Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique - page 3
auteurs de J à R - Collège, Lycée en français
Printemps des Poètes 2015 - L’insurrection poétique - page 3
auteurs de J à R - Collège, Lycée en français
Jean Perret (né en 1924)
source biographique :
http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=516
Il a connu un certain nombre d'activités professionnelles. Il a notamment dirigé pendant plus de 25 ans une coopérative de libraires et de papetiers. En outre, et parallèlement, il s'est adonné à de nombreuses activités, littéraires, théâtrales, associatives, ou militantes, changeantes et variées. Engagé "civiquement" et, en autres, dans le domaine des Droits de l'Homme et plus particulièrement dans celui des Droits de l'Enfant, il a assumé des reponsabilités diverses, par exemple au sein d'Amnesty International.
Sur le plan littéraire (outre quelques livres), il s'est fait connaître à travers de nombreuses revues et publications, dont Action-Poétique, Cahiers du Sud, Le pont de l'épée, La Nouvelle poésie Française, Le Journal des Poètes, Bacchanales, Arpa, Verso, etc; ainsi que dans diverses anthologies dont Dictionnaire de la poésie de Jean Rouosselot, La poésie contemporaine de Serge Brindeau, Anthologie de la poésie française de Robert Sabatier. Romancier, poète, essayiste, Il a participé à la rédaction des revues "L'Action poétique" et "Change".
Quelques recueils poétiques : Liturgie pour la nuit (éditions Millas Martin, 1958) ; Quand Anna murmurait (éditions Chambelland, 1963 et anthologie des poésies, Flammarion, 1999) ; Les états provisoires (POL éditeur, 1984) ; Visage des Nuits (éditions Flammarion, 2005)
*Le Parti de l'Istiqlal (PI ; en arabe حزب الإستقلال, en français, « Parti de l'indépendance ») est le premier parti politique marocain, fondé pour obtenir l'Indépendance étatique du Maroc, et remplacer le protectorat colonial français par une monarchie constitutionnelle.(Wikipédia)
*
AVANT-PROPOS DE MAUVAISE FOI
Ça vous fait rire !
Ça vous fait rire mes poèmes, satire, épître ou complainte, mes citations, mon insistance, ça vous fait rire, vous les esthètes, vous, les gens cultivés, fatigués, vous, les Français.
Ça vous fait rire la poésie politique, l'Algérie dans mes poèmes avec ses interminables cris, ses hurlements de bête assassinée, avec ses voix innombrables clamant l'Istiqlal.
Ça vous fait rire mon parti pris, vous, les politiques, les esprits forts, vous qui conduisez les masses, vous qui dormez dans le lit des masses.
Ça vous fait rire.
Ça vous fait rire ma maladie, ma honte d'être responsable, ma colère et ma rage au cœur.
Ça vous fait rire, vous les poètes classiques, les faiseurs de sonnets fanfarons, d'alexandrins célébrant le culte des dieux nouveaux.
Ça vous fait rire.
Jean Perret (dans "Nommer la peur, poèmes politiques", de Gabriel Cousin et Jean Perret , préface de Georges Mounin - collection "J'exige la parole" volume 14 - éditions P.-J. Oswald, 1967)
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dans ce même recueil, un texte de Gabriel Cousin (1918-2010)
Gabriel Cousin est "auteur de quelque 35 ouvrages dont une quinzaine de pièces de théâtre et une vingtaine de recueils de poésies". (Wikipédia)
TORTURES 58
Que les femmes se lèvent et se mettent en
marche.
Que les jeunes filles, que les mères, se lèvent et
crient.
Que les épouses, les amantes, dont le ventre a
senti l'inoubliable fusion, se lèvent et s'assemblent.
Que les amoureuses se dressent et montrent leur
ventre desséché, minéralisé, inutilisé tant que des
bourreaux encercleront la verge de l'homme des bagues
de la dynamo.
Gabriel Cousin, Mai 1958
dans "Nommer la peur, poèmes politiques", de Gabriel Cousin et Jean Perret (éditions P.-J. Oswald, 1967)
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Jacques Prévert
Jacques Prévert (1900-1977), d’abord poète surréaliste, ami entre-autres de Raymond Queneau, s'éloignera du surréalisme pour une poésie "populaire", frondeuse, parfois très caustique à l'endroit des corps constitués : l'Armée, l'Église, les institutions ...
Une grande partie de son œuvre poétique, en prose ou en vers libres, est accessible aux plus jeunes, avec des textes pleins d'humour et d'humanité, petites saynètes du quotidien.
Jacques Prévert est très présent dans les cahiers de récitation. "Paroles" (1945), est un des recueils de poésie les plus vendus et les plus traduits dans le monde.
Prévert est aussi auteur de théâtre et parolier ("Les feuilles mortes", pour ne citer qu'une chanson), ainsi que scénariste de films (Quai des brumes, les Visiteurs du soir, les Enfants du paradis) réalisés par Marcel Carné.
Les textes qui suivent, avec parfois une proposition de création poétique, se trouvent déjà sur ce site planètelieucommun (ou le blog lieucommun.canalblog.com) dans les pages des Printemps des Poètes passés (humour, éloge de l’autre ...) - Voyez la page d’accueil.
★On trouvera d’autres textes de Prévert pour ce Printemps 2015 dans la catégorie GS et ÉLÉMENTAIRE (< CLIC ICI)
MAI 1968
I
on ferme !
Cri du coeur des gardiens du musée homme usé
Cri du coeur à greffer
à rafistoler
Cri d’un coeur exténué
On ferme !
On ferme la Cinémathèque et la Sorbonne avec
On ferme !
On verrouille l'espoir
On cloitre les idées
On ferme !
O.R.T.F. bouclée
Vérités séquestrées
Jeunesse bâillonnée
On ferme !
Et si la jeunesse ouvre la bouche
par la force des choses
par les forces de l'ordre
on la lui fait fermer
On ferme !
Mais la jeunesse à terre
matraquée piétinée
gazée et aveuglée
se relève pour forcer les grandes portes ouvertes
les portes d'un passé mensonger
périmé
On ouvre !
On ouvre sur la vie
la solidarité
et sur la liberté de la lucidité.
II
Des gens s'indignent que l'Odéon soit occupé alors qu'ils trouvent encore tout naturel qu'un acteur occupe, tout seul, la Tragi-Comédie-Française depuis de longues années afin de jouer, en matinée, nuit et soirée, et à bureaux fermés, le rôle de sa vie, l’Homme providentiel, héros d’un très vieux drame du répertoire universel : l'Histoire ancienne.
Jacques Prévert (Choses et autres)
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Malgré moi
Embauché malgré moi dans l’usine à idées
j’ai refusé de pointer
Mobilisé de même dans l’armée des idées
j’ai déserté
Je n’ai jamais compris grand chose
Il n’y a jamais grand chose
ni petite chose
il y a autre chose
Autre chose
c’est ce que j’aime qui me plaît
et que je fais.
Jacques Prévert (Soleil de nuit)
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Commémoration de la Commune
À l’école on nous a raconté des histoires
L’histoire de France
Il était une fois un roi et une reine
Ralliez vous à mon panache blanc
Du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent
Notre histoire à nous
Ce sont les jacqueries, les communes
…. Nos batailles
Les grèves, les insurrections
… Nos défaites
Les répressions
Apprenons notre histoire, camarades
En 1871, première grande victoire du prolétariat
La Commune de Paris
Camarades, c’est vous qui écrivez notre histoire.
Jacques Prévert (emprunté à «Octobre: skeches et chœurs parlés pour le groupe Octobre (1932-1936)»,André Heinrich,Gallimard, 2007)
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Le texte qui suit a été écrit par Prévert en janvier 1933, date de l’accession au pouvoir d’Hitler :
L’Avènement d’Hitler
Braves gens vous pouvez dormir sur vos deux oreilles
Dormez braves gens Dormez
Mais…
Krach… Krach… Krach….
Les banques de New York baissent leur rideau de fer
Les braves gens sont debout livides au bas du lit
Qu’est-ce que vous dites… Je suis mal reveillé
La bourse de New York va fermer
Comme c’est près New York. Comme c’est près…
Câblez… Câblez… Câblez
Ça va mal au pays de la prospérité
Ford demeure maintenant au rez-de –chaussée
S’il se jette par la fenêtre, on pourra peut-être le sauver…
Ça va mal …
Le bourgeois pleure des larmes et grince des dents
Il devient de plus en plus méchant…
Comme ce grand homme mythologique
Qui n’était sensible qu’au talon
Le bourgeois n’est sensible qu’au fric
Même quand on lui joue du violon
Il tuerait bien tout le monde pour garder sa maison
Mais il ne peut pas tuer lui-même
Il faut qu’on croie qu’il est bon
Alors il cherche un homme. Comme Diogène
Alors il trouve un homme au fond d’un vieux tonneau de peinture
Hitler… Hitler… Hitler
L’homme de paille pour foutre le feu
Le tueur. Le provocateur
On présente d’abord le monstre en liberté
On le présente aux ouvriers
« C’est un ami presque un frère. Un ancien peintre en bâtiment »
Le moindre mal quoi !
C’est moins dangereux qu’un général
Un ancien peintre en bâtiment
Et maintenant
les quartiers ouvriers sont peints couleur de sang
Là-bas c’est Hitler.
Ici. Demain.
Si l’ouvrier se laisse faire
Ce sera Tardieu ou Weygand ou un autre
Travailleurs attention.
Votre vie est à vous. Ne vous la laissez pas prendre
Socialistes sans Parti Communistes
La main qui tient l’outil ressemble à la main qui tient l’outil
Serrez les poings
Travailleurs attention. Il faut matérialiser votre haine
Haïr. Lutter. S’unir. Voilà nos cris.
Plus que jamais
Prolétaires de tous les pays Unissez-vous !
Jacques Prévert, 1933
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Lumières d’Hommes
Somnambule en plein midi
même la viande sur la fourchette
même la fourchette à la main
toujours très près des camarades
mais si loin tout de même si loin
et donner la pâtée au chien
mais je voyais la pâtée s’enfuir
le chien courir le long du mur
et j’entendais ses soupirs
et le chien voyait ma lumière
mon astre
et laissait la pâtée courir
j’avais cette lumière là sur moi
comme ça
mais ce n’était pas
ma lumière
elle était là comme ça
j’aurais voulu
j’ai tout essayé
j’aurais voulu m’en débarrasser… partager
mais elle brûlait tout le monde
personne n’en voulait
mais
si je la mettais en veilleuse
tout le monde applaudissait
lumière couleur de lanterne sourde
petite lampe sans danger
elle plaisait
mais la grande lueur de l’indifférence avouée
le vrai lampadaire
le bec de gaz saignant
contre lequel l’amour saignant se cogne
se blesse
se tue
sans vraiment mourir
la comète
le grand rat de cave que chacun porte dans sa poitrine
l’inquiétante et magnifique lueur
cette braise
personne presque personne n’en veut
petits mensonges lumineux couleur de vérité lumineuse
vérités verroteries
lumière béate de l’homme franc qui vous regarde bien en face
salamandre installée dans le front du penseur
bois et charbons
petits briquets de l’amitié
feux de paille
feux de poutres
feux de joies
de Bengale et de tous bois
allumettes
brindilles
boulets bernots
comme vous plaisez !
ne croyez pas que je pousse le cri du ver luisant qui s’excuse de briller
ou la plainte déchirante du cul-de-jatte qui voudrait patiner
non…
je hurle à la lumière avec de l’encre et du papier
le soir tard
et je crie
tout de même
il y a la lumière
chacun a sa lumière
et le monde crève de froid
le monde a peur de se brûler les doigts
évidemment
c’est la lumière qui brille qui brûle qui fait cuire
et qui glace le sang
c’est la grande omelette surprise
le soleil avec des caillots de sang
lueur du cœur
lueur de l’amour
lueur
oh il faut la poursuivre cette lueur aveuglante
elle existe
elle crève les yeux
mais s’ils faut que les yeux crèvent pour tout voir
crevez les yeux
c’est la lumière vivante que chacun porte en soi
et que tout le monde étouffe pour faire comme tout le monde
lumière défendue
tu grilles ceux qui t’approchent
ceux qui veulent te prendre
mais tu les aimes
lumière vivante
la vie c’est toi
la vie vivante qui marche en avant
en revenant sur ses pas
qui marche tout droit qui fait des détours et qui n’en fait pas
soleil de nuit
lune de jour
étoiles de l’après-midi
battements de cœur avant l’amour
pendant l’amour
après l’amour
grande lumière dans l’œil du porc qui fait l’amour
lumière telle que sans abat-jour
lumière brute lumière rouge
lumière crépusculaire
indifférente avide passionnée
lumière de printemps si douce
lumière d’enfant
toujours la même lumière cruelle et lucide
mais parfois si belle
visages qui vous approchez
yeux fermés
bouches ouvertes
tout tourne et tout flambe
vos deux têtes
tête de garçon
tête de fille
vos deux têtes tournent et oublient…
c’est un astre
un instant
une victoire
une prise
éclair obscur du mauvais temps
feux follets de la morale
croix de feu
pétards mouillés
ciboires bien astiqués
malheureux petits soleils de cuivre
ostensoirs
comme ils sont ridicules et blêmes vos rayons
lorsque la lumière de celle qui aime l’amour
rencontre la lumière de celui qui aime l’amour
drôle d’incendie
peu importe sa durée
toujours hier demain bonjour bonsoir autrefois jamais toujours et vous-mêmes
qu’est-ce que ça fout pourvu que ça flambe.
Jacques Prévert (Soleil de nuit)
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Pater Noster
Notre Père qui êtes au cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l'Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuileries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-mêmes d'être de telles merveilles
Et qui n'osent se l'avouer
Comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Avec leurs tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs
reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l'acier des
canons.
Jacques Prévert (Paroles, 1945)
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Barbara
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abîmé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
Jacques Prévert (Paroles, 1945)
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Raymond Queneau
Raymond Queneau (1903-1976) appartient au mouvement surréaliste, qu'il quittera (exclusion), comme beaucoup d'autres. Il est l'un des fondateurs du mouvement littéraire "Oulipo" (Ouvroir de Littérature Potentielle).
Il invente des règles d'écriture (remplacer par exemple chacun des mots d'un texte par le mot situé dans le dictionnaire 7 mots plus loin).
Auteur en particulier d' Exercices de style et de Zazie dans le Métro, il publie en 1961 l'ouvrage Cent Mille Milliards de Poèmes, qui permet par combinaisons de vers de composer une infinité (ou presque !) de sonnets réguliers.
Il est élu à l'Académie Goncourt en 1951.
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Grand standigne
Un jour on démolira
ces beaux immeubles si modernes
on en cassera les carreaux
de plexiglas ou d'ultravitre
on démontera les fourneaux
construits à polytechnique
on sectionnera les antennes
collectives de télévision
on dévissera les ascenseurs
on anéantira les vide-ordures
on broiera les chauffoses
on pulvérisera les frigidons
quand ces immeubles vieilliront
du poids infini de la tristesse des choses
Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)
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Cris de Paris
On n'entend plus guère le repasseur de couteaux
le réparateur de porcelaines le rempailleur de chaises
on n'entend plus guère que les radios qui bafouillent
des tourne-disques des transistors et des télés
ou bien encore le faible aye aye ouye ouye
que pousse un piéton écrasé
Raymond Queneau ("Courir les rues" - 1967, Gallimard poésie)
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L’espèce humaine
L’espèce humaine m’a donné
le droit d’être mortel
le devoir d’être civilisé
la conscience humaine
deux yeux qui d’ailleurs ne fonctionnent pas très bien
le nez au milieu du visage
deux pieds deux mains
le langage
l’espèce humaine m’a donné
mon père et ma mère
peut-être des frères on ne sait
des cousins à pelletées
et des arrière-grands-pères
l’espèce humaine m’a donné
ses trois facultés
le sentiment l’intelligence et la volonté
chaque chose de façon modérée
l’espèce humaine m’a donné
trente-deux dents un cœur un foie
d’autres viscères et dix doigts
l’espèce humaine m’a donné
de quoi être satisfait
Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1948, Gallimard)
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Quelqu'un
Quand la chèvre sourit
quand l’arbre tombe
quand le crabe pince
quand l’herbe est sonore
plus d’une maison
plus d’une coquille
plus d’une caverne
plus d’un édredon
entendent là-bas
entendent tout près
entendent très peu
entendent très bien
quelqu’un qui passe et qui pourrait bien être
et qui pourrait bien être quelqu’un
Raymond Queneau ("L'Instant fatal" - 1948, Gallimard)
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Charles le Quintrec
Charles Le Quintrec, né en 1926 en Bretagne, est un écrivain et poète français.
Un de ses derniers romans : Les enfants de Kerfontaine (Albin Michel, 2007).
L'enfant
L’enfant n’est pas un ange
Ce n’est pas un démon
Il se cogne aux étoiles
Sans se blesser le front
Roi des eaux sidérales
Il s’invente un royaume
Un royaume à cheval
Entre l’aurore et l’aube
Chaque jour son regard
Recommence le monde.
Charles Le Quintrec
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Paul-Louis Rossi
Paul-Louis Rossi est né en 1933. Romancier, poète, essayiste, Il a participé à la rédaction des revues "L'Action poétique" et "Change".
Quelques recueils poétiques : Liturgie pour la nuit (éditions Millas Martin, 1958) ; Quand Anna murmurait (éditions Chambelland, 1963 et anthologie des poésies, Flammarion, 1999) ; Les états provisoires (POL éditeur, 1984) ; Visage des Nuits (éditions Flammarion, 2005)
Chaque nuit
Chaque nuit
je me promène
solitaire et calme
contemplant
sous un amas de poussières
les objets de mon insomnie
Paul-Louis Rossi (extrait de "Quand Anna murmurait", anthologie de poésies, Flammarion, 1999)
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Un texte image pour le thème du Printemps des Poètes :
Les enfants crient (titre proposé)
Les enfants crient ce soir dans les ruelles
obscures tous Italiens Gitans Espagnols
Siciliens Tziganes moitié Juifs moitié Arabes
moitié Sardes Egéens Corses Egyptiens
Grecs tous fils indignes des Villes
Corinthe Gênes Béotie Massilia la
Porte de la Narbonnaise un point humide
chaud
sans un
souffle ...
Paul-Louis Rossi ("Les états provisoires" - POL éditeur, 1984)
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Jehan Rictus
Jehan Rictus, dont la quasi totalité de l’œuvre est en phase avec le thème de l’insurrection poétique est avec Gaston Couté ici sur le blog lieucommun avec quelques textes, en attendant la mise en ligne sur ce site :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/jehan_rictus_et_gaston_coute_z_ont_mal_tourne/index.html
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Madeleine Riffaud
Madeleine Riffaud en 1968 (photo Dityvon) et Madeleine Riffaud aujourd'hui, la même Résistante, seuls les combats ont changé ...
On qualifie parfois Madeleine Riffaud d'"ancienne résistante". C'est faux, elle n'a jamais cessé de résister.
Résistante contre le nazisme, journaliste engagée (grand reporter pour le quotidien communiste L'Humanité), elle a couvert des guerres, des combats, des luttes sociales, publié des romans, des contes pour enfants (Le chat si extraordinaire ; Contes du Viet-Nam, illustrés de dessins de Ragataya), des romans, des récits :
Dans les maquis Vietcongs ;
Au Nord-Vietnam : Écrit sous les bombes ;
Les linges de la nuit) *
et des poèmes :
"Le Poing fermé», références ci-dessous ;
«Le Courage d’aimer», collection «Poésie 49», recueil n°7», Pierre Seghers,1949 ;
«Vienne le temps des pigeons blancs» idem, collection Poésie 51
et «Cheval rouge : anthologie poétique, 1939-1972" , Éditeurs Français Réunis, 1973)
Cet ouvrage réunit les textes des recueils précédents avec 4 dessins originaux d`Abidine
On ne propose aux élèves que les 3 premières strophes du poème qui suit ...
Pour les petites classes, ça se justifie peut-être ...
Madeleine Riffaud l’a écrit en 1940 à l’âge de seize ans, et il annonce son engagement dans l’action moins de deux années plus tard sous le pseudonyme de Rainer (en référence au poète Rainer Maria Rilke).
Il ne faut donc pas réduire ce Cheval bleu à une image de conte de fées, Ce n’est pas un Cheval rouge (autre poème qui donne son titre au recueil) qui aurait adouci sa couleur de sang, il est du même combat.
Il ne prend tout son sens, avec ses «deux ailes acérées», qu’au terme du parcours.
Cheval bleu
J’avais un petit cheval bleu
Qui se promenait dans ma chambre
En liberté, crinière longue
Et des rayons sur ses sabots.
Il galopait sur le bureau,
Sur les bouquins de l’étagère.
Il galopait, tête levée
Sur la steppe blanche des draps.
Il vivait d’un reflet
S’endormait chaque nuit
Dans le creux de mes mains
Comme font les oiseaux.
Mais un soir qu'il dansait, léger
Sur les rayons verts de la lune
Deux ailes acérées
S'ouvrirent dans son dos.
Il s'envola sans m'emporter
Mon cheval bleu aux ailes neuves
Par la fenêtre, sur le ciel.
Plus rien ne bougea dans la nuit
Où deux torrents grondaient tout bas,
Mousse d'argent sur le balcon.
Neige des draps, neige des monts.
Et mes deux mains écartelées.
(1940)
Madeleine Riffaud («Cheval rouge, poèmes 1969-1972» EFR, 1973)
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Nuit
Il fait noir
Acceptons la nuit,
Nuit :
Terre à étoiles.
Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)
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Capturée par la Milice et livrée à la Gestapo, elle sera emprisonnée et torturée. Elle a écrit le poème qui suit sur le sol de sa cellule de Fresnes dans la nuit du 4 au 5 août 1944.
Elle aura la vie sauve grâce aux dernières luttes de la Résistance et à la désorganisation des forces nazies.
Ce poème a été publié dans son ouvrage "On l'appelait Rainer : 1939-1945" (Éditions Julliard, 1994)
Chanson
Ils me banderont les yeux
Avec un mouchoir bleu
Ils me feront mourir
Sans me faire souffrir
Ils m'avaient tué un camarade
Je leur ai tué un camarade.
Ils m'ont battue et enfermée.
Ont mis des fers à mes poignets
-- Sept pas de long
À ma cellule
Et en largeur
Quatre petits -
Elle est murée - plus de lumière -
La fenêtre de mon cachot.
Et, la porte, elle est verrouillée.
J'ai les menottes dans le dos
- Tu te souviens ?
Soirs sur la Seine …
Et les reflets …
Le ciel et l'eau …
Ils sont dehors, mes frères de guerre
Dans le soleil et dans le vent.
Et si je pleure - je pleure souvent -
C'est qu'ici je ne puis rien faire.
-- Sept pas de long
Et puis un mur
Si durs, les murs
Et la serrure.
Ils ont bien pu tordre mes mains
Je n'ai jamais livré vos noms.
On doit me fusiller - demain.
As-tu très peur, dis ? Oui ou non ?
Le temps a pris
Le mors aux dents !
Courez, courez
Après le temps !
Ceux-là, demain, qui me tueront,
Ne les tuez pas à leur tour.
Ce soir, mon cœur n'est plus qu'amour.
Ce sera comme la chanson :
Les yeux bandés
Le mouchoir bleu
Le poing levé
Le grand adieu !
Madeleine Riffaud ("On l'appelait Rainer : 1939-1945" - Éditions Julliard, 1994)
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Mitard
Un allemand, poison et fer
Écrase des souris à grands coups de talon.
Le sol de la cellule est sanglant
De leurs petits corps mutilés.
Une patte levée, dans la chair et le sang.
Un petit cri aigu à transpercer la tête.
Un allemand s’amuse à tuer des souris.
Et la pluie nous rend fous.
Ils m’ont jeté un chapelet
Dans le noir glacé du cachot
- Chaîne de fer et croix de bois -
Le chapelet des fusillés.
Il sent l’église au mois de mai
Fête-Dieu, cierges et encens,
Réticule de mère-grand.
Entre mes mains chaîne légère
Auprès des menottes coupantes.
Ils m’ont jeté un chapelet
Comme au chien un os à ronger.
Les grosses clefs dans les serrures
Même, la nuit tournent encore
Et les éclats de leurs voix dures
Me font sursauter si je dors.
Bottes ferrées dans les couloirs.
Porte entrouverte et refermée :
Un camarade est emmené.
Sur les murs, il y a des cris
Des mots gravés avec un clou.
Oh désespoir, ou espoir fou
De ceux qui sont morts avant moi ...
Je sens bien qu’ils sont encore là
Autour de moi, et me regardent.
Leurs yeux s’allument quelquefois
Dans le noir comme des étoiles.
Et ma tête s’appuie
A leurs épaules d’ombre ...
Madeleine Riffaud
(repris dans "Cent poèmes de la Résistance", Alain Guérin, Omnibus, 2008)
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Arthur Rimbaud
Arthur Rimbaud (1854-1891) est-il trop connu pour être présenté ? Est-il ce "poète de sept ans" (il commence à publier à quinze ans) qui "s'en allait les poings dans (ses) poches trouées", ou bien l'ami fâché de Verlaine, ou encore cet aventurier perdu de vue en Éthiopie dans une seconde vie. Rimbaud est tout cela. Il reste le marginal pleine page des anthologies de poésie, icône toujours moderne de l'adolescence révoltée, en recherche d'espace et de liberté.
Le loup criait
Le loup criait sous les feuilles
En crachant les belles plumes
De son repas de volailles :
Comme lui je me consume.
Les salades, les fruits
N’attendent que la cueillette ;
Mais l’araignée de la haie
Ne mange que des violettes.
Que je dorme ! que je bouille
Aux autels de Salomon.
Le bouillon court sur la rouille,
Et se mêle au Cédron.
Arthur Rimbaud ("Poésies")
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Le dormeur du val
C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil de la montagne fière
Luit ; c'est un petit val qui mousse de rayons.
Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.
Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme.
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.
Arthur Rimbaud ("Poésies")
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Ma bohème
Je m'en allais, les poings dans mes poches crevées ;
Mon paletot aussi devenait idéal ;
J'allais sous le ciel, Muse ! et j'étais ton féal ;
Oh ! là ! là ! que d'amours splendides j'ai rêvées !
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit-Poucet rêveur, j'égrenais dans ma course
Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.
- Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !
Arthur Rimbaud ("Poésies")
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Roman
I
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière ...
II
- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche ...
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête ...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête ...
III
Le cœur fou robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux col effrayant de son père ...
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif ...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines *...
IV
Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire ! ...
- Ce soir-là..., - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.
* une cavatine est une courte partie mineure chantée, terminant un passage vocal, dans un opéra ou un oratorio. Ici, par extension, ce terme est plutôt péjoratif et désigne sans doute un morceau d'une romance populaire, chantonné.
Arthur Rimbaud ("Poésies")
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Jean Ristat (né en 1943)
Jean Ristat est un poète, écrivain, directeur de revue et éditeur français.
Il est l'actuel directeur des Lettres françaises, le supplément littéraire du quotidien L'Humanité.
Il est en outre responsable de l'édition complète des écrits d'Aragon, dont il est l'exécuteur testamentaire.
(source : éléments de sa biographie Wikipédia)
Ode pour hâter la venue du printemps (passage n° 24)
24
Nous allons sur les grandes routes par le
Monde en guerre nous avons tout perdu le vent
Nous habille le ciel nous lave l’amour
Est notre livre défendu nouveaux croisés
Nous aimions autrefois les rolling stones
Et la musique ébranlait le capitalisme
Insolents nous forgions l’avenir dans un
Atelier de rythmes inouïs et de sono
Rités éclatantes une tendre violence
Déchirait nos cœurs nous avons dressé dans pa
Ris des barricades lancé des pavés comme
Bouteilles à la mer nous fûmes vaincus par des
Vieillards tristes et apeurés qu’avons-nous fait
De l’espoir nous avons reconstruit les temples et
Changé d’uniforme tu as oublié ca
Marade le mois de mai tu enseignes l’ordre
Démolis ta maison sors dans la rue et
Regarde tu es comme un aveugle qui tend
Toujours la main jette ta canne avoue les
Songes qu’on ne t’a pas appris lève-toi et
Ose
Jean Ristat
(Ode pour hâter La Venue du printemps, Gallimard, 1978 et Ode pour hâter La Venue du printemps suivi de Tombeau de Monsieur Aragon - Le Parlement d'amour - La Mort de l'aimé ; en Poésie/Gallimard, 2008)
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Pierre de Ronsard (1524-1585)
Pierre de Ronsard (1524-1585) a fondé avec Joachim du Bellay, le groupe de sept poètes appelé "La Pléïade".
Voici le texte intégral d'un poème, lui aussi des plus connus, écologique avant la lettre. Il reste aujourd'hui de cette grande forêt de Gastine,"le bois de Gâtine" et ses étangs, site heureusement protégé du Loir-et-Cher.
On propose en général de ce texte le passage coloré, à partir de "Écoute, bûcheron," passage dont le texte a été légèrement modernisé :
Contre les bûcherons de la forêt de Gastine
Quiconque aura premier la main embesognée
A te couper, forêt, d’une dure cognée,
Qu’il puisse s’enferrer de son propre bâton,
Et sente en l’estomac la faim d’Erisichton,
Qui coupa de Cérès le Chêne vénérable
Et qui gourmand de tout, de tout insatiable,
Les bœufs et les moutons de sa mère égorgea,
Puis, pressé de la faim, soi-même se mangea :
Ainsi puisse engloutir ses rentes et sa terre,
Et se dévore après par les dents de la guerre.
Qu’il puisse pour venger le sang de nos forêts,
Toujours nouveaux emprunts sur nouveaux intérêts
Devoir à l’usurier, et qu’en fin il consomme
Tout son bien à payer la principale somme !
Que toujours sans repos ne face en son cerveau
Que tramer pour néant quelque dessein nouveau,
Porté d’impatience et de fureur diverse,
Et de mauvais conseil qui les hommes renverse !
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ;
Tu perdras le silence, et haletants d'effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.
Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphire,
Où premier j'accordai les langues de ma lyre,
Où premier j'entendis les flèches résonner
D'Apollon, qui me vint tout le coeur étonner,
Où premier, admirant ma belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta,
Et de son propre lait Euterpe m'allaita.
Adieu, vieille forêt, adieu têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées.
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlés en l'été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent tes meurtriers et leur disent injures.
Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens.
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître ;
Peuples vraiment ingrats, qui n'ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi leurs pères nourriciers !
Que l'homme est malheureux qui au monde se fie !
Ô dieux, que véritable est la philosophie,
Qui dit que toute chose à la fin périra,
Et qu'en changeant de forme une autre vêtira !
De Tempé la vallée un jour sera montagne,
Et la cime d'Athos une large campagne ;
Neptune quelquefois de blé sera couvert :
La matière demeure et la forme se perd.
Pierre de Ronsard ("Élégies", élégie XXIV, 1565)
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Jacques Roubaud
Jacques Roubaud est né en 1932. Il se définit lui-même comme un "compositeur de mathématiques et de poésie". Traducteur et auteur de recueils de poésies pour les enfants, il est membre de l'Oulipo, l’Ouvroir de Littérature Potentielle (voir la présentation de Raymond Queneau sur ce blog).
Le texte suivant a été mis en ligne sur le site officiel du Printemps des Poètes pour l'édition 2008, sur le thème de "l'Éloge de l'autre".
L’autre, 1 ...
L’autre, 1
si je est un autre
de quel autre
alors, suis-je l’autre ?
L’autre, 2
ce je qui est autre
est-ce moi ?
est-ce moi encore ?
L’autre, 3
es-tu toi aussi
es-tu autre ? es-tu, toi, une autre ?
Jacques Roubaud (éditions Printemps des poètes 2008, Poèmes sur le thème : Éloge de l'autre).
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Je pense à toi
Quand je pense
quand je pense
quand je pense à toi
je me demande
je me demande
si tu penses à moi
et s’il se trouve que tu penses
que tu penses à moi
au moment même où je me demande
où je me demande
si tu penses à moi
est-ce que tu te demandes
te demandes
si je pense à toi ?
et tant je me demande
demande
si tu penses à moi
qu’à la fin je me demande
je me demande
si j’ai pensé à toi
Jacques Roubaud (dans "Poète toi-même, anthologie" - Le Castor Astral, collection Escales du Nord, 2000)
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Jean Rousselot
voir la page
des Poètes de l'École de Rochefort < ICI
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Claude Roy
Claude Roy (1915-1997) est lui aussi présent dans les catégories pour la classe (Le chat blanc - Chevaux : trois ; oiseau : un - J'ai trouvé dans mes cheveux - Les corridors où dort Anne qu'on adore - Le soleil dit bonjour).
Le texte ci-dessous est plutôt pour le collège ou le lycée.
On en propose en général la première partie, jusqu’à “J'y suis pour tout le monde”...
Jamais je ne pourrai
Jamais jamais je ne pourrai dormir tranquille aussi longtemps que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
ni jamais vivre de bon coeur tant qu'il faudra que d'autres meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au coeur mal à la terre mal au présent
Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne Le poète dit J'y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d'entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J'en vois de toutes les couleurs
J'y suis pour tout le monde
Pour ceux qui meurent parce que les juifs il faut les tuer
pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'est fait pour être exterminé pour ceux qui saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique
pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler
pour ceux qui pleurent parce que s'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer
pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français
pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes
Claude Roy ("Les Circonstances" - Éd Gallimard 1970)
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André Ruellan (né en 1922)
André Ruellan est un écrivain de science-fiction et scénariste français né le 7 août 1922 à Courbevoie. Il a également écrit sous divers pseudonymes dont le principal est Kurt Steiner.
On a retourné la maison
On a retourné la maison comme un gant
et tous les meubles sont tombés
avec les locataires
les chiens sont tous enragés
les bateaux à l'ancre pour jamais
et un rire noir sonne dans les champs
les cathédrales fondent
les cloches rendent un son de cuir
qui dira la peur des arbres
dans le lait rouge de la nuit
apportez-moi seulement un couteau
dont la lame ne rentre pas dans le manche
un crayon qui ne se fracasse pas dans la main
des ciseaux qui coupent
un enfant sans béquilles
un fruit mangeable
trouvez un homme un seul
qui possède encore ses oreilles
André Ruellan ("De flamme et d'ombre", Fleuve Noir, Bibliothèque du fantastique, 1999)
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✦auteurs en bleu = lien vers une autre page du site
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TEXTES DE DÉPORTÉS (Auschwitz, Buchenwald ...) ICI :
Printemps des Poètes 2015
POÈMES DE DÉPORTÉS <<
TEXTES par AUTEURS :
Textes anonymes
Théodore Agrippa d'Aubigné
Pierre Albert-Birot
Marc Alyn
Louis Aragon
Antonin Artaud
Lucien Becker (lien vers les poètes de l'École de Rochefort)
Alain Boudet
Pierre Boujut
Alain Bosquet
Alain Ilan Braun
Odile Caradec
Jean Cassou
René Char
Andrée Chedid
Marianne Cohn
Charlotte Delbo
René Depestre
Robert Desnos
Jean-Pierre Develle
David Diop
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Paul Éluard
Pierre Emmanuel
Jean Follain (École de Rochefort)
Maurice Fombeure (École de Rochefort)
André Frédérique
Jean Genet
José María de Heredia
Yves Heurté
Victor Hugo
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page 3 (J à R) - - VOUS Y ÊTES !
Jean Joubert
Anise Koltz
Henri Kréa
Abdellatif Laâbi
Joseph Lanza del Vasto
Claude Le Petit
Robert Lohro (Lionel Ray)
Bernard Lorraine
Claude Maillard
Jean Malrieux
Henri Michaux << lien vers la page
Théodore Monod
Gérard de Nerval
Gérard Noiret
Jean Orizet
Jean Perret (et Gabriel Cousin)
Jacques Prévert
Sully Prudhomme
Raymond Queneau
Jehan Rictus << lien vers la page du blog (en attendant)
Madeleine Riffaud
Arthur Rimbaud
Jean Ristat
Pierre de Ronsard
Jacques Roubaud
Claude Roy
André Ruellan
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Robert Sabatier
Amina Saïd
Jacqueline Saint-Jean
Jean-Philippe Salabreuil
Albertine Sarrazin
Pierre Seghers
Sabine Sicaud
Jean-Pierre Siméon
Andrée Sodenkamp
Jules Supervielle
André Spire
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Tristan Tzara
Angèle Vannier
Émile Verhaeren
Anne Vernon
Alexandre Vialatte
Boris Vian << lien vers la page
Paul Vincensini << lien vers la page
Charles Vincent >>
Kenneth White << lien vers la page
Liliane Wouters
Les textes proposés dans cette page sont destinés aux élèves du Collège ou du Lycée.
On peut aussi en proposer certains en élémentaire
(voir aussi pour ce niveau la page GS-ÉLÉMENTAIRE).
lieucommun interprète librement et à sa manière le thème de l’insurrection poétique :
Textes s’écartant par la forme ou/et le fond des critères poétiques habituellement attendus ;
textes de révolte, de revendication, ou encore existentiels, sur l’état même de poète, d’homme, d’être (et d’objet, pourquoi pas) et le rapport au monde.
Ainsi se recoupent par exemple les thèmes de révolte, de liberté, rejoignant d’autres Printemps des Poètes («éloge de l’autre»)
Une grande partie de ces textes sont importés d’autres pages du site, où on en trouvera d’autres autour du thème 2015.
Ils sont accessibles en cliquant ici :
Printemps des Poètes : HUMOUR
et du blog lieucommun :
Printemps des Poètes : L’AUTRE
Jean Joubert (né en 1928)
Jean Joubert est un romancier et poète, auteur pour l'enfance et la jeunesse, et donc pour un plus large public.
Le veilleur solitaire
Il y a toujours dans la nuit de la ville
une petite fenêtre qui brille
très loin au bord du ciel
une fenêtre au loin, une lampe qui brûle,
un homme ou peut-être un enfant
penché sur la page d'un livre
où les mots brûlent et brillent.
Et le cœur de l'homme ou de l'enfant
brûle d'un sang plus vif,
s'exalte, s'illumine.
Il y a toujours au bord du ciel
un veilleur solitaire
qui cherche dans la nuit
son chemin de clarté.
Jean Joubert ("La maison du poète" - Pluie d'étoiles éditions, 1999)
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Les amis perdus
Et les amis perdus, au hasard des routes,
les égarés,
les morts,
les oublieux,
ceux qui laissèrent sur le papier de minces traces,
ceux qui parlent au loin
avec une autre voix,
ceux qui ragent dans le désert,
ceux qui trahissent
et nous blessent.
De ces visages emportés,
que reste-t-il au soir,
dans cette chambre vide ?
Jean Joubert ("poème emprunté ici :
http://www.philagora.org/jean-joubert/peuple.htm )
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Asseyez-vous peuple de loups ...
Asseyez-vous, peuple de loups, sur les frontières
et négociez la paix des roses, des ruisseaux,
l'aurore partagée.
Que les larmes, les armes s'égarent dans la rouille et la poussière.
Que la haine crachée soit bue par le soleil.
La terre ouvre sa robe de ténèbres,
sa nudité enchante les oiseaux,
le jour se fend comme fille amoureuse.
Sous un ciel ébloui
viennent alors après tant de saccage
les épousailles de la terre et du feu,
le temps des sources,
des naissances.
Après le sang, la traîtrise et le cri,
ah, tant rêvé!
le règne des moissons
pour le bonheur des granges.
À nous qui hébergeons l'aube de la parole
de rassembler le grain,
les mots de l'espérance.
Un jour d'été, l'enfant plonge dans la rivière,
joue avec le soleil
sous le regard apaisé d'une mère,
le héron danse sur son nid de sable,
le renard ouvre des ailes d'ange
et le serpent, le mal aimé, forçat de la poussière,
sauvé, s'étire entre les seins du jour.
Jean Joubert ("poème emprunté ici :
http://www.philagora.org/jean-joubert/peuple.htm )
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Anise Koltz (née en 1928)*
Anise Koltz est une poète luxembourgeoise.
Elle est née 1928, comme Jean Joubert ci-dessus, c'est le hasard !
Elle a publié plusieurs recueils de poèmes, les premiers en allemand. Ses textes sont souvent très courts. Le thème central, en particulier dans le recueil "Le porteur d'ombre" en est souvent la poésie, l'écriture, le (la) poète et son rapport au monde.
Le mur du son (titre du recueil dont voici des passages)
Dépassant le mur du son
je me libère de toute mesure
la voix perd la parole
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Mes poèmes
des fourmilières
parmi les paroles noires
et grouillantes
des reines fécondes
des milliers d'ouvrières sans ailes
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Je t'offre un poème
comme un verre d'eau
Il ne désaltère pas
Il te présente un lac
où tu couleras à pic
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Je n'invente pas le poème
il existe quelque part
dans l'univers
ou pend hors d'un rêve
tel un micro cassé
Anise Koltz (Le mur du son - éditions Phi, 1997) - Ce recueil a obtenu le prix Apollinaire en 1998.
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L'ailleurs des mots (titre du recueil dont voici des passages)
Comment supporter
de vivre et de mourir
dans cette boucherie anonyme
où nos membres deviendront
des cierges pour l’éternité
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Les sables dévorent le désert
Je lègue ma carcasse aux rapaces
au vent qui léchera mes os
au soleil qui les croquera
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Pour moi
ma mère a marqué
de pierres blanches
son parcours dans l’au-delà
M’appellera-t-elle
comme jadis
pour me faire rentrer
sous son toit ?
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Des rapaces
je revendique
ailes
serres
becs pointus
Comme eux
je fonce sur ma proie
d’une violence
qui risque de me tuer
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À ma mère
Cachée dans tes entrailles
comme dans une tranchée
j’étais prête à me lancer
dans la bataille
La mort dévalait
derrière nous
tandis que je subissais
la fatigue de ton sang
Tu devenais de plus en plus lente
Mais moi je voulais durer
être éternelle
Anise Koltz (L'ailleurs des mots)
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Henri Kréa (né en 1933)
Henri Kréa, dramaturge et poète, est né à Alger en 1933.
On trouve jusque dans les titres de ses recueils : Liberté Première (1957), La Révolution et la Poésie sont une seule et même chose (1960), Poèmes en forme de vertige (1967) le lien indissociable entre son engagement poétique et les valeurs humaines et sociales qu'il défend.
Il est signataire le 6 septembre 1960 de la Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie (le Manifeste des 121).
Jamais toujours encore
Nous sommes immortels
Nous sommes libres
Nous sommes inaltérables
Nous sommes identiques
Nous ne changeons pas
Nous n'avons pas de raison pour changer
Nous sommes à la fois
Le ciel et l'océan
Le sable et la douleur
Le sel et la joie
Nous sommes l'arbre
Nous sommes la plaine
Nous sommes l'enfance et le sommeil
Nous sommes immobiles
Nous sommes en mouvement
Nous avons des multitudes de dimensions
Nous sommes plusieurs
Nous sommes un
Nous sommes deux
Henri Kréa ("La Révolution et la Poésie sont une seule et même chose" - éditions PJ Oswald, 1959)
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Abdelhatif Laâbi (né en 1942)
Abdellatif Laâbi, né au Maroc en 1942, est un poète d'expression française. Il vit en France depuis 1985.
Ce poème a été emprunté sur le site de l'auteur (<< clic ici)
« Ce texte, une humble prière pour que la barbarie *
ne tue pas jusqu'à l'espoir »(Abdellatif Laâbi,)
J'atteste qu'il n'y a d'Être humain
que Celui dont le cœur tremble d'amour
pour tous ses frères en humanité
Celui qui désire ardemment
plus pour eux que pour lui-même
liberté, paix, dignité
Celui qui considère que la Vie
est encore plus sacrée
que ses croyances et ses divinités
J'atteste qu'il n'y a d'Être humain
que Celui qui combat sans relâche la Haine
en lui et autour de lui
Celui qui dès qu'il ouvre les yeux au matin
se pose la question :
Que vais-je faire aujourd'hui pour ne pas perdre
ma qualité et ma fierté
d'être homme ?
Abdellatif Laâbi, 10 janvier 2015
référence aux assassinats des 7 au 9 janvier 2015, qui ont débuté avec le massacre de Charlie-Hebdo.
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Jardinier de l’âme (titre proposé)
Ô jardinier de l’âme
as-tu prévu pour la nouvelle année
un carré de terre humaine
où planter encore quelques rêves ?
As-tu sélectionné les graines
ensoleillé les outils
consulté le vol des oiseaux
observé les astres, les visages
les cailloux et les vagues ?
L’amour t’a-t-il parlé ces jours-ci
dans sa langue étrangère ?
As-tu allumé une autre bougie
pour blesser la nuit dans son orgueil ?
Mais parle
si tu es toujours là
Dis-moi au moins :
qu’as-tu mangé et qu’as-tu bu ?
Abdellatif Laâbi (texte inédit, janvier 2007)
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Joseph Lanza del Vasto (1901-1981)
Lanza del Vasto est un philosophe militant de la paix italien. Poète français, sculpteur et dessinateur, il est le fondateur en 1948 des Communautés de l'Arche, de religion catholique, répliques des ashrams
Lanza del Vasto était un disciple du Mahatma Gandhi, apôtre de la non-violence, qu'il a rencontré. (source : en partie Wikipédia)
Grand voyageur des chemins de l'occident, et surtout de ceux de l'Inde et du Moyen Orient, il dénonce en creux le modernisme, le confort matériel et intellectuel, et applique à lui-même le principe d'ascétisme rigoureux que résume cette formule : Suffis-toi à toi-même.
Il prône le respect total de la nature et du vivant :
«Tu crois pouvoir écraser cette chenille ?
Bien, c’est fait : ce n’était pas difficile.
Bien, maintenant, refais la chenille... »
Lanza del Vasto
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La maison de vent
J'ai ma maison dans le vent sans mémoire,
J'ai mon savoir dans les livres du vent,
Comme la mer j'ai dans le vent ma gloire,
Comme le vent j'ai ma fin dans le vent.
Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942 ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)
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Ne pense jamais
Ne pense jamais : à quoi bon ! Ce n'est qu'une bête!
Ne pense jamais : c'est bien fait ; il l'avait mérité.
Ne pense jamais : ils sont trop ; peut-on les secourir tous ?
Ne pense jamais : cela ne me regarde pas.
Mais plains deux fois celui qui est toute chair et souffre tout entier ;
celui qui est coupable et deux fois malheureux.
Soulage parmi tant d'autres celui qui se trouve à ta portée,
- qui n'est pas soulagé de ce que d'autres souffrent
- car il souffre de sa souffrance seule -
car il n'y a qu'une souffrance et tu ne peux la soulager qu'en lui.
Sache que toute souffrance te regarde, ô mortel !
Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942 ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)
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sans titre
(...)
Avec un son de casserole ou de crécelle,
Les mots de chaque jour, ceux qui rincent la cour,
De l'office au salon, de la loge aux mansardes,
Lorsque l'évier bavarde
Dans la maison blanche entre arches et ciel
Une voix ancienne,
Des bras me berçant près de la persienne
Dans la torpeur et les cigales de midi.
Il m'a rendu les mots de celle que j'aimais,
Qui tremblèrent dans l'or fondu des jours de joie,
Éternels et perdus à jamais,
Il m'a rendu le goût des lèvres qui le dirent.
Il m'a donné des signes
Devant qui toute forme est ouverte
Comme une porte ouverte.
Et je me suis glissé sous l'écorce des arbres,
J'ai rabattu sur moi mille paupières vertes,
Et d'un seul trait j'ai bu l'extase végétale.
Ouvrant comme un placard la poitrine des hommes,
A des porte-manteaux j'ai vu, par files,
pendre Leurs âmes de gala
Et leurs âmes de chambre :
J'en pris une quelconque et l'essayai.
Elle m'alla. (...)
Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942 ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)
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L'arbre
L'arbre que l'hiver creuse et qu'il délabre
De terre à ciel est un chemin battu,
Avril aux tendres mains quand viendras-tu,
Quand, rallumer tout le grand candélabre ?
Flamme debout qui ne brûle et ne bouge,
Ruisseau qui coule en remontant :
Le feu sans doute a quitté son masque rouge,
L'eau sa robe couleur du temps,
Et s'embrassant dessous la terre dure
Ils se sont fécondés en se battant
Pour qu'un surgeon de la lumière obscure
Jaillisse ainsi dans le ciel de printemps.
Corps nuageux vertébré comme un mont,
Flancs que perce un oiseau, qu'ouvre la brise ;
L'été respire à son vaste poumon.
Le grand soleil en mille nuits se brise
Folles de lunes vertes, d'astres troubles
Dans les bas-fonds, et sa face dédouble
Le bleu du ciel en un sommeil de lac,
Une source s'y joue et son murmure
En ces grottes de vie aux sourds ressacs
D'un rêve d'eau ranime la ramure.
Lui, couronné de paix et de verdure,
Lui, jubilant d'oiseaux, lui blanc de fleurs,
Lui, nourri de discorde et fort de heurts
En qui la lutte élémentaire dure;
Le tronc farouche au sommet de sa tour
Ourdit ses nœuds, ses fourches, ses détours
Et se poussant de rupture en rupture
Maintient, victorieux, l'architecture,
Pour coucher son automne en la couleur
Du feu dont il est fait, comme en la leur,
L'homme qui saigne et le soleil qui meurt.
Lanza del Vasto (Le Chiffre des choses, 1937 ; Robert Laffont,1942 ; Denoël, 1953 et Denoël édition augmentée, 1972)
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Claude Le Petit (1639-1662)
Claude Le Petit est connu pour ses poésies burlesques et satiriques (entre-autres "La Chronique scandaleuse ou Paris ridicule"), dans lesquelles il raille pouvoir politique et religieux. Il est aussi l'auteur de poésies licencieuses, dont on ne donnera pas les titres ici. L'ensemble lui vaut d'être brûlé en place de grève après avoir eu la main coupée et avoir été étranglé (une mesure de faveur, car en général on était brûlé vif).
Voici son plus célèbre sonnet, portrait, autoportrait de poète, en forme de clin d'œil ...
Le poète crotté
Quand vous verrez un homme avecque gravité
En chapeau de clabaud (1) promener sa savate
Et le col étranglé d'une sale cravate,
Marcher arrogamment dessus la chrétienté,
Barbu comme un sauvage et jusqu'aux reins crotté,
D'un haut de chausse noir sans ceinture et sans patte,
Et de quelques lambeaux d'une vieille buratte
En tous temps constamment couvrir sa nudité,
Envisager chacun d'un œil hagard et louche
Et mâchant dans les dents quelque terme farouche,
Se ronger jusqu'au sang la corne de ses doigts,
Quand, dis-je, avec ces traits vous trouverez un homme,
Dites assurément : c'est un poète françois !
Si quelqu'un vous dément, je l'irai dire à Rome.
(1) Un clabaud est un mendiant.
Claude Le Petit, 1660
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Robert Lohro (né en 1935)
Robert Lohro, parfois orthographié Lorho, est né à Mantes-La-Ville (Yvelines).
Il a d'abord publié des poèmes sous son vrai nom (le recueil "Légendaire" a obtenu le prix Apollinaire en 1965, il a été édité par les éditions Pierre Seghers), et à partir de 1970 sous le pseudonyme de Lionel Ray : ("Le corps obscur", 1981, aux éditions Gallimard, lui vaut le prix de poésie Mallarmé).
Lionel Ray est lauréat du prix Goncourt de Poésie en 1995 et du Grand prix de poésie de la Société des Gens de Lettres en 2001.
Voici quelques poèmes sans titre, passages extraits(1) du recueil "Comme un château défait", paru aux éditions Gallimard en 1993 :
Ce qui parle dans le bois, ce qui parle au bord
du gouffre et dans l'horloge et dans l'effondrement
des heures, te ressemble.
Ce qui parle dans le feuillage des consonnes,
dans l'encre des nuages, te ressemble.
Ce qui parle dans les plaies et les fusils sanglants,
dans les crimes et les branches brisées
de la forêt humaine, te ressemble.
Avec la pluie qui n'appartient à personne
(c'est du ciel qui descend à petit bruit,
comme invisiblement)
Aimer encore forêts et falaises,
le mûrissement du silence,
s'enfermer jusqu'au centre du bruit,
dans cette interminable fin du monde
du siècle pourrissant,
Écrire dans l'imparfait un chant
mobile pour te réconcilier
avec ton sang.
Sur ton épaule un dieu fluide
se pose, papillon qui s'affaiblit,
oublie l'être, se dissout.
Celui qui est dans ces pages, dis-tu,
est un autre, il traverse un ciel mal rédigé
Où s'accumulent nuages et sommeils,
et la nuit revient avec des oiseaux de fête.
Est un autre, disais-tu.
Il y a toutes sortes de vies dans ta vie
et toutes sortes de mots dans tes mots,
mais qu'est-ce à la fin que ce brouillard ?
Même la lampe des morts s'éteint,
il n'y a plus où ils sont de langage.
Qu'est-ce à la fin que cette nuit
d'où tu viens, et cette nuit finale
où ni les mots ni les morts ne font signe ?
Comme on glisse hors de soi
aux confins de la veille et du songe,
on regarde une autre demeure, un corps chantant.
Qui est cet homme proche de toi
si peu semblable et pourtant ressemblant,
Dans le tumulte des soifs et des mondes,
broyant le grain des paroles,
cherchant la source brève, la présence sans nom ?
Tu parles aussi pour toi hors du temps
dans ce grand désordre couleur d'ivresse
des routes des heures des paysages.
Tu parles parmi les ombres finales de la nuit
au bord de l'inimaginable absence.
Tu ne dis rien, tu es en proie à toi-même,
tu cherches la place d'être
un autre ou personne.
Dans la géométrie du soleil mobile,
ailes ouvertes sur tant de plaines,
de décombres et de scintillements,
Tu t'éloignes et te rejoins,
tu te rassembles,
Tu es toi-même chaque mot que tu dis
et chacun te conduit en ce lieu
où tu es plus toi-même que toi.
Lionel Ray (Robert Lohro) (Comme un château défait - Gallimard, 1993, et Comme un château défait suivi de Syllabes de sable, collection Poésie/Gallimard, 2004)
(1) Références électroniques pour les textes et les éléments de biographie :
Lionel Ray, « Poèmes », Semen, 09, Texte, lecture, interprétation, 1994, [En ligne], mis en ligne le 31 mai 2007.
URL : http://semen.revues.org/document2998.html
et
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2007/12/lionel-ray.html
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Bernard Lorraine (1933-2002)
Bernard Lorraine a publié 27 recueils (Vitriol, Voilà, Provocation, Sentences, Burlesques ...) et 10 anthologies poétiques (Trésors des épigrammes satiriques ; Une Europe des poètes ; Le cœur à l'ouvrage : anthologie de la poésie du travail ; Un poème, un pays, un enfant ...) ainsi que des essais et des pièces de théâtre.
Le paysage se construit, de l'inanimé au vivant :
Au début ...
Il y avait un ciel
il y eut un nuage
Il y avait la boue
il y eut une plage
Il y avait une eau
il y eut un poisson
Il y avait un arbre
il y eut un oiseau
Il y avait la nuit
il y eut une femme
Il y avait le jour
et il y eut un homme
Il y avait l'amour
il y eut un silence
Mais il y eut un cri
et c'était un enfant
Et ce fut un poète
puisqu'il y eut un chant
Bernard Lorraine
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Jean Malrieu (1915-1976)
biographie sur le site des éditions le cherche midi (début, lire la suite sur le site <<) :
Jean Malrieu s'initie très vite à la poésie contemporaine et au jazz, correspond dès l’âge de vingt ans avec Cocteau et Max Jacob et publie ses premiers poèmes. Il adhère à la Libération au Parti Communiste et mènera conjointement activité poétique et militantisme politique. En 1948, il est nommé instituteur à Marseille. En 1950, il est publié par Elsa Triolet dans Les Lettres françaises et introduit par Jean Tortel aux Cahiers du Sud, la grande revue littéraire de Marseille, de renommée internationale. En mars 1953 paraît son premier livre, Préface à l’amour, animé d’un ample souffle lyrique. Il fonde avec Gérald Neveu et quelques amis la revue Action poétique et fait écrire des poèmes par ses élèves, cherchant à rapprocher la poésie et les milieux populaires. (...)
Le rire de demain (sans titre - titre suggéré par le site)
Entends le rire de demain.
Il est puissant. Il est, confiant,
Dans l'amas des jours, la réserve.
Passe un soleil comme un paysan
Jetant son or comme semences.
S'en vient la pluie comme la herse
Ou le froid comme un vrai seigneur.
J'ai fait le pacte avec les hommes,
Ainsi je remplis le cellier,
Avec la branche morte fais * la flamme
Et, de la cuve et dans le cœur,
De la vendange de l'hiver
Monte l'ivresse des soleils.
ponctuation originale
*le pronom sujet "je" est élidé
Jean Malrieu (Le Nom secret, 1968 - PJ Oswald)
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Claude Maillard (contemporaine)
Claude Maillard est une auteure contemporaine de poésies et de romans.
Calvaire
avec mes cinq doigts
trempés dans le whisky
avec mon mouchoir que je déchire
avec mes cris hurlés à tue-tête
avec mes larmes
avec le briquet que je jette par la fenêtre
et le crayon rouge que je casse en deux
je te cloue
et tu oses encore vivre
Claude Maillard ("ventre amer" - éditions Librairie Saint-Germain-des-Prés, 1972)
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Henri Michaux
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Théodore Monod (1902-2000)
Théodore Monod est un scientifique naturaliste, explorateur, érudit et humaniste français. Il est « le grand spécialiste français des déserts », « l'un des plus grands spécialistes du Sahara au xxe siècle » et « bon nombre de ses 1 200 publications sont considérées comme des œuvres de référence".
Pour Jean Dorst, Théodore Monod « a été bien plus qu'un savant naturaliste à la curiosité toujours en éveil. C'était un humaniste au vrai sens du terme, un penseur, un philosophe et un théologien. » (source Wikipédia)
Vesper
La nuit tombe et déjà s'efface la colline.
Seul devant le mystère où grouille les dangers,
Seul dès l'aube, à midi, seul quand le jour décline,
Seul au milieu des siens, intimes étrangers,
Acteur inconscient on a joué son rôle,
Et mimé tour à tour, en bouffon solennel,
Le pitre et l'ingénu, le saint, et puis le drôle ;
Imposteur innocent, raisonnable et charnel,
Acclamant l'idéal et suivant la nature,
conciliant sans peine et " Devoir " et plaisir ;
Aveugle on a marché, sans guide, à l'aventure,
aux chemins imposés qu'on avait cru choisir.
Mais le vent s'est levé qui va tarir la sève ;
L'heure a sonné, la mort approche : ô vérité.
Va-t-on soudain pouvoir, s'éveillant d'un long rêve,
Entrer, vivant enfin, dans la réalité ?
Théodore Monod (Et si l'aventure humaine devait échouer)
Le désert
(...) Le désert, c'est aussi l'apprentissage de la soustraction. Deux litres et demi d'eau par personne et par jour, une nourriture frugale, quelques livres, peu de paroles. Les veillées du soir sont consacrées aux légendes, aux contes, au rire. Le reste appartient à la méditation, au spirituel. Le cerveau met le cap en avant. Nous sommes enfin débarrassés des futilités, des inutilités, des bavardages. L'homme, cette étincelle entre deux gouffres, trace ici un chemin qui s'effacera après son passage.
Soustraire, se soustraire ; prendre l'essentiel non seulement d'objets mais de pensées, cet allègement est déjà une philosophie.
Le désert n'est pas complaisant. Il sculpte l'âme. Il tanne le corps.
Il faut supporter le soleil intense du jour, le froid de la nuit. Trouver de l'eau, cette richesse. Supporter de perdre le sens du temps et de l'espace. Ceci n'est pas réservé qu'aux novices.
Si ce vertige prend un Touareg, vous le verrez s'allonger, se recouvrir de son burnous. L'arrêt, le sommeil, l'obscurité, le silence le recentrent. Car le désert, dans le Ténéré par exemple, offre, comme la mer, un horizon perpétuellement circulaire. [...]
Théodore Monod (Le chercheur d'absolu - Le cherche midi, 1997)
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Gérard de Nerval (1808-1855)
Gérard de Nerval, pseudonyme de Gérard Labrunie, est un poète "moderne", auteur des "Filles du Feu" (1854) ; Les Chimères (1854) ; "Aurélia ou le rêve et la vie" (1855). Il a traduit le poète allemand Heinrich Heine.
En grande détresse matérielle et morale, il se pend dans une rue de Paris.
El Desdichado
Je suis le ténébreux, - le veuf, - l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le pampre à la rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phébus ? ... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J'ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron ;
Modulant tout à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
Gérard de Nerval (Les Chimères, 1854)
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Gérard Noiret (né en 1948)
(Notice biographique empruntée à la poéthèque du site du printemps des Poètes : http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=322 ) :
Gérard Noiret est poète, essayiste, et romancier,
Il est membre du comité de lecture de La Quinzaine, d'Europe et du Mâche-Laurier. Il a longtemps dirigé des services d'animation en banlieue. Il participe activement à la médiation en faveur de la poésie à travers son travail de critique, de formateur et d'animateur d'ateliers d'écriture.
contexte historique du massacre de Chatila :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chatila
CHATILA (passage)
Deux heures que l'annonce des massacres
a retenu les fourchettes
Maintenant c'est un soir quelconque
un avion y passe
comme après très longtemps un mécanisme dévidé
connaîtrait un spasme
Dans la plupart des appartements
désamorcée la nouvelle ne fera pas date
Si la chaleur pouvait parler, elle dirait
son inquiétude pour ce manque
mais c'est un soir quelconque, un avion passe
Lorsqu'il se pose au Bourget
la plupart des familles dorment déjà
dans la contagion d'herbe fraîchement tondue
et ce
lent travail des pressions
long chemin des aveux *
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Là dans le bain te parviennent
transmises par les conduits
ces voLx comme de mineurs
qui frapperaient les rails
pour avertir la surface
Des mineurs prisonniers
non de galeries mais de couloirs,
que tu rencontrerais le lendemain
dans une autre vie
en train de tirer le démarreur
ou de sourire chez l'épicier
Comme les bruits de la rue envahissent
la cuisine par la fenêtre mal fermée
ceux de la mort gagnent son sommeil
Souvent tu la retrouves
dressée pleurant dans le noir
mais ne sais pas joindre
les deux battants de sa nuit
(...)
* la première partie de ce passage est en italique dans le recueil
Gérard Noiret ("Chatila" - Actes Sud, 1986)
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Jean Orizet (né en 1937)
Jean Orizet est l'auteur de nombreux recueils et d'anthologies de poésie. C'est l'un des fondateurs de la revue Poésie 1, devenue Poésie1/Vagabondages (éditions le cherche midi), première revue de poésie distribuée en kiosques.
Parmi les derniers livres parus de Jean Orizet : Une anthologie de la poésie amoureuse en France (Bartillat, janvier 2008) ; Anthologie de la Poésie Française (Larousse, 2007) ; L'attrapeur de rêves, roman poétique (Melis, 2006) ; et pour les enfants de 7 à 12 ans : Les plus beaux poèmes pour les enfants (le cherche midi, 1997, édité en Livre de Poche, 2004)
"L'homme, qu'il soit noir, blanc ou jaune, fait de sable ou de sel, ordinateur ou bien truelle, tentera toujours désespérément (même sous le masque de l'impossibilité) d'ouvrir une fenêtre dans l'infini. Sa main se crispera sur la poignée de cette fenêtre avec tant de force, parfois, que le ciel tout entier lui restera entre elles doigts.
D'autres fois, ce sera la mer, où vivent les sirènes d'alarme".
Jean Orizet (Voyageur absent, Grasset, 1982)
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"La poésie engagée", Gallimard, 2001)
Adieu au siècle
Héritier d’un siècle épuisé
Je livre ici quelques images
Qui me pèseront sur le cœur
Pour le millénaire à venir
J’ai vu tout près de Bethléem
De très jeunes Palestiniens
se battre à coups de lance-pierres
contre les fusils des soldats
Sur les trottoirs de Calcutta
J’ai croisé des enfants sans mains
Qui mendient par le seul regard
Ils n’ont ni maison ni parents
Au Cambodge, en Afghanistan
Encore et toujours des enfants
Au pied broyé sur une mine
Laissée par des soldats enfuis
En Afrique ils meurent de faim
En Algérie on les égorge
Partout ils sont martyrisés
Les enfants de notre planète
Dans les bas-quartiers de Rio
Le monde est pour chaque habitant
Peur, saleté, misère et boue
Voir cela est désespérant
Faut-il toujours aller si loin
Chercher d’aussi tristes spectacles ?
À Paris, Bruxelles ou Saint-Ouen
J’assiste à la même débâcle
Je n’aime pas beaucoup l’odeur
Du siècle moisi dont j’hérite
Il sent la mort et la terreur
Il est trop lent ou va trop vite
Enfant des années à venir
Essaye d’être un peu plus sage
Que nous ne l’étions avant toi
Oublie la colère et la rage
Avec tous les ordinateurs
Et leurs écrans bleus de contrôle
Peut-être dénicheras-tu
Des réponses à ces questions-là :
Pourquoi tant de sauvagerie
Dans un monde aussi policé ?
Pourquoi ces misères criantes
Dans un monde aussi équipé ?
Héritier d’un siècle cruel
Je vous lègue, enfants, mes révoltes :
De simples mots sur du papier
Mais ils sont ma seule récolte.
Jean Orizet (dans "La poésie engagée" Anthologie proposée et commentée par Christine Chollet et Bruno Doucey, Gallimard, 2001)
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"Reconnu comme l'un des poètes importants de sa génération, Jean Orizet est aussi l'écrivain qui a inventé l'idée de "l'entretemps" dans les années 60. Cette idée est devenue emblématique de son oeuvre, en poésie comme en prose. En 1975, dans Les nouvelles littéraires, Gilles Pudlowski écrivait : "Jean Orizet est, depuis 15 ans, le poète de "l'entretemps" joliment repensé, le Brummell de nos élégances lyriques."
(source : site du printemps des Poètes)
Passages d'un entretien de Jean Orizet à la revue "Autre Sud" (le poète est né à l'Estaque, Marseille) :
"Dans Histoire de l’entretemps *, je me suis efforcé de donner à voir ce que pouvait recouvrir ce mot, d’un point de vue plus poétique que philosophique. L’entretemps exprime bien autre chose que la simple notion d’intervalle entre deux faits ou deux actions, maillon habituel de notre existence. On y accède en franchissant le mur du temps et de l’espace.(…). L’entretemps pourrait bien être quelque chose comme un moment suspendu de l’éternité qu’est chaque vie d’homme, ou encore ce temps immobile, au-delà de l’espace et du temps ordinaire, où la mémoire et la conscience jouent leur rôle essentiel, et qui est l’instant fragile où le poète trouve sa marque. (…) En définitive, l’entretemps n’est peut-être rien d’autre que la recherche d’une mythique unité primordiale."
* (La Table ronde ; 1985)
(source de l'entretien complet : revue Autre Sud n° 6 - sept 1999 - les passages reproduits sont empruntés à
Jean Orizet , « Le regard et l’énigme » , Revue Texture
Hommes continuels (passage du recueil cité)
Chaque homme est une étoile où s'enflamme le fossile de l'univers.
Nous sommes les enfants d'une lumière morte.
Dieu créateur du monde est né d'un autre Dieu, explosion de pur infini.
S'il accepte de venir à nous, c'est par des chemins buissonniers où l'espace et le temps se font des politesses.
Notre vie est ombres ou étincelle, capable quelquefois d'avaler un trou noir.
Prédateur de l'instant zéro, j'emporte en mon repaire des mécaniques célestes encore balbutiantes pour mieux surveiller un monde en fusion où la vie voit la mort par transparence, où les arbres se noient dès qu'un soleil a peur. Pillard de tous les possibles, je rôde en ma caverne encombrée de trésors ignorés des répertoires. Ma richesse vaut son pesant d'ombre, mon futur son comptant d'oubli.
Astres nés entre chien et loup, corps opaques, lunes de carton partagent l'incertain du monde avec des étoiles d'oubli où Persée continue d'aimer sa nébuleuse Andromède. Et le sang noir de Méduse d'où Pégase avait jailli arrose un ciel balafré de télescopes qui voyagent. Astres que nous interrogions pour connaître nos origines, vos ellipses ou révolutions renvoient intacte la question.
Jean Orizet (extrait de "Hommes continuels", éditions Saint-Germain-des-Prés, 1982 - un passage est également cité dans la biographie de Jean Orizet par Luciano Mélis : "le voyageur de l'entre-temps", Mélis éditions, 2005)
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autres écrits :
"Chez Orizet, le sentiment du mystère se mêle à un sentiment panique de l'univers dont il inventorie les merveilles à travers la nature comme parmi les créations de l'homme, car s'unissent songe et réalité, monde de genèse et monde industriel, époques diverses, mots anciens et modernes, s'opèrent des métamorphoses comme si la vie et ses amples mouvements se déroulaient sous nos yeux. "
Robert Sabatier (sur le site de l'éditeur)
Il pensait: « les étoiles sont les balises de la nuit.
Elles gouvernent le regard pour mieux alimenter le rêve mais se plaisent en leur désert »
Et s'il s'agissait d'autre chose ?
Si leur éclat signifiait refus d'être laissées à elles-mêmes
volonté d'être avec nous
en dépit des années-lumière
chaque fois que revient le jour
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Migration d'oiseaux selon des calendriers aberrants pour l'ornithologue
Ont-ils réinventé
un temps connu d'eux seuls?
Petit mammouth blotti dans un glacier
son œil vert clignote à chaque chant d'oiseau
Au millimètre de chaleur il avance
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Vues d'avion les plaines picardes
font apparaître le tracé
de villas gallo-romaines
noyées sous la glaise des champs
et sur le même territoire
se superpose le réseau des tranchées
de la
Première
Guerre mondiale
Étranges croisements d'une
Histoire
dont la terre digère mal
les siècles d'alternance
entre calme et violence
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Le microbe a du goût pour l'étoile
il se dérobe au microscope et sait flouer l'anticorps
Combien de douces maladies saura-t-il inventer encore ?
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Quand l'avion explosa
il y eut au moins un oiseau
pour croire à la fin du monde
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Le vert de l'été contient en impuissance le jaune de l'automne
La bûche de bois coupé ressemble étrangement à la fumée du souvenir
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Orages magnétiques dévoreurs de bateaux dans le triangle des
Bermudes
Contrebandiers d'opium avalés par le triangle d'or
Pirates de la mer de
Chine aux jonques volatilisées
La mort aventurière a toujours les dents longues
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Le ver est dans le fruit il y sculpte son monde mais lorsque le fruit tombe tout ver l'a déserté
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Il est des pays terribles où la plupart des habitants ont à la place du visage
une cible
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Le bœuf n'a pas souffert d'être écorché la souris fut disséquée après anesthésie
Entre la couveuse et le four électrique le poulet ne s'est aperçu de rien
Le poireau, lui, n'a pas d'âme on peut donc en faire du bouillon impunément
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Chant matinal du coq
étouffé
par la stridence des réacteurs
En plaine, le blé lève dans un halo de kérosène
Vers
Singapour ou
Ceylan s'envolent les gros porteurs pour un tourisme forfaitaire
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"Cette année, on a fait l'Asie »
Des statuettes de bouddhas rigolards
fabriqués à la chaîne
pourront en témoigner
sur les buffets des crémeries *
* "crémerie" ou "crèmerie", orthographes acceptées
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Bach,
Vivaldi,
Brassens,
Mozart
descendus dans le métro
font recette aux heures de pointe
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Leur musique adoucit les mœurs jusqu'à l'heure où les baladins jaloux commencent à jouer du couteau pour défendre leur territoire
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Le diamant est une valeur refuge
Si vous parvenez
à vous nicher à l'intérieur
vous ne risquerez plus rien:
Le diamant est éternel
Jean Orizet (extraits de "Le regard et l'énigme", le cherche midi, 2008)
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PRINTEMPS DES POÈTES en FRANÇAIS page 3
COLLÈGE-LYCÉE auteurs de J à R