vent.


Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942  ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)


_ _ _ _ _ _ _


Ne pense jamais


Ne pense jamais : à quoi bon ! Ce n'est qu'une bête!

Ne pense jamais : c'est bien fait ; il l'avait mérité.

Ne pense jamais : ils sont trop ; peut-on les secourir tous ?

Ne pense jamais : cela ne me regarde pas.

Mais plains deux fois celui qui est toute chair et souffre tout entier ;

celui qui est coupable et deux fois malheureux.

Soulage parmi tant d'autres celui qui se trouve à ta portée,

- qui n'est pas soulagé de ce que d'autres souffrent

- car il souffre de sa souffrance seule -

car il n'y a qu'une souffrance et tu ne peux la soulager qu'en lui.

Sache que toute souffrance te regarde, ô mortel !


Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942  ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)


_ _ _ _ _ _ _


sans titre


(...)
Avec un son de casserole ou de crécelle,

Les mots de chaque jour, ceux qui rincent la cour,

De l'office au salon, de la loge aux mansardes,

Lorsque l'évier bavarde

Dans la maison blanche entre arches et ciel

Une voix ancienne,

Des bras me berçant près de la persienne

Dans la torpeur et les cigales de midi.


Il m'a rendu les mots de celle que j'aimais,

Qui tremblèrent dans l'or fondu des jours de joie,

Éternels et perdus à jamais,

Il m'a rendu le goût des lèvres qui le dirent.

Il m'a donné des signes

Devant qui toute forme est ouverte

Comme une porte ouverte.

Et je me suis glissé sous l'écorce des arbres,

J'ai rabattu sur moi mille paupières vertes,

Et d'un seul trait j'ai bu l'extase végétale.

Ouvrant comme un placard la poitrine des hommes,

A des porte-manteaux j'ai vu, par files,

pendre Leurs âmes de gala

Et leurs âmes de chambre :

J'en pris une quelconque et l'essayai.

Elle m'alla. (...)


Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942  ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)


_ _ _ _ _ _ _



L'arbre


L'arbre que l'hiver creuse et qu'il délabre

De terre à ciel est un chemin battu,

Avril aux tendres mains quand viendras-tu,

Quand, rallumer tout le grand candélabre ?


Flamme debout qui ne brûle et ne bouge,

Ruisseau qui coule en remontant :

Le feu sans doute a quitté son masque rouge,

L'eau sa robe couleur du temps,

Et s'embrassant dessous la terre dure

Ils se sont fécondés en se battant

Pour qu'un surgeon de la lumière obscure

Jaillisse ainsi dans le ciel de printemps.


Corps nuageux vertébré comme un mont,

Flancs que perce un oiseau, qu'ouvre la brise ;

L'été respire à son vaste poumon.

Le grand soleil en mille nuits se brise

Folles de lunes vertes, d'astres troubles

Dans les bas-fonds, et sa face dédouble

Le bleu du ciel en un sommeil de lac,

Une source s'y joue et son murmure

En ces grottes de vie aux sourds ressacs

D'un rêve d'eau ranime la ramure.


Lui, couronné de paix et de verdure,

Lui, jubilant d'oiseaux, lui blanc de fleurs,

Lui, nourri de discorde et fort de heurts

En qui la lutte élémentaire dure;

Le tronc farouche au sommet de sa tour

Ourdit ses nœuds, ses fourches, ses détours

Et se poussant de rupture en rupture

Maintient, victorieux, l'architecture,

Pour coucher son automne en la couleur

Du feu dont il est fait, comme en la leur,

L'homme qui saigne et le soleil qui meurt.


Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942  ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Claude Le Petit (1639-1662)


Claude Le Petit est connu pour ses poésies burlesques et satiriques (entre-autres "La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule"), dans lesquelles il raille pouvoir politique et religieux. Il est aussi l'auteur de poésies licencieuses, dont on ne donnera pas les titres ici. L'ensemble lui vaut d'être brûlé en place de grève après avoir eu la main coupée et avoir été étranglé (une mesure de faveur, car en général on était brûlé vif).


Voici son plus célèbre sonnet, portrait, autoportrait de poète, en forme de clin d'œil ...


Le poète crotté


Quand vous verrez un homme avecque gravité

En chapeau de clabaud (1) promener sa savate

Et le col étranglé d'une sale cravate,

Marcher arrogamment dessus la chrétienté,


Barbu comme un sauvage et jusqu'aux reins crotté,

D'un haut de chausse noir sans ceinture et sans patte,

Et de quelques lambeaux d'une vieille buratte

En tous temps constamment couvrir sa nudité,


Envisager chacun d'un œil hagard et louche

Et mâchant dans les dents quelque terme farouche,

Se ronger jusqu'au sang la corne de ses doigts,


Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un homme,

Dites assurément : c'est un poète françois !

Si quelqu'un vous dément, je l'irai dire à Rome.


(1) Un clabaud est un mendiant.

Claude Le Petit, 1660


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Robert Lohro (né en 1935)


Robert Lohro, parfois orthographié Lorho, est né à Mantes-La-Ville (Yvelines).

Il a d'abord publié des poèmes sous son vrai nom (le recueil "Légendaire" a obtenu le prix Apollinaire en 1965, il a été édité par les éditions Pierre Seghers), et à partir de 1970 sous le pseudonyme de Lionel Ray : ("Le corps obscur", 1981, aux éditions Gallimard, lui vaut le prix de poésie Mallarmé).

Lionel Ray est lauréat du prix Goncourt de Poésie en 1995 et du Grand prix de poésie de la Société des Gens de Lettres en 2001.


Voici quelques poèmes sans titre, passages extraits(1) du recueil "Comme un château défait", paru aux éditions Gallimard en 1993  :


Ce qui parle dans le bois, ce qui parle au bord

du gouffre et dans l'horloge et dans l'effondrement

des heures, te ressemble.


Ce qui parle dans le feuillage des consonnes,

dans l'encre des nuages, te ressemble.


Ce qui parle dans les plaies et les fusils sanglants,

dans les crimes et les branches brisées

de la forêt humaine, te ressemble.


Avec la pluie qui n'appartient à personne

(c'est du ciel qui descend à petit bruit,

comme invisiblement)


Aimer encore forêts et falaises,

le mûrissement du silence,


s'enfermer jusqu'au centre du bruit,

dans cette interminable fin du monde

du siècle pourrissant,


Écrire dans l'imparfait un chant

mobile pour te réconcilier

avec ton sang.


Sur ton épaule un dieu fluide

se pose, papillon qui s'affaiblit,

oublie l'être, se dissout.


Celui qui est dans ces pages, dis-tu,

est un autre, il traverse un ciel mal rédigé


Où s'accumulent nuages et sommeils,

et la nuit revient avec des oiseaux de fête.

Est un autre, disais-tu.


Il y a toutes sortes de vies dans ta vie

et toutes sortes de mots dans tes mots,

mais qu'est-ce à la fin que ce brouillard ?


Même la lampe des morts s'éteint,

il n'y a plus où ils sont de langage.


Qu'est-ce à la fin que cette nuit

d'où tu viens, et cette nuit finale

où ni les mots ni les morts ne font signe ?


Comme on glisse hors de soi

aux confins de la veille et du songe,

on regarde une autre demeure, un corps chantant.


Qui est cet homme proche de toi

si peu semblable et pourtant ressemblant,


Dans le tumulte des soifs et des mondes,

broyant le grain des paroles,

cherchant la source brève, la présence sans nom ?


Tu parles aussi pour toi hors du temps

dans ce grand désordre couleur d'ivresse

des routes des heures des paysages.


Tu parles parmi les ombres finales de la nuit

au bord de l'inimaginable absence.


Tu ne dis rien, tu es en proie à toi-même,

tu cherches la place d'être

un autre ou personne.


Dans la géométrie du soleil mobile,

ailes ouvertes sur tant de plaines,

de décombres et de scintillements,


Tu t'éloignes et te rejoins,

tu te rassembles,


Tu es toi-même chaque mot que tu dis

et chacun te conduit en ce lieu

où tu es plus toi-même que toi.


Lionel Ray (Robert Lohro) (Comme un château défait - Gallimard, 1993, et Comme un château défait suivi de Syllabes de sable, collection Poésie/Gallimard, 2004)

(1) Références électroniques pour les textes et les éléments de biographie :

Lionel Ray, « Poèmes », Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994, [En ligne], mis en ligne le 31 mai 2007.
URL :
http://semen.revues.org/document2998.html
et

http://poezibao.typepad.com/poezibao/2007/12/lionel-ray.html


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Bernard Lorraine (1933-2002)


Bernard Lorraine a publié 27 recueils  (Vitriol, Voilà, Provocation, Sentences, Burlesques ...) et 10 anthologies poétiques (Trésors des épigrammes satiriques ; Une Europe des poètes ; Le cœur à l'ouvrage : anthologie de la poésie du travail ; Un poème, un pays, un enfant ...) ainsi que des essais et des pièces de théâtre.


Le paysage se construit, de l'inanimé au vivant :


Au début ...


Il y avait un ciel

il y eut un nuage

Il y avait la boue

il y eut une plage

Il y avait une eau

il y eut un poisson

Il y avait un arbre

il y eut un oiseau

Il y avait la nuit

il y eut une femme

Il y avait le jour

et il y eut un homme

Il y avait l'amour

il y eut un silence

Mais il y eut un cri

et c'était un enfant

Et ce fut un poète

puisqu'il y eut un chant


Bernard Lorraine


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jean Malrieu (1915-1976)

biographie sur le site des éditions le cherche midi (début, lire la suite sur le site <<) :

Jean Malrieu s'initie très vite à la poésie contemporaine et au jazz, correspond dès l’âge de vingt ans avec Cocteau et Max Jacob et publie ses premiers poèmes. Il adhère à la Libération au Parti Communiste et mènera conjointement activité poétique et militantisme politique. En 1948, il est nommé instituteur à Marseille. En 1950, il est publié par Elsa Triolet dans Les Lettres françaises et introduit par Jean Tortel aux Cahiers du Sud, la grande revue littéraire de Marseille, de renommée internationale. En mars 1953 paraît son premier livre, Préface à l’amour, animé d’un ample souffle lyrique. Il fonde avec Gérald Neveu et quelques amis la revue Action poétique et fait écrire des poèmes par ses élèves, cherchant à rapprocher la poésie et les milieux populaires. (...)


Le rire de demain (sans titre - titre suggéré par le site)


Entends le rire de demain.

Il est puissant. Il est, confiant,

Dans l'amas des jours, la réserve.

Passe un soleil comme un paysan

Jetant son or comme semences.

S'en vient la pluie comme la herse

Ou le froid comme un vrai seigneur.

J'ai fait le pacte avec les hommes,

Ainsi je remplis le cellier,

Avec la branche morte fais * la flamme

Et, de la cuve et dans le cœur,

De la vendange de l'hiver

Monte l'ivresse des soleils.


ponctuation originale

  1. *le pronom sujet "je" est élidé


Jean Malrieu (Le Nom secret, 1968  -  PJ Oswald)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Claude Maillard (contemporaine)


Claude Maillard est une auteure contemporaine de poésies et de romans.


Calvaire


avec mes cinq doigts

trempés dans le whisky

avec mon mouchoir que je déchire

avec mes cris hurlés à tue-tête

avec mes larmes

avec le briquet que je jette par la fenêtre

et le crayon rouge que je casse en deux

je te cloue

et tu oses encore vivre


Claude Maillard ("ventre amer" - éditions  Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1972)


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Henri Michaux


Une biographie et des textes de Michaux sont ici sur le site planetelieucommun : HENRI MICHAUX < CLIC


- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Théodore Monod (1902-2000)


Théodore Monod est un scientifique naturaliste, explorateur, érudit et humaniste français. Il est « le grand spécialiste français des déserts », « l'un des plus grands spécialistes du Sahara au xxe siècle » et « bon nombre de ses 1 200 publications sont considérées comme des œuvres de référence".

Pour Jean Dorst, Théodore Monod « a été bien plus qu'un savant naturaliste à la curiosité toujours en éveil. C'était un humaniste au vrai sens du terme, un penseur, un philosophe et un théologien. » (source Wikipédia)


Vesper


La nuit tombe et déjà s'efface la colline.

Seul devant le mystère où grouille les dangers,

Seul dès l'aube, à midi, seul quand le jour décline,

Seul au milieu des siens, intimes étrangers,

Acteur inconscient on a joué son rôle,

Et mimé tour à tour, en bouffon solennel,

Le pitre et l'ingénu, le saint, et puis le drôle ;

Imposteur innocent, raisonnable et charnel,

Acclamant l'idéal et suivant la nature,

conciliant sans peine et " Devoir " et plaisir ;

Aveugle on a marché, sans guide, à l'aventure,

aux chemins imposés qu'on avait cru choisir.

Mais le vent s'est levé qui va tarir la sève ;

L'heure a sonné, la mort approche : ô vérité.

Va-t-on soudain pouvoir, s'éveillant d'un long rêve,

Entrer, vivant enfin, dans la réalité ?


Théodore Monod (Et si l'aventure humaine devait échouer)



Le désert

(...) Le désert, c'est aussi l'apprentissage de la soustraction. Deux litres et demi d'eau par personne et par jour, une nourriture frugale, quelques livres, peu de paroles. Les veillées du soir sont consacrées aux légendes, aux contes, au rire. Le reste appartient à la méditation, au spirituel. Le cerveau met le cap en avant. Nous sommes enfin débarrassés des futilités, des inutilités, des bavardages. L'homme, cette étincelle entre deux gouffres, trace ici un chemin qui s'effacera après son passage.

Soustraire, se soustraire ; prendre l'essentiel non seulement d'objets mais de pensées, cet allègement est déjà une philosophie.

Le désert n'est pas complaisant. Il sculpte l'âme. Il tanne le corps.

Il faut supporter le soleil intense du jour, le froid de la nuit. Trouver de l'eau, cette richesse. Supporter de perdre le sens du temps et de l'espace. Ceci n'est pas réservé qu'aux novices.

Si ce vertige prend un Touareg, vous le verrez s'allonger, se recouvrir de son burnous. L'arrêt, le sommeil, l'obscurité, le silence le recentrent. Car le désert, dans le Ténéré par exemple, offre, comme la mer, un horizon perpétuellement circulaire. [...]

Théodore Monod (Le chercheur d'absolu - Le cherche midi, 1997)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Gérard de Nerval (1808-1855)


Gérard de Nerval, pseudonyme de Gérard Labrunie, est un poète "moderne", auteur des "Filles du Feu" (1854) ; Les Chimères (1854) ; "Aurélia ou le rêve et la vie" (1855). Il a traduit le poète allemand Heinrich Heine.

En grande détresse matérielle et morale, il se pend dans une rue de Paris.


El Desdichado


Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,

Le prince d'Aquitaine à la tour abolie

Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le soleil noir de la Mélancolie.


Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,

Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,

Et la treille où le pampre à la rose s'allie.


Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?

Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;

J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...


Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;

Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.


Gérard de Nerval (Les Chimères, 1854)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Gérard Noiret (né en 1948)

(Notice biographique empruntée à la poéthèque du site du printemps des Poètes :  http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=322 ) :

Gérard Noiret est poète, essayiste, et romancier,
Il est membre du comité de lecture de
La Quinzaine, d'Europe et du Mâche-Laurier. Il a longtemps dirigé des services d'animation en banlieue. Il participe activement à la médiation en faveur de la poésie à travers son travail de critique, de formateur et d'animateur d'ateliers d'écriture.


     


contexte  historique du massacre de Chatila :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Chatila


CHATILA (passage)


Deux heures que l'annonce des massacres

a retenu les fourchettes

Maintenant c'est un soir quelconque

un avion y passe

comme après très longtemps un mécanisme dévidé

connaîtrait un spasme

Dans la plupart des appartements

désamorcée la nouvelle ne fera pas date

Si  la chaleur pouvait parler, elle dirait

son inquiétude pour ce manque

mais c'est un soir quelconque, un avion passe


Lorsqu'il se pose au Bourget

la plupart des familles dorment déjà

dans la contagion d'herbe fraîchement tondue

et ce

lent travail des pressions

long chemin des aveux *


  1. -- - - - - - - - - -


Là dans le bain te parviennent

transmises par les conduits

ces voLx comme de mineurs

qui frapperaient les rails

pour avertir la surface

Des mineurs prisonniers

non de galeries mais de couloirs,

que tu rencontrerais le lendemain

dans une autre vie

en train de tirer le démarreur

ou de sourire chez l'épicier



Comme les bruits de la rue envahissent

la cuisine par la fenêtre mal fermée

ceux de la mort gagnent son sommeil

Souvent tu la retrouves

dressée pleurant dans le noir

mais ne sais pas joindre

les deux battants de sa nuit


(...)


* la première partie de ce passage est en italique dans le recueil


Gérard Noiret ("Chatila"  -  Actes Sud, 1986)


  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Jean Orizet (né en 1937)


Jean Orizet est l'auteur de nombreux recueils et d'anthologies de poésie. C'est l'un des fondateurs de la revue Poésie 1, devenue Poésie1/Vagabondages (éditions le cherche midi), première revue de poésie distribuée en kiosques.
Parmi les derniers livres parus de Jean Orizet :
Une anthologie de la poésie amoureuse en France (Bartillat, janvier 2008) ; Anthologie de la Poésie Française (Larousse, 2007) ; L'attrapeur de rêves, roman poétique (Melis, 2006) ; et pour les enfants de 7 à 12 ans : Les plus beaux poèmes pour les enfants (le cherche midi, 1997, édité en Livre de Poche, 2004)


"L'homme, qu'il soit noir, blanc ou jaune, fait de sable ou de sel, ordinateur ou bien truelle, tentera toujours désespérément (même sous le masque de l'impossibilité) d'ouvrir une fenêtre dans l'infini. Sa main se crispera sur la poignée de cette fenêtre avec tant de force, parfois, que le ciel tout entier lui restera entre elles doigts.

D'autres fois, ce sera la mer, où vivent les sirènes d'alarme".


Jean Orizet (Voyageur absent, Grasset, 1982)


_ _ _ _ _ _ _




"La poésie engagée", Gallimard, 2001)


Adieu au siècle


Héritier d’un siècle épuisé

Je livre ici quelques images

Qui me pèseront sur le cœur

Pour le millénaire à venir


J’ai vu tout près de Bethléem

De très jeunes Palestiniens

se battre à coups de lance-pierres

contre les fusils des soldats


Sur les trottoirs de Calcutta

J’ai croisé des enfants sans mains

Qui mendient par le seul regard

Ils n’ont ni maison ni parents


Au Cambodge, en Afghanistan

Encore et toujours des enfants

Au pied broyé sur une mine

Laissée par des soldats enfuis


En Afrique ils meurent de faim

En Algérie on les égorge

Partout ils sont martyrisés

Les enfants de notre planète


Dans les bas-quartiers de Rio

Le monde est pour chaque habitant

Peur, saleté, misère et boue

Voir cela est désespérant


Faut-il toujours aller si loin

Chercher d’aussi tristes spectacles ?

À Paris, Bruxelles ou Saint-Ouen

J’assiste à la même débâcle


Je n’aime pas beaucoup l’odeur

Du siècle moisi dont j’hérite

Il sent la mort et la terreur

Il est trop lent ou va trop vite


Enfant des années à venir

Essaye d’être un peu plus sage

Que nous ne l’étions avant toi

Oublie la colère et la rage


Avec tous les ordinateurs

Et leurs écrans bleus de contrôle

Peut-être dénicheras-tu

Des réponses à ces questions-là :


Pourquoi tant de sauvagerie

Dans un monde aussi policé ?

Pourquoi ces misères criantes

Dans un monde aussi équipé ?


Héritier d’un siècle cruel

Je vous lègue, enfants, mes révoltes :

De simples mots sur du papier

Mais ils sont ma seule récolte.


Jean Orizet (dans "La poésie engagée" Anthologie proposée et commentée par Christine Chollet et Bruno Doucey, Gallimard, 2001)


_ _ _ _ _ _ _


"Reconnu comme l'un des poètes importants de sa génération, Jean Orizet est aussi l'écrivain qui a inventé l'idée de "l'entretemps" dans les années 60. Cette idée est devenue emblématique de son oeuvre, en poésie comme en prose. En 1975, dans Les nouvelles littéraires, Gilles Pudlowski écrivait : "Jean Orizet est, depuis 15 ans, le poète de "l'entretemps" joliment repensé, le Brummell de nos élégances lyriques."
(source : site du printemps des Poètes)




Passages d'un entretien de Jean Orizet à la revue "Autre Sud"  (le poète est né à l'Estaque, Marseille) :


"Dans Histoire de l’entretemps *, je me suis efforcé de donner à voir ce que pouvait recouvrir ce mot, d’un point de vue plus poétique que philosophique. L’entretemps exprime bien autre chose que la simple notion d’intervalle entre deux faits ou deux actions, maillon habituel de notre existence. On y accède en franchissant le mur du temps et de l’espace.(…). L’entretemps pourrait bien être quelque chose comme un moment suspendu de l’éternité qu’est chaque vie d’homme, ou encore ce temps immobile, au-delà de l’espace et du temps ordinaire, où la mémoire et la conscience jouent leur rôle essentiel, et qui est l’instant fragile où le poète trouve sa marque. (…) En définitive, l’entretemps n’est peut-être rien d’autre que la recherche d’une mythique unité primordiale."
* (La Table ronde ; 1985)
(source de l'entretien complet  :  revue Autre Sud n° 6  - sept 1999  -  les passages reproduits  sont empruntés à

Jean Orizet , « Le regard et l’énigme » , Revue Texture


Hommes continuels (passage du recueil cité)


Chaque homme est une étoile où s'enflamme le fossile de l'univers.

Nous sommes les enfants d'une lumière morte.

Dieu créateur du monde est né d'un autre Dieu, explosion de pur infini.

S'il accepte de venir à nous, c'est par des chemins buissonniers où l'espace et le temps se font des politesses.

Notre vie est ombres ou étincelle, capable quelquefois d'avaler un trou noir.

Prédateur de l'instant zéro, j'emporte en mon repaire des mécaniques célestes encore balbutiantes pour mieux surveiller un monde en fusion où la vie voit la mort par transparence, où les arbres se noient dès qu'un soleil a peur. Pillard de tous les possibles, je rôde en ma caverne encombrée de trésors ignorés des répertoires. Ma richesse vaut son pesant d'ombre, mon futur son comptant d'oubli.

Astres nés entre chien et loup, corps opaques, lunes de carton partagent l'incertain du monde avec des étoiles d'oubli où Persée continue d'aimer sa nébuleuse Andromède. Et le sang noir de Méduse d'où Pégase avait jailli arrose un ciel balafré de télescopes qui voyagent. Astres que nous interrogions pour connaître nos origines, vos ellipses ou révolutions renvoient intacte la question.


Jean Orizet (extrait de "Hommes continuels", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982  - un passage est également cité dans la biographie de Jean Orizet par Luciano Mélis : "le voyageur de l'entre-temps", Mélis éditions, 2005)

_ _ _ _ _ _ _


autres écrits :




"Chez Orizet, le sentiment du mystère se mêle à un sentiment panique de l'univers dont il inventorie les merveilles à travers la nature comme parmi les créations de l'homme, car s'unissent songe et réalité, monde de genèse et monde industriel, époques diverses, mots anciens et modernes, s'opèrent des métamorphoses comme si la vie et ses amples mouvements se déroulaient sous nos yeux. "

Robert Sabatier (sur le site de l'éditeur)


Il pensait: « les étoiles sont les balises de la nuit.

Elles gouvernent le regard pour mieux alimenter le rêve mais se plaisent en leur désert »

Et s'il s'agissait d'autre chose ?

Si leur éclat signifiait refus d'être laissées à elles-mêmes

volonté d'être avec nous

en dépit des années-lumière

chaque fois que revient le jour


_ _ _ _ _ _ _


Migration d'oiseaux selon des calendriers aberrants pour l'ornithologue

Ont-ils réinventé

un temps connu d'eux seuls?


Petit mammouth blotti dans un glacier

son œil vert clignote à chaque chant d'oiseau

Au millimètre de chaleur il avance


_ _ _ _ _ _ _


Vues d'avion les plaines picardes

font apparaître le tracé

de villas gallo-romaines

noyées sous la glaise des champs

et sur le même territoire

se superpose le réseau des tranchées

de la

Première

Guerre mondiale


Étranges croisements d'une

Histoire

dont la terre digère mal

les siècles d'alternance

entre calme et violence


_ _ _ _ _ _ _


Le microbe a du goût pour l'étoile

il se dérobe au microscope et sait flouer l'anticorps

Combien de douces maladies saura-t-il inventer encore ?


_ _ _ _ _ _ _


Quand l'avion explosa

il y eut au moins un oiseau

pour croire à la fin du monde


_ _ _ _ _ _ _


Le vert de l'été contient en impuissance le jaune de l'automne

La bûche de bois coupé ressemble étrangement à la fumée du souvenir


_ _ _ _ _ _ _


Orages magnétiques dévoreurs de bateaux dans le triangle des

Bermudes

Contrebandiers d'opium avalés par le triangle d'or

Pirates de la mer de

Chine aux jonques volatilisées

La mort aventurière a toujours les dents longues


_ _ _ _ _ _ _


Le ver est dans le fruit il y sculpte son monde mais lorsque le fruit tombe tout ver l'a déserté


_ _ _ _ _ _ _


Il est des pays terribles où la plupart des habitants ont à la place du visage

une cible

_ _ _ _ _ _ _


Le bœuf n'a pas souffert d'être écorché la souris fut disséquée après anesthésie

Entre la couveuse et le four électrique le poulet ne s'est aperçu de rien

Le poireau, lui, n'a pas d'âme on peut donc en faire du bouillon impunément


_ _ _ _ _ _ _


Chant matinal du coq

étouffé

par la stridence des réacteurs

En plaine, le blé lève dans un halo de kérosène

Vers

Singapour ou

Ceylan s'envolent les gros porteurs pour un tourisme forfaitaire


_ _ _ _ _ _ _


"Cette année, on a fait l'Asie »

Des statuettes de bouddhas rigolards

fabriqués à la chaîne

pourront en témoigner

sur les buffets des crémeries *


* "crémerie" ou "crèmerie", orthographes acceptées


_ _ _ _ _ _ _


Bach,

Vivaldi,

Brassens,

Mozart

descendus dans le métro

font recette aux heures de pointe


_ _ _ _ _ _ _


Leur musique adoucit les mœurs jusqu'à l'heure où les baladins jaloux commencent à jouer du couteau pour défendre leur territoire


_ _ _ _ _ _ _


Le diamant est une valeur refuge

Si vous parvenez

à vous nicher à l'intérieur

vous ne risquerez plus rien:

Le diamant est éternel


Jean Orizet (extraits de "Le regard et l'énigme", le cherche midi, 2008)

  1. -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

 
Printemps des Poètes 2015
CLIC vers la page TRADUCTIONS  <<PP15_-_TRADUCTIONS.html
Printemps des Poètes 2015 en français 
GS et ÉLÉMENTAIRE <<PP15-_GS_et_ELEMENTAIRE.html
Printemps des Poètes 2015 en français 
CLIC vers la page CHANSONS  <<PP15_-_CHANSONS.html
Printemps des Poètes 2014 en français 
CLIC vers les TEXTES
de LUC BÉRIMONT  <<auteurs_-_Luc_Berimont.html
et toujours pour la classe : 
RESSOURCES CRÉATION POÉTIQUE
avec pour exemples les textes du PRINTEMPS DES POÈTES 2009PP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.html
Printemps des Poètes 2015
CLIC vers la page ÉCOLE DE ROCHEFORT <<PP15_-_ecole_Rochefort.html
Fait de langue, la poésie est aussi, et peut-être d'abord, « une manière d'être, d'habiter, de s'habiter » comme le disait Georges Perros. 
Parole levée, vent debout ou chant intérieur, elle manifeste dans la cité une objection radicale et obstinée à tout ce qui diminue l'homme, elle oppose aux vains prestiges du paraître, de l'avoir et du pouvoir, le voeu d'une vie intense et insoumise. Elle est une insurrection de la conscience contre tout ce qui enjoint, simplifie, limite et décourage. Même rebelle, son principe, disait Julien Gracq, est le « sentiment du oui ». Elle invite à prendre feu. 

Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes
"Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent"
Victor Hugo
Printemps des Poètes 2015
CLIC vers la page TRADUCTIONS  <<PP15_-_TRADUCTIONS.html
Printemps des Poètes 2015 en français 
GS et ÉLÉMENTAIRE <<PP15-_GS_et_ELEMENTAIRE.html
Printemps des Poètes 2015 en français 
CLIC vers la page CHANSONS  <<PP15_-_CHANSONS.html
et toujours pour la classe : 
RESSOURCES CRÉATION POÉTIQUE
avec pour exemples les textes du PRINTEMPS DES POÈTES 2009PP_2009_-creation_fiches_SOMMAIRE.html
Printemps des Poètes 2015
CLIC vers la page ÉCOLE DE ROCHEFORT <<PP15_-_ecole_Rochefort.html
Printemps des Poètes 2015
POÈMES DE DÉPORTÉS <<PP15_-_DEPORTATION_poemes.htmlPP15_-_DEPORTATION_poemes.htmlPP15_-_DEPORTATION_poemes.htmlshapeimage_17_link_0shapeimage_17_link_1
  1.    Les textes publiés n'ayant pas fait l'objet d'une demande d' autorisation (sauf exception), les ayants droit peuvent nous en demander le retrait. 

la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 1
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de A à DPP15_-_COLLEGE-LYCEE_A_a_D.html
la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 2
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de E à IPP15_-_COLLEGE-LYCEE_E_a_I.html
la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 4
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de S à ZPP15_-_COLLEGE-LYCEE_S_a_Z.html

VOUS ÊTES SUR LA PAGE
PRINTEMPS DES POÈTES en FRANÇAIS  page 3

COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de J à R

la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 1
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de A à DPP15_-_COLLEGE-LYCEE_A_a_D.html
la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 2
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de E à IPP15_-_COLLEGE-LYCEE_E_a_I.html
la suite des textes est ici :
Printemps des Poètes 2015 en français  page 4
COLLÈGE-LYCÉE  auteurs de S à ZPP15_-_COLLEGE-LYCEE_S_a_Z.html
"Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri" (...)

Claude Roy
Printemps des Poètes 2014 en français 
CLIC vers les TEXTES
de LUC BÉRIMONT  <<auteurs_-_Luc_Berimont.html